1Cet article a pour ambition de proposer quelques voies de recherches concernant l’étude de la provenance des matières premières du Néolithique récent d’ans le Bassin parisien. Cet aspect important de la recherche est encore négligé dans les études sur les habitats néolithiques, bien que son apport sur la connaissance des voies de colonisation, des réseaux d’échanges, et sur la définition des territoires soit fondamental. Ce manque d’intérêt est dû, en grande partie, au manque de connaissance des industries lithiques néolithiques dont l’étude ne fait que débuter, mais également à la difficulté de définir des critères de reconnaissance des silicifications sédimentaires (Manger 1984).

2Les quelques voies de recherches définies dans cet article se fondent sur les premières observations effectuées à partir des matières premières lithiques des sites du Néolithique danubien localisés dans la vallée de l’Aisne (Ilett et al. 1982 ; Soudsky et al. 1982).

9.1 Le cadre géologique et les possibilités d’approvisionnement

3Les sites se localisent sur la plaine alluviale de la vallée de l’Aisne entre Neufchâtel et Compiègne. L’Aisne traverse en amont la Champagne crayeuse sénonienne réputée sans silex et ensuite entaille profondément les plateaux tertiaires du Soissonnais, pour rejoindre l’Oise, près de Compiègne.

4Les sources primaires de formations à silex de la craie sont localisées à l’est près de Rethel (silex turonien) et dans la craie campanienne au sud‑est près d’Epernay. A l’ouest, près de Compiègne, le silex est présent dans les formations de la craie campanienne et sénonienne. Les silicifications tertiaires du Bartonien (calcaire de Saint‑Ouen et de Champigny) apparaissent à environ 20 km au sud de la vallée avec une orientation parallèle à la rivière. Les formations de grès sont nombreuses à la base des plateaux du tertiaire de la région (Bartonien, Yprésien, grès de Bracheux, de Morlinchart). Des affleurements de quartzite existent sporadiquement sur les rebords des plateaux, quant au calcaire, il est partout présent (nummulithes, coquillier, cérithes...). A ces formations primaires s’ajoutent de nombreuses formations résiduelles (hautes et moyennes terrasses) qui livrent des produits siliceux en faible quantité ou de plus petits modules non taillables. Les roches dures sont absentes ; les plus proches gîtes sont situés dans les Ardennes, les Vosges ou la Lorraine.

9.2 Le Rubané récent du Bassin parisien

5Les sites du Rubané récent du Bassin parisien sont exclusivement localisés sur la première terrasse non inondable de la rivière (Boureux, Coudart 1978). Aucun site n’est connu sur les rivières adjacentes ou sur les plateaux. Huit sites d’habitat sont dénombrés dans la vallée, représentant environ cinquante habitations, ce qui permet de posséder de bons ensembles lithiques.

9.2.1 Les roches dures

6Ces cinquante habitations ont fourni seulement 10 fragments de roches dures (herminettes). L’analyse pétrographique est en cours par C. Bakels (université de Leiden), mais déjà il est nécessaire de souligner l’hétérogénéité des matériaux pour la fabrication des herminettes (schiste chloriteux, amphibolite, quartz arénite, phtanite [?]). Une telle variabilité dans les matériaux de base se rencontre rarement sur les habitats de la Céramique linéaire (Bakels 1978) pour lesquels on constate une prédominance de l’amphibolite ou du basalte, selon l’étape ou la région, constituant plus des deux tiers des matériaux utilisés pour la fabrication, associés à un matériau local dont l’importance se développe au cours du temps (Farruggia 1977 ; Bakels 1978 ; Zimmermann 1981).

7A cette variété s’ajoute également la rareté. Sur les sites d’habitats de la Céramique Linéaire, en dehors du Bassin parisien, les fragments d’herminettes sont rares ou très abondants selon les habitats (Langweiler, Müddersheim ou Bylany) ; mais leur présence est toutefois systématiquement attestée dans les nécropoles (Farruggia 1987). Pour l’ensemble des habitats du Rubané récent dans le Bassin parisien, seule une vingtaine d’herminettes, en contexte, est dénombrée. En outre, les sépultures attribuables au Néolithique récent du Bassin parisien ne contiennent pas de roche dure (Labriffe 1986). Cette absence s’explique soit par l’abandon de l’outil lui‑même dans le Rubané récent du Bassin parisien, bien que quelques exemplaires soient clairement attestés, soit par l’absence relative de réseaux d’échanges. La variété des matériaux n’indique pas un choix de matière spécifique traduisant un réseau d’approvisionnement bien constitué. Un autre argument allant dans le sens de la perte de réseaux de bonnes matières premières est illustré par l’herminette en schiste chloriteux découverte à Cuiry‑lès‑Chaudardes, trop tendre pour être fonctionnelle (renseignement C. Bakels).

