1La place importante de la céramique, le développement du polissage de la pierre au Néolithique et, à partir du Chalcolithique et durant l’âge des Métaux, le rôle considérable pris par les productions métalliques, ne doivent pas cependant reléguer au second plan l’outillage sur substances dures animales qui a trop souvent été jugé sans intérêt et qualifié de monotone. En fait, par la qualité des techniques, le choix du matériau, la variété des formes, ces objets témoignent du maintien de certaines traditions et de gestes précis acquis au cours du Paléolithique supérieur et de l’Epipaléolithique. A partir du Néolithique, la matière première va changer ; il semble logique que, désormais, les os d’animaux domestiques l’emportent sur ceux des bêtes sauvages. Le degré de transformation de l’outil par rapport à l’os, ou au bois d’origine, sera quelquefois beaucoup moins sensible que durant le Paléolithique supérieur, au cours duquel le prélèvement de baguettes osseuses et leur aménagement ne permettent plus, dans bien des cas, de reconnaître l’os ou le bois initial. A partir du Néolithique, il est souvent très facile d’identifier très précisément l’origine anatomique des outils (os, animal). Cette faible transformation témoigne peut‑être d’une certaine paresse inhérente à tout progrès, mais ne permet en aucun cas de l’attribuer à une décadence. La loi du moindre effort régit l’homme qui progresse et cela dès les temps les plus anciens de son histoire : elle reflète les acquis de son intelligence et l’adaptation de son outillage à des besoins précis qu’il n’est malheureusement pas toujours facile ni même possible de saisir à travers ses réalisations. Nous verrons en effet se multiplier les objets perforants, se maintenir la fabrication d’objets tranchants ou mousses et apparaître des formes nouvelles : cuillers, pointes de flèches, peignes, types nouveaux d’épingles, etc.

5.1.1 Les techniques

2Seuls un examen précis et une analyse très fine de tous les déchets de fabrication ont permis d’obtenir une approche valable de la technologie préhistorique sur substances dures animales.

3Une simple percussion oblique permet de faire sauter le proximum et d’aménager une pointe sur un os long : le distum conservé intact constitue une poignée naturelle. Le plus souvent, le métapode (fig. 125) qui est un os double est partagé en deux selon des techniques variées. Il peut être simplement abrasé, technique apparue au Néolithique ancien, et qui a été mise en lumière par F. Poplin (1974) : le métapode posé à plat sur une meule de grès est usé par frottement sur l’une et l’autre face jusqu’à ce que la paroi osseuse s’amincisse et finisse par s’effondrer, laissant voir la cavité médullaire. Progressivement, il ne reste plus du fût naturel de l’os que les parties latérales. Deux baguettes sont encore réunies par un lambeau d’épiphyse aux deux extrémités ; ces attaches vont céder facilement ; il ne restera plus qu’à appointer chacune des deux parties détachées l’une de l’autre pour obtenir deux poinçons dont la section du fût et de l’extrémité proximale sont subrectangulaires. Ce procédé sera utilisé jusqu’à l’âge des Métaux. Mais il existe d’autres moyens plus répandus pour aménager un métapode : rainurage longitudinal le long de la cloison interne pour partager l’os en deux, association du rainurage et de l’abrasion. Dans tous les cas, le façonnage peut être réalisé par raclage et/ou par abrasion, procédés qui se retrouveront jusqu’à l’âge du Bronze.

4Quant aux différents objets préhistoriques prélevés dans le bois de Cerf, ils peuvent être replacés dans la ramure initiale, grâce aux travaux de A. Billamboz (1977) qui a montré que, dans la première phase du Néolithique, seule une faible partie de la ramure était utilisée ; dans la deuxième phase, la moitié inférieure sera surtout mise à profit, tandis qu’au cours du Néolithique final, on tirera le plus grand parti possible de la ramure, ce qui entraîne une production plus diversifiée et moins dispendieuse, mais de moins bonne qualité, du moins à nos yeux.

5Le décorticage du bois de Cerf est apparu dès le Néolithique moyen : cette technique de mise en forme et de dégrossissage du bois permet d’enlever la perlure. Il servira aussi, et plus particulièrement durant l’âge du Bronze moyen et final, à façonner certaines spatules des Terramares, fait observé à Castione dei Marchesi (Emilie, Italie), par N. Provenzano (Mutti et al. 1988)

6Le bois de Cervidé est souvent débité longitudinalement dans le sens naturel des fibres. Toutefois, il peut être nécessaire d’arrêter cette segmentation par des incisions transversales perpendiculaires, pour pallier la tendance à la fissuration du bois de Cerf. Le sectionnement transversal soit des andouillers, soit du merrain, pour obtenir des segments destinés à la fabrication de manches, de pointes ou de tranchants est souvent effectué par entaillage en percussion lancée : les gorges ainsi obtenues sont irrégulières et les fibres écrasées. En percussion posée ou posée avec percuteur, le travail est mieux guidé par l’artisan et la gorge obtenue plus régulière ; les entailles sont réalisées par petits enlèvements successifs opposés : elles sont bien marquées et nettes et déterminent une gorge large ; les fibres ne sont pas écrasées et le travail plus précis. Ce procédé qui évite la fissuration est fréquemment utilisé pour aménager l’emplacement de la couronne des gaines où seront insérées les haches en pierre polie, et sur beaucoup d’autres objets.

7Alors que le sciage par mouvement de va‑et‑vient du tranchant de l’outil de silex utilisé peut provoquer de fines entailles parallèles déterminant une rainure à profil en V, le sciage à la ficelle sablée (Poplin 1974) a permis d’obtenir des rainures à section en U utilisées par exemple dans la décoration des pendeloques en quille du Néolithique final faites sur bois de Cerf (Billamboz 1977).

8Les perforations pourront être exécutées aussi bien à l’aide d’un foret à main, qu’avec un foret à archet, puis à l’âge du Bronze, à l’aide d’outils métalliques. L’évidage permet l’aménagement des douilles et de la zone d’insertion des outils dans les manches : il se fait par mouvements rotatifs semi‑circulaires provoquant un orifice irrégulier qui nécessitera un alésage. Enfin, le façonnage de certains outils, non seulement durant le Néolithique mais aussi durant l’âge du Bronze, peut être complété par un polissage obtenu par un frottement continu et tournant de va‑et‑vient qui provoque l’apparition de très fines stries. Polissage de fabrication ou d’utilisation ne sont pas toujours faciles à distinguer. Le lustrage enfin peut être obtenu sur cuir mouillé et provoque l’apparition de zones très brillantes.

5.1.2 Morphologie et fonctions

9De tous temps, l’Homme a tiré ses ressources de la chasse, de la pêche, de la cueillette et, à partir du Néolithique, l’agriculture et l’élevage viennent compléter ses sources de subsistance. Pour cela, il lui fallait des armes, des outils dont beaucoup sont tirés de substances dures animales.

Rôle de l’os dans la chasse et la pêche

10La chasse et la pêche pouvaient être assurées par des projectiles tels que les harpons, les pointes de flèches lancées à l’arc, les sagaies bipointes, les hameçons, voire même les poignards à lame plate et tranchante sur les bords.

Les harpons

11Les harpons en bois de Cerf (fig. 126) sont de grande taille ; certains ont une base perforée. A Portalban, Suisse, Ramseyer (1985a) a retrouvé un harpon portant encore la ligature faite de six rangées de ficelle disposées au‑dessus du ressaut de la partie proximale qui n’est donc pas perforée. Le harpon pourrait, selon Leroi‑Gourhan (1973 : 54), être réservé à la capture des animaux aquatiques, mammifères et poissons ou reptiles de taille moyenne ou grande. Les harpons néolithiques semblent effectivement liés à la présence de l’eau (mer, marais, lac ou fleuve). Il n’est pourtant pas possible de préciser la différence d’utilisation des harpons plats à tête détachable et des pointes barbelées fixées à l’extrémité d’une hampe. Il existe cependant un cas unique en Suisse, à Egolzwil 3 (canton de Lucerne) d’un dépôt de 4 pointes barbelées prises sur métapodes de Cerf sciés longitudinalement (Wyss 1988 : 72) et qui ont gardé une demi‑épiphyse à la partie proximale.

12Au Sahara, les harpons néolithiques proviennent toujours de gisements situés en bordure d’anciens lacs, aujourd’hui asséchés. Qu’ils aient servi à la capture de gros poissons (silures, par exemple) n’empêche pas d’imaginer par ailleurs leur utilisation pour prendre de gros reptiles comme les crocodiles dont le squelette a souvent servi de matière première pour la confection de ces engins (Camps‑Fabrer 1983).

Les pointes de flèches

13Les pointes de flèches en os sont moins rares qu’on ne pourrait le penser. Elles apparaissent dès le Néolithique moyen et se développeront surtout à l’âge du Bronze. Nous trouvons un éventail très varié de formes (fig. 127). Les armatures sans ailerons, fusiformes, peuvent avoir une pointe de section carrée ou circulaire. Certaines pointes triangulaires, à ailerons à peine marqués, portent encore les traces de matières adhésives (site de Twann, en Suisse). Plus rares sont les pointes de flèche à douille (un exemplaire au Mas d’Azil, musée des Antiquités nationales de Saint‑Germain‑en‑Laye). Les plus répandues sont, en effet, les pointes de flèches à ailerons et pédoncule. Le limbe peut être triangulaire et plat et le pédoncule plus court que le limbe, plus long que lui, offrir un renflement, un véritable ressaut ou une nervure médiane (Pape 1982).

14Ces flèches étaient vraisemblablement tirées à l’arc, dont on a retrouvé les bois dans plusieurs stations lacustres. Un exemplaire a été recueilli par exemple dans la grotte sépulcrale de Coizard (Marne). Deux découvertes attestent l’efficacité des pointes de flèches en os : dans une fosse d’Allemagne orientale a été découvert un os long de Cerf perforé jusqu’à la spongiosa par une pointe de flèche en os ; dans un marais du Danemark, le squelette d’un homme porte une flèche en os ayant transpercé une vertèbre dorsale et une autre est encore profondément fichée dans le crâne (Pape 1982).

15Des pointes plus longues, en os, sont plates, à bords parallèles, de section losangique et terminées par une extrémité distale amincie et tranchante. La partie proximale est constituée d’une soie généralement amincie par biseautage. Ces pièces ont été interprétées soit comme une armature de pointe de trait, soit comme une arme tenue directement en main (glaive ou poignard) soit comme une pique. Bottet (1951) y voyait une imitation d’armes métalliques mais ces pointes appartiennent à la civilisation Seine‑Oise‑Marne ! G. Bailloud a retenu l’hypothèse de la lame de lance et non celle d’arme de jet (1971).

Les double‑pointes en os ou bois de Cerf

16Les double‑pointes en os ou bois de Cerf sont caractéristiques des civilisations de Fontbouisse et du Couronnien, bien qu’elles existent dans d’autres cultures ; elles sont particulièrement bien représentées en Suisse (Voruz 1984). Certaines de ces pièces peuvent être considérées comme des pointes de sagaies. Dans ce cas, la partie mésiale aplanie par abrasion prend appui contre la partie supérieure d’une hampe en bois végétal. Plus de la moitié de la pièce est enrobée de colle de bouleau (appelée brai), puis ligaturée, à l’aide d’un ruban d’écorce de bouleau (fig. 128). La partie distale et bien souvent la partie proximale restent dégagées et sans enduit. Une centaine de double‑pointes provenant du site de Montilier et une vingtaine d’autres de Portalban portent des traces de colle caractéristiques et peuvent être appelées sagaies (Ramseyer 1985a : 197). Mais il arrive aussi que les double‑pointes ne présentent aucune trace de fixation ; celles qui offrent une brillance, un lustre à la partie proximale –caractères qui ne peuvent être vraiment observés que dans les sites lacustres– peuvent avoir été insérées dans un manche en bois de Cerf, à l’aide de résine ou de colle de bouleau, comme c’est le cas dans le site de Portalban (Ramseyer 1985a).

Les hameçons

17Fig. 128

18Quelques hameçons courbes en bois de Cerf ont été recueillis en France (Cleyet‑Merle 1989) : Chalain (Jura) ; Catenoy/Camp de César (Oise) ; Ensisheim (Haut‑Rhin), Lingolsheim‑Entzheim/Hoenheim (Bas‑Rhin) ; Gonvillars (Haute‑Saône) ; Saint‑Michel‑du‑Touch (Haute‑Garonne) (Méroc, Simonnet 1981) ; grotte de la Pyramide, Penne (Tarn) (Lautier 1979) ; grotte du Déroc (Rhône‑Alpes) ; Fort‑Harrouard (Eure‑et‑Loir) ; en Suisse et en Allemagne, on retrouve des formes similaires (Nougier, Robert 1951). La grande taille de certains de ces objets a conduit les préhistoriens à les considérer comme des crochets plutôt que comme des hameçons.

19Dans le Néolithique saharien, os de crocodile et coquilles diverses ont permis la fabrication d’engins en forme de crochets arrondis (Esh Shaheinab en Egypte ou sites maliens de la région d’Arouane) (Camps‑Fabrer 1983).

Les poignards

20Les poignards constitués d’une lame en os ou bois de Cervidé, pointue à l’extrémité distale, tranchante sur les bords et de forme généralement triangulaire sont curieusement apparus dès le Paléolithique supérieur à Laugerie Haute : signalés par Breuil en 1912 et publiés par D. et E. Peyrony en 1938, ces objets sont, en quelque sorte, les prototypes des poignards qui réapparaîtront plus tard au Néolithique et à l’âge des Métaux, sans être jamais très fréquents.

21Ces différents poignards (fig. 129) offrent une grande diversité dans le choix de la matière première :
– os plats de gros mammifères, côtes : Laugerie‑Haute ; Barche di Solferino, Italie (Aspes et al. 1982) ; grotte de Labeil (Barge 1982) ;
– omoplates : Passy (Carré à paraître) ;
– métapodes fendus de gros mammifères : Sablons, Epervans, Saône‑et‑Loire (Bonnamour 1975 ; Thévenot 1978) ; Wichelen, Belgique (Loe 1928) ;
– métacarpes de Renne ; Oleneostrovsky, presqu’île de Kola, C.E.I. (Okladnikov 1956) ;
– bois de Cerf : grotte de Resplandy (Rodriguez 1966) ;
– fragment de grosse diaphyse : Spilamberto, Italie (Bagolini 1981).

22Les bords peuvent être sans solution de continuité de l’extrémité proximale à la pointe sur les exemplaires de Niaux (Guilaine, Héléna 1964), Wichelen, Passy et Oleneostrovsky. Sur les exemplaires de la Tamise (Gerloffe‑Sabure 1975), un bourrelet ceinture le milieu du fût.

23La partie proximale présente des aménagements variés :
– deux encoches latérales qui marquent la limite entre la lame et la poignée sur les exemplaires de la grotte de Labeil ;
– dépression plus ou moins accentuée (Epervans, Spilamberto) ;
– rétrécissement (petite grotte de Niaux) ;
– dépression triangulaire dont la base est située à la partie proximale et le sommet vers le milieu du fût déterminant deux pointes divergentes (Passy) ;
– languette (Olivo à Toirano, Italie et Caracena, Espagne : Rodanès Vicente 1987) ;
– deux antennes recourbées vers le bas (Resplandy) ;
– pommeau en croissant (Spilamberto) ;
– douille creusée à l’intérieur de la diaphyse des poignards de la Tamise.

24Certains poignards portent des perforations qui sont disposées différemment, selon les objets. Elle est unique sur un exemplaire de Barche di Solferino et affecte le milieu de la partie proximale de la pièce. Mais le plus souvent, elles sont multiples :
– deux perforations disposées longitudinalement sur la partie mésiale de l’objet de Vors ;
– trois perforations disposées côte à côte et en ligne horizontale sur la partie proximale de la première pièce de Barche di Solferino ;
– une autre affecte le milieu du fût.

25C’est sur le poignard de Spilamberto qu’elles sont les plus nombreuses : 16 sont disposées en arc de cercle, tout près du bord du pommeau, associées à une perforation au milieu du pommeau, une sur le bord droit de la dépression et une près de chacun des bords droit et gauche mais non symétriques. Il est très plausible d’interpréter la présence des perforations sur la partie proximale et mésiale comme moyens de rivetage de ces lames dans un pommeau de bois, voire même d’os ou de métal.

26Souvent, les pommeaux des poignards de bronze sont en os, comme à Vence/Aven des Trois Chênes : ce pommeau, de section ellipsoïdale, est décoré de cercles, dont le centre est marqué d’un point, disposés sur le pourtour ; c’est un type de décor très fréquent sur les objets en os de l’âge du Bronze, en particulier sur les peignes de parure. Il est à noter que la lame de bronze porte trois perforations et que le manche en os, dont seule une partie est conservée, devait être fixé à une pièce intermédiaire entre la lame et le pommeau puisque ce dernier n’offre que deux perforations. Un autre pommeau de poignard métallique provient du troisième coffret en bois de Kernonen à Plouvorn (Briard 1984) ; il est lui aussi en os et de forme elliptique mais est évidé en son centre et devait s’emboîter sur un tenon terminal du manche en bois. D’autres exemples de pommeaux en os peuvent être cités en Grande‑Bretagne, par exemple : Winterbourne Stoke West (Cunnington, Goddard 1896 : fig. 86a) ; Helperthorpe, Yorkshire (Evans 1881 : fig. 281), Garton and Bishop Wilton, Yorkshire (Evans 1881 : fig. 282) ; Wilmslowe, Cheshire (Evans 1881 : fig. 283).

27Quelques décors se trouvent sur des poignards pris sur métapodes fendus et dont la face inférieure porte soit trois incisions de part et d’autre du canal médullaire (Wichelen, Flandre orientale, Belgique), soit des motifs très élaborés et constitués de motifs géométriques sur cinq des dix poignards de la nécropole d’Oleneostrovsky, presqu’île de Kola.

28Les objets de Passy publiés sous les termes de spatules en « tour Eiffel » proviennent tous de monuments funéraires (monuments n^o 6, n^o 5 et sépulture n^o 1). Ils étaient tous placés du côté gauche de la tête des défunts en position allongée, l’un d’eux ayant la pointe dirigée vers le bas. Qu’on ait voulu leur donner une connotation supplémentaire en soulignant leur caractère anthropomorphe (Carré à paraître) n’enlève rien, semble‑t‑il, à leur fonction première, Comme semble le montrer le dépôt de certains de ces objets dans des tombes plus tardives où ils peuvent accompagner ou remplacer des poignards métalliques, de même forme.

29Les poignards de Spilamberto (Italie) proviennent eux aussi d’une nécropole formée de tombes à inhumation en fosse en pleine terre, datée de 2245 av. J.‑C. (¹⁴C non calibré). La position des poignards varie longitudinalement entre les deux fémurs, ou la pointe dirigée vers le bassin. Ils sont aussi tenus dans la main droite perpendiculairement au bras allongé, la pointe orientée vers le bassin. Les poignards de Spilamberto sont les fidèles répliques des poignards métalliques à pommeau en croissant sans garde marquée, trouvés dans le même site. Dans les sépultures d’Oleneostrovsky, la localisation des poignards pris sur métacarpes de Renne est variable : sur la tête, près du bras droit, dans la région thoracique.

30Le poignard de Cartanya est très semblable aux poignards à languette métallique du Campaniforme, comme le souligne très justement Rodanès Vicente (1987 : 96).

31Les poignards du Midi de la France ont souvent été nommés pendeloques‑poignards et assimilés aux « objets » reconnus sur les statues menhirs. Certains d’entre eux (à Resplandy en particulier) portent manifestement une usure latérale des perforations.

Le rôle de l’os dans les activités d’élevage

Les mors

32Le rôle de l’os dans les activités d’élevage n’est attesté que par la présence d’éléments de mors en os ou en bois de Cerf (fig. 130). La domestication du cheval remonte sûrement à l’âge du Bronze ancien. A l’âge du Bronze, un des panneaux figurant sur une céramique de la grotte du Quéroy à Chazelles (Charente) pourrait représenter peut‑être des Equidés attelés à un araire. Sur un tesson incisé provenant du niveau de Mailhac I de Camp de Redon, Lansargues (Hérault), deux Equidés tirent un araire sur lequel il est possible de reconnaître timon, mancheron, soc, etc.

33Parmi les différents exemplaires de mors en bois de Cerf connus en France, citons ceux de Roucadour à Thémines (Lot) (Niederlander et al. 1959) et du site de la Cauna de Martrou (Aude) (Gasco 1983). Il en existe bien d’autres exemplaires en Europe : Corcelettes, par exemple en Suisse (Coutil 1930) et dans les palafittes d’Italie.

Le rôle de l’os dans les activités de cueillette et de culture

Pioches et houes

34Parmi l’outillage en bois de Cerf néolithique, on a retrouvé des instruments assimilés à des pioches ou des houes qui ont très bien pu servir au travail de la terre (fig. 131). Mais aucune étude très fine de ce matériel n’a été réalisée. Des omoplates aménagées ont aussi pu servir aux mêmes travaux agraires.

35Les haches‑marteaux ou pioches en bois de Cerf ont quelquefois conservé leur manche comme à Portalban, Suisse, où le bois utilisé est du frêne (Ramseyer 1985a).

La moisson : les faucilles

36L’agriculture assurée au Néolithique a été précédée de la cueillette de Graminées sauvages comme l’atteste l’apparition, dès l’Epipaléolithique d’une part dans le Capsien d’Afrique du nord et d’autre part dans le Natoufien du Proche‑Orient, de couteaux à moissonner ou manches de faucilles, tirés d’os d’animaux.

37Au cours du Néolithique, les manches de faucilles en substances dures animales sont relativement moins bien représentés ; ils étaient concurrencés sans doute par le bois végétal. Pourtant les éléments de faucilles ne manquent ni dans le Néolithique ancien ni dans le Néolithique moyen ou final. Dans le Néolithique bulgare de Karanovo (Camps‑Fabrer, Courtin 1985) (fig. 132), une faucille courbe en bois de Cerf a été recueillie : elle n’a pas d’équivalent en France.

Égrenage

38L’égrenage des épis pouvait se faire à l’aide d’un instrument remarqué et étudié par D. Stordeur et P. Anderson‑Gerfaud (1985) sur une omoplate de ruminant provenant du site de Ganj Dareh en Iran et qui est daté du IX^e millénaire (fig. 133). On prélevait sur l’omoplate de Cerf une languette triangulaire dont les bords étaient encochés. Le lustre que porte l’intérieur des encoches est le même que celui des éléments de faucille. Des reconstitutions expérimentales ont été faites en utilisant des gerbes d’orge. En coinçant la tête des épis dans les encoches, et en tirant dessus, les graines se détachent sans que les tiges, qui pouvaient servir à divers usages ne se brisent. Il pourrait donc s’agir d’un égrenoir analogue, dans leur principe du moins, à ceux qu’utilisent les Japonais pour détacher les graines ou aussi aux peignes à myrtilles. Bien qu’unique, cet instrument mérite d’être signalé pour attirer l’attention sur d’éventuelles trouvailles d’objets analogues.

Le rôle de l’os dans l’exploitation et le traitement de la pierre

Extraction du silex : pics et leviers

39C’est à l’extraction des rognons de silex dans les mines qu’il faut attribuer les nombreux pics (fig. 134, n^o 1) et leviers en bois de Cerf découverts au fond des puits. En France, de nombreux puits d’extraction sont connus : citons ceux de l’Aveyron, de l’Oise, de la Marne, de Charente, du Calvados, etc.

40La morphologie de la pointe et du manche indique une utilisation en percussion lancée. Le merrain servait de manche et l’andouiller de partie active. Les traces d’usure du manche et de la pointe (lustré, stries) sont en faveur de cet usage ainsi que les conditions de découverte dans les puits de mine de silex. Mais, compte tenu de l’exiguïté de ces derniers, il semble bien que l’utilisation de longs manches était exclue.

41Le bois de Cerf, naturellement très souple, a permis de creuser le sol des galeries, de dégager les rognons de la gangue calcaire où ils étaient inclus et d’extraire les fragments de silex par approfondissement des fissures. Cette utilisation est attestée par les nombreuses traces de coups, sortes de griffades qui entaillent les parois des puits autour des bancs de silex et par la découverte de pics encore fichés dans les parois des galeries comme à Mur‑de‑Barrez, Aveyron, par exemple (Boule 1887).

42La fréquente localisation des pics en bois de Cerf dans le fond de la mine atteste que les mineurs y abandonnaient leurs outils, non seulement d’ailleurs ceux qui étaient usagés, mais aussi les outils neufs, qu’ils soient en bois de Cerf (leviers) ou en silex (pics, haches polies). Le fait que la plupart des outils retrouvés étaient encore utilisables est attesté par la présence d’andouillers à peine émoussés. Un grand bois non débité permet aussi de penser que le débitage pouvait se faire sur place et que les hommes préhistoriques arrivaient dans la mine, chargés de bois recueillis au printemps et qu’ils abandonnaient sur place leur matériel d’extraction pour n’emporter que les rognons, lourds et encombrants, de silex recueillis. Pourtant, tous les pics ne se trouvent pas dans le fond des galeries ; on en trouve aussi à divers niveaux des parois d’exploitation des galeries, dans les renfoncements des tranchées et même dans les remblais préhistoriques (Desloges 1986).

Le débitage et les retouches des outils de silex

43Le débitage et les retouches des outils de silex pouvaient être exécutés à l’aide de chasse‑lame (fig. 134, n^o 2), ces médiateurs de percussion (Poplin 1979) : de forme allongée, ils sont tenus à la main et posés sur le bord du plan de frappe du nucléus et per mettent d’y transmettre le coup porté avec le percuteur en même temps que d’accrocher efficacement la roche.

Le travail du bois

44Le travail du bois ne devait pas seulement être exécuté à l’aide des haches polies en pierre qui étaient insérées dans des gaines (Billamboz, Schlichtherle 1985) : à tenon simple, à tenon bifide, à ergot, ou à ailette, intermédiaires entre la hache et le manche en bois (fig. 135) mais aussi avec les innombrables haches (fig. 136) coins, ciseaux et tranchets en os. Les formes de ces gaines ont évolué au cours du Néolithique (tabl. xxxvi). Certaines formes de queursoirs néolithiques (fig. 137) pris sur métapodes de gros mammifères peuvent être rapprochés des écorçoirs utilisés encore il y a quelques années pour enlever l’écorce des chênes (Anonyme 1947 ; Cattelain 1989 : 25).

La fabrication et la décoration de la céramique

45Fig. 138

46Des lissoirs en os ont pu servir éventuellement à lisser la poterie, comme à Amekni, Hoggar. Certains exemplaires d’estèques en os du Néolithique nord‑africain (Camps‑Fabrer 1966) sont tout à fait comparables à celles, en bois, utilisées par les potières kabyles et les peignes de potier destinés à la décoration de la céramique peuvent être en os (Liège, Belgique dans le Rubané ; Bodmann, groupe de Michelsberg ; au Sahara : Amekni, Meniet) ou en coquilles diverses : cardium dans le Cardial, arca senilis dans le Néolithique malien, aiguillon de silure ou même test d’œuf d’autruche au Sahara.

La fabrication de la vannerie

47Il est bien certain que bon nombre de poinçons ont dû servir d’outils de vannier, comme semble‑t‑il à Medjez II, Capsien supérieur d’Afrique du nord (Camps‑Fabrer 1975) (fig. 139). Aussi, la découverte faite par Leroi‑Gourhan dans l’hypogée des Moumouards (1962) offre‑telle un grand intérêt : il s’agit de poinçons portant un lustre d’usage très marqué qui a déterminé un amincissement très prononcé de la pointe. De tels stigmates d’usure correspondent plus à ceux que provoque le resserrement des brins d’une vannerie qu’à ceux que provoque un travail de perforation (fig. 139). D’ailleurs, des fragments de vannerie ont été recueillis dans ce même site.

Le travail des peaux

48Le dépeçage et le travail des peaux nécessitaient l’emploi de couteaux, lissoirs mousses, poinçons. Beaucoup d’analyses tracéologiques et de reconstitutions expérimentales restent à faire dans ce domaine. Le cuir pouvait être découpé sur des côtes (fig. 140 n^os 1 et 2) qui portent encore les traces de cette action à Terrina, Corse (Camps 1988 : 229 et fig. 97, 1 et 3). Les poinçons dont la variété est très grande durant le Néolithique permettaient de percer le cuir, facilitant l’assemblage des différents éléments.

Le travail des textiles

Fusaïoles et fuseaux

49C’est à partir du Néolithique moyen que l’on voit se multiplier les fusaïoles, sans doute en relation avec la sélection de races de Mouton porteuses de laine. La plupart d’entre elles sont en céramique ; pourtant, il en existe en bois de Cerf dans la civilisation de Luscherz en Suisse et peut‑être même en os. De forme plate, elles sont tirées soit du merrain soit du médaillon d’un bois de Cerf (exemplaires de Portalban) (fig. 140 n^os 3 et 4).

50Un cubitus humain de la grotte de Garnies (Haute‑Garonne) aurait conservé, selon Méroc (1953), les empreintes digitales de son dernier utilisateur : celles‑ci résultent du mouvement incessant des doigts faisant tourner l’objet sur lui‑même, d’où l’interprétation de fuseau lié à l’industrie textile. Il est évident qu’il faudrait revoir cet objet et examiner de très près les traces qu’il porte pour être pleinement convaincu par cette hypothèse. Dans le site d’Egolzwil 4 en Suisse, appartenant au Néolithique moyen, un segment d’andouiller poli sur ses deux extrémités porte les restes d’un axe de bois à l’intérieur de la perforation : son emploi comme fuseau ne semble pas douteux.

Sérançoirs ou peignes à carder

51Dans les sites lacustres et particulièrement les palafittes, nombreux sont les échantillons des produits de l’industrie textile : lin, filasse, cordages, filets de pêche. La préparation du lin nécessite, avant son filage, diverses opérations telles que le brisage et le sérançage ayant pour but de démêler et de diviser les fibres de la tige.

52On a proposé de reconnaître des peignes ou sérançoirs dans l’assemblage en faisceau de plusieurs fragments de côtes aménagées en pointes plates et ligaturées par des cordes bitumées, après les avoir disposées à plat les unes contre les autres (fig. 141). Dans les stations lacustres de Suisse et d’Allemagne, on a retrouvé très tôt des assemblages de ces pointes prises sur côtes fendues : Wangen (Keller 1865 : pl. IV n^o 34) ; palafitte de Zurich (Keller 1865 : pl. II), Luscherz (musée de Fribourg, n^o 54). Plus récemment D. Ramseyer (1985a) en a publié trois exemplaires provenant du site de Montilier, Platzbünden et appartenant à la civilisation de Horgen et J. Schibler (1981), d’autres provenant de Twann, Suisse.

53La première mention de sérançoir est faite par P. Salmon en 1886 à propos des objets pris sur côtes. Ces objets ont aussi été généralement interprétés comme des peignes à carder la laine. Toutefois, J.‑G.‑D. Clark (1952) a proposé de rapprocher ces objets de ceux utilisés par les Eskimos de Point Barrow pour dépiler les peaux. J. Waterer (1955) a réfuté cette interprétation car les peaux sont préparées par les Eskimos en faisant appel à la fermentation par l’humidité et la chaleur : ainsi les poils se putréfient rapidement et tombent facilement. Parfois même, ils étuvent les peaux. Cet auteur propose donc d’autres possibilités d’usage : enlèvement des poux que contiennent les peaux et cardage de la laine. J. Walton (1956) s’appuyant sur un autre exemple ethnographique, celui des Sothos du Basutoland, qui utilisent de longues épingles de fer pour adoucir les peaux, se rallie à l’hypothèse de Clark. En plus du danger que représente tout rapprochement ethnographique, il semble bien que la longueur et la finesse des dents de certains peignes s’opposent au travail des peaux. F. Wastelain‑Jurion (1974‑1975) en revanche a fait faire une démonstration de l’usage de ces peignes par un vieux lainier qui en a conclu que l’usage de ces objets comme peignes à carder était très plausible. Restent à faire des reconstitutions expérimentales de ces objets et des essais d’utilisation pour comparer les traces d’usure enregistrées sur les outils expérimentaux avec celles que portent les objets préhistoriques.

54D. Ramseyer a proposé de parler de démêloirs plutôt que de peignes puisque, pour le moment, la fonction de ces instruments composites n’est pas encore clairement définie.

55Pourtant, toutes les pointes plates prises sur côtes ne peuvent être interprétées comme des éléments de peignes ou de démêloirs. En effet, J. Chastel (1985) a retrouvé parmi le matériel anciennement recueilli dans le site de Chalain (Jura) deux pointes plates sur côtes encore engagées dans un manche droit à douille longitudinale, en bois de Cerf (Camps‑Fabrer 1990b : fiche n^o 11)

56Des pointes bifides aménagées sur extrémités de métapodes en partie fendus pour dégager deux pointes parallèles ont pu servir au même usage (fig. 141). Nous ne connaissons qu’un seul exemplaire de ce type en France ; il provient du site de Claparouse (Lagnes, Vaucluse). Mais on en connaît d’autres exemplaires de plus grande taille en Suisse et en Allemagne. Les os longs étaient utilisés entiers ou sciés préalablement. Pour aménager les métapodes, on conserve l’une ou l’autre des extrémités qui servira à la préhension, l’autre extrémité subit préalablement l’ablation de la partie articulaire ; puis le métapode est fendu longitudinalement le long de la cloison interne. Dans un cas (Thayngen), une perforation circulaire marque la zone où s’arrête le rainurage, celui‑ci est destiné à dégager deux pointes parallèles, profondes et leur régularisation se fait par raclage. La zone proximale du sciage porte encore les traces du rainurage (Camps‑Fabrer 1990b : fiche n^o 12).

57Sont aussi absents de France les sérançoirs aménagés sur le pourtour d’un fragment de merrain de bois de cerf, (fig. 141) connus en Grande‑Bretagne ou en Belgique et qui constituent de curieux objets (Windmill Hill, Spiennes). La rosette peut avoir été conservée intacte. S. Piggott (1954) a décrit le processus de fabrication à partir d’exemplaires inachevés de Windmill‑Hill. L’une des extrémités est évidée puis le bord est incisé très profondément et le creusement de longs sillons parallèles à partir du bord et suivant les rainures naturelles de la perlure détermine un cercle de dents. Ce n’est que postérieurement que le fragment de merrain est détaché. Celles‑ci peuvent être en nombre variable : 4, 5, 6. Chaque pointe est soigneusement régularisée et polie par l’usage. Des aménagements analogues ont pu se faire sur baguette prélevée dans un merrain de bois de Cerf (Schussenried, Terramare de Parme), plus rarement sur diaphyse d’os longs (Canning Cross, et différents sites du bassin de la Tamise, âge du Fer).

58Dans un cas, encore inédit (Terramare de Parme, réserve du musée de Parme, n^o d’inventaire 4188), la surface est décortiquée en partie, car des traces de perlure subsistent sur la face supérieure. Une perforation circulaire marque la zone où s’arrête le rainurage entre chaque dent. Une deuxième perforation a été aménagée à la base de la première incision entre les deux dents de droite. Ces saignées sont destinées à délimiter trois baguettes rectangulaires parallèles, dont la régularisation n’a pas été achevée. Sur d’autres exemplaires terminés, la régularisation s’est faite par raclage. La zone proximale du sciage porte encore les traces du rainurage. Ces analyses ont été réalisées par N. Provenzano qui a bien voulu m’en communiquer les résultats, ce dont je la remercie très vivement (Camps‑Fabrer 1990b : fiche n^o 13).

Fabrication et réparation des filets de pêche

Les aiguilles à bélière

59L’aiguille à bélière en bois de Cerf est un objet courbe et allongé prélevé sur andouiller de Cerf, plus rarement sur os, dont la partie convexe est munie d’une bélière aménagée dans le tiers proximal de la longueur ; l’extrémité distale est pointue. Cet objet (fig. 142) est essentiellement répandu autour des lacs subjurassiens (Suisse : Auvernier, Concise, Estavayer, Font, Portalban, Pont de Thielle, Yvonand, Greng, Bevaix). Elle est pourtant connue, mais prise sur os, en France méridionale : grotte de Marsa (Beauregard, Lot) : les deux exemplaires recueillis ont été attribués par A. Galan (1961) à l’âge du Bronze ancien et par J. Roussot‑Larroque (1979 : 76) à un faciès artenacien, probablement contemporain du groupe de Lüscherz. Ils sont tous deux fragmentaires. D’autres exemplaires ont été recensés par Roudil (1977) : dolmen du Bretou (Gazals, Tarn‑et‑Garonne) dans les niveaux du Néolithique récent de la grotte du Pontil (Saint‑Pons, Hérault), du dolmen du Frau 1 (Cazals, Tarn‑et‑Garonne), de la grotte de Mazuc (Penne, Tarn), de la grotte du Figuier (Narbonne, Aude), dolmen de Vesseaux (Ardèche), plus récemment dans le dolmen de Petit Pied (Saint‑Cernin‑de‑Larche, Corrèze) (Vuaillat 1985). En Grande‑Bretagne, quatre exemplaires ont été identifiés et proviennent de la culture Rinyo‑Clacton, trois proviennent du site de Skara Brae, le troisième de Quoyness (Piggott 1954 : fig. 55, n^os 2, 3, 6 et 7). En Espagne, dans un contexte campaniforme : site de La Atalayuela, vallée de l’Ebre (Barandiaran 1978), ou à l’âge du Bronze, dans diverses régions d’Europe : site de Lavagnone, Italie du Nord (Perini 1983) ; Bodio, Varese (Strahm 1979 : fig. 108, n^o 4), considérée par l’auteur comme une épingle et dans certains sites de la Baltique orientale (Smolla 1948).

60Trois pièces provenant de Delley‑Portalban II, de Delley‑Portalban I et de Greng, Suisse (Schwab 1971 : pl. 27, n^o 9) sont en cours d’aménagement et permettent de retrouver la technique d’obtention des aiguilles à bélière en bois de Cerf. L’andouiller choisi est sectionné puis aménagé à partir de la face externe convexe sur laquelle est réservée une partie correspondant à la future bélière. La perlure peut ou non être enlevée par raclage ou décorticage. La courbure de l’aiguille, sa largeur et son épaisseur sont donc étroitement liées à celles de l’andouiller initial. L’anneau de la bélière est ensuite régularisé très soigneusement puis perforé dans la spongiosa, ce qui facilitait la tâche. Qu’elles soient prises sur os ou sur bois de Cerf, ces aiguilles sont toujours très finement abrasées dans la zone distale et le plus souvent aussi sur toute la longueur. Il arrive que quelques rares objets portent un renflement conique à cette extrémité associée à des bourrelets comme sur l’un des exemplaires de Skara Brae.

61La bélière est localisée soit à l’extrémité (Vesseaux, Bevaix, Bodio, Lavagnone), soit très près de l’extrémité opposée à la pointe, soit, le plus souvent, vers le milieu de l’objet. Son volume est aussi très variable ; il est beaucoup moins important sur les exemplaires en os et la perforation généralement située dans l’axe longitudinal de la pièce peut quelquefois être transversale (grotte de Mazuc, La Atalayuela, Skara Brae). Dans quelques cas, la perforation peut être remplacée par une ou deux incisions profondes où le fil pouvait être retenu : une, sur un exemplaire d’Estavayer, et sur un autre de Forel ; deux incisions sur un autre exemplaire d’Estavayer et un autre de Forel. Bourrelets et perforation peuvent aussi être associés. La surface de la bélière est généralement très bien régularisée, mais des traces de la perlure initiale de l’andouiller peuvent subsister. Les objets en os sont toujours très bien façonnés.

62Les aiguilles à bélière en bois de Cerf très caractéristiques de la civilisