2.1 Introduction

1La théorie classique (Childe 1925, 1956) voulait que la néolithisation de l’Europe occidentale se soit faite d’est en ouest par deux courants : l’un danubien au nord, l’autre cardial, confiné à l’aire méditerranéenne. L’absence de documents néolithiques anciens dans le centre de la France a longtemps donné à penser que ces deux courants n’étaient jamais entrés en contact.

2Or, depuis vingt ans, de nombreuses découvertes ont révélé l’existence de plusieurs entités néolithiques anciennes distinctes du Rubané rhénan : après le Rubanérécent du Bassin parisien et le groupe d’Augy‑Sainte‑Pallaye, on mit au jour les groupes de Blicquy et de Villeneuve‑Saint‑Germain. Deux ensembles représentés exclusivement par de la céramique ont aussi été mis en évidence : la Céramique du Limbourg et celle de La Hoguette. Depuis la fin des années soixante‑dix, la situation s’est également modifiée dans le centre de la France : des sites néolithiques anciens ont été découverts ou reconnus dans le Massif central, en Aquitaine et dans le Centre‑Ouest. En d’autres termes, la jonction géographique entre « l’aire danubienne » et « l’aire méditerranéenne » est pratiquement achevée. Deux thèses s’opposent sur la question de savoir à quels courants de néolithisation attribuer ces nouveaux ensembles. Bailloud (1985) et Constantin (1985) tendent à rattacher tous les groupes du nord de la Loire, et même un certain nombre de sites du Massif central et du Centre‑Ouest, au courant danubien, tout en ne refusant pas la possibilité d’influences méridionales, tandis que Roussot‑Larroque et nous‑mêmes sommes enclins à rapprocher les groupes non rubanés de l’Europe du Nord‑Ouest d’un grand complexe de cultures étendu des rivages de la Méditerranée à la façade atlantique de la péninsule Ibérique et de la France.

3En collaboration avec Julia Roussot‑Larroque (cf. supra), les auteurs se proposent de rassembler les données disponibles et de reprendre l’ensemble du dossier. Néanmoins, pour préserver l’originalité et les responsabilités de chacun, les deux contributions sont publiées séparément dans ce volume. Faute de place, l’argumentation a dû être réduite à l’essentiel.

2.2 Du Rhin à la Loire

4Fig. 1

2.2.1 Les Rubanés

5Sans entrer dans les détails d’une périodisation fine, le Rubané proprement dit comporte quatre phases chronologiques dont l’existence paraît assurée. Au Rubané le plus ancien, confiné à l’Europe orientale et centrale, succède une phase ancienne qui, en Occident, le mène jusqu’au Rhin et à la Meuse, puis une phase moyenne et une phase récente au cours de laquelle se produisent de nouvelles extensions vers l’ouest. L’ensemble céramique relativement unitaire du Rubané ancien, représenté par le style de Flomborn et les faciès immédiatement apparentés, se divise au Rubané récent en deux sous‑ensembles régionaux : le Rubané récent du nord‑ouest (RRNO) et le Rubané récent d’Alsace (RRA).

6Le RRNO n’occupe que la partie septentrionale du domaine rubané ancien, depuis Mannheim sur le Rhin, mais s’étend vers l’ouest, en Hesbaye et en Hainaut ainsi qu’en Lorraine. Le RRA comprend trois concentrations principales sur les deux rives du Rhin, avec des extensions sur le plateau du Sundgau et dans la vallée de la Marne, où il semble y avoir eu une occupation rubanée assez dense.

7Alors que ces deux groupes possèdent les mêmes maisons rectangulaires ou trapézoïdales, et des industries lithiques qui diffèrent par un éventail typologique moins fourni dans le RRA, ils se distinguent par le décor de leur céramique fine. Dans le RRNO, le décor du bord consiste en rangées de motifs. Le décor principal de la panse répète un angle, une spirale, un triangle ou un losange. La frise secondaire, mise en place clans les parties encore libres du champ, reproduit une figure géométrique plus petite : segment de droite, angle renversé, triangle ou losange. Les figures du décor principal peuvent être diversifiées par de multiples transformations géométriques ; elles sont le plus souvent réalisées au moyen de deux sillons parallèles formant un ruban, mais parfois aussi à l’aide de rangées de motifs non bordées. Les figures en ruban peuvent être complétées par des sillons délimitant à l’intérieur de celles‑ci des interruptions en case vide, par un remplissage fait de rangées de motifs incisés et imprimés au poinçon ou au peigne (translaté ou pivotant). Toutes les figures peuvent être munies d’élargissements, c’est‑à‑dire augmentées à l’extérieur de petits groupes de ponctuations disposés en des points remarquables de leur tracé.

8Le RRA associe également un décor du bord et deux décors de la panse. Celui du bord comporte fréquemment des sillons continus alternant avec des rangées de motifs. Les figures principales sont représentées à peu près exclusivement par des angles mais le répertoire des figures secondaires est plus diversifié. Le RRA exploite moins les transformations géométriques que le RRNO. Les interruptions ont disparu. Le remplissage des figures n’est guère pratiqué. Alors que le RRNO exploite volontiers des peignes de deux à douze dents, le RRA exploite surtout le peigne à deux dents.

2.2.2 Le Rubané récent du Bassin parisien (RRBP)

9La définition et les origines de ce groupe restent à éclaircir. Une quinzaine de sites lui sont attribués, répartis dans les vallées de l’Aisne, de l’Oise, de la Marne, de l’Yonne et du Loing. Les maisons rectangulaires ou trapézoïdales répondent en partie au plan Rubané récent, mais on distingue aussi des formes évolutives régionales. Les industries lithiques se distinguent de celles du RRNO par la relative abondance des burins et l’absence des quartiers d’orange. Les herminettes polies en roche dure caractéristiques des deux groupes précédents sont très rares. Quant au décor céramique, il semble amalgamer deux traditions différentes.

10Le décor du bord, commun à l’ensemble des vases ornés exploite séparément ou combine sillons et impressions au peigne à deux dents ou plus. Il existe deux types de décors de la panse. Le premier (à peu près 30 % de la production) consiste en frises d’angles accompagnées de figures secondaires, très proches de celles qu’on trouve dans le Haut‑Rhin. Le second se présente sous la forme de bandes ou de panneaux verticaux articulés au décor du bord et souvent appelé pour cette raison « décors en T ». Ces figures sont généralement composées de sillons bordés de part et d’autre de bandes d’impressions au peigne de deux à cinq dents, translaté ou pivotant. On trouve également, dans quelques cas, des partitions de la surface ornementale par un quadrillage à larges mailles. Ces types de décor de la panse sont inassimilables à la tradition rubanée. Par certains aspects de son outillage lithique et par la plus grande partie de ses décors céramiques, le RRBP n’apparaît donc pas comme un Rubané au sens strict, mais plutôt comme un amalgame de la tradition rubanée et de quelque autre.

2.2.3 Les Céramiques du Limbourg et de La Hoguette

11Dans les sites du Rubané ancien, du RRNO, du RRA et du RRBP et parfois aussi en dehors de ceux‑ci, on rencontre des tessons ressortissant à différents groupes stylistiques qui ne s’inscrivent dans aucune des traditions rubanées ou RRBP.

