6.1 Origine des groupes rubanés d’Alsace1

1Dans les plus récentes synthèses sur le Néolithique ancien en Alsace, deux hypothèses sont émises quant à l’origine du peuplement rubané du Bas‑Rhin et du Haut‑Rhin. Une des hypothèses établit que, dans un premier temps, le Bas‑Rhin a été colonisé à partir de la région du Neckar. Les groupes auraient ensuite atteint le Kaiserstuhl par la rive droite du Rhin, pour s’infiltrer dans le Haut‑Rhin (Thévenin 1979, 1980 ; Thévenin 1983). Cette hypothèse s’appuie sur des comparaisons entre les décors céramiques des groupes rubanés de la basse vallée du Neckar (Kraft 1977) et ceux de l’Alsace. Une seconde hypothèse développe une autre possibilité quant à l’origine des groupes rubanés du Haut‑Rhin. Pour certains auteurs (Schweitzer 1980 ; Wolf 1980), des groupes rubanés originaires de basse Bavière (région de Straubing et de Landshut) auraient colonisé le Haut‑Rhin en longeant le Rhin entre le lac de Constance et Bâle, au sud de la forêt Noire. Ces deux auteurs apportent quelques arguments à cette hypothèse :
– parité des conceptions stylistiques entre la Bavière et le Haut‑Rhin ;
– présence d’incrustations de pâte blanche ou rouge sur les céramiques (Schweitzer 1984) ;
– abondance de la parure dans la nécropole de Mulhouse‑Est et dans celles du sud de la Bavière, en particulier à Straubing ; parallèlement, pauvreté dans le mobilier funéraire des tombes du Bas‑Rhin ;
– situation géographique des sites hauts‑rhinois sur l’axe nord/sud, à la limite de deux régions naturelles : Hardt/Sundgau au sud et Hardt/plaine alluviale de l’Ill plus au nord.

2La pénétration des Rubanés dans le Haut‑Rhin se serait réalisée à l’extrémité sud de cet axe en des points de passage entre Kembs et Bâle. De là, les Rubanés auraient pénétré en Alsace en suivant le système hydrographique de l’Ill. Cette hypothèse s’appuie également sur l’absence de site entre Colmar et le Kaiserstuhl, point de pénétration nord pour les tenants de la première hypothèse.

3Afin de bien visualiser ces courants et d’établir des comparaisons (typologiques, géographiques...), il paraît important d’examiner en détail les divers groupes rubanés concernés. La carte (fig. 1) présente les zones occupées par la culture de la Céramique Linéaire aux phases anciennes (phases I et II). Ces zones correspondent généralement aux vallées des grands fleuves et de leurs affluents : Danube, Rhin, Neckar, Main. D’est en ouest, on trouve les zones suivantes.

6.1.1 La vallée du Danube

4Sur le tracé allemand du Danube, on note dès la phase I, une très forte implantation de sites sur les vastes placages limoneux de la région de Straubing (Bavière) cette zone s’étend jusqu’aux environs de Ulm. En aval de Ulm, sur la haute vallée du Danube, les sols loessiques sont très limités et l’altitude plus élevée : les sites sont donc plus rares. En Haute‑Souabe, entre la haute vallée du Danube et le lac de Constance, seuls quelques rares sites ont été reconnus2.

6.1.2 La région du Ries

5Entre la vallée du Danube et la vallée du Neckar, au niveau de Donauwörtli et Nördlingen en Bavière, la région du Ries est également colonisée dès la phase I (Delin, Sangmeister 1954 ; Krippner 1984).

6.1.3 La vallée du Neckar

6La plus forte concentration se situe dans la moyenne et la basse vallée du Neckar (région de Mannheim, Heidelberg, Heilbronn, Stuttgart, Tübingen). Cette région a été également peuplée dès la phase I. Au nord‑est de Heilbronn, sur le Main supérieur, la région de Würgburg, en basse Franconie, est à rattacher géographiquement à la vallée du Neckar.

6.1.4 La vallée du Rhin supérieur

7Dans la vallée du Rhin supérieur (plaine d’Alsace, Pays de Bade), les groupes rubanés se concentrent en 3 régions bien compartimentées : sur la rive gauche du Rhin, une première concentration (52 sites) est à noter sur les terrains loessiques à l’ouest de Strasbourg (Jeunesse 1980),

8La deuxième concentration d’une cinquantaine de sites environ, se situe aux bords du massif volcanique du Kaiserstuhl sur la rive droite du Rhin en pays de Bade. Enfin, la dernière concentration, en rive gauche du Rhin, occupe la région entre Colmar et Bâle. Cette aire d’occupation présente deux zones distinctes : une occupation linéaire sur loess entre Colmar et Mulhouse (Bonnet et al. 1980a et b) et une occupation plus diffuse sur les plateaux loessiques du Sundgau (Schweitzer 1980 : Wolf 1980). Dans la partie suisse de la vallée du Rhin, Winiger (1981) dénombre seulement quatre sites de taille fort modeste. Cette première présentation faite, il nous faut maintenant examiner plus en détail les rapports existant –essentiellement pour la céramique– entre l’Alsace et les autres régions concernées, ceci aux différentes phases du Rubané.

9A la phase II, les similitudes des décors céramiques entre le Bas‑Rhin et le Haut‑Rhin et les autres régions sont nombreuses dans les thèmes décoratifs (fig. 2). En revanche aux phases suivantes (III et IV), le Rubané du Bas‑Rhin va progresser d’une manière, semble‑t‑il, plus lente et développer des décors tout à fait originaux, que l’on ne retrouve clans aucune autre région. Ainsi le type de bande formée de deux lignes incisées parallèles parsemée de fines hachures obliques, est caractéristique de la phase IV du Rubané bas‑rhinois. Ce thème est inconnu dans le Haut‑Rhin ; il semble donc que, dès la phase III, la région de Strasbourg se soit trouvée isolée des autres groupes. Cet isolement aurait eu comme conséquence première l’apparition de décors céramiques particuliers et serait peut‑être la cause des changements importants notés dans le rituel funéraire (position allongée), dans l’industrie lithique et dans la céramique (décors particuliers et apparition du bracelet en terre cuite rainuré). Le Bas‑Rhin jouerait, à la phase IV, un rôle précurseur (Jeunesse 1985a). En conclusion, si le Bas‑Rhin semble tenir dans cet ensemble un rôle particulier, le Haut‑Rhin, quant à lui, garde de forts contacts à toutes les phases, avec les autres groupes : Kaiserstuhl, moyenne vallée du Neckar, région du Ries. Des relations plus ténues se retrouvent également aux phases anciennes avec le sud de la Bavière (Das archàologische Jahr in Bayem 1980 à 1985 ; Maier 1964) et avec la Basse Franconie (Eckerle 1963). Les sites implantés autour du massif volcanique du Kaiserstuhl font le pendant aux sites de la région colmarienne. Entre ces deux régions, les similitudes dans les décors; céramiques sont très nombreuses. Elles attestent des relations et des contacts très forts entre ces deux régions très proches l’une de l’autre (Gallay 1970 ; Wangart 1947 et les rapports de fouilles dans les Badische Fundberichle et dans Archäologische Nachrichten ans Baderi).

10Si quelques similitudes se retrouvent entre la basse vallée du Neckar (Kraft 1977) et le Haut‑Rhin, c’est surtout avec la moyenne vallée du Neckar que la haute Alsace semble établir‑ les plus forts contacts aux phases III et IV (Eckerle 1966 ; Huber 1971 et les rapports de fouilles dans les Badische Fundberichte). Des relations sont également visibles avec la région du Ries (Delin, Sangmeister 1954 ; Krippner 1984). Il apparaît donc, que malgré la « régionalisation » des groupes que l’on note dès la phase III, le Haut‑Rhin établit durant tout le Rubané des contacts avec les groupes de la région du Neckar, hypothèse démontrée par les nombreux parallélismes que l’on retrouve dans les décors des céramiques. Il est donc possible d’établir, d’après ces constatations, le chemin suivi par les Rubanés pour coloniser l’Alsace et le Pays de Bade. L’hypothèse la plus plausible est le passage par le nord et le centre de la Forêt Noire.

