Le Néolithique du nord-est de la France et des régions limitrophes
|7. Le Rubané en Lorraine
7 Die Bandkeramik in Lothringen
7 The Rubané of Lorraine
Résumé
La Lorraine connaît pendant le Néolithique ancien deux secteurs d’implantations : le premier est centré sur la moyenne vallée de la Moselle entre Metz et Sierck, le second est situé dans la plaine sous‑vosgienne entre Mirecourt et Epinal. Une périodisation des sites de la moyenne vallée de la Moselle a permis de reconnaître six phases. Les décors ont des affinités avec ceux du groupe Rhin‑Main et Rhin‑Meuse pour les phases les plus anciennes. Dans les phases récentes, des relations privilégiées ont dû exister avec la région du Main‑Neckar. A la même époque des contacts ont dû exister avec les groupes installés dans le Bassin parisien comme le montre l’utilisation à Metz de silex importés de la région de Reims. L’implantation rubanée de la plaine sous‑vosgienne s’est faite à partir du Haut‑Rhin à une phase tardive. Les deux groupes développent dans leur phase terminale la technique du trémolo et des motifs en T. Les auteurs envisagent l’hypothèse d’une diffusion de l’Est vers l’Ouest de ces deux innovations stylistiques.
Texte intégral
7.1 Cadre géographique
1Du point de vue géographique, la Lorraine se rattache au Bassin parisien dont elle constitue la limite orientale. Elle est séparée en deux bassins hydrographiques principaux, celui de la Meuse d’écoulement global sud/nord‑est et celui de la Moselle d’écoulement sud‑ouest/est. Du fait de sa situation géographique, la région occupe une position de tout premier ordre dans les relations entre la France et les pays rhénans. Les principaux reliefs de l’Europe du Nord‑Ouest : Alpes, Jura, Vosges, Hunsruck, Ardennes, constituent en effet une barrière nord‑sud à travers laquelle il n’existe que trois ouvertures majeures : la Trouée de Belfort, les plaines des Flandres et la Lorraine. Il serait cependant erroné de considérer la région comme une aire de circulation aisée ; l’érosion structurale puis l’érosion différentielle ont en effet dégagé une série de plateaux et de fonds de cuestas qui constituent les composantes essentielles du paysage. Le Plateau lorrain et la plaine de la Woëvre formaient du fait de leur substrat marneux des régions de marécage qui n’ont été assainies qu’au Moyen Âge. Les relations directes étaient donc rendues difficiles aussi bien entre l’Alsace et la Lorraine qu’entre le pays meusien et le val de Moselle.
2Au stade actuel de la recherche, il existe deux secteurs d’implantation rubanée : l’un centré sur la moyenne vallée de la Moselle entre Metz et Sierck, le second situé dans la plaine sous‑vosgienne entre Mirecourt et Epinal. Dans la région Metz‑Sierck, les premières découvertes ont eu lieu dans les années 70 et l’on connaît aujourd’hui une vingtaine de gisements ; cette implantation n’est pas limitée aux abords du cours d’eau principal, bien au contraire, elle déborde largement à l’intérieur des terres sur la rive droite jusque dans le bassin de la Nied et de la Sarre en bordure du Plateau lorrain.
3Les installations se trouvent dans des situations topographiques et pédologiques très variées ; à côté des gisements classiques de fond de vallée ou de moyennes terrasses, l’on trouve un grand nombre de sites en position « aberrante » par exemple au sommet d’un plateau marneux (Vigy, Hargarten), sur un éboulis de pente (Montenach) ou sur un col sableux (Oudrenne). Ces gisements en situation originale démontrent que tous les paysages et tous les types de sols étaient occupés dans cette région par les populations de la Céramique linéaire.
4Dans la plaine sous‑vosgienne, on ne connaît à l’heure actuelle qu’un seul gisement, celui de Marainville, situé sur une moyenne terrasse du Madon à 10 km à vol d’oiseau de la vallée de la Moselle. Là encore la situation du gisement n’est pas classique pour la culture rubanée et l’on peut donc s’attendre à découvrir de nouveaux sites rubanés à peu près n’importe où. Diverses découvertes de surface laissent d’ailleurs penser que le nombre de gisements va se multiplier dans le secteur pendant les années à venir.
7.2 Périodisation
5Une première tentative de classement chronologique a été tentée par une sériation de quelques ensembles (Decker 1982). Cette démarche suit, en fait, celles entreprises depuis quelques années par Modderman (1970), Stehli (1973, 1977) et Dohrn‑Ihmig (1974, 1979) pour le Rhin moyen et inférieur et plus récemment par C. Thévenin (1986) pour la vallée supérieure du Rhin. Ces résultats doivent être utilisés avec beaucoup de prudence ; ils sont fondés sur des remplissages de fosses de détritus qu’il est difficile de considérer comme un ensemble clos, fiable. Mais il s’agit pour l’heure de la seule méthode permettant de situer clans le temps les sites les uns par rapport aux autres.
6Dans le présent article, nous n’avons pas pu entreprendre la sériation de toutes les séries du Rubané de la moyenne vallée de la Moselle. Ce travail est actuellement en cours de réalisation et sera présenté dans le cadre d’une monographie réalisant la synthèse sur les nouvelles découvertes du Néolithique ancien lorrain (à paraître prochainement). Nous nous limiterons donc ici à présenter quelques ensembles significatifs à partir desquels –par comparaison avec les différentes périodisations du bassin du Rhin– on peut reconstituer les grandes lignes de l’évolution stylistique du mobilier céramique.
7.2.1 Périodisation de la moyenne vallée de la Moselle
7En ce qui concerne le groupe rubané implanté sur la moyenne vallée de la Moselle, nous avons isolé pour chaque phase une ou deux fosses ayant livré un matériel relativement abondant ou bien conservé. Ces structures ont été sélectionnées sur les sites d’Evendorff, Koenigsmacker, Metz, Montenach, Thionville et Uckange :
– le site d’Evendorff a été découvert en 1974 par C. Bouvret ; il est établi en bordure de plateau sur un placage limoneux ; les fouilles entreprises par M. Michels et C. Guillaume (Decker et al. 1977) ont porté sur une dizaine de fosses ;
– le site de Koenigsmackcr a été découvert en 1968 à l’occasion de la construction d’une maison individuelle (Bouvret et al. 1979) ; il est implanté sur la terrasse (+ 15 m) ;
– le site de Metz/Ban de Devant les Ponts qui a été découvert en 1983 par la direction des Antiquités à l’occasion de l’élargissement de l’autoroute A31 est situé sur la basse terrasse de la Moselle (+ 5 m) ; les trois campagnes de fouilles menées par la direction des Antiquités de Lorraine (Massy 1985) ont porté sur une surface de 1000 m2 et ont permis de dégager le plan d’une habitation accompagnée de ses fosses latérales ainsi que plusieurs structures isolées ;
– le site de Montenach/Kirchgasse a été découvert en 1975 par C. Bouvret ; il est implanté sur un replat ménagé dans un talus d’éboulis sur près de 1000 m2 ce qui a permis de reconnaître quatre structures d’habitat et une trentaine de fosses ; des fouilles de sauvetage y furent entreprises en 1976 par la direction des Antiquités de Lorraine et de 1977 à 1983 par E. Decker et A. Gambs (Thévenin A. 1977, 1979, 1981) ;
– le site de Thionville/La Milliaire a été reconnu en 1971 par J.‑P. Petot lors de la construction des H.L.M. (Decker, Guillaume 1974) ; il a fait l’objet de plusieurs sauvetages en 1973, 1979, 1982 ; le gisement qui était situé sur un placage limoneux recouvrant la basse terrasse s’étendait sur au moins 5 ha ; une cinquantaine de fosses ont été fouillées à ce jour (Thévenin A. 1981 ; Massy 1985) ;
– le site d’Uckange/Buderfeld a été découvert en 1967 par J.‑P. Petot et A. Escalano ; il est implanté sur la moyenne terrasse (+18 m) et sa superficie a pu être estimée à 15 ha ; plusieurs interventions de sauvetage y ont été effectuées de 1975 à 1987 (Lepape 1970 ; Thévenin A. 1977, 1979 ; Massy 1985, 1989) ; elles ont permis de reconnaître une trentaine de structures dont le plan partiel d’une habitation.
7.2.1.1 Phase I
8Comme il a déjà été rapporté (Bouvret et al. 1979), l’ensemble récolté à Koenigsmacker en 1968 semble le plus ancien. Il s’agit d’un ramassage dont on ne sait s’il est véritablement homogène. Cependant, certaines combinaisons : décor du rebord, forme, type de bandes, décors secondaires sont typiques et caractéristiques d’une phase ancienne du Rubané et permettent de retenir ce site dans cette étude.
Les bandes
9On peut remarquer une série de tessons comportant des bandes larges constituées de trois lignes parallèles entre lesquelles viennent se placer de gros points en « notes de musique » (fig. 1, nos 1 à 7). D’autres tessons présentent des bandes avec des remplissages soit par des hachures soit par des points (fig. 1, nos 8, 18 à 20).
Les motifs secondaires
10Les motifs secondaires sont également typiques : queues d’arondes, vides ou remplies de hachures (fig. 1, nos 7 à 9). Bon nombre de tessons présentent une absence de décors sous le bord ou ne possèdent qu’un décor constitué par une rangée de points (fig. 1, nos10 à 12 et 14).
11Ces caractères peuvent être datés par comparaisons avec les sites de la vallée du Rhin de la période Ib/Ic qui représente une phase évoluée du style dit de « Flomborn » (Dohrn‑Ihmig 1979 : 286). Cet ensemble est actuellement le seul de cette phase en Lorraine.
7.2.1.2 Phase II
12L’étape II du Rubané lorrain n’est pour l’instant représentée que par la fosse 2 d’Uckange/Buderfeld, fouillée en 1975 par la Direction des antiquités de Lorraine et qui a livré un matériel céramique très important.
Les bandes
13Les bandes larges, constituées de deux ou trois lignes parallèles, déjà relevées à Koenigsmacker, existent encore ici (fig. 2, nos 3, 16, 17) et sont abondantes. Les remplissages de bande par des hachures transversales longitudinales et croisées sont les plus fréquents (fig. 2, nos 1, 2, 4, 7, 11 à 15). Le remplissage de la bande par un semis de points reste rare (fig. 2, nos 19 à 23).
Les bords
14Ceux soulignés par une rangée de points restent prédominants mais la double rangée est fortement représentée. Les motifs secondaires sont essentiellement constitués par des rangées de points souvent placés en écoinçon à l’intérieur des angles formés par les motifs principaux en forme de chevrons. Cet ensemble appartient vraisemblablement à l’horizon Ic/Id du Rhin moyen (Dohrn‑Ihmig 1979 : 288) où le remplissage des bandes par des hachures est alors très répandu, présentant en cela des analogies avec la région du Bas‑Main. Par contre, le motif de remplissage très espacé de points (Bf. 24 de Dohrn‑Ihmig) est peu fréquent dans le bassin de Ncuwied, contrairement à ce qui se passe dans le nord‑ouest rhénan.
7.2.1.3 Phase III
15La phase III du Rubané lorrain peut être illustrée par les fosses 78 de Montenach et 5 de Metz‑Nord qui appartiennent toutes les deux à la phase d’occupation la plus ancienne reconnue avec certitude sur ces gisements.
Les bandes
16Les types les plus fréquents demeurent les hachures longitudinales et transversales (fig. 3, nos 1, 7 à 9). La bande remplie de points alignés est représentée (fig. 3, nos 2, 3). On rencontre encore des bandes de deux lignes incisées, remplies ou non de groupes de points isolés (fig. 3, nos 4 et 6).

FIG. 3 – 1 à 3 et 5, Metz‑Nord (d’après V. Blouet, C. Faye et P. Mervelet) ; 4 et 6 à 10, Monternach, fosse 28 (d’après E. Decker et A. Gambs).
Les bords
17Deux types de décors prédominent ici : celui réalisé par deux rangées de points et celui réalisé par une rangée. Mais on rencontre aussi la ligne incisée ou la double ligne incisée.
Les motifs secondaires
18Des incisions longues groupées, des rangées d’incisions ou de points.
19Cette étape se place vraisemblablement à la transition entre le Rubané ancien et le Rubané récent : en effet, coexistent à la fois des motifs anciens, comme le décor en fer à cheval (fig. 3, nos 5, 7 à 9), avec des décors récents, comme le remplissage de bandes par des points ou l’utilisation de deux rangées pour le décor des bords. L’usage du peigne ne semble pas être attesté. Il faut vraisemblablement corréler cette phase avec le Id de Dohrn‑Ihmig. L’étape III du Rubané lorrain se rencontre dans d’autres fosses de Montenach (F 22) et vraisemblablement sur les sites de Basse‑Ham et d’Uckange.
7.2.1.4 Phase IV
20La phase IV du Rubané lorrain sera illustrée ici par la fosse II de Thionville et les fosses 25, 72 et 81 de Montenach.
Les bandes
21Le remplissage de points alignés est le décor de loin le plus fréquent ici (fig. 4). La bande est interrompue par des métopes vicies (fig. 4, nos 11, 12 et 14). Les hachures longitudinales sont rares. Il faut noter la présence de hachures croisées réalisées avec un instrument très fin formant un réseau très serré (fig. 4, no 3).

FIG. 4 – 1 à 3 et 6 à 8, Thionville, fosse II (d’après C. Guillaume) ; 4, 5 et 9 à 14, Monternach, fosses 25, 72 et 81 (d’après E. Decker et A. Gambs).
Les bords
22On rencontre les types suivants : décor par deux rangées de points, par trois rangées de points, trois lignes incisées.
Les décors secondaires
23Ce sont de courtes incisions par groupes de 2 ou 3 (fig. 4, nos 1, 3, 4, 8 à 11, 13), des triangles pendant du rebord viennent se placer en position d’écoinçon à l’inté rieur des angles des décors au chevron. Il faut situer cette étape aux phases IIa/IIb de Dohrn‑Ihmig. A cette phase appartiennent aussi les fosses 25, 72 et 81 de Montenach ainsi que plusieurs structures de Thionville et Uckange. Il apparaît régulièrement dans ces fosses, mais en petit nombre, des décors du rebord ou remplissage de la bande au peigne à 3 dents (fig. 4, no 1). On ne peut cependant écarter l’hypothèse d’une « pollution » et ce type d’observation mériterait d’être développé et confirmé.
7.2.1.5 Phase V
24Le style céramique de la phase V est bien illustré par le mobilier des fosses I et III de Metz‑Nord ainsi que celui de la fosse 0 d’Evendorff. A cette étape, on note l’apparition d’un grand nombre d’innovations qui marquent une certaine rupture clans l’évolution stylistique. Pour la première fois, les motifs rectilignes dominent nettement les bandes curvilignes, les thèmes classiques s’enrichissent des motifs en T et en grilles (fig. 5, nos 1 à 3). Les lignes de soutien des bandes deviennent rares et les chevrons s’articulent fréquemment sur le décor du rebord (fig. 5, nos 2, 3 et 5 et fig. 14, no 7). La technique du pointillé‑sillonné est largement utilisée et l’on remarque un pourcentage assez important de bandes réalisées d’une seule ligne incisée (fig. 5, no 7), poinçonnée (fig. 5, no 2) ou poinçonnée‑sillonnée (fig. 5, no 9). Au cours de cette phase, le poinçon bifide à dents séparées fait son apparition tant pour le décor des bandes que pour le décor du rebord (fig. 6, nos 1 et 2), mais les décors à l’aide de peignes à trois dents semblent totalement absents dans l’état actuel de la recherche. Les vases piriformes sont bien représentés (fig. 6, no 7 et fig. 5, nos 5, 7 et 8) et l’on remarque à Metz‑Nord la présence de formes et de thèmes décoratifs qui s’apparentent au groupe de Hinkelstein (fig. 6, nos 5, 6). Pour compléter ce rapide tour d’horizon, il faut signaler la présence de deux tessons de la Céramique dite du Limbourg (fig. 6, no 9) dans la fosse VI de Metz‑Nord qui appartient probablement à cette même phase.