12La Céramique du Limbourg et celle de La Hoguette ne sont que deux de ces groupes, les seuls dont l’identité ait été officiellement reconnue ; mais l’hétérogénéité des vases Limbourg suggère déjà la mise en évidence prochaine de quelques autres.

13L’homogénéité du corpus de la Céramique du Limbourg est en effet loin d’être acquise, dans la mesure où on y a incorporé la plupart des tessons non rubanés ou non RRBP découverts dans ces contextes et qui n’étaient pas assignables à un ensemble céramique connu par ailleurs, tel que le Hinkelstein, le Grossgartach ou la Céramique Pointillée (Cahen, van Berg 1980 : van Berg 1982, 1983, 1986). On y a agrégé ensuite des tessons néolithiques anciens découverts isolément, hors des habitats rubanés, à Longpré‑les‑Corps‑Saints (F), Thines (B), Melick, Sint Odilienberg, Neer, Kesseleyk (P‑B), Hespérange, Medernach‑Savelborn (LXB), Peffingen et Xanten (RFA). Ira Céramique du Limbourg a ainsi été reconnue sur une soixantaine de sites, dont la distribution couvre tout le domaine du RRNO et du RRBP, plus quelques points excentriques dans l’ouest du Bassin parisien ainsi qu’en Alsace et en Bade‑Wurtemberg (Modderman 1981 ; Constantin 1985 ; Schmidgen 1993).

14Les groupes de Blicquy et de Villeneuve‑Saint‑Germain étaient considérés par Bailloud (1983), Constantin et Demarez (1984) comme postérieurs au RRNO et au RRBP (cf. § 2.2.4). La possibilité d’attribuer à ces deux groupes une partie des tessons Limbourg n’a donc pas été prise en compte. Or, la contemporanéité du RRNO et du groupe de Blicquy est établie sur des bases archéologiques depuis 1985 (cf. ci‑dessous) et quelques tessons d’Aubechies (van Berg 1986) et de Rosrneer (van Berg 1990) peuvent lui être réattribués. Si nous éliminons ces derniers et un certain nombre d’autres, trop singuliers ou trop petits pour autoriser une attribution assurée, il reste un noyau relativement homogène auquel nous avions déjà proposé de réserver le nom de Céramique du Limbourg (van Berg 1983).

15La pâte en est souvent friable et mal compactée. Les principaux dégraissants sont le quartz, la chamotte et l’os calciné et pilé. Les vases sont montés au colombin assez grossièrement et sans barbotine, les colombins étant collés par lissage de la surface. La couleur est généralement brunâtre, indiquant une cuisson partiellement oxydante. On distingue deux formes dominantes, l’une en coupe très ouverte, de hauteur variable, muni d’un bord épaissi, l’autre globuleuse et fermée, pourvue d’un col légèrement évasé, Les appendices de préhension sont de petits boutons circulaires ou elliptiques présentant parfois une perforation verticale. Les formes en coupe peuvent comporter une ou deux rangées de perforations dans l’épaississement du rebord. Le décor du bord, facultatif, consiste en une ou plusieurs rangées horizontales de motifs, ou bien en courts segments de bande tendus entre le rebord et le sommet du décor de la panse. Ce dernier est organisé selon l’un des deux systèmes suivants :
– la panse est divisée sur toute sa hauteur en secteurs parallèles, remplis de hachures, d’un pavage polygonal irrégulier (également hachuré), de quadrillages, de figures spiciformes, ou bien encore de rubans étroits horizontaux ou anguleux ; les secteurs sont souvent margés de ponctuations ou de triangles ;
– des bandes ou des panneaux verticaux de sillons parallèles exécutés au poinçon, éventuellement margés de ponctuations et séparés par de larges vides occupent toute la hauteur de la panse.

16La Céramique du Limbourg est associée à du Rubané ancien à Elsloo et Gelecn aux Pays‑Bas et à Rosheim en Alsace et à du Rubané récent sur d’autres sites. Même si plusieurs analyses (Obenauer 1936 ; Meier‑Arendt 1969 : 11 ; Constantin 1985 : 126 ; De Paepe comm. pers.) ont montré que des tessons de Céramique du Limbourg étaient fabriqués à partir des mêmes argiles que les vases RRNO ou RRBP associés, et donc aussi sur les mêmes territoires, leur facture et leur mode de cuisson excluent que ces vases aient été produits par les mêmes potiers que les autres. De plus, leur relative pauvreté technique et typologique ainsi que la maladresse fréquente dans l’exécution du décor traduisent peut‑être une production intermittente par des artisans qui avaient à se refaire la main à chaque session de fabrication.

17Lors de la fouille du cairn de La Hoguette (Fontenay‑lé‑Marmion, Calvados) on découvrit, en partie sous le monument funéraire, deux vases d’une céramique originale qui fut considérée à l’époque comme « d’allure danubienne » (Caillaud, Lagnel 1972). Ces vases sont antérieurs à la construction du monument ou contemporains de celle‑ci, sans que rien ne permette de les dater précisément. Depuis lors, des tessons du type de La Hoguette ont été repérés en Alsace à Bischoffsheim, Oberlag, Merxheim, Colmar et Bavans (Jeunesse 1985ab, 1986), ainsi que dans le Neckar moyen et en Hesse (Schmidgen 1993). On peut ajouter à cette liste un petit ensemble de tessons découverts hors contexte à Sweikhuizen, près de Geleen, en Limbourg néerlandais (van Berg 1987).

18La pâte présente une surface brun rouge et une section noire. Dans la plupart des cas elle contient également un dégraissant osseux, mais elle est mieux compactée, mieux montée et plus dure que la Céramique du Limbourg. Etant donné le petit nombre de tessons connus et étudiés complètement, les formes sont difficiles à déterminer mais semblent généralement ovoïdes. Les organes de préhension sont des languettes disposées horizontalement sur la panse. Le décor est constitué principalement de bandes d’impressions au peigne à deux dents. Ces bandes peuvent être groupées par deux ou trois pour former une bande large, margée de grosses ponctuations. Elles sont souvent partiellement superposées à un cordon en relief. L’organisation générale du décor n’est connue que dans quelques cas : décor du bord en bandes horizontales mordant sur la lèvre, décor de la panse en bandes margées en « guirlande », éventuellement interrompues par les organes de préhension.

19Les tessons de La Hoguette ont été découverts avec des industries mésolithiques à trapèzes et des vases RRA dans la couche 5 des abris de Bavans, sous une couche Grossgartach dans la couche G de l’abri d’Oberlag, dans des fosses RRA à Merxheim et Bischoffsheim, et dans des fosses rubanées anciennes à Bruchenbrücken près de Francfort (Stehli comm. pers.).

20L’origine de la Céramique de La Hoguette pose les mêmes problèmes que celle de la Céramique du Limbourg et les conditions de découverte en sont variables. De plus, alors qu’à Bavans le Rubané ne se trouve que dans la partie supérieure de la couche 5, les tessons de La Hoguette sont répartis sur toute l’épaisseur de celle‑ci. Il apparaît donc que dans ce site la Céramique de La Hoguette précède le RRA.