11A la phase I, les zones primaires occupées suivent ce tracé : Bavière (région de Straubing), région du Ries et vallée du Neckar. Dans la vallée supérieure du Rhin, il semble que ce soit le Kaiserstuhl qui soit le premier colonisé. En effet, sur le site de Königschaffausen (Kreis Emmendingen), un récipient (Kraft 1936 : fig. 173c), provenant d’une fosse bouleversée par une tombe, est à dater de la première période de la phase II de Flomborn. En revanche, le Bas‑Rhin et le Haut‑Rhin ne semblent être colonisés qu’à la deuxième période de cette phase II. A partir du Kaiserstuhl, les Rubanés auraient traversé le Rhin à la conquête du Bas et du Haut‑Rhin. Le passage à travers la Forêt Noire a pu s’effectuer par les différentes vallées traversant d’est en ouest le massif. Trois itinéraires sont possibles : le passage le plus direct, légèrement plus au sud de Strasbourg, se situe au niveau de la vallée de la Kinzig (itinéraire le plus probable). Autres itinéraires possibles : par les vallées de l’Entz, du Saalbach et de l’Alb entre Karlsruhe‑Pforzheim et Stuttgart, enfin, une voie, la plus au nord, au niveau de la confluence Rhin/Neckar. Toutes ces voies sont le prolongement naturel des voies de colonisation des agriculteurs rubanés, qui, partis de la Hongrie, traversent l’Autriche et la Bavière en suivant le cours du Danube, colonisent le Neckar pour s’installer ensuite dans la plaine du Rhin. Il apparaît donc que l’hypothèse, d’après les données actuelles, d’un possible passage par le sud de la Forêt Noire, au niveau du lac de Constance, doit être réfutée3. D’ailleurs les arguments apportés par les tenants du passage par le sud peuvent être discutés.

12Si les nécropoles de Bavière comme celles de Aiterhofen, Kreis Straubing‑Bogen (Osterhaus 1975, 1980) et de Seng‑kofen, Kreis Regensburg (Osterhaus, Pleyer 1973) présentent, comme les tombes de la nécropole de Mulhouse‑Est, de riches parures en spondyle (spondyle entaillé en V, perles tubulaires...), les grandes nécropoles de la moyenne vallée du Rhin présentent elles aussi cette même richesse de parure comme la nécropole de Flomborn, Kreis Alzey et de Alderberg bei Worms, Kreis Worms (Richter 1968‑1969). D’ailleurs, les similitudes dans les rites funéraires entre la Bavière et le Haut‑Rhin, également notables dans la moyenne vallée du Rhin, ne certifient en aucun cas l’hypothèse d’un passage et de relations par le sud de la Forêt Noire. Les différences dans le mobilier déposé dans les tombes entre le Haut‑Rhin et le Bas‑Rhin, doivent être interprétées comme des variations chronologiques et non pas comme des différences culturelles entre les 2 groupes : les riches tombes du Haut‑Rhin étant de la phase III, celles du Bas‑Rhin, plus pauvres, de la phase IV. Les incrustations de pâte blanche et rouge sur les céramiques se retrouvent également plus au nord, dans la vallée du Main à Griedel, Kreis Friedberg (Meier‑Arendt 1966 : 50), et sur la céramique des tombes de Alderberg bei Worms et de Flomborn (Richter 1968‑1969). L’absence de sites entre Colmar et le Kaiserstuhl s’explique par le fait que le substrat à l’est de Colmar est constitué de graviers rhénans, donc une zone impropre à la culture.

6.2 Extension des groupes rubanés d’Alsace

13Les groupes rubanés du Bas‑Rhin ne semblent pas s’être étendus en dehors de la zone qu’ils occupent, dès la phase II, autour de Strasbourg. En revanche, l’extension des groupes hauts‑rhinois débute dès la fin de la phase II. Cette extension hors de la vallée du Rhin s’est faite par la Trouée de Belfort en direction du Bassin parisien, de la Franche‑Comté et de la Bourgogne. Dans le Bassin parisien, deux groupes bien implantés ont été identifiés : le Rubané moyen champenois (RMC) et le Rubané récent du Bassin parisien (RRBP). Dans les deux autres régions mentionnées, quelques découvertes attestent une présence rubanée.