8Si l’on se réfère aux études des sites de la Céramique linéaire dans le Limbourg hollandais, sur le plateau d’Aldenhoven (Zimmermann 1981) ou en Belgique (Cahen et al. 1987), il s’avère que les distances ne constituent pas un facteur limitatif pour l’acquisition des matériaux. Ce n’est donc pas exclusivement l’absence de matériaux locaux en bassin sédimentaire qui explique à elle seule la rareté des herminettes et corrélativement l’absence de roches dures. Il faut certainement envisager un phénomène de régionalisation, phénomène observable dans l’ensemble du monde danubien à la fin de la Céramique Linéaire.

9Néanmoins, l’étude pétrographique des quelques pièces permettra vraisemblablement de livrer des indications sur les régions d’origine et sur les possibles voies de colonisation. Selon les premiers résultats, une partie des roches provient des Ardennes tandis qu’une autre semble d’origine alsacienne.

9.2.2 Le silex

10Les techniques d’identification et de reconnaissance des silex sont encore en cours d’élaboration (Mauger 1984). Cependant, il est possible macroscopiquement de différencier les silex de la craie des silicifications tertiaires.

11La figure 1 illustre la proportion du silex de la craie par rapport aux silicifications tertiaires pour les sites de la vallée de l’Aisne. Ainsi les sites de Menneville et de Berry‑au‑Bac, situés dans une région secondaire (craie de Champagne), possèdent un taux important de silex de la craie, bien que dans les environs immédiats (rayon de 20 km), il n’existe pas de formations en place d’après les cartes géologiques. Par contre, des formations résiduelles peuvent exister (galets verdis du Thanétien). Ces sites contiennent au moins 90 % de silex issus des formations de la craie. Les sites localisés dans le secteur tertiaire tels que Cuiiy‑lès‑Chaudardes ou Chassemy contiennent par contre un peu moins de 60 % de silex secondaires. Une certaine corrélation entre le type de silex et la zone géologique est donc à remarquer bien qu’elle ne soit pas exclusive. L’origine précise des silex pour les sites localisés dans le secteur tertiaire, avant toute analyse pétrographique détaillée, est difficile à déceler. Pourtant, il faut noter que les caractères du cortex sur de nombreux produits laissent envisager une acquisition partielle sur des formations résiduelles. Une autre partie de ceux‑ci semblent issus du secteur secondaire (fig. 1). Ces différentes observations, associées au fait que l’ensemble de la chaîne opératoire pour les deux types de silex est présent sur les sites, permettent de supposer un approvisionnement local de ces matériaux. Pour les habitats localisés dans le secteur champenois, l’origine des silex reste encore indéterminée puisque cette craie est réputée sans silex. Les silex importés sont difficiles à mettre en évidence de par l’importance de la patine. Sur les sites de Menneville et de Berry‑au‑Bac, dont les produits ne sont pas patinés, ces éléments étrangers sont rares. Nous pouvons retenir quelques pièces de type Rijckholt, de type Obourg et peut‑être un élément du type silex belge (Löhr s.d.).

9.2.3 Les autres matériaux

12Le calcaire très abondant dans l’environnement immédiat des habitats n’est pas utilisé au Rubané récent du Bassin parisien, excepté peut‑être pour les bracelets. Le quartzite est faiblement employé. Les grès, localement abondants, sont choisis pour le matériel de mouture et pour les polissoirs à plage et à rainures. Pour le Rubané récent du Bassin parisien, on peut formuler les conclusions préliminaires suivantes :
– relation certaine entre secteur géologique et type de matériau ;
– absence de sélection d’un type de matériau spécifique pour le silex ;
– absence de réseaux d’échanges intensifs.