21La Céramique de La Hoguette possède aussi des surfaces brun rouge et un dégraissant osseux, mais elle est mieux montée que la Céramique du Limbourg et possède des décors en « guirlandes » faits de bandes imprimées au peigne à deux dents, margées de grosses ponctuations et en partie superposées à des cordons appliqués. Elle n’est encore connue que par quelques sites répartis du Calvados au Neckar moyen, en passant par le Limbourg néerlandais et l’Alsace et accompagne aussi bien le Rubané ancien (Stehli comm. pers.) que le Rubané récent.

2.2.4 Les groupes de Blicquy (BQY) et de Villeneuve‑Saint‑Germain (VSG)

22Le groupe de Blicquy est documenté par sept sites, localisés en Hainaut occidental (B), dans la région des sources de la Dendre. Il y occupe le même territoire que le RRNO. Les maisons rectangulaires possèdent un chevet trapézoïdal et un compartiment central au milieu duquel est implanté un poteau unique. L’inventaire typologique du matériel lithique est à peu près le même que celui du RRNO, à ceci près qu’une partie des lames est débitée par pression et qu’on y rencontre un nombre plus élevé d’outils sur éclat et de burins. Il n’y a pas d’outils polis, ni d’armatures triangulaires symétriques, ni d’armatures à retouches couvrantes. La parure est illustrée par de nombreux bracelets en schiste, ainsi que par une panoplie d’outils en grès –tarauds, alésoirs, polissons– destinés à leur confection. Le moulin est constitué d’une meule dormante concave et d’une molette.

23La céramique, aux surfaces brunes, grises ou roses est en majorité dégraissée à l’os, éventuellement associé à du quartz ou à de la chamotte. Les formes comportent des hémisphériques, des trois‑quarts sphériques, des piriformes et des vases globuleux surmontés d’un col vertical ou évasé. Les fonds sont arrondis et parfois coniques. Les anses perforées horizontalement, toujours au nombre de trois, sont appliquées au plus grand diamètre de la panse. Des séries de un à quatre boutons circulaires ou elliptiques peuvent être apposées dans la même position que les anses ou sous le rebord. Les décors, similaires à ceux du VSG, sont composés à partir de rangées d’impressions ou d’incisions au poinçon et de bandes d’impressions au peigne translaté ou pivotant. Les sillons sont peu fréquents. On trouve parfois des rangées de petites figures géométriques (chevrons, croisillons, triangles), traitées comme des motifs. Le décor du bord (facultatif) comporte une ou plusieurs rangées ou bandes de motifs qui, éventuellement, se répètent sur la panse. Le décor de la panse est plus fréquemment réalisé à partir d’un répertoire limité de figures : panneaux verticaux rectangulaires, triangulaires ou trapézoïdaux et demi‑cercles concentriques, accrochés au rebord ou au décor du bord. Quelques figures plus rares sont centrées à mi‑hauteur de la panse : croix de Malte, cercles radiés. Les bandes horizontales et les figures verticales peuvent être combinées entre elles. La céramique grossière porte souvent un décor en V au‑dessus des anses, réalisé au moyen d’un cordon lisse ou bien de rangées ou de bandes d’impressions (Cahen, van Berg 1979, 1980 ; van Berg et al. 1982 ; Constantin 1985).

24Le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain rassemble des trouvailles anciennes, assimilées autrefois au RRBP, et le produit de fouilles plus récentes, notamment à Villeneuve‑Saint‑Germain près de Soissons. Bien que le matériel en soit souvent pauvre et, pour les fouilles anciennes, mélangé à d’autres, le VSG a été identifié par Constantin (1985) sur une quarantaine de sites répartis de la Marne au Calvados et de la Canche à la Loire. Bon nombre de ceux‑ci sont concentrés dans les vallées de l’Aisne, de l’Oise et de l’Yonne, mais avec un centrage plus méridional et plus occidental que le RRBP. Même si plusieurs des sites périphériques sont d’attribution « probable », il n’en reste pas moins que le VSG occupe tout le Bassin parisien et en déborde vers l’ouest et le nord‑ouest.

25Les maisons sont de plan trapézoïdal. Ces bâtiments étant incomplets, il n’est pas possible d’en détailler la structure. Les industries lithiques sont identiques à celles du BQY, encore que, faute d’étude systématique, le débitage par‑pression n’y soit pas assuré. Les bracelets en schiste sont bien attestés, ainsi que d’autres en terre cuite, analogues à ceux qui ont été retrouvés en Alsace.

26Moins de 20 % des vases sont dégraissés à l’os, et la cuisson oxydante est moins systématique que dans le BQY. L’éventail typologique de la céramique est moins cohérent que dans le BQY. Ce fait pourrait être lié au mode d’élaboration du corpus : les sites BQY sont tous d’attribution certaine et distribués sur un territoire de quelques dizaines de kilomètres carrés, tandis que le VSG couvre tout le nord‑ouest de la France et comprend tous les sites dont le matériel n’était assimilable ni au RRBP, ni à la Céramique du Limbourg, ni au groupe d’Augy‑Sainte‑Pallaye. Selon Constantin (1985), le BQY et le VSG constituent deux faciès d’une même culture, unis par leur matériel et une évolution interne identique. Les différences entre les deux entités sont faibles : elles nous paraissent refléter le mode de définition des corpus respectifs d’une part, et une frontière politique actuelle de l’autre.

2.2.5 Le groupe d’Augy‑Sainte‑Pallaye

27Ce groupe occupe un vaste territoire couvrant le sud du Bassin parisien et les Pays de Loire, de l’Anjou à la Bourgogne. Les maisons de ce groupe sont mal connues. Pour autant qu’on puisse en juger d’après le peu de matériel publié, les industries lithiques se distinguent de celles du VSG par un plus grand nombre de flèches tranchantes et par la présence de pièces bifaciales. La céramique présente beaucoup de traits communs avec celle du VSG, mais se singularise dans la mesure où elle ignore le décor au peigne, exploite abondamment des décors de cordons appliqués lisses, verticaux, horizontaux ou en V sur la moitié supérieure des grands vases et des pastilles au repoussé dans le décor des petits vases. En l’état actuel des connaissances, on ne peut assigner à ce groupe de position chronologique précise. Nous n’y reviendrons plus dans la suite de ce travail.

2.3 Interrelations des groupes du Nord‑Ouest

28Fig. 2

29De même qu’il nous faut renoncer à voir la néolithisation de l’Europe occidentale comme le fait de deux courants qui ne se sont jamais rencontrés, nous devons cesser de considérer les populations du Néolithique ancien comme une mosaïque d’isolats ethnographiques, dont les relations, attestées soit par des affinités stylistiques, soit par des objets intrusifs sont établies seulement par des liens génétiques. Les matières premières destinées à la fabrication des outils polis en roche dure, les techniques de taille, les vases et les traditions de potiers, les idées et peut‑être les hommes circulent à des distances qui atteignent aisément plusieurs centaines de kilomètres. Ce fait, confirmé par de multiples trouvailles, nous oblige à ajouter aux relations verticales chronologiques et génétiques des relations horizontales d’échange. En prêtant attention à toutes ces circulations, nous pouvons non seulement construire une image plus réaliste du Néolithique ancien, mais saisir‑ du même coup des éléments de chronologie qui nous avaient échappé jusqu’ici.