6.2.1 Le Bassin parisien

6.2.1.1 Le Rubané moyen champenois (RMC)

14Les sites du RMC se regroupent tous dans le Perthois (région de Vitry‑le‑François, Marne). Ces sites sont pour l’instant peu nombreux. Il s’agit de deux sites d’habitat : Norrois/La Raie des lignes (Cheitier, Tappret 1982) et Larzicourt/Ribaupré (Cheitier 1980) et Champ Buchotte (Cheitier 1985), avec des sépultures non loin de ce dernier site. Les autres sites attribuables au RMC sont des sépultures isolées : Frignicourt, Montcez‑l’Abbaye/Les Aulnes, Cloyes (Chertier 1974), Vert‑la‑Gravelle (Chertier, Joffroy 1966). L’étude des céramiques des deux sites d’habitat permet de paralléliser le RMC avec le Rubané moyen (phase III) du Haut‑Rhin (fig. 3). Les éléments du site de Larzicourt/Ribeaupré, s’apparentent au décor des céramiques de la phase III B4. Un des décors de rebord, typique de cette phase, est identique à un rebord d’un récipient de la fosse DM1 de Ensisheim/Les Octrois. Les autres décors sont communs à la phase III (décor secondaire intégré « au rebord » et « aux bandes », rebords, bandes). Le site de Norrois est quant à lui assimilable à la phase IIIA. Le vase (Chertier, Tappret 1982 : fig. 17, 1) est en tout point comparable à un récipient de Ensisheim/Les Octrois, fosse DM3 (Schweitzer 1978 : fig. 15, 8). Un récipient, en revanche, peut être plus ancien et correspondre à la phase IIB (Schweitzer 1978 : fig. 16, 1). Vu la très grande ressemblance des céramiques de ces deux groupes (pâte, technique de fabrication, aspect et décor), il serait intéressant de déterminer si les récipients du RMC ont été fabriqués sur place ou, ce qui paraît plus probable, directement importés du Haut‑Rhin. Cette étude nécessiterait évidemment des analyses physico‑chimiques des argiles utilisées pour déterminer leur provenance. Le site de Larzicourt/Ribeaupré a également livré des éléments non rubanés : tessons à cordons orthogonaux et mamelons aplatis digitalement que l’on peut rapprocher d’éléments épicardiaux. Des tessons à décor d’impressions pourraient être Rubané récent (phase IV). A ces différents éléments, viennent s’ajouter quelques tessons attribuables à la Céramique du Limbourg. L’ancienneté de ces deux sites est. confirmée par les structures d’habitat des maisons de Larzicourt/Ribeaupré et Champ Buchotte et les caractères typologiques des armatures de flèches perçantes.

15Les tombes isolées de cette région sont à rattacher également à ce peuplement originaire du Haut‑Rhin. La tombe de Vert‑la‑Gravelle, Marne (Chertier, Joffroy 1966) a livré une coquille entière fendue de spondyle. Ces objets sont datés en Europe centrale des phases I et II ; dans le Haut‑Rhin, un exemplaire a été retrouvé dans la tombe 19 de la nécropole de Mulhouse‑Est (phase III B). D’autres tombes dans la vallée de la Marne, à riches parures en coquillage, peuvent également être rattachées au RMC : Frignicourt, Montcez‑l’Abbaye et Cloyes, toutes trois dans la Marne. Tous ces éléments ont permis de définir le Rubané moyen champenois qui serait chronologiquement la plus ancienne manifestation de colonisation rubanée dans le Bassin parisien. Plus au sud, la colonisation du Rubané moyen de la Marne a également touché la Bourgogne, puisqu’une tombe, celle des Lentières, à Dijon, à la riche parure tout à fait comparable aux tombes de Mulhouse‑Est et de la Marne, a été découverte anciennement (Gallay 1981).

6.21.2 Le Rubané récent du Bassin parisien (RRBP)

16Si dans son ensemble le RRBP semble se rattacher au courant danubien, certains traits particuliers comme le décor des céramiques le singularise des autres groupes rubanés. Pour le décor des céramiques deux techniques, l’impression et l’incision, sont utilisées ; l’impression simple est très peu utilisée ; dans la plupart des cas, l’impression est réalisée au peigne (2 à 5 dents). Ces peignes sont pratiquement toujours utilisés en technique pivotante (trémolo) (Illet, Plateaux 1984). Cette technique était jusqu’à présent inconnue en Alsace au Rubané. Récemment, elle a été mise en évidence sur différents sites du sud du Haut‑Rhin, à Bernwiller (Lack et al. 1986) et à Spechbach‑le‑Bas, fosse 3 (Lack et al. 1987). Ces sites du Sundgau ont fourni des décors réalisés au peigne à 3, 4 ou 5 dents avec utilisation de la technique trémolo. On note également sur quelques éléments des affinités avec le groupe de Hinkelstein. Intégrés à notre périodisation du Rubané du Haut‑Rhin5, ces sites se rattacheraient à une phase très finale du Rubané (phase VB). Il est à noter que, à l’heure actuelle, ces constatations n’intéressent que le sud du Haut‑Rhin et plus particulièrement le Sundgau. Comme dans l’ensemble du domaine rubané, le décor des céramiques du RRBP peut se diviser en plusieurs registres : rebord, décor principal, décor secondaire. Le rebord est toujours souligné d’un décor horizontal sous le bord, réalisé à l’aide de bandes incisées ou impressionnées, le plus souvent en utilisant la technique pivotante. Une autre particularité des décors du rebord du RRBP est le fractionnement en petits tronçons des bandes. Ces deux particularités n’existent pas en Alsace sauf en phase VB. Les bandes du décor principal sont dans la plupart des cas réalisées avec la technique du peigne pivotant (trémolo) ou par 2 à 14 lignes incisées parallèles ; le plus souvent leur nombre est supérieur ou égal à 4. Dans le Haut‑Rhin, le nombre de lignes incisées parallèles maximum pour les bandes est de 4. Les variations dans les thèmes du décor principal (développement de bande) sont nombreux. M. Ilett et M. Plateaux (1984) les ont regroupées en onze variantes. Parmi celles‑ci, trois sont majoritaires :
– thème A : deux à sept lignes incisées en V ;
– thème G : ruban vertical combinant lignes incisées et peigne, décor en T ;
– thème H : ruban vertical au peigne seul, décor en T.

17Le type de décor principal A se rapproche dans sa conception du développement en chevrons connu en Alsace, mais certains caractères les différencient, Dans le RRBP, le décor de type A du rebord et son développement est tronçonné, au contraire du développement en chevron alsacien qui est toujours en continuité autour du vase ; de plus il ne part jamais du rebord. Comme nous l’avons vu précédemment, les techniques sont également différentes. Les types de décor principal G et H (en T) sont majoritaires dans le RRBP ; ce décor est très rare en Alsace : 3 exemples à Merxheim/Zapfenloch 8 et un à Rouffach/ Galbülil, Stetten et Ensisheim/Les Octrois DR 2. Ce décor apparaît sur ces sites à la phase IVB et est utilisé jusqu’à la phase V. Notons là aussi que les techniques utilisées (peigne à deux dents en impressions séparées ou lignes incisées et lignes d’impression simples), sont tout à fait différentes de celles utilisées dans le RRBP. Certains types de bandes du RRBP représentant environ 10 % de l’ensemble (Illet, Plateaux 1984 : fig. 5), rappellent sans conteste le Rubané de Belgique, de Lorraine et du Rhin Moyen et Inférieur. Ce type de bande est inexistant en Alsace. De plus, les décors G et H sont proportionnellement majoritaires dans le RRBP le plus ancien, alors qu’ils sont pratiquement inconnus en Alsace. Le décor dominant dans le Haut‑Rhin est le développement en chevrons, qui se rapproche des thèmes A et B du RRBP. Ces décors A et B augmentent en proportion aux phases récentes du RRBP.

6.2.1.3 Relation entre le Rubané récent du Bassin parisien, le Rubané moyen champenois et le Rubané d’Alsace

18Fig. 4

19Dans la région du Perthois (Vitry‑le‑François) en Champagne, les seuls sites rattachables au Rubané alsacien étaient datés de la phase III. Une fouille très récente (inédit, fouilles de la direction des Antiquités préhistoriques de Champagne‑Ardennes 1985), vient remettre en question le problème du Rubané de l’ensemble du Bassin parisien. En effet, à Juvigny (Marne), à proximité de Châlons‑sur‑Marne, une fouille de sauvetage a mis au jour des éléments céramiques6 tout à fait comparables aux éléments du Rubané final du sud du Haut‑Rhin et en particulier aux trouvailles du site de Stetten (Wolf 1980). Les décors principaux sur le site de Juvigny sont, comme dans la phase récente et finale (phase IV et V) du Rubané haut‑rhinois, les chevrons à 1 ou 2 lignes incisées avec en décor secondaire intégré des lignes d’impressions « en écoinçon » dans les chevrons. Deux tessons présentent un décor en T formé de bandes verticales accrochées au rebord. Les décors du rebord possèdent les mêmes caractéristiques que ceux du Haut‑Rhin. Les techniques décoratives sont également identiques : impression au poinçon simple ou au peigne, technique du pointillé‑sillonné. La technique en impression pivotante (trémolo) est absente. On note également la présence d’un bracelet » en céramique décoré de lignes incisées parallèles. La pâte, la technique de fabrication et la morphologie des récipients rappellent très fortement le Haut‑Rhin. Le site de Juvigny permet donc d’affirmer que dans cette région de la Marne, les premiers colons du Haut‑Rhin qui s’installent durant la phase moyenne (peut‑être à la fin de la phase II), occupèrent cette zone jusqu’à la fin du Rubané, en conservant des liens très étroits avec le Haut‑Rhin. Ces nouvelles données apportent donc de nouveaux éléments aux hypothèses émises sur l’origine du RRBP et sur ses relations avec l’Alsace. Sans vouloir chercher les origines du RRBP, ce qui n’est pas notre but, il nous semble cependant intéressant de voir les relations existantes entre le RRBP et le RMC à la lueur de cette découverte.

20Récemment, deux hypothèses sur l’origine du RRBP ont été émises (Lanchon 1983) : le RRBP succède très rapidement au RMC. Il serait synchrone de la phase IV et du début de la phase V de Meier‑Arendt. La technique pivotante, inconnue en Alsace, apparaîtrait dans le Bassin parisien et s’expliquerait par un apport méditerranéen, car elle existerait dans l’Epicardial. Cette datation « ancienne » du RRBP est toutefois contredite par les caractères de l’industrie lithique (armatures de flèches et faucilles). Il en est de même de la « trapézoïdalité » des maisons RRBP, mais cette caractéristique peut être interprétée comme une adaptation fonctionnelle des habitats aux conditions climatiques locales. La deuxième hypothèse détermine l’existence d’une phase non reconnue entre le RMC et le RRBP. Cette phase serait caractérisée par la fusion d’éléments d’Alsace et d’autres groupes rubanés (Moselle ?) et serait à rechercher en Champagne. Avant tout, il nous paraît indispensable de situer chronologiquement le RRBP par rapport au RMC. Pour ce qui est du RMC, il est possible de l’introduire (fig. 5) dans le tableau chronologique alsacien établi par C. Jeunesse (1985b). La phase moyenne se situerait aux alentours de 5100 B.C. (¹⁴C calibré) et la phase finale (Juvigny) vers 4800/4750 B.C. Pour le Rubané du Bassin parisien, les dates ¹⁴C sont nombreuses et permettent de situer son début vers 4900/5000 B.C. en date corrigée (Constantin, Lasserre 1983). En revanche, la fin du RRBP et l’intégration du groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain (VSG) qui lui succède, est plus problématique puisque lesdates ¹⁴C du VSG sont identiques à celles du RRBP (Blanchet 1984). D’une manière certaine, on peut cependant situer la fin du VSG vers 4600 B.C., en même temps que la fin du Grossgartach en Alsace.

21Nous voyons donc que la fin du RRBP est synchrone de la phase finale du RMC. Le synchronisme de ces deux groupes rubanés est géographiquement possible. Nous l’avons vu, l’extension du RMC se limite à la seule vallée de la Marne. Pour le RRBP, l’extension est limitée à l’est de Paris, aux vallées de l’Aisne, de l’Oise, de la Seine et de l’Yonne. Le manque de site dans les vallées de l’Aube et de la Seine, en amont du confluent Seine/Aube, ne permet pas de rattacher cette zone à l’un de ces deux groupes. Le site le plus oriental du RRBP, Ante (Chenet 1926), peut paraître intrusif clans la zone du RMC, mais sa situation sur la vallée de l’Aisne le rapproche aisément des sites plus à l’ouest de cette même vallée. Les tombes rattachables parleur riche parure au RMC du confluent Seine/Yonne (Montereau, Chaumont) et celle de Vignely (Seine‑et‑Marne) sur la basse vallée de la Marne, peuvent être interprétées comme des avancées vers l’ouest et le sud du RMC dans sa plus ancienne phase (phase III). Dans l’état actuel des recherches et des publications (surtout en ce qui concerne la vallée de l’Yonne) et en dehors de tous sites d’habitat indubitablement identifiés au RMC, ces tombes semblent donc situées en dehors de la zone d’extension du RMC, ce qui n’exclut pas leur appartenance à ce groupe.

22En partant de ces considérations, il apparaît que la première hypothèse d’Yves Lanchon soit la plus plausible. Chronologiquement, le RRBP débuterait vers 5000/4900 ans B.C. au cours de la phase IV du RMC. Ce groupe naîtrait d’une fusion entre des éléments rubanés, très certainement originaires de la Marne et des éléments méridionaux, seule possibilité quant à l’origine de la technique pivotante et du thème décoratif en T. Cette fusion serait à rechercher préférentiellement dans la basse vallée de la Marne, dans la vallée de l’Oise ou plus sûrement dans celle de l’Yonne. Cette hypothèse sera peut‑être confirmée lorsque les découvertes des fouilles de la vallée de l’Yonne seront publiées intégralement.

23Par la suite, les deux groupes auraient évolué séparément, chacun sur son propre territoire. Toutefois, des contacts ont eu lieu, comme le prouve la présence, en faible proportion, du thème décoratif en T et de la technique trémolo en Alsace et à Juvigny dès la phase IV et l’introduction de la technique trémolo et l’utilisation du peigne à 3, 4 ou 5 dents à partir de la phase V. En conclusion, on peut ainsi ébaucher un modèle de colonisation du Bassin parisien. Durant les phases II et III, colonisation de la Marne par des groupes rubanés originaires du Haut‑Rhin, colonisation passant par la Trouée de Belfort et la vallée de la Saône. Ce groupe conservera, jusqu’à la phase V, d’étroites relations avec le Haut‑Rhin. A la phase IV, peut‑être même déjà à la fin de la phase III, des groupes de la Marne pénètrent en direction des vallées de la Seine et de l’Yonne. Dans ces régions s’effectue la fusion avec des éléments méridionaux donnant naissance au RRBP. Cette hypothèse avait déjà été émise par W. Meier‑Arendt dès 1966 et, récemment, reprise et développée par M. Lichardus‑Itten (1986). Très rapidement ce groupe s’étend en direction de l’Aisne et de l’Oise. Par la suite –des contacts et des influences réciproques ayant lieu– le RRBP et le Rubané de la Marne, géographiquement bien localisés, évoluent parallèlement.

6.2.2 La Franche‑Comté

24En Franche‑Comté et plus particulièrement dans le Jura, quelques sites en abri sous roche ont fourni quelques éléments rubanés. A Oberlarg (Haut‑Rhin), des tessons du Rubané récent (phase IV) ont été découverts (Thévenin A. et C. 1983) ; ils étaient accompagnés d’un tesson de Céramique de La Hoguette (Jeunesse 1985). A Bavans (Doubs), le haut de la couche 5 (Mésolithique supérieur à trapèze) a également donné des tessons Rubané récent de type Haut‑Rhin associés à la Céramique de La Hoguette. La base de cette couche est datée par ¹⁴C de 5180 B.C. (Aimé 1984). L’abri de Chataillon à Voujau‑court (Doubs) a fourni également un élément céramique décoré attribuable au Rubané (Pétrequin 1967). Ces sites du nord du Jura, en particulier Oberlarg et Bavans, ne sont certainement pas les traces d’une colonisation, comme cela a été le cas dans la Marne, à une phase récente du Rubané. Il apparaît que cette zone périphérique par rapport à la zone d’implantation primaire de la vallée du Rhin et du Sundgau n’a été exploitée par les Rubanés que pour la transhumance du bétail, la chasse et la cueillette. La possibilité de troc entre Mésolithiques et Rubanés n’ést pas exclue à Bavans.

25En ce qui concerne le niveau XI daté de 4300 ± 300 ans B.C. de la grotte de la Baume de Gonvillars en Haute‑Saône (Pétrequin 1970, 1974), il est désormais acquis que ce niveau, par les formes des récipients et par la présence importante de Triticum aestivo‑compactum, céréale inconnue en milieu rubané, se rattache au Néolithique ancien méditerranéen ; il est sous‑jacent à un niveau Roessen de type Wauwil. Il en est de même du niveau IX inférieur, daté de 4000 + 140 ans B.C., de la grotte de la Tuilerie à Gondenans‑les‑Montby dans le Doubs (Pétrequin 1972),