9.3 Le Villeneuve‑ Saint‑Germain

13Cinq sites d’habitats sont connus dans la plaine alluviale de l’Aisne. Parmi ces derniers, un seul se situe dans le secteur secondaire de la vallée de l’Aisne (Beny‑au‑Bac). Deux sites sont attestés sur les plateaux. Comme pour l’ensemble du Bassin parisien, on assiste avec le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain à une expansion territoriale et à une localisation des habitats sur l’ensemble des zones géomorphologiques. Le programme de recherche étant lié aux destructions en vallée, la connaissance de l’implantation archéologique des plateaux et des rivières adjacentes reste toutefois très limitée.

9.3.1 Le silex

14Il faut préciser que l’industrie lithique du site éponyme ne présente guère de différences importantes avec le Rubané récent du Bassin parisien si ce n’est la présence de bracelets en schiste. La proportion des matériaux tertiaire et secondaire est proche des sites du Rubané récent du Bassin parisien. Par contre pour les sites de Trosly‑Breuil (Diepveen et al. 1992), de Cys‑la‑Commune (Boureux 1972) et de Berry‑au‑Bac/Le Chemin de la Pêcherie (Dubouloz et al. 1983), les proportions se modifient radicalement. En effet le silex tertiaire est clairement sélectionné et apparaît à plus de 80 % à Trosly‑Breuil. Pour le site de Berry‑au‑Bac, localisé dans le secteur secondaire de la vallée, le silex tertiaire prend également de l’importance. Une sélection du matériau est effectuée par le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain, traduisant ainsi une meilleure connaissance des possibilités offertes par l’environnement.

15En outre, sur le site de Trosly‑Breuil, l’industrie devient très abondante (plusieurs milliers de produits de débitage rejetés) comme sur d’autres sites du Bassin parisien tels qu’Echilleuses (Simonin 1985) ou Jablines (Lanchon s.d.). Les blocs peuvent atteindre plus de 20 cm d’après les dimensions des lames. Pour obtenir de tels produits, il est nécessaire d’avoir accès directement aux gîtes primaires. Les affleurements du silex tertiaire apparaissent à environ 20 kilomètres au sud des sites de la vallée de l’Aisne. Le site de Sergy, près de Fère‑en‑Tardenois, localisé sur les formations géologiques tertiaires à proximité immédiate des affleurements potentiels du Bartonien, livre également plus de 90 % de silex tertiaire. Il faut noter que, corrélativement à l’adoption de ce nouveau type de matériau, la technologie se modifie et le module des produits devient très élevé (production de lames de plus de 20 cm), excepté pour le site éponyme ; il s’agit probablement d’une évolution du matériau à l’intérieur du groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain.

16Il faut donc retenir pour le silex un choix de matériau corrélé à un nouveau procédé d’acquisition et à une occupation intensive de l’espace et donc à une meilleure connaissance du territoire.

9.3.2 Les roches dures et le schiste

17Avec le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain, le schiste apparaît dans les inventaires des matériaux pour la fabrication des bracelets (Auxiette 1989). Sur les sites de la vallée de l’Aisne tels que Trosly‑Breuil (Diepveen et al. 1992), Cys‑la‑Commune (Boureux 1972, Auxiette 1989), l’ensemble de la chaîne opératoire est attestée. Les formations les plus proches de roches schisteuses sont localisées dans les Ardennes, de 60 km à 80 km environ de la vallée de l’Aisne. La matière première est amenée sur les habitats sous forme de blocs plus ou moins ébauchés pour fabriquer les bracelets.

18Pour l’ensemble du Bassin parisien, deux types de sites sont présents. Les sites où l’ensemble de la chaîne opératoire est présente, tels que les sites de la vallée de l’Aisne ou Conan (Loir‑et‑Cher) situés en bordure des régions affleurantes, et les sites sur lesquels n’existent que les bracelets finis ou demi‑finis tels que les sites d’Echilleuscs (Simonin 1985), Courcelles‑sur‑Viosné (Degros et al. 1984), Jablines (Lanchon s.d.), si l’étendue des fouilles est représentative, ou même, sous forme de dépôts comme à Echilleuses (Simonin 1985). Ces derniers sites possèdent certainement des relations à définir avec les sites producteurs. Ces relations sont denses vu le grand nombre de bracelets présents sur l’ensemble des habitats. Il s’agit d’une production intense et d’un réseau d’échanges très développé.

19En même temps que cette relation évidente pour le schiste, d’autres types de produits semblent également faire l’objet d’échanges tels que le silex « chocolat » ou beige qui paraît être, avant toute analyse pétrographique, du silex tertiaire. Des pièces de ce type apparaissent également sous forme de produits finis ou semi‑finis sur les sites sur lesquels les bracelets de schiste sont finis (Courcelles‑sur‑Viosne, Moneteau‑Gurgy, Echilleuses, Maisse). La détermination pétrographique et la prospection des affleurements s’avère indispensable pour mettre en évidence l’origine probable de ce silex (sud du département de l’Aisne ?). Ce type peut être échangé sur de longues distances puisque ce silex est présent sur les sites du groupe de Blicquy dans le Hainaut belge (Constantin 1985).

20En tout cas, cela traduit comme pour le schiste des réseaux de relations régionales. Avec le schiste apparaissent de nouveaux matériaux inconnus sur les sites du Rubané récent du Bassin parisien tels que les serpentines, l’éclogite, le lignite qui traduisent une diversification des supports. Ces matériaux sont également échangés sur de longues distances.

21Pour le groupe de Villeneuve‑Sainl‑Germain, nous pouvons donc retenir les propositions suivantes :
– exploitation des ressources locales ;
– sélection d’une matière première locale d’excellente qualité ;
– réseau d’acquisitions et d’échanges régionaux intensifs (bracelet et silex).

22Il semble que, suite à une perte d’importance des réseaux d’échanges à longue distance au cours du Rubané, un réseau régional important se constitue et annonce une évolution régionale propre.

9.4 Le Cerny

23Les sites Cerny sont faiblement représentés dans la vallée de l’Aisne et peu d’habitats sont connus. Quelques fosses attribuées au Cerny apparaissent sur quatre sites. Si cet échantillon est représentatif, il faut remarquer qu’il n’y a pas de coupure technologique pour le silex entre le Villeneuve‑Saint‑Germain (en dehors du site éponyme) et le Cerny pour les sites de la vallée ; la tradition laminaire de grand module continue. Cet aspect laminaire de l’industrie les différencie des sites Cerny, dont l’industrie Ethique a été publiée, tels que Videlles (Bailloud 1958) et Barbuise‑Courtavant (Piette 1976), et pour lesquels la production est essentiellement constituée d’éclats. Les sites localisés dans le secteur secondaire tels que Juvincourt ou Berry‑au‑Bac indiquent encore une sélection du matériau tertiaire. On peut noter cependant la perte de l’emploi du schiste et plus globalement des roches dures, et donc corrélativement une perte ou une transformation des réseaux dont ils étaient les témoins dans le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain.

24L’industrie du silex des quelques sites publiés semble locale et nul témoin étranger n’apparaît. L’aspect régional dans l’acquisition des matériaux disparaît donc. Pourtant, au même moment la demande en silex s’accroît puisque des structures d’extraction semblent exister comme à Jablines (Bulard et al. 1986) et à Etaples (Hurtrelle, Piningre 1976). Cette perte traduit peut‑être la généralisation de la connaissance des types locaux et de leur mode d’extraction.

25On peut résumer comme suit (tabl. I) les différentes assertions concernant les matières premières.

26Tabl. I – Maîtrise de l’environnement et stratégie d’acquisition des matières premières.

27Nous n’avons pas abordé l’aspect technologique lié à la matière première des différentes industries ainsi que l’analyse des différentes chaînes opératoires qui sont l’objet d’une étude en cours. Mais les différentes hypothèses de travail exposées illustrent l’intérêt de la généralisation de l’étude des matériaux pour le Néolithique du Bassin parisien. Les conclusions qu’elles laissent pressentir en termes d’occupation du territoire et d’évolution des sociétés appellent à un élargissement de la recherche. Nous espérons à travers cet article susciter une collaboration active entre chercheurs, indispensable pour constituer des témoins lithiques régionaux de référence. Un programme de recherche dans le cadre d’une A.T.P. sur les « Matières premières et sociétés protohistoriques dans le nord de la France » s’est constitué pour réunir au Centre archéologique de Soissons l’ensemble des matériaux utilisés pendant la Protohistoire dans le Bassin parisien. Plusieurs objectifs immédiats peuvent être définis :
– analyse pétrographique de la totalité des herminettes du Bassin parisien ;
– inventaire systématique du silex tertiaire dans les habitats et cartographie ;
– analyse des chaînes opératoires pour les différents matériaux et mise en évidence des manques.