25Par un grand nombre de caractéristiques, on peut esquisser un rapprochement direct avec la phase terminale du Rubané de la région de Worms et du Neckar qui précède le groupe Hinkelstein (Meier‑Arendt 1972 ; Kraft 1977). D’autre part, l’utilisation du poinçon bifide permet de situer cette phase à l’horizon IIe du Rhin inférieur et du Rhin moyen (Dohrn‑Ihmig 1974 : 122, tabl. 19). Cette étape est également représentée sur les sites de Ihionville, Oudrenne et Vigy.
7.2.1.6 Phase VI
26La fosse 12 de Thionville publiée récemment (Blouet, Mervelet 1986) et la fosse 0 d’Evendorff (Decker et al. 1977) illustrent cette phase. Les motifs rectilignes sont toujours dominants et les lignes de soutien des bandes sont devenues très rares poursuivant en cela l’évolution perçue à l’étape précédente. Les motifs principaux sont le plus souvent réalisés au peigne à dents multiples mais l’on a également utilisé le poinçon bifide (fig. 7, no 10), le poinçon simple ou les petits coups d’ongles (fig. 7, no 13) ; l’on remarque l’utilisation exceptionnelle d’une spatule dentée (fig. 7, no 6). Ces instruments sont utilisés en impressions séparées (fig. 7, nos 6, 9, 16, 18) en impressions sillonnées (fig. 7, nos 10, 12) ou très fréquemment en impressions pivotantes ou basculantes (fig. 7, nos 2, 3, 5, 7, 8, 14, 15). Les décors au poinçon simple sillonné, caractéristiques de l’étape précédente, sont également présents (fig. 7, nos 11 et 17) et pour compléter cet inventaire descriptif, il faut signaler la présence à Evendorff d’un décor effectué suivant la technique du peigne à dents recouvrantes.

FIG. 7 – 1 à 11 et 13 à 15, Thionville, fosse 12 (d’après V. Blouet et P. Mervelet Ph. 1986) ; 12 et 16 à 19, Evendorf, fosse 0 (d’après E. Decker).
27En ce qui concerne les formes, on remarque l’apparition de récipients très ouverts en forme de cloches (fig. 7, nos 6 et 9). Du fait de l’abondance des décors au peigne et de l’utilisation massive du trémolo, on peut effectuer un rapprochement direct avec le style local de Plaidt défini par W. Meier‑Arendt (1972) et une corrélation avec l’étape IId du bassin du Rhin. Cette étape qui constitue la phase la plus tardive du Rubané de la moyenne Moselle est également bien représentée à Oudrenne (fosse B) et à Hargarten. Quelques tessons rencontrés hors contexte à Basse‑Ham et Montenach peuvent également y être rattachés.
