Les habitats du lac de Paladru (Isère) dans leur environnement
| ,Conclusion. Charavines‑Colletière et la révolution de l’an Mil
Texte intégral
1Celtes les recherches sont loin d’être achevées à Charavines et autour du lac de Paladru. Mais, en l’état, le bilan de près de vingt ans de fouilles et d’études est loin d’être négligeable.
2Colletière est un site exceptionnel à plusieurs titres : datant d’une période clé dans la formation de la société médiévale, situé dans une région où se rejoignent les traditions méridionales et celles du monde germanique, bien conservé jusque dans ses vestiges les plus périssables par les eaux qui l’ont recouvert. Mais il y a beaucoup à parier qu’il est représentatif d’un type de société qui, à des nuances près, a dû caractériser le monde rural de ce temps.
3Exceptionnel et en même temps représentatif : le paradoxe exigeait que fussent mis en œuvre, pour ne pas gaspiller la ressource, des moyens et des méthodes permettant d’aboutir, avec le plus haut degré de fiabilité possible –mais l’archéologie, comme toute science, a ses limites et ses incertitudes– à une interprétation historique. Pour des périodes aussi rapprochées de nous, l’étude des modes de production et de la typologie des artefacts, qui fait l’essentiel de l’archéologie des périodes plus anciennes, ne présente guère d’intérêt.
4C’est la raison pour laquelle nous avons été condamnés à l’innovation. La fouille stratigraphique en milieu subaquatique, rappelons‑le, n’était pas pratiquée à l’époque : il a fallu mettre au point, de concert avec nos collègues préhistoriens, de nouvelles méthodes. Nourris de préhistoire autant que d’histoire, de géologie autant que de géographie, inspirés par la lecture ou l’enseignement de maîtres comme Edouard Salin, Michel de Boüard, Gabrielle Démians d’Archimbaud ou Henry de Lumley, qui chacun à sa manière, montraient la voie de la confrontation de méthodes autrefois étanches les unes aux autres, nous avons privilégié l’interdisciplinarité –archéologie, sciences de la nature, sciences « dures », histoire ont été conjuguées– autant que nos moyens nous le permettaient. Si l’on a opiniâtrement poursuivi la fouille, on a voulu aussi étendre l’enquête, là encore avec les méthodes appropriées, à un territoire, terres pâturées, cultivées et nature vivrière ensemble. Et puisque la réalité de l’histoire ne se laisse entrevoir qu’à l’occasion de ses transformations, de son évolution, lorsque les différences sont mises en lumière par les textes comme par les mutations de la culture matérielle, nous avons élargi le champ chronologique de nos investigations à l’ensemble des temps historiques, tout en gardant pour centre et pour objet principal l’an Mil, et Charavines.
5Si nous éprouvons le besoin de nous expliquer sur ces choix, c’est qu’ils ont prêté à discussion. Ils n’ont pas été toujours bien compris des instances dirigeantes de la recherche, il s’en faut de beaucoup, et surtout au début, voici près de vingt ans, à un moment où le mot « archéologie » avait un autre sens qu’aujourd’hui. Mais les soutiens que nous avons reçus, davantage d’ailleurs des décideurs rapprochés que de ceux qui siègent au niveau central, ont suffi à nous faire persévérer. Ces choix ont posé –et posent encore, malgré les progrès accomplis– des problèmes structurels : le réseau des laboratoires, les modes de financement, les procédures d’évaluation sont peu adaptés aux besoins de travaux interdisciplinaires et nécessairement pluriannuels. Ils ont surtout posé –et posent encore– des problèmes théoriques, aux effets malheureusement bien concrets : difficultés des spécialistes à s’accorder sur une problématique commune, chacun suivant plus naturellement la pente de sa propre technique ; à coordonner leurs prélèvements et leurs analyses mais surtout leur réflexion et son expression écrite. Et pourtant, combien est féconde l’interpellation réciproque des disciplines ! Les découvertes les plus novatrices, on le sait, s’effectuent souvent à la marge des spécialités : encore faut‑il qu’elles veuillent bien, chacune, sortir du champ assuré qui est le sien et s’aventurer dans l’intervalle incertain qui les sépare... Dans ces domaines nouveaux, la référence à des échantillons statistiquement fiables est nécessaire. Dès qu’il faut entreprendre un grand nombre d’analyses, les laboratoires existants ont du mal à suffire. Il faut décider, pourtant, de continuer un travail considéré, surtout pour des périodes récentes, moins « prestigieux » que la préhistoire, comme du simple « service »... On pourrait continuer l’énumération. Si l’on a réussi à surmonter certaines difficultés –mais pas toutes, ce qui ne suffira pourtant pas à excuser les insuffisances de cette publication intermédiaire– c’est grâce à la foi et l’engagement personnel de quelques chercheurs, davantage qu’aux grandes structures nationales de la recherche. Que l’on ne voie pas ici l’expression d’une amertume ; il s’agit simplement de témoigner, afin que l’évolution aujourd’hui commencée s’accélère, et que nos travaux soient moins isolés.
6Les recherches du lac de Paladru ont joué un rôle non négligeable dans la genèse de l’archéologie médiévale pratiquement inexistante voici trente ans en Rhône‑Alpes comme dans toute la France (De Boüard 1975), en particulier dans le monde rural (Debord 1991). La typologie de la poterie a mis en exergue un « fossile directeur » précieux, la céramique à fonds marqués, l’existence –et la chronologie assez précoce– des mottes castrales ont été révélées, de même qu’a été dressé un catalogue d’objets aux fonctions très variées mais d’une forte cohérence chronologique et culturelle, Une véritable ethnographie d’une communauté rurale du Moyen Age a pu être étudiée. Enfin, on a établi une courbe de référence dendrochronologique valable pour les Alpes du Nord et le Rhône moyen.
7Mais au‑delà, c’est au problème de la grande mutation de l’an Mil, des conditions de son déroulement et de ses origines, sujet controversé s’il en est, que conduisent tout naturellement nos recherches. Les grands défrichements de la forêt riveraine du lac de Paladru datent précisément, comme tous ceux des régions subalpines, des lendemains de l’an Mil. Absolument synchrones, assez massifs bien qu’il soit trop tôt pour se risquer à une évaluation de la population, ils témoignent de la fin d’un modèle social –encore assez proche de la structure domaniale carolingienne, héritée de l’Antiquité gallo‑romaine– et d’une initiative supérieure, comtale ou épiscopale. Les communautés aux fonctions polyvalentes qui s’installent dans des résidences fortifiées, vivent sinon dans l’opulence, du moins dans un certain bien‑être : équipement abondant, nourriture suffisante et variée, signes d’un niveau culturel et social élevé –instruments de musique, jeux, monnaies, armes, cavalerie– qui évoquent davantage l’aristocratie que la simple paysannerie. Cette polyvalence n’est surprenante qu’à première vue : elle évoque bien la période de mutation sociale, juridique et fonctionnelle que constituent les xc‑xie siècles, et que laissent transparaître les trop rares textes de cette époque au travers des incertitudes sémantiques (Poly, Bournazel 1991). Si ce sont bien les résidents de Colletière qui pratiquent la métallurgie et l’agriculture, ce que laissent penser les données archéologiques, ne pourrait‑on imaginer que leur savoir‑faire traduit une origine modeste (artisans, paysans) et que leur position de défricheurs leur a permis de se parer de prérogatives aristocratiques, comme les esclaves qui en pareil cas se trouvaient émancipés ? Jusqu’aux bâtiments, spacieux et solides, dont le plus important mérite à n’en pas douter le nom d’aula. Société en mutation, comme toute celle de ce temps, n’est‑elle pas représentative de ce « tournant de l’an Mil », où, dans le grand creuset d’une Europe en pleine croissance, s’atténuent momentanément les différences juridiques entre les hommes, alors que de nouvelles richesses et les violences, en l’absence de toute régulation de pouvoirs centraux déliquescents, vont contribuer à fonder un ordre social, issu certes de la tradition germanique, mais totalement nouveau dans sa forme ?
8C’est justement au monde du nord et de l’est de l’Europe que font penser les objets collectés en abondance à Charavines. C’est « l’Europe du bois », l’univers germanique, anglo‑saxon, Scandinave et slave qui livre les sites et les collections les plus proches de ceux du lac de Paladin. Simple hasard de la conservation des matières organiques ? Sûrement pas, puisque la similitude s’étend à la disposition des éléments architecturaux, à la métallurgie du fer, et peut‑être même à la céramique. Est‑il si déraisonnable d’imaginer –mais évidemment c’est une hypothèse risquée– une origine nord‑orientale aux marques de céramique, si proches de celles, contemporaines, de Pologne et de Russie, dont elles sont pourtant séparées par plus de mille kilomètres ?