2.3.1 Les Rubanés et le Rubané récent du Bassin parisien

30Fig. 3

31Les preuves archéologiques de contacts entre le RRNO et le RRA sont rares. Cependant, quelques tessons découverts dans le matériel Rubané récent de type alsacien de Larzicourt et de Juvigny en Champagne, appartiennent certainement au RRNO (Chertier 1980 : fig. 23, n^o 13 ; Villes connu, pers.). D’autre part, il est probable que les rares bracelets décorés ou lisses en terre cuite trouvés en Hesbaye dans des fosses rubanées (Dewez, Dormal 1970 ; Lensen 1977), sur les sites rubanés d’Aldenhoven (Eckert et al. 1971) et de Rübenach (Dohrn‑Ihmig 1979) y soient venus d’Alsace où on en connaît de multiples exemplaires. En effet, ces bracelets ne font pas partie de la culture matérielle du RRNO et ils sont encore absents du BQY qui borde celui‑ci au nord‑ouest.

32Une partie des décors de la céramique fine du RRBP indique une liaison assez nette avec le Rubané récent du Haut‑Rhin (Bailloud 1983). S’il n’est pas évident à l’heure actuelle qu’il y eut à l’ouest de la Champagne des installations rubanées autonomes d’origine alsacienne, des traditions rubanées furent à tout le moins assimilées par des potiers du RRBP. Le décor du bord commun aux deux séries de décors de la panse des vases RRBP montre en effet que les uns et les autres furent fabriqués par les mêmes potiers. Réciproquement, on trouve dans le sud du Haut‑Rhin quelques exemples de décor au peigne à dents multiples qui pourraient représenter le retour des influences RRBP vers l’Alsace. On trouve aussi en Alsace et en Bade‑Wurtemberg des vases ornés dans leur partie supérieure de larges quadrillages en bandes orthogonales qui ne sont vraisemblablement pas d’origine alsacienne et apparaissent avec une relative fréquence dans le RRBP. Les affinités ornementales du RRNO et du RRBP se résument à peu de choses. Par contre, des vases à décor typique du RRNO ont été découverts à Cuiry‑lès‑Chaudardes (Constantin 1985 : pl. 58 et m. fig. 3, n^os 1‑2), dans la fosse 125 de Berry‑au‑Bac (Demoule, Illet 1978 : fig. 33 et m. fig. 3, n^o 9), et de façon moins sûre à Villejuif (Bailloud 1974 : fig. 9, 8 et m. fig. 3, n^o 7).

2.3.2 Rubanés et groupes de Blicquy/ Villeneuve‑Saint‑Germain

33Fig. 3

34Le plan des maisons et les industries de silex nous avaient d’abord conduits à ranger le BQY dans le courant danubien de néolithisation, mais nous insistions néanmoins sur un certain nombre de traits qui le distinguaient du Rubané (Cahen, van Berg 1979, 1980). Les mêmes arguments allaient en mener d’autres à faire du VSG un héritier du RRBP (Constantin 1985 : 242‑243). Le débitage rubané comme celui du BQY‑VSG vise à la production de lames. Mais, à la différence du BQY au moins, les Rubanés ignorent la technique de la pression qui donne des lames plus longues et plus régulières que les leurs, produites par percussion. Cette opposition n’est pas un épiphénomène, car les deux méthodes requièrent une maîtrise technique et un apprentissage poussés. Il ne s’agit pas non plus d’adaptations à des matériaux particuliers, car même lorsqu’ils ont utilisé le même silex, les uns débitent à la pression, les autres non. Le BQY‑VSG ne possède ni les outils polis, ni le moulin à meule courante concave des Rubanés. Toutefois, les deux entités s’opposent le plus nettement par leur céramique, au doublé plan technique et ornemental.

35Les choses en étaient là quand nous nous rendîmes compte que les groupes rubanés et les autres étaient liés par des intrusions mutuelles.

2.3.2.1 En Hesbaye

36Les sites rubanés de Vaux‑et‑Borset et de Chapon‑Seraing ont livré, dans des fosses rubanées et en surface, des vases de céramique grossière dégraissée à l’os typique du BQY, des outils en silex provenant probablement de Ghlin (Hainaut), parmi lesquels un grattoir sur lame débitée par pression, ainsi que de nombreux bracelets en schiste et des déchets de leur fabrication (Docquier, Bit 1984). Un col de vase, des instruments lithiques de type blicquien et des fragments de schiste travaillé ont été livrés récemment par les fosses rubanées de Darion (étude en cours).

2.3.2.2 En Hainaut

37Deux bracelets en schiste ont été trouvés sur le site rubané d’Aubechies, l’un en surface de la fosse 9, l’autre dans la fosse 6 (Farruggia et al. 1978 : 191 et fig. 93 ; Constantin et al. 1980 : 380). Près d’un quart de l’outillage rubané du site est fait en silex de Hesbaye (Cahen, Docquier 1985 : 113). Les fosses blicquiennes d’Aubechies, creusées à moins de 100 m des fosses rubanées, contenaient 4 % de silex apparemment originaire de Hesbaye (Constantin 1985 : 233). On peut donc penser que des échanges avaient lieu dans les deux sens entre les Rubanés de Hesbaye et du Hainaut d’une part, et entre Rubanés et Blicquiens du Hainaut d’autre part, ainsi qu’entre Blicquiens et Rubanés de Hesbaye.

38Ces divers éléments prouvent que RRNO et BQY ont été contemporains pendant au moins une partie de leur existence et montre que la réattribution de tessons « Limbourg » de Rosmeer et d’Aubechies au Blicquien ne peut être rejetée pour des raisons d’ordre chronologique.

2.3.23 En Alsace

39Un tesson Rubané ancien orné de courtes frises de triangles disposés en champ libre (fig. 3, n^o 15), qui a de bons parallèles dans le BQY (fig. 3, n^o 14) a été trouvé sur le site de Dachstein (Heintz 1973 : pl. 9, n^o 30). Un bracelet en schiste a également été ramassé en surface à Dachstein/Am Geist (Thévenin 1984 : 255‑257).

40Par ailleurs, les bracelets rainurés en terre cuite dont on a pensé qu’ils étaient originaires d’Alsace (Jeunesse 1982) se rencontrent aussi sur huit sites VSG du Bassin parisien (Constantin 1985 : 233). Il y a aujourd’hui des raisons de supposer que leur diffusion s’est faite d’ouest en est ; mais quel qu’en soit le sens, tessons et bracelets sont des indices de contacts entre le Rubané alsacien et le VSG. Ces deux groupes pourraient donc aussi avoir été au moins partiellement contemporains. L’absence de tels bracelets dans le RRBP qui occupe une position géographique intermédiaire entre le Rubané d’Alsace et le VSG ne pose un problème quant à leur diffusion que si l’on soutient la séquence chronologique RRA/RRBPA3G, mais cet ordre n’est nullement prouvé.

