10.1 Présentation

1Département précurseur pour la reconnaissance des occupations danubiennes du Bassin parisien, l’Yonne depuis quelques années semble marquer le pas au regard d’autres secteurs de cette région. Sa situation géographique lui confère pourtant une grande importance pour la compréhension des phénomènes migratoires qui accompagnent l’implantation des premières communautés néolithiques. Le département est ouvert à l’est sur la Champagne (vallées de la Seine et de la Vanne), au sud sur le massif bourguignon (vallées de l’Armançon et du Serein). Durant toutes ces années, grâce au travail des prospecteurs aériens, une énorme documentation a été recueillie. Par manque de moyens, elle n’a que rarement pu s’accompagner de fouilles, voire de vérifications de surface, alors qu’un riche potentiel reste à exploiter.

2Par ailleurs, on constate qu’une activité archéologique portant sur cette période s’est maintenue ces dernières décennies, mais elle n’a que rarement été l’objet de publications. Parmi les gisements majeurs fouillés, quatre renouvellent notre approche chronoculturelle du tardi‑ ou du post‑danubien ; il s’agit des sites de Passy/La Sablonnière et Les Graviers (Carré 1984, 1986 ; Carré et al. 1989), de Passy, nécropole de Richebourg (M. Fonton, H. Carré et P. Duhamel) (Duhamel, Prestreau 1987, 1991b) et de Villeneuve‑la‑Guyard/Les Falaises de Prépoux (Carré et al. 1989 ; Duhamel, Prestreau 1991a ; Prestreau 1992).

3Le présent article a pour but principal, au travers des apports du gisement de Villeneuve‑la‑Guyard, de préciser les aspects spécifiques des gisements icaunais. Cette spécificité que nous essayons de démontrer depuis quelques années (Duhamel, Prestreau 1991a ; Prestreau 1992) peut aider à mieux définir le développement des sociétés post‑danubiennes dans le sud‑est du Bassin parisien.

10.2 Le gisement de Villeneuve‑la‑Guyard

4Quatre hectares de ce site ont été fouillés entre 1985 et 1988, sur l’implantation d’une future carrière de granulat. Le gisement se positionne sur le rebord de la première terrasse de l’Yonne, à proximité d’un gué, sur le pourtour d’une butte de sable limoneux (point de bar). cette butte n’a pas subi le même taux d’érosion que le reste du gisement, ce qui a entraîné la préservation complète de nombreuses structures, parmi lesquelles des fosses néolithiques scellées par un « sol ».

5Les occupations ont été multiples (fig. 1), on peut citer principalement :
– un village et une nécropole tardidanubiens ;
– un camp à fossé de la culture de Cerny, type Barbuise ;
– deux camps à palissades multiples du groupe de Noyen ;
– une nécropole de 105 sépultures couvrant depuis le BFI jusqu’à La Tène IIa ;
– un village de La Tène finale.

10.2.1 Le village post‑danubien

6Le village se compose de six bâtiments dont cinq sont disposés sur une rangée d’axe nord‑sud. Les maisons sont trapézoïdales, la grande base orientée vers l’est ; elles mesurent entre 21 et 13,5 m de long et présentent toutes une organisation interne des tierces propre à chaque bâtiment. Des fosses latérales de construction bordent les habitats ; leur état de conservation varie du lambeau (tache préservée sur 1 ou 2 m de long sur 5 à 10 cm de profondeur) au creusement apparemment intact (50 cm de puissance, 22 m de long, 5 de large) recouvert d’un sol dans lequel repose du matériel contemporain présentant de nombreux remontages avec les fosses proches.

7Il existe par ailleurs deux fosses (St. 90 et 249), vraisemblablement non érodées (5 m de long, 2 m de large et 70 cm de profondeur), disposées dans le même axe que les bâtiments, localisées à 7 m au sud de l’habitat 2. Les remontages de céramique attestent d’un lien direct avec ce dernier ; ces creusements ne sont pas assimilables à des fosses de construction. Leur richesse en matériel archéologique (silex, os, industrie osseuse, céramique) évoque soit une fonction de réserve pour la communauté (en raison de l’abondant outillage qu’elles contiennent), soit une fosse de rejet de déchets dont témoignerait l’abondance de la faune.