9Mais revenons un instant aux mutations de l’an Mil. L’expansion démographique, les transformations sociales et économiques, jusqu’au nouvel essor religieux, rien de tout cela n’est contesté. Et découvrir le témoin d’une colonisation de nouvelles terres, commanditée ou non par un puissant, n’est guère plus qu’apporter une nouvelle preuve, un peu plus spectaculaire qu’à l’ordinaire, d’un phénomène que toponymie, étude des textes et archéologie avaient déjà mis en évidence. Mais essayons de tirer parti jusqu’au bout des données recueillies ici. La grande question, illustrée brillamment par de nombreux historiens parmi lesquels, très récemment, Robert Fossier (Fossier 1982 et 1991) et Guy Bois (Bois 1989), chacun tenant d’une hypothèse opposée, est celle des causes qu’il faut bien trouver à cette mutation. Cette « révolution de l’an Mil » a ceci de particulier qu’elle touche quasiment toute l’Europe, du nord au sud et de l’est à l’ouest, renversant des mouvements de population millénaires, modifiant et uniformisant –imparfaitement bien sûr, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter–les rapports sociaux, dessinant le brouillon de la carte des grandes principautés qui seront la base de l’Europe des nationalités, et ceci quelles que soient les ethnies, les cultures, les langues.
10Tous s’accordent à voir dans l’expansion démographique l’une des causes les plus directes de cet événement. Et nul doute que la fin du xe et le début du xie siècle aient connu une telle expansion, identifiable à la remise en culture de terres abandonnées et à la poussée de défrichements (Falque‑Vert s.d. : 131). En effet, davantage d’hommes, en des temps où l’imperfection des techniques agraires empêchait d’intensifier les cultures, provoquait facilement des surpeuplements relatifs, aboutissant à l’expulsion de fractions importantes de la population –probablement souvent les plus jeunes et les moins nantis– vers de nouveaux territoires. Un sol plus largement exploité devait immanquablement déterminer un accroissement des richesses, modifier les équilibres économiques. Le tarissement des sources de l’esclavage –la guerre, pour une bonne part–, l’accession à la richesse d’hommes nouveaux, ayant abandonné leur statut servile en quittant leur terre d’origine (Flori 1986 : 55), devaient transformer la société toute entière.
11Certes, mais les causes de cette expansion démographique ? Les uns y voient simplement le franchissement d’un seuil d’équilibre dans une croissance continue depuis l’Antiquité, renforcé par l’amélioration des techniques agraires et par celle de l’encadrement des hommes, qu’il soit religieux ou laïc. Les autres émettent l’hypothèse d’une évolution climatique suffisante pour entraîner, par le biais d’une meilleure nutrition, une forte pulsation démographique. Le lac de Paladin, véritable enregistreur des variations climatiques dans ses varves, dans les cernes d’accroissement annuels des bois qu’il a conservés, témoigne d’une réelle évolution du climat, dont rien ne permet de penser, bien au contraire, qu’elle se restreignit à sa micro‑région. Il témoigne d’une série de cycles climatiques, d’une sécheresse accrue, favorables à une agriculture essentiellement céréalière ; il explique pourquoi c’est ce moment que l’on choisit pour occuper subitement et définitivement les moyennes montagnes préalpines, jusque‑là délaissées parce que froides et rudes, si l’on excepte les épisodiques incursions des chasseurs d’ours du Paléolithique inférieur, des chasseurs de marmottes du Paléolithique supérieur, des mineurs de silex de la fin du Mésolithique et des carriers de l’époque romaine.