2.3.2.4 En Allemagne

41Découvertes d’un bracelet en schiste (fig. 3, n^o 10) sur le site rubané de Merzenhausen Kr. (Jülich, Eckert et al. 1971 : fig. 51), et d’un tesson portant deux boutons circulaires appariés (fig. 3, n^o 13), à Rübenach (Kr. Koblenz, Dohm‑Ihmig 1979 : pl. 149, 4) ; ce genre de boutons appariés est connu dans le BQY‑VSG.

2,3.3 Rubané récent du Bassin parisien et groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain

42Fig. 3

43En Bassin parisien, des mélanges de matériaux RRBP et VSG sont attestés sur plusieurs sites.

2.3.3.1 Associations sûres

Armeau

44Une fosse fouillée en 1946 a livré ensemble des vases fins ornés, caractéristiques du RRBP, et d’autres grossiers, portant des lignes de pincements en V au‑dessus des anses, typiques pour le VSG. A part la présence de deux herminettes, le matériel lithique paraît plus proche du VSG que du RRBP (Nougier, Champault 1953 ; Constantin 1985 : 78).

Cuiry‑lès‑Chaudardes

45Un vase de la fosse 246 (fig. 3, n^o 11) porte, accrochée à un décor du bord en triangles, une figure en demi‑cercles concentriques tout à fait improbable dans le RRBP comme d’ailleurs dans les Rubanés, mais absolument normale dans le VSG comme dans le BQY. Constantin qui publie ce vase (1985 : 69 et fig. 58, 6) signale que cette figure ne se rencontre qu’à un seul exemplaire. Un second vase, piriforme large et aplati (Constantin 1985 : fig. 59, 3), orné sur toute la moitié supérieure de la panse de segments de bandes horizontaux exécutés au peigne, paraît ressortir au répertoire du BQY‑VSG (Cahen, van Berg 1980 : pl. 8, n^o 72). D’autres vases encore se prêtent à la même attribution (Constantin 1985 : fig. 58, 7‑8).

Menneville/Derrière‑le‑Village

46Un tesson, trouvé dans la fosse RRBP n^o 19 (fig. 3, n^o 5) est orné d’un décor de chevrons étirés verticalement, caractéristiques du VSG, et absents du RRBP comme de la Céramique du Limbourg (Coudait, Demoule 1982 : fig. 10, 8).

Château‑Landon

47Un vase portant un décor RRBP en angles, associé à une paire de boutons appliqués typiques du VSG (Constantin 1985 : 243 et fig. 68), illustre probablement un de ces cas d’interférence entre systèmes ornementaux analogue à ceux que van Berg (1986) a pu relever en Hainaut.

2.3.3.2 Associations possibles

48On pourrait ajouter à la liste précédente une longue série d’artefacts trouvés sur les mêmes sites, mais sans contexte archéologique précis : il s’agit soit de fouilles anciennes, soit de récoltes de surface. On ne peut donc exclure la possibilité que ces mélanges reflètent différentes phases d’occupation des mêmes sites. Nous en donnons quelques exemples à la figure 3. Mentionnons pour mémoire : Champigny‑sur‑Marne/Buisson Pouilleux (Val de Marne), Chaumont‑sur‑Yonne/Les Grahuches (Yonne), Cheny/La‑Noue‑aux‑Moines (Yonne), Choisy‑le‑Roi/Les Hautes‑Bornes (Val‑de‑Marne), Marcilly/Le Petit Marais (Loir‑et‑Cher), Menneville/ Derrière‑le‑Village (Aisne), Villejuif/Les Hautes Bruyères (Val de Marne), etc., où il s’agit tantôt de matériaux RRBP récoltés sur un site VSG, tantôt de l’inverse (fig. 3, n^os 3, 4, 6, 12). L’image d’ensemble est similaire à celle que nous avions observée en Belgique à propos du RRNO et du BQY : elle suggère la contemporanéité des deux ensembles pendant au moins une partie de leur existence.

2.3.4 La Céramique du Limbourg et les autres groupes du Nord‑Ouest

49Que la Céramique du Limbourg apparaisse comme un élément intrusif dans les Rubanés comme dans le RRBP ne signifie pas, on l’a vu, qu’elle ait été fabriquée sur un autre territoire : des potiers peuvent fort bien se déplacer et conserver leur tradition pendant plusieurs générations. Le fait que la Céramique du Limbourg soit régulièrement découverte hors des zones d’habitat rubané ou RRBP, sur sol sableux ou gréseux, voire même en position tout à fait excentrique, suggère qu’elle a pu constituer un objet d’échange ; la même réflexion vaut d’ailleurs pour les outils polis en roche dure qu’on retrouve en plus grande abondance, mais distribués selon le même principe, de la Belgique à la Pologne (Kozlowski comm. pers.). D’autre part, les vases Limbourg ne sont pas trouvés en plus grand nombre hors des zones d’habitat rubané ou RRBP qu’à l’intérieur de celles‑ci, ce qui donne à penser qu’ils ne constituaient pas la céramique propre à un groupe important. Enfin, leur mauvaise qualité générale et leur caractère totalement hors norme clans les Rubanés et le RRBP montrent qu’ils n’étaient pas destinés à satisfaire les besoins en poterie de ces milieux.

50Si cette céramique a fait l’objet d’échanges, c’était peut‑être plus en raison de son contenu ou de sa portée symbolique que de son caractère fonctionnel ; à moins que plus simplement, ses artisans aient été spécialisés dans les échanges avec l’extérieur ou dans le trafic de certains biens dont les sources se trouvaient en dehors du territoire rubané : roches dures telles que le phtanite pour la confection des outils polis, ocre, résine, variétés particulières de silex, etc., ou d’autres biens recherchés par les populations mésolithiques. De telles relations ont été observées en Pologne, dans la région de Sandomierz, où les Rubanés se fournissaient en silex auprès des Mésolithiques, tandis que ces derniers se procuraient des herminettes rubanées (Kozlowski S.K., comm. pers.).

51Dans la mesure où la Céramique du Limbourg accompagne aussi bien le Rubané ancien que le RRNO et le RRBP, elle doit représenter une tradition de potiers qui s’est maintenue pendant au moins un demi‑millénaire. Bien des hypothèses ont déjà été formulées quant à l’identité de ces derniers (Constantin 1985, 1986). La plus plausible nous paraît actuellement celle d’un petit groupe partiellement absorbé clans le monde rubané et RRBP. Cette supposition est confortée par le fait que la Céramique du Limbourg est la plus abondante aux marches occidentales du monde rubané : Hainaut et Hesbaye, Champagne et territoire du RRBP. Notons à ce propos que la Champagne ne représente pas une région en retrait par rapport au domaine RRBP ; les deux phénomènes ne sont pas synchrones ; la Champagne a constitué une zone frontalière du Rubané avant l’apparition du RRBP. Alors que les sites d’Aubechies, Juvigny et Cuiry‑lès‑Chaudardes ont fourni la majeure partie des vases Limbourg, sur les sites plus orientaux ou plus occidentaux, on n’en trouve généralement que quelques tessons sur plusieurs centaines, voire plusieurs milliers. La Céramique du Limbourg occupe donc une position marginale dans le territoire rubané, à la frontière de celui du BQY‑VSG.

52D’un autre côté, le dégraissant osseux, la morphologie des vases, la cuisson partiellement oxydante, le second système ornemental de la Céramique du Limbourg (panneaux verticaux accrochés au décor du bord) créent de puissantes liaisons entre celle‑ci et celle du BQY‑VSG. Or, c’est précisément dans cette zone limitrophe que les vases Limbourg comportent le pourcentage le plus élevé de dégraissant osseux (Constantin 1985 : 88‑89) –100 % à Cuiry‑lès‑Chaudardes– alors que plus à l’est la terre est majoritairement chamottée, le dégraissant osseux tombant à 40 % seulement. Ces pourcentages devraient évidemment être recalculés après soustraction des vases blicquiens et autres, mais la tendance ne s’en trouvera probablement pas modifiée. Il y a donc une forte corrélation régionale entre Céramique du Limbourg et groupe de Blicquy ; les deux ensembles participent à l’évidence de la même ambiance céramologique.

53Le problème des rapports entre céramique rubanée et de La Hoguette est analogue au précédent sur certains plans : présence d’un dégraissant osseux, de techniques de cuisson, de formes qui la rattachent à une ambiance céramologique occidentale. Elle n’a pas non plus été fabriquée par les mêmes potiers que les vases rubanés. On pourrait reprendre a peu de choses près le raisonnement précédent. Mais si le contact entre Rubané et Limbourg s’est clairement opéré par la voie septentrionale, il n’en va pas de même pour la céramique de La Hoguette dont le centrage géographique est nettement plus oriental. En effet, celle‑ci est attestée en territoire rubané non seulement par les sites alsaciens déjà mentionnés mais aussi par un certain nombre de sites rhénans encore inédits, dont l’établissement rubané ancien de Bruchenbrücken clans la région de Francfort (Stehli, comin. pers.). Il semble donc qu’ici le contact se soit opéré sur la frontière méridionale du domaine rubané. Et, ici encore, le fait que la Céramique de La Hoguette reste identique à elle‑même en territoire rubané alsacien comme ailleurs, plaide en faveur de sa fabrication par un groupe différent des Rubanés. Quelques indices, bien minces il est vrai (Dachstein, Rosmeer), donnent à penser que le BQY‑VSG a pu aussi entrer en contact avec le Rubané ancien. Nous verrons plus loin que de multiples indications stylistiques vont dans ce sens.

2.4 Les dates ¹⁴C

54Fig. 4

55« [...] ce que j’ai décrit en 1964 et dans les années suivantes comme le Rubané récent du Bassin parisien peut certainement se scinder en deux ensembles différents, proches dans le temps, mais essentiellement diachroniques, même si certains recoupements étroits demeurent possibles ; dans de nombreuses zones : Hainaut, Aisne, Oise, région parisienne, Yonne, on les rencontre dans les mêmes aires géographiques, ce qui exclut toute possibilité de contemporanéité.

56La proximité chronologique est cependant forte, au point que le ¹⁴C n’a pas la finesse nécessaire pour distinguer clairement deux plans chronologiques différents. On sait que dans le Hainaut un groupe de Blicquy a été identifié depuis peu (Cahen, van Berg 1979‑1980), occupant les mêmes sites que le Rubané récent de faciès omalien, et ne pouvant donc en être contemporain. » (Bailloud 1983 : 14) (c’est nous qui soulignons).

57A l’époque où il écrivait ces lignes, d’aucuns pouvaient encore donner raison à Bailloud. Depuis, la liste des sites à mélange reconnus s’est allongée, de nouvelles dates¹⁴C ont été calculées (Jeunesse 1985a ; Cahen, Docquier 1985 ; Breunig 1985 ; Raetzel‑Fabian 1986), et nous disposons de nouvelles données relatives à la calibration, à partir desquelles Gilot et Mahieu (1987) ont établi une table de conversion des dates B.P. en dates calendaires, avec arrondissement à la décennie la plus proche, pour la période de 80 à 8220 B.P. Celle‑ci nous a permis de préparer le tableau de la figure 4. On notera que les limites de l’intervalle de confiance d’un sigma ont été calibrées, en sorte que l’erreur n’est plus symétrique par rapport à la date.

58Nous disposons aujourd’hui de 70 dates utilisables pour le Rubané du Nord‑Ouest ancien et récent, 7 pour le Rubané d’Alsace ancien et récent, 15 pour le BQY‑VSG et 21 poulie RRBP. Les dates plus jeunes que 4500 et plus vieilles que 6000 av. J.‑C. n’ont pas été retenues parce qu’elles s’écartent trop de la moyenne et ne présentent entre elles aucune cohérence. Ces données permettent la mise en place chronologique des divers ensembles étudiés, aux intervalles de confiance près.

59Les dates obtenues pour 23 sites rubanés du Nord‑Ouest situent globalement le phénomène entre 5500 et 5000 av. J.‑C., sans exclure quelques prolongements locaux plus avant dans le V^e millénaire. Les dates antérieures à 5500 sont probablement aberrantes, dans la mesure où une série de cinq dates cohérentes placent le Rubané le plus ancien d’Europe centrale entre 6600 et 6430 B.P., soit entre 5510 et 5360 av. J.‑C. Il est donc probable, si on élimine les dates extrêmes, que l’apparition du Rubané ancien sur le Rhin inférieur se situe aux alentours de 5400/5300 avant notre ère. Or, la distribution statistique des dates anciennes et surtout récentes de la région connaît un mode entre 5300 et 5100 av. J.‑C. En première approximation nous proposons donc la séquence suivante :
– 5500‑5350 : Rubané le plus ancien en Europe centrale ;
– 5350‑5250 : Rubané ancien rhéno‑mosan ;
– 5250‑5200 : Rubané moyen ;
– 5200‑4900 : Rubané récent du Nord‑Ouest.

60Les sept dates vraisemblables pour le Rubané d’Alsace se répartissent en deux groupes, les trois premières entre 5350 et 5200, les autres entre 5000 et 4750.

61Les plus anciennes dates utilisables pour le RRBP, obtenues pour les sites d’Armeau, de Menneville et de Cuiry se placent aux alentours de 5200‑5100, tandis que les autres se situent entre 5100 et 4700 avant notre ère, avec un mode statistique entre 4850 et 4750.

62Les dates du BQY‑VSG posent le problème le plus épineux. En effet, les 15 dates utilisables couvrent plus de temps que le Rubané et se partagent en deux groupes : les plus anciennes entre 5700 et 5400 av. J.‑C., les autres entre 5300 et 4800. Or, les dates hautes et basses de Blicquy/Couture‑de‑la‑Chaussée (n^os 91 à 98) ont été plusieurs fois obtenues pour des structures liées par des remontages, sans qu’il y ait lieu d’incriminer ni les fouilleurs ni le laboratoire, dans la mesure où les dates d’Irchonwelz (n^os 99‑100) se classent dans le groupe des dates jeunes, tandis que celle d’Ormeignies (n^o 101) se range parmi les dates anciennes. Ces trois dernières semblent donc poser le même problème, alors que les échantillons ont été prélevés par d’autres fouilleurs et traités par un autre laboratoire. De plus, pour d’autres groupes ou d’autres périodes, la méthode fonctionne avec une précision satisfaisante. Puisqu’on ne peut admettre que ces dates renvoient à des phases chronologiques, il reste deux hypothèses : ou bien les échantillons jeunes ont été contaminés par des radicelles liées à des cultures intensives, ce qui dans certains cas pose un problème très réel, et le Blicquien est ancien, ou bien les dates anciennes sont dues à l’emploi de vieux bois ou de vieux arbres, auquel cas le Blicquien est jeune. Quelle que soit la solution retenue, le BQY‑VSG est contemporain du RRNO pendant au moins une partie de son existence.

63On peut tirer de tout ceci les conclusions suivantes :
– en dates calibrées, le Rubané d’Alsace est contemporain des Rubanés ancien et récent du Nord‑Ouest, mais survit peut‑être à ce dernier pendant un ou deux siècles ;
– le RRBP s’éteint en même temps semble‑t‑il que le RRA, mais au moins un siècle et au plus deux siècles et demi après le RRNO ; le phénomène RRBP aurait ainsi dure un peu moins de 500 ans ;
– même le groupe des dates les plus jeunes du BQY‑VSG ne permet pas d’en faire un successeur du RRNO ni du RRBP ; d’après les dates calibrées, le BQY‑VSG est contemporain du RRNO et lui suivit peut‑être, mais disparaît en tout cas avant la fin du RRBP.

2.5 Relations sud‑nord

64Fig. 5 à 8

65Pour que les divers groupes néolithiques anciens de l’Europe du Nord‑Ouest puissent raisonnablement avoir subi des influences méridionales, il ne suffisait pas qu’il y ait des affinités stylistiques nombreuses et évidentes entre les non‑Rubanés et le néolithique atlanto‑méditerranéen, ni que l’hiatus géographique entre les deux grands courants de néolithisation soit comblé, ni même qu’on découvre ou qu’on reconnaisse de la céramique cardiale aux abords de la Loire (fig. 1) ; il fallait encore que, dans le Nord, les conditions soient réunies pour que des influences culturelles puissent circuler entre les groupes. C’est ce que nous nous sommes efforcés de démontrer, en nous assurant par des arguments archéologiques et stylistiques de la contemporanéité au moins partielle de ces groupes et du fait que des échanges d’ordres divers avaient eu lieu entre eux. Dans un second temps, les dates¹⁴C ont été utilisées comme instrument de contrôle indépendant, et il est apparu qu’elles n’étaient pas en contradiction avec les conclusions précédentes.

66Nous ne reviendrons pas sur les listes d’attributs stylistiques des groupes du Nord et de leurs équivalents méridionaux, magistralement établies par Roussot‑Larroque (1993). Ils sont si nombreux que le hasard ne peut plus être invoqué a priori (fig. 5 à 8). Nous reviendrons ailleurs sur les affinités méridionales de la Céramique de La Hoguette qui sont aussi évidentes que dans les autres cas (van Berg 1987), et n’ajouterons ici que quelques remarques plus générales concernant des questions d’organisation du décor et les influences méridionales éventuelles subies par les Rubanés proprement dits. On peut en effet relever des traits qui opposent globalement tous les groupes non rubanés du Nord‑Ouest à la tradition céramique du Rubané ancien et les rapprochent en même temps des styles méridionaux. Dans la mesure où nous posons comme hypothèse de travail que ces groupes ont pu influencer les Rubanés récents, la comparaison doit se faire avec un Rubané à l’abri de tout soupçon de contamination, d’où le choix nécessaire du Rubané ancien, commun à toute l’aire d’extension du Rubané, et pas seulement à la vallée du Rhin.

67Le Rubané ancien (RA) trace ses figures géométriques au moyen de sillons et n’utilise que de petits groupes de grosses impressions en interruption, en élargissement ou en figure secondaire. Tous les groupes non rubanés exploitent abondamment de multiples variétés d’impressions et d’incisions courtes, répétées en rangées ou en bandes qui entrent dans la composition des figures.

68Les figures du RA sont réalisées au moyen de sillons simples, ou bien de rubans faits de deux sillons parallèles, éventuellement refendus par un troisième sillon médian. Aucun non rubané ne fait usage des seuls sillons pour tracer une figure linéaire. Les rangées et les bandes sont chez eux les principaux composants des figures. Même dans les décors en « T » du RRBP, les sillons ne constituent qu’une partie des figures et ne sont pas toujours présents.

69Le RA applique les figures sur la paroi en alignant les sommets sur les deux directions verticale et horizontale du vase, en sorte que leurs côtés recoupent celles‑ci obliquement. Tous les non‑Rubanés tendent, autant que possible, à aligner les côtés des figures verticalement et horizontalement.

70Le RA ignore le décor du bord. Tous les non‑Rubanés l’utilisent, de manière facultative ou obligatoire.

71Le RA équilibre ses figures principales de part et d’autre d’une ligne imaginaire horizontale, située à peu près à mi‑hauteur de la panse, en sorte que le regard passe en permanence du même au même renversé. Tous les non‑Rubanés orientent le décor de la panse, en l’accrochant soit au rebord, soit au décor du bord.

72Le RA oppose systématiquement un décor principal à un décor secondaire de la panse. Tous les non‑Rubanés ignorent ce principe.

73Alors que le RA tend à connecter entre elles les figures principales, les non‑Rubanés les distribuent sur la surface en les séparant par de larges régions vides, à l’exception du premier système ornemental de la Céramique du Limbourg.

74Qu’observons‑nous à présent si nous nous tournons vers les Rubanés récents ?

2.5.1 Le RRNO

75Le RRNO utilise abondamment impressions et incisions en rangées destinées au remplissage de figures héritées du RA. Elles y constituent donc un apport secondaire. De plus, la technique du peigne, commune à tous les non‑Rubanés à l’exception de la Céramique du Limbourg, est restée dans les Rubanés récents un phénomène purement occidental (Dohrn‑lhmig 1976).

76Dans le RRNO, les figures tracées au moyen de bandes de motifs non bordées appartiennent aux ensembles stylistiquement les plus éloignés du RA.

77Dans le RRNO, le décor du bord est obligatoire et majoritairement réalisé à l’aide d’impressions ou d’incisions.