8Il paraît probable que le sixième bâtiment, à l’écart, ne soit pas contemporain des autres maisons. Le peu de matériel archéologique découvert dans ce qui subsiste de la fosse sud évoque un horizon chronologique plus tardif.

9Treize ou quatorze sépultures –en comptant les anciennes découvertes des années trente/cinquante– (Mordant et al. 1979) saupoudrées d’ocre ont été mises au jour, dont deux inhumations multiples. Deux tombes s’avèrent remarquables en raison du mobilier archéologique qui accompagnait les défunts : il s’agit d’inhumations. La première contenait deux bouteilles, un bracelet en schiste passé au‑dessus du coude, un collier en perles calcaires et un dépôt de coquillages dont l’ordonnancement évoque la parure d’un vêtement ; la seconde recelait deux vases, un collier et un bracelet en spondyle.

10.2.2 Le matériel archéologique

10Le matériel archéologique est très inégalement réparti entre les divers habitats suivant l’état de conservation des fosses. Dans les faits, l’essentiel de la documentation provient de l’habitat 2 et des deux fosses (St. 90 et 249) évoquées ci‑dessus.

10.2.2.1 L’industrie lithique

11Elle est essentiellement débitée sur galets de rivière. L’outillage, en majorité sur éclats, est composé de grattoirs, burins, perçoirs, pièces tronquées ou encochées et de quelques denticulés. Les grattoirs sont largement dominants. Les armatures comprennent des faucilles (proximaux de lames à troncature convexe) et des pointes de flèche triangulaires asymétriques, à base retouchée inverse.

10.2.2.2 L’industrie osseuse

12Elle comporte une trentaine d’outils divers qui proviennent pour une grande part des fosses 90 et 249. Les poinçons sont majoritaires. Une pioche en bois de Cervidé, un manche taillé dans une corne de Bovidé, deux instruments énigmatiques produits dans un bois de chevreuil dont les empaumures furent abrasées en biseau et quelques lissoirs composent l’industrie osseuse.

10.2.2.3 La production céramique

13Elle est composée de plusieurs centaines de vases. Les formes se composent de bombes à col individualisé ou non, de grands vases à parois droites, de profil parfois rentrant, de pots hémisphériques, de bouteilles et de toute une série de petits vases dont la forme dérive de la sphère.

14Les décors plastiques sous le bord sont très abondants ; ils se composent généralement de boutons coniques obtenus par pincements. Ils ornent une grande part de la céramique grossière. Cette dernière est parfois décorée de paires de boutons sur la panse. Ce thème existe aussi dans la gamme des productions fines. On constate aussi des pincements disposés en « V » au‑dessus des anses sur des récipients de toutes tailles.

15Les décors incisés ou imprimés sont peu importants (fig. 2, 3 et 4) ; ils représentent au maximum 10 % des décors. Ils n’ornent que la céramique fine, à l’exception du motif en arêtes de poisson qui par deux fois est incisé sur des vases plus grossiers1. Le registre des décors au peigne (de 2 à 5 dents) est toujours associé à une organisation du décor en T, souvent renforcé par une addition de guirlandes. Ce dernier et les arêtes de poisson représentent la grande majorité des ornements. Les bandes horizontales hachurées, en échelle, larges ou fines, et disposées en chevrons sont attestées. Il existe par ailleurs des thèmes ne figurant que sur un seul vase ; il s’agit principalement de décors couvrants : damier, registre de bandes larges hachurées en oblique. Enfin quelques récipients sont ornés de sillons larges, barbelés ou non, organisés en panneaux.

10.2.3 Attribution chronologique

16L’étude du mobilier des Falaises de Prépoux permet d’établir les faits suivants :
– la céramique comporte quasi systématiquement un bord coché ou aplati souligné de boutons obtenus par pincements (céramique grossière) ;
– l’organisation du décor au peigne conserve une thématique « rubané récent », que l’on retrouve également dans tous les thèmes en chevrons hachurés et les nombreuses formes en bombe ;
– on note une introduction importante de décors dont l’origine n’est pas rubanée (arêtes de poisson, panneaux de sillons, barbelés ou non) ;
– les décors couvrants, qui ne semblent pas appartenir à la tradition rubanée, conservent dans la thématique (bandes hachurées) un lien avec le domaine danubien ; ils marquent cependant une nette évolution ;
– l’étude de l’industrie lithique (travaux A. Augereau et F. Bostyn en cours) montre des caractères évolutifs (débitage d’éclats, présence de deux armatures tranchantes, etc,), mais maintient une nette filiation avec le Rubané récent (débitage de quelques lames de belle facture, abondance de burins, etc.) ;
– l’industrie osseuse, dont l’étude est confiée à I. Sidéra, présenterait de très fortes analogies avec celle de Cuiry‑lès‑Chaudardes, ce qui lui conférerait un caractère archaïque ;
– l’étude de la faune, entreprise par A. Tresset, semble s’orienter dans le même sens avec, en particulier, un pourcentage non négligeable d’animaux chassés (Cerf).

17Le mobilier des Falaises de Prépoux appartient au Néolithique de tradition rubanée. On constate qu’une partie se rattache au Rubané récent du Bassin parisien. Il s’agit des décors impressionnés au peigne en T systématiquement, des décors au peigne de bandes horizontales interrompues sous le bord, du thème et de l’organisation de décor au peigne à deux dents, des rubans s’organisant en ligne brisée, des décors de bandes et de triangles hachurés obtenus par des sillons larges et peu profonds, des très nombreuses formes en bombe, des bombes à col individualisé, de la présence de spondyle, de la quasi‑absence de bracelets, de l’interprétation fournie par l’étude de l’industrie osseuse et, sous réserve de confirmation, de l’analyse de la faune. Un second lot évoque déjà le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain ; il s’agit des décors en V digités au‑dessus des anses, des décors en arêtes de poisson, des décors au peigne en guirlandes concentriques, des formes en U, des bords cochés décorés de pincements ou de boutons, de la présence du dégraissant à l’os, des rebords plats et du débitage de l’industrie lithique sur éclats. En première approche, il paraît donc évident que le site de Villeneuve‑la‑Guyard se positionne à la charnière chronologique de ces deux entités.

10.3 Problèmes d’interprétation

18Les questions liées à l’étude de ce site sont multiples. Nous étudierons dans un premier temps, le lien qui unit Les Falaises de Prépoux aux autres gisements d’ascendance rubanée de l’Yonne, puis nous examinerons la nature de ces liens dans le but de percevoir si on décèle une rupture (comme l’évoque C. Constantin 1985, 1986) ou bien si l’évolution se poursuit en progression régulière. Dans un second temps, nous observerons les rapports entre le groupe de Blicquy et les gisements icaunais et nous tenterons de mettre en parallèle leur évolution. Nous étudierons ensuite l’impact de la Céramique du Limbourg à Villeneuve‑la‑Guyard. Enfin, nous proposerons une interprétation globale de l’ensemble des faits constatés.

10.3.1 Villeneuve‑la‑Guyard dans le contexte icaunais

19Fig. 5

20Les gisements de tradition rubanée sont abondants dans l’Yonne ; malheureusement, peu ont fait l’objet d’une publication complète. Seuls une demi‑douzaine de gisements peuvent servir de référence à ce jour :
– Armeau, fouilles B. Champeau, (Bailloud 1979) ;
– Champlay, fouilles A. Merlange, (Merlange 1982) ;
– Cliarmoy, fouilles H. Carré, (Joly 1970) ;
– Monéteau Gurgy, fouilles A. Leroi‑Gourhan, (Brézillon 1964);
– et les deux gisements de Passy/La Sablonnière et Les Graviers, fouilles H. Carré (Carré 1984, 1986 ; Carré et al. 1989).

21Nous postulons, de par l’étude de la thématique des décors, que les gisements de Champlay et d’Armeau sont antérieurs à Prépoux. Cependant, on constate à Armeau la présence de « V » digités au‑dessus des anses associés à des formes à paroi rectiligne ainsi que de bords plats cochés, soulignés de digitations ou de boutons pincés. On remarque à Champlay nombre de bords aplatis. On peut donc envisager une filiation entre ces trois sites, tout en constatant qu’il doit exister une étape intermédiaire (que pourrait représenter Charmoy) qui s’intercale entre Champlay et Armeau, d’une part et Villeneuve‑la‑Guyard d’autre part.

22Les gisements de Passy, bien que très partiellement publiés, représentent une phase postérieure à celle de Prépoux. On y remarque la disparition des motifs en arêtes de poisson, la raréfaction de la céramique fine, donc des ornements qui la décorent, au profit d’une production grossière décorée de motifs plastiques. Sur le site des Graviers, les éléments communs avec Prépoux sont encore abondants (bien que le mobilier d’une des fosses soit vraisemblablement à attribuer au RRBP) : décors au peigne organisés en T, bandes au peigne interrompues sous le bord, « V » digités au‑dessus des anses, etc. L’écart est nettement plus marqué sur le site de La Sablonnière2 où l’on constate la raréfaction des motifs incisés ou impressionnés au peigne au profit des décors plastiques ; la technique campignienne se développe massivement.

23Il semble donc que l’ensemble des gisements énumérés s’inscrive dans un processus d’évolution, qu’aucune rupture importante ne vient brusquer. Une grande part de la thématique VSG de Prépoux puise ses racines dans le rubané local. Dès lors, ne faut‑il pas voir dans les spécificités des gisements icaunais (par exemple : coexistence de caractères RRBP et VSG à Armeau) le développement dès les phases rubanées d’un faciès propre au sud du Bassin parisien ?

10.3.2 Villeneuve‑la‑Guyard et les groupes de Blicquy et VSG

24Quelle est la place chronologique du matériel de Prépoux par rapport à celui du groupe de Blicquy ? Les composantes stylistiques du décor céramique conduisent à paralléliser Villeneuve‑la‑Guyard avec la phase 2 du groupe de Blicquy/VSG (arêtes de poisson et « V » digité au‑dessus des anses). Mais si Prépoux est contemporain de cette phase, pourquoi une telle importance de la tradition rubanée ? Il paraît beaucoup plus vraisemblable que Villeneuve‑la‑Guyard soit antérieur à la phase la plus ancienne du groupe de Blicquy, ce, rappelons‑le, en raison de l’abondance de la thématique décorative évoquant le rubané : chevrons, bandes hachurées, peigne à deux dents associées à un décor en T, etc. Dès lors, la phase 1 de C. Constantin ne peut exister ; de plus, comment interpréter l’abondance des « V » pincés ou des boutons plastiques sous le bord des vases de Prépoux (décors qui sont, rappelons‑le, beaucoup moins fréquents dans les phases anciennes du groupe de Blicquy) ? Plusieurs hypothèses sont envisageables. Tout d’abord, les groupes rubanés entrent en contact avec des groupes porteurs d’une autre céramique. Arguments pour : l’apport de motifs nouveaux et la présence de motifs stylistiques de la céramique du Limbourg. Arguments contre : ces groupes, à ce jour, n’ont pas été individualisés de façon autonome en habitat ou en sépulture. Enfin, il s’agit d’un développement sur place d’une thématique rubanée auquel cas on serait en présence de la continuation d’un phénomène amorcé dès le Rubané récent. On constate, en effet, que les décors en « V » et les bords à décors plastiques découpés sont connus en Alsace dès le Rubané moyen (Bonnet et al. 1979). Ces arguments pourraient eux aussi témoigner en faveur du développement d’un faciès propre au sud du Bassin parisien.

10.3.3 Villeneuve‑la‑Guyard et la Céramique du Limbourg

25Outre les motifs en arêtes de poisson dont la parenté avec la Céramique du Limbourg a été largement soulignée par C. Constantin (1985, 1986), il existe à Prépoux une production dont la thématique et la technique de décor appartiennent au Limbourg. Il s’agit d’une demi‑douzaine de vases, dont la forme est rarement identifiée (fig. 4, n^os 1 et 2). Les décors consistent en panneaux de sillons larges et peu profonds dont la ligne extérieure peut être barbelée ou soulignée par une rangée de coups de poinçon.

26La pâte de ces récipients se divise en deux lots : l’un est totalement similaire à la pâte du reste de la céramique, l’autre (rare) présente les mêmes spécificités techniques que la Céramique du Limbourg (pâte friable, colombin mal joint...). Dès lors, nous envisageons que la phasereprésentée par Villeneuve‑la‑Guyard se caractérise principalement par l’assimilation de la Céramique du Limbourg par les Rubanés.

10.3.4 Villeneuve‑la‑Guyard et la séquence chronologique du Bassin parisien

27La séquence chronologique actuelle du Bassin parisien a d’abord été définie par G. Bailloud (Bailloud 1979), puis précisée par C. Constantin (Constantin 1985, 1986). En nous basant sur les travaux de ce dernier, on peut établir la chronologie culturelle suivante pour les périodes développées dans cet article : RRBP, VSG. C. Constantin a souligné les liens qui unissent ces deux groupes : cependant, il conclut : « le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain et le groupe de Blicquy peuvent être considérés comme deux faciès d’un ensemble qui mérite le nom de culture » en appuyant son raisonnement sur la dynamique de développement du VSG et du Blicquy. Il introduit une rupture qui, au vu des découvertes de la vallée de l’Yonne, est loin d’être probante. Pour le bassin de l’Yonne, nous refusons d’introduire une rupture entre le RRBP et la phase représentée par Villeneuve‑la‑Guyard. Nous préférons proposer le schéma qui suit. Si l’on admettait que le RRBP a eu une courte durée, on expliquerait pourquoi l’occupation de l’espace, à ce stade, paraît faible, et pourquoi une plus forte dynamique de peuplement caractérise la phase postérieure. Dès lors, on peut avancer ceci : le Rubané récent serait représenté par l’arrivée de petits groupes qui essaiment dans le Bassin parisien. Ces groupes développeraient des thèmes décoratifs propres sur la base d’un substrat commun (faciès régionaux du RRBP) (fig. 6).

28Sur ce substrat, déjà différencié géographiquement, se développerait une évolution buissonante : certaines zones évolueraient plus vite en direction d’un Rubané final puis d’un VSG (Yonne), tandis que d’autres maintiendraient plus longtemps une tradition RRBP (Picardie). Cette théorie expliquerait le chevauchement systématique des datations ¹⁴C entre RRBP et VSG. De plus, elle permet d’annuler l’effet de rupture culturelle qu’engendre la césure actuelle entre ces entités culturelles.

29On peut imaginer pour l’Yonne la séquence suivante :
– arrivée des Rubanés (Champlay) voire plus avant ? ;
– productions de thèmes décoratifs plus spécifiques à la région (Armeau), RR sud BP ;
– développement d’un Rubané final (Charmoy puis Villeneuve‑la‑Guyard) RF de l’Yonne ;
– mutation en groupe dont les composantes culturelles rappellent fortement l’Augy‑Sainte‑Pallaye mais que l’on pourrait tout de même dénommer VSG (Passy/Les Graviers et La Sablonnière), VSG (fig. 7).

30Nous pensons donc que le site de Villeneuve‑la‑Guyard s’apparente à une phase du Rubané final. Il nous paraît probable, pour le sud du Bassin parisien, que la phase 2 définie par C. Constantin dans le VSG, comportant des arêtes de poisson et des « V » digités au‑dessus des anses, appartient-elle aussi à un Rubané final. Cette phase pourrait correspondre à une évolution par rapport au Rubané récent et à une assimilation de la Céramique du Limbourg. A notre sens, seules les phases comportant un nombre conséquent de décors plastiques pourraient s’individualiser au sein d’un groupe distinct car elles s’accompagnent de profonds changements culturels : disparition de toute la Céramique Limbourg ou apparentée, conquête des plateaux, transformation de l’outillage, changement du rituel funéraire (apparition des sépultures en position dorsale), changements économiques, etc.

31Dernier point à souligner : C. Constantin avait déjà noté l’indépendance dans la genèse des groupes de Blicquy et de Villeneuve‑Saint‑Germain : « [...] Si les deux groupes apparaissent simultanément dans le cadre de l’extinction générale du Rubané, et s’ils présentent de nombreux points communs, il faut considérer que leur genèse s’est faite d’une manière relativement indépendante : il n’y a pas genèse d’un seul groupe mais apparition de deux groupes dont les relations sont, au début, sans doute assez lâches ». Nous adhérons totalement à cette formulation, mais il nous semble que les contacts sont encore plus distendus lors du développement des phases à cordons plastiques. En effet, il est probant que la thématique des décors dans l’Yonne diffère entre le groupe de Blicquy et celle du groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain, tant dans la composition des différents motifs que dans les proportions. Contrairement au Blicquy, on note dans le sud‑est du Bassin parisien : des cordons horizontaux sur panse, la raréfaction des motifs incisés ou imprimés au peigne et la totale disparition de tout impact Limbourg (avant le Cerny) dans le sud du Bassin parisien exemple : Passy/La Sablonnière, ou Echilleuses (Simonin 1985). De plus, il paraît difficile d’envisager des contacts importants compte tenu de la distance qui sépare les régions où ces groupes fabriquent la céramique à décor plastique. En effet, on constate, dans l’état actuel de la documentation, la rareté des gisements de ce type entre le sud du Bassin parisien et la Belgique. Ce hiatus géographique peut difficilement être imputé au manque de fouilles, surtout dans les secteurs de l’Aisne et de l’Oise. On doit donc envisager un développement autonome de chaque groupe ; le Villeneuve‑Saint‑Germain occupe surtout le sud du Bassin parisien où prolifère la céramique décorée de cordons.

10.4 Conclusion

32Le gisement des Falaises de Prépoux à Villeneuve‑la‑Guyard appartient au Néolithique de tradition rubanée. Si l’on se base sur les travaux de C. Constantin, il se positionne à la charnière entre le RRBP et le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain. Il paraît plus cohérent de l’intégrer pleinement dans le cornant rubané ; c’est pourquoi nous proposons de l’attribuer à un Rubané final. Cette phase se distinguerait principalement du Rubané récent par le développement du décor en arêtes de poisson ou en panneaux (assimilation de la Céramique du Limbourg), par un accroissement des décors digités, des guirlandes et des décors couvrants en plus d’une évolution limitée des thèmes décoratifs antérieurs.

33En tout état de cause, la phase 1 du VSG selon C. Constantin ne peut plus exister. La phase 2 s’intégrerait dans un Rubané final. L’appellation « groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain » ne devrait plus subsister que pour désigner les phases développant les décors plastiques en cordons. Son apparition correspondrait beaucoup mieux aux faits constatés à cette charnière : occupation plus extensive du territoire, transformation de l’économie (outillage, faune...), diversification de la nature des sols occupés, modification du rite funéraire...

34Le parallélisme observé avec le groupe de Blicquy pourrait résulter plus d’une convergence que de contacts. Ceci est attesté par les différences entre le Blicquy et les sites du sud du Bassin parisien et s’explique par la distance qui sépare ces deux entités.

10.5 Postface

35Fin 1992. Je corrige ce texte vieux de 4 ans, et je m’interroge sur l’utilité de le faire paraître. Je me dis qu’il peut engendrer bien de la confusion dans la tête de nombreux chercheurs. Je l’avais moi‑même rangé dans les oubliettes. Voilà, qu’il resurgit. Et je constate de plus en plus que le VSG se conduit comme une sangsue hégémonique en obligeant tous les sites à lui appartenir ; alors je me dis aussi qu’il aurait fallu être encore plus hardi et carrément proposer la disparition de l’appellation groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain. Celui‑ci pourrait en effet facilement se scinder en deux entités : l’une baptisée Rubané final, la seconde appelée Protocerny. Mais est‑ce bien raisonnable de sauter ce pas ? Je laisse le lecteur à ses propres réflexions.