12C’est une théorie, et nous savons qu’elle semble trop simple et trop déterministe. L’avenir, au mieux, la nuancera –il est hors de doute que l’élément climatique, même s’il fut déterminant, ne suffirait pas à expliquer, seul, la « révolution de l’an Mil »– au pire la détruira. Mais trop d’indices convergent, on voudra bien en convenir, si l’on examine la variation du niveau du lac, l’évolution du rapport oxygène 16 / oxygène 18 dans la cellulose du bois, la dendrologie, et si l’on en confronte les résultats avec les quelques textes intéressant ce sujet. Et, contre‑épreuve sinon preuve, l’archéologie ne révèle rien de cette évolution technologique que l’on voudrait si déterminante : type et rotation des cultures, amendement des terres, instruments et outils, rien n’est véritablement différent depuis l’époque gallo‑romaine. S’il y a eu découverte technique, c’est bien avant qu’elle s’est produite.
13Bien sûr, l’évolution climatique ne peut à elle seule tout expliquer. Et qu’il soit bien entendu ici que nous lui donnons le rôle de l’étincelle dans un baril de poudre : d’autres facteurs étaient nécessaires, mais ne nous paraissent pas avoir été suffisants.
14Mais le temps se déroule. Aux embellies de la deuxième moitié du xe siècle et du début du xie succède une légère péjoration, peut‑être amplifiée par une petite catastrophe écologique », si les terres trop drastiquement défrichées des pentes du lac ont été érodées par les pluies. Le lac remonte, les habitats riverains trop humides voire même engloutis sont abandonnés. Nouvelle phase : le surgissement anarchique de multiples pouvoirs privés, centrés sur des fortifications de terre et de bois, mottes et enceintes castrales, mouvement « d’enchâtellement » qui n’est pas propre à la région. La société commence à prendre une physionomie médiévale plus affirmée, les mottes, espaces défensifs trop restreints pour abriter davantage que les premiers lignages chevaleresques, sont à la fois des symboles et les instruments du commandement. Ailleurs, aux emplacements qui seront les leurs jusqu’à aujourd’hui, se regroupent les villages, autour des églises et de leurs cimetières et bientôt des prieurés qui deviennent des éléments, aussi essentiels que les châteaux, de l’encadrement des hommes. Puis, dès avant la fin du siècle, les pouvoirs émiettés et spontanés sont rassemblés. Quelques châteaux reçoivent des lignages seigneuriaux plus importants, obligeant les milites à se mettre à leur service ou à disparaître, détruisant leurs mottes : ce sont les Clermont, les Virieu et les Paladru, et le mouvement de concentration des pouvoirs se poursuivra durant les xiie et xiiie siècles au bénéfice des premiers. Quoi qu’il en soit, en trois phases rapides et enchaînées, au total moins d’un siècle, le terroir se crée ex nihilo, sa physionomie se transforme et, pourrait‑on dire, se fige sinon jusqu’à nos jours, du moins jusqu’à la Révolution. L’organisation « féodale » s’est mise en place, et la chronologie comme la forme –très imparfaite– qu’elle prend dans cette région reflètent bien des caractéristiques communes à tout le Dauphiné.
15Mais alors, objectera‑t‑on, si le déterminisme climatique a été aussi important, pourquoi le retour à des temps moins cléments –plus froids et plus humides– n’a‑t‑il pas entraîné une récession démographique ? La première raison est liée à la résistance des hommes aux épreuves. Conquérir une terre, la défricher, la planter, est long et difficile. Il y faut de bonnes raisons. Line fois que l’on s’y trouve, on peut faire face aux difficultés. Ainsi font les assemblages végétaux qui, s’étant installés à la faveur d’une phase climatique particulière, se maintiennent alors que l’environnement leur est de moins en moins favorable. Au surplus, rien ne dit pour l’instant, même si le lac est remonté, que le climat se soit beaucoup détérioré. Si l’on a pu évaluer dans une certaine mesure l’assèchement des xe‑début xie siècle, le travail reste à faire pour la période suivante. Mais surtout, l’encadrement des hommes a changé. La châtellenie a pris la place du domaine foncier, et le seigneur, présent sur son territoire et dépendant du travail des paysans et artisans qu’il domine, veille et organise, protège et exploite. C’est là que les améliorations technologiques –mais les principes en étaient connus depuis bien longtemps, s’ils n’étaient pas appliqués faute de bonnes raisons pour le faire– interviennent. Par exemple, le moulin banal n’est pas seulement un outil commode et rapide, c’est un investissement lourd, qui réclame une puissance financière, et qui permet d’exercer un droit de prélèvement puisque le seigneur qui l’établit a pouvoir d’obliger les paysans à y recourir : intérêt partagé à l’utilisation d’une technologie productrice.
16Il faudrait pousser le raisonnement, étudier à fond les xiie et xiiie siècles dans le pays du lac de Paladru. Mieux connaître les pouvoirs seigneuriaux, ceux de l’église – le lourd contentieux qui oppose archevêques de Vienne et évêques de Lyon en dit long sur la force des prétentions ecclésiastiques dans la région. Mieux discerner aussi les pouvoirs comtaux, savoyard et delphinal, issus du démembrement de l’ancien royaume de Bourgogne passé dans la mouvance impériale, dont on croit deviner la naissance très tôt mais qui décidément, faute de textes clairs, échappent encore. Pouvoirs comtaux qui trouvent, jusqu’au traité de Paris, un théâtre d’affrontements militaires dans une région stratégique pour l’accès à Grenoble. Mais chaque chose en son temps. Nous comptons poursuivre nos recherches dans un champ si fécond, et nous espérons bien qu’elles apporteront davantage que de simples compléments.
17Car bien des sujets restent à explorer. Sur le site lui‑même d’abord, il est essentiel, afin de fournir un modèle complet et fiable, d’achever la fouille de l’ensemble des structures, externes et internes. Par exemple, combien sera instructive l’exploration de la langue de terre située au nord‑est du site, à l’extérieur de la palissade, cabanes de dépendants assumant une partie des travaux agricoles et artisanaux ou installations connexes (ateliers) ? A ce moment seulement on pourra aborder sérieusement les questions du nombre des habitants, de la répartition des âges et des sexes, des structures familiales, de la présence ou non d’une main‑d’œuvre servile. Sur les collections recueillies, bien des études spécialisées, plus proprement typologiques par exemple, restent à entreprendre. On pourra certainement savoir la provenance précise des minerais utilisés pour la métallurgie du fer, celle des céramiques. Pour l’étude des climats, on trouvera intérêt à appliquer nos méthodes aux périodes qui précèdent, depuis l’âge du Bronze, et à celles qui suivent, jusqu’au xviiie siècle en recherchant notamment des traces du « petit âge glaciaire ». Qui sait si l’on ne pourra pas démontrer que la plupart des grandes périodes d’expansion et de mutation –Néolithique moyen‑récent, Bronze final, La Tène, ier‑iie siècles, puis xie siècle– coïncident avec des épisodes climatiques favorables, et l’inverse ?
18L’homme a toujours dépendu de la nature, tout le sens de son évolution allant vers son adaptation, puis sa domination... Préoccupation qui a un sens, en ces temps de prise de conscience du risque écologique.
19On peut aussi espérer affiner davantage encore la chronologie de l’abandon des sites littoraux. Une perspective passionnante serait aussi l’exploration archéologique d’une partie des sites où se transfèrent pouvoirs et hommes dès le milieu ou la fin du xie siècle – à moins qu’une pousse plus précoce y ait déjà pris racine : église et village de Charavines, château de Clermont. Pourquoi ne pas, enfin, étudier les vestiges heureusement conservés à l’écart du monastère moderne, de la Chartreuse de Silve Bénite ? L’étude exhaustive des textes, surtout abondants aux xiiie et xive siècles, devrait nous apporter, conjuguée avec l’archéologie, de précieux renseignements sur le devenir de nos colons, et peut‑être nous permettre de tenter d’appliquer les méthodes de l’histoire régressive...
20Ainsi le pays du lac de Paladru ‑ qu’on nomme à présent Val d’Ars, preuve que la légende de la dame d’Ars, issue tout droit des profondeurs du Moyen Age, l’imprègne encore – ce pays tout pétri de ses origines presque arithmétiquement millénaires, continuera‑t‑il pour alimenter la réflexion des spécialistes comme du grand public, et en tout cas pour le plus grand bonheur des chercheurs, à livrer les chapitres d’une passionnante histoire, envisagée sur la longue durée et sur toute la superficie d’un pays.
21Presque à l’aube d’un nouveau millénaire, à un moment où une autre poussée démographique menace l’écologie planétaire, et où de nouveau évoluent les climats, ne peut‑on trouver un intérêt très direct à l’étude de ce qui s’est passé voici mille ans ?
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1993