7.2.2 Périodisation du Rubané de la plaine sous‑vosgienne
28En 1986 et 1987, il a été dégagé à Marainville‑sur‑Madon (Vosges), quatre bâtiments rubanés ainsi qu’une petite nécropole de sept tombes. Les sépultures n’ont livré que de l’industrie lithique et elles ne présentent donc que peu d’intérêt pour la périodisation du gisement. On peut toutefois signaler la présence de deux masses et d’un instrument en forme de bottier perforé. Sur la base d’observations architecturales, on a considéré que la maison I qui est la seule à présenter le plan classique des habitations rubanées était la plus ancienne. Sur ces mêmes bases, les maisons II et IV pourraient être considérées comme contemporaines mais leur proximité (moins de 10 m) rend cette éventualité peu probable. La maison III qui n’est constituée que de trois tierces et dont les fosses n’ont livré que des graines carbonisées a été interprétée comme un local de stockage des denrées. L’ensemble de ces observations laisse penser qu’il s’agit d’une unité d’habitation reconstruite à trois reprises. D’une manière générale, la céramique est peu abondante et très fragmentée ; ceci est dû en partie à la faible profondeur des fosses qui ont été érodées par les labours. Cependant, même dans les fosses profondes on ne trouve qu’un nombre limité de céramique (une trentaine d’individus décorés pour 3 ou 4 profils reconstituables). Il semble donc que, d’une manière générale, les fosses du site étaient pauvres, par comparaison avec les gisements de la moyenne Moselle.
7.2.2.1 Phase I
29La céramique récoltée en association avec la maison I est constituée d’une trentaine d’individus décorés et d’un nombre à peu près équivalent de poterie commune. Les motifs dominants sont les chevrons à 1, 2 ou 3 lignes et les décors en T sont abondants (fig. 8, nos 1, 2). Les instruments employés sont le poinçon simple, le peigne à 2 dents et les petits coups d’ongle ; le poinçon à plus de 2 dents et la technique du trémolo ne sont pas employés tandis que la technique du poinçonné‑sillonné est attestée. Tous les types de décors reconnus se retrouvent dans le Rubané du Haut‑Rhin, l’abondance du décor en T étant la seule différence notable. L’utilisation du poinçonné‑sillonné permet une parallélisation avec la phase V définie par C. Thévenin (1986) pour cette région.

FIG. 8 – 1 et 2 maison 1 ; 3 fosse 111 ; 4 et 5 maison III, Marainville‑sur‑Madon, (d’après V. Blouet, C. Faye).
7.2.2.2 Phase II
30La maison III n’a livré que deux tessons décorés et la maison IV une dizaine. Seules les fosses associées à la maison II ont livré un ensemble assez abondant. Le corpus est toujours très influencé par les thèmes décoratifs alsaciens (fig, 8. no 4) : on reconnaît en particulier un décor secondaire en croix bien représenté dans le Haut‑Rhin mais également présent à Menneville (Coudart, Démoule 1982). L’élément le plus important est la présence de plusieurs individus décorés au trémolo à l’aide d’un peigne à dents multiples (fig. 8, nos 3 et 5). Ces types se retrouvent également en association avec la maison IV et dans les fosses 111 et 113.
31Sur la haute Moselle à Marainville, on remarque donc une phase sans peigne pivotant à dents multiples (MI) et une phase à trémolo attestée. Le motif en T est abondamment utilisé dans les deux étapes. La maison I peut être parallélisée avec la phase V du Haut‑Rhin, définie par C. Thévenin et qui a été corrélée avec l’étape IIc du Rhin inférieur et moyen (Strien 1993). Dans la région de Mulhouse, il a été récemment mis en évidence une phase rubanée postérieure à cette phase, avec peignes pivotants abondants (Lack et al. 1987). L’étape II de Marainville est en tout point comparable à cette phase. Si l’on suit la congélation de C. Strien, cet ensemble typochronologique peut être mis en parallèle avec l’horizon IId du bassin du Rhin. Les ressemblances stylistiques frappantes entre la céramique de l’étape II de Marainville et de l’étape VI du Rubané de la moyenne Moselle renforce cette hypothèse.