78Le répertoire des figures secondaires du RA comportait des angles, des spirales, des triangles et des losanges ainsi que de petits groupes d’impressions éventuellement réunies par de courts sillons. Le RRNO y ajoute une figure nouvelle, sous forme d’un segment rectiligne appliqué verticalement ou horizontalement sur la paroi, et donc aligné cette fois sur l’une des deux directions du vase. Et, alors que les autres figures secondaires sont réalisées en sillons simples ou en ruban comme par le passé, mais le plus souvent remplies, le segment est systématiquement réalisé au moyen de rangées ou de bandes de motifs, et très rarement en ruban. De plus, alors que le Rubané et en particulier le RRNO est doté de structures décoratives extrêmement rigides, ici l’usage paraît hésiter entre l’emploi des grosses impressions héritées du RA et les nouvelles variétés de petits motifs exécutés au poinçon ou au peigne. Ici encore, il s’agit manifestement d’un apport secondaire. On ne sera pas surpris de constater que le segment vertical (et parfois aussi l’angle renversé) peut être connecté au décor du bord, alors que les figures traditionnelles ne le peuvent pas.

2.5.2 Le RRA

79A l’exception de celle qui concerne le remplissage, les remarques précédentes sont aussi valables pour le RRA. Notons cependant que le segment secondaire n’y est pas réalisé au moyen de grosses impressions. On peut se demander si l’emploi régulier du peigne à deux dents n’est pas un emprunt à la Céramique de La Hoguette, systématiquement décorée au moyen de cet outil, alors que le peigne à dents multiples, largement employé en Bassin parisien, n’apparaît que de manière sporadique en Alsace. Le remplissage est absent. Alors que dans le RRNO l’adoption généralisée de celui‑ci a entraîné des modifications dans le système des interruptions et des élargissements, ces phénomènes n’apparaissent pas dans le RRA.

80Tout se passe donc comme si les traditions des deux groupes frontaliers, RRNO et RRBP, avaient été l’une contaminée par des influences extérieures, et l’autre presque entièrement absorbée par ces dernières, tandis que le RRA, protégé peut‑être par son bouclier du Bassin parisien et séparé stylistiquement du RRNO par sa non‑réception du remplissage, avait subi moins en profondeur les influences méridionales.

2.6 La néolithisation : quel scénario ?

81La réalité d’influences méridionales sur les groupes non rubanés de l’Europe du Nord‑Ouest se trouvant établie à la fois sur des bases stylistiques et archéologiques et sans contradiction par les datations radiométriques, il apparaît également que les styles rubanés récents les plus occidentaux présentent par rapport à la tradition centre‑européenne des innovations qu’il est difficile de ne pas attribuer à la confrontation du Rubané ancien avec les groupes d’obédience méridionale. On peut ajouter à tout cela que la découverte de graines de pavot dans huit sites rubanés récents (Bakels 1982) illustre concrètement une circulation de biens d’une extrémité à l’autre du territoire envisagé.

82A ce point, nous sommes en mesure d’esquisser un scénario chronologique cohérent de la néolithisation de l’Europe du Nord‑Ouest. Soit, avec les réserves d’usage, la séquence suivante :

83– vers 5400 avant notre ère, installation du Rubané ancien sur le Rhin ;

84– entre 5350 et 5200 : apport de la Céramique du Limbourg dans des villages rubanés anciens de la Meuse et du Rhin, et apport de la Céramique de La Hoguette dans les vallées du Rhin moyen et du Neckar ; premiers contacts (?) des Rubanés avec des Occidentaux néolithisés au moins en partie par la voie méridionale ;

85– mise en place, au plus tard vers 5200, du BQY‑VSG ; cette date limite paraît imposée à la fois par les dates¹⁴C « jeunes » du BQY‑VSG, et par les dates relatives au développement du Rubané récent qui se met certainement en place vers 5200 ; or, la transformation stylistique qui a produit le Rubané récent ne s’explique pas en l’absence du BQY‑VSG ;

86– vers 5200 encore, installation en Champagne, sur le site de Norrois (Chertier, Tappret 1982), de Rubanés originaires d’Alsace ; la céramique de ce site ne possède en effet qu’en partie les traits qui caractériseront le Rubané récent ;

87– à partir de la rencontre avec le BQY‑VSG (5250 au plus tard), transformation rapide et importante de la Céramique rubanée ancienne dans le Nord‑Ouest, au moment où cette transformation est effective et complète, le BQY‑VSG possède des maisons dont les plans ont leur équivalent dans le Rubané contemporain ;

88– après 5200 ( ?), pénétration de Rubanés originaires du Haut‑Rhin dans le Bassin parisien, alors occupé par le VSG et peut‑être par d’autres groupes (Augy‑Sainte‑Pallaye ? groupes méridionaux non encore découverts ?) ; une composante rubanée, et une autre majoritaire et d’origine méridionale s’y amalgament en un nouveau style ornemental ;

89– de 5200 à 5000/4900, RRNO, RRA, RRBP, BQY‑VSG et Céramique du Limbourg coexistent ;

90– entre 5000 et 4850, d’abord extinction du RRNO, mais survivance probable du RRA et du RRBP jusque dans le courant du IV^e millénaire, tout ceci aux intervalles de confiance près, bien entendu ; nous ne disposons pas d’éléments pour caler chronologiquement la fin du VSG, non plus que celle du groupe d’Augy‑Sainte‑Pallaye, qui témoigne aussi d’influences méridionales (Roussot‑Larroque 1993)

91Beaucoup de choses restent à expliquer. Entre autres, pourquoi l’héritage méridional n’a pas été recueilli partout comme un bloc. En effet, malgré une certaine quantité de traits communs, des différences systématiques distinguent entre eux les styles céramiques du Limbourg, de La Hoguette, du BQY‑VSG et du RRBP. Or, les traits qui dans le Nord nous semblent distinctifs, apparaissent souvent ensemble sur les sites du Midi. Ce phénomène résulte‑t‑il de notre ignorance en ce qui concerne la chronologie fine du Néolithique ancien méditerranéen et sommes‑nous victimes d’une illusion perspective qui nous fait amalgamer des niveaux successifs ? Ou bien pouvons‑nous penser que des raisons d’ordre symbolique, économique ou social ont entraîné une différenciation parmi les porteurs d’une koïnê morphologique et ornementale ?

92Il s’agira également de savoir si les Rubanés ont rencontré d’authentiques méridionaux ou des populations locales néolithisées sous la pression de ceux‑ci. La question trouvera sans doute un début de solution dans l’examen de la séquence des industries lithiques. Il semble en effet que certaines des armatures utilisées par les Rubanés occidentaux et par les non‑Rubanés soient des formes évolutives d’objets mésolithiques. Si l’on ajoute à cela la présence d’artefacts rubanés en dehors des zones d’habitat néolithique, les découvertes sporadiques d’outils mésolithiques dans des fosses rubanées, le mélange d’industries mésolithiques à trapèzes et de vases rubanés dans les abris de Bavans, et éventuellement les trouvailles isolées de Céramique du Limbourg et de La Hoguette, on commence à entrevoir que les Rubanés, loin d’avoir migré dans un Occident vide, se sont avancés dans un territoire qui devait être occupé à la fois par des Mésolithiques et par des populations liées d’une manière ou d’une autre au complexe néolithique méridional.

93Août 1987