7.3 Conclusion
32En Lorraine, la colonisation des deux secteurs d’implantation rubanée s’est faite à partir de deux groupes culturels distincts. Le groupe Rubané implanté dans la région Metz‑Sierck présente, au vu notamment des remplissages des bandes et des motifs, de grandes affinités avec le Rhin moyen. On trouve dans les régions une utilisation privilégiée des hachures transversales obliques, parallèles ou croisées par rapport à l’axe de la bande. Ces caractéristiques se retrouvent également dans le Bas Main : Meier‑Arendt (1972) et Dohrn‑Ihmig (1973) définissent ainsi un groupe Rhin‑Main. Il est vraisemblable que l’implantation rubanée s’est effectuée depuis la vallée moyenne du Rhin (Mittelrheintal) en remontant la vallée de la Moselle au moins à la phase Ie de Dohm‑Ihmig. Les sites jalonnant ce trajet sont parfaitement cartographiés par Lölir (1986 : 268).
33Aux phases IIa et IIb, des contacts ont également dû exister avec le groupe Rhin‑Meuse, on découvre en effet, dans quelques sites, en petit nombre, des décors du style de Cologne. Il s’agit de décors réalisés au moyen d’impressions de points à l’exclusion de toute ligne incisée. A la phase IIc, des relations privilégiées semblent s’être développées entre la moyenne Moselle et les groupes rubanés installés dans la région Main‑Neckar. Il faut souligner que c’est à cette époque que le groupe de Hinkelstein commence à se développer clans le secteur de Worms. A cette même phase, des contacts ont dû exister avec les groupes installés dans le Bassin parisien comme le montre l’utilisation en petites quantités à Metz de silex importés de la région de Reims.
34L’implantation rubanée de la plaine sous‑vosgienne s’est faite à partir‑ du Haut‑Rhin à la phase Va de C. Thévenin ou plus précocement. L’approvisionnement en matière première lithique tourné essentiellement vers les régions belgo‑hollandaises pour la région Metz‑Sierck et vers le Bassin parisien pour Marainville souligne cette différenciation de groupes géographiquement proches (90 km seulement séparent Metz et Marainville).
35A la phase IId, l’utilisation, abondante et commune aux deux groupes, du peigne à dents multiples suivant la technique du trémolo laisse penser à des rapprochements entre les deux domaines. Ce type de décor est également très fréquent dans le Rubané récent du Bassin parisien dont il constitue, avec le motif en T, une des principales caractéristiques (Lichardus‑Itten 1986). Les découvertes régulières en Alsace et en Wurtemberg de motifs en T au Rubané récent ont été interprétées par plusieurs auteurs (Strien 1993 ; Thévenin C. 1986) comme une influence du RRBP sur des groupes rhénans dans les phases IIb et IIc. La présence de la technique du trémolo a été utilisée pour établir des hypothèses comparables pour le Rhin moyen et le confluent Rhin‑Moselle (Meier‑Arendt 1966 ; Lichardus‑Itten 1986).
36Du point de vue géographique, la Lorraine et le Haut‑Rhin représentent des relais obligés entre le bassin du Rhin et le Bassin parisien : il s’agit donc de régions particulièrement importantes pour la compréhension entre l’Est et l’Ouest au Néolithique ancien. En Lorraine comme dans le Haut‑Rhin, le décor en T apparaît au cours des phases IIb/IIc (IVb à Va de C. Thévenin) avant le développement du peigne pivotant. De la même façon, si l’on suit les corrélations proposées par C. Strien (à paraître), le peigne pivotant apparaît dans le groupe de Ilinkelstein, contemporain de la phase IIc, alors même que cette technique est inconnue en Lorraine et dans le Haut‑Rhin. On pourrait donc tout aussi bien envisager une diffusion de ces innovations stylistiques de l’est vers l’ouest. Il faut souhaiter que le regain d’intérêt dont bénéficie actuellement la recherche sur cette période tant en Alsace qu’en Lorraine permette de faire progresser de façon décisive l’étude de cette question.
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Löhr 1986 : LÖHR (H.). — Eine Ubersichtskarte zu älteren Neolitikum im Moselgebiet. Archäoligisches Korrespondenzblatt, 3, 1986, p. 267‑278.
Massy 1985 : MASSY (J.‑L). — Information archéologique. Gallia Préhistoire, 28, 2, 1985.
Meier‑Arendt 1966 : MEIER‑ARENDT (W.). — Die Bandkeramische Kultur im Untermaingebiet. In kommission bel Rudolf Hobelt Verlag. Bonn, 1966.
Meier‑Arendt 1972 : MEIER‑ARENDT (W.). — Zur Frage der Jünger linienbandkeramischen Gruppenbildung‑Omalien « Plaidter », « Kölner », » Wetterauer » und « Wormser ». Typ. Fundamenta A/3 Teil Va, 1972, p. 85 à 152
Modderman 1970 : MODDERMAN (J. R.). — Linearbandkeramik aus Elsloo und Stein. APL, 3,1970, 2 vol., 218 p., 18 fig., 232 pl.
Stehli 1973 : STEHLI (P.). — Keramik. In : FARUGGIA (J .‑P.) et al. — Des Bandkeramische Siedlungsplatz Langweiler 2. Rhein. Ausgrabun, 13,1973.
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Strien 1993 : STRIEN (H. C.). — Die Beziehungen den Südwestlichen Bandkeramik. In : Le Néolithique du nord‑est de la France et des régions limitrophes: 13e colloque interrégional sur le Néolithique, Metz, 1986. Paris : Maison des Sciences de l’Homme, 1993 (DAF ; 41).
Thévenin 1977 : THEVENIN (A.). — Informations archéologiques. Gallia‑préhistoire, 20, 2, 1977.
Thévenin 1979 : THEVENIN (A.). — Informations archéologiques. Gallia‑préhistoire, 24, 2,1979.
Thévenin 1981 : THEVENIN (A.). — Informations archéologiques. GalliaPréhistoire, 24, 2,1981.
Thévenin 1986 : THEVENIN (C.). — Le Rubané du Haut‑Rhin. Étude typologique de la céramique fine et essai de chronologie. 2 vol. (diplôme de l’École des hautes études en sciences sociales, Toulouse, 1986).
Tixier 1977 : TIXIER (J.). — Informations archéologiques. Gallia‑préhistoire, 20, 1977.
Table des illustrations
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Légende | FIG. 1 – 1 à 20, Koenigsmacker (extrait de Bouvret et al, 1979). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39083/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 44k |
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Légende | FIG. 2 – 1 à 23, Uckange Buderfeld, fosse II (d’après C. Guillaume). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39083/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 36k |
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Légende | FIG. 3 – 1 à 3 et 5, Metz‑Nord (d’après V. Blouet, C. Faye et P. Mervelet) ; 4 et 6 à 10, Monternach, fosse 28 (d’après E. Decker et A. Gambs). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39083/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 167k |
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Légende | FIG. 4 – 1 à 3 et 6 à 8, Thionville, fosse II (d’après C. Guillaume) ; 4, 5 et 9 à 14, Monternach, fosses 25, 72 et 81 (d’après E. Decker et A. Gambs). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39083/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 141k |
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Légende | FIG. 5 – Metz/Ban de Devant les Ponts. Maison I. |
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Fichier | image/jpeg, 109k |
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Légende | FIG. 6 – Metz/Ban de Devant les Ponts. Maison I. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39083/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 114k |
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Légende | FIG. 7 – 1 à 11 et 13 à 15, Thionville, fosse 12 (d’après V. Blouet et P. Mervelet Ph. 1986) ; 12 et 16 à 19, Evendorf, fosse 0 (d’après E. Decker). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39083/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 79k |
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Légende | FIG. 8 – 1 et 2 maison 1 ; 3 fosse 111 ; 4 et 5 maison III, Marainville‑sur‑Madon, (d’après V. Blouet, C. Faye). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39083/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 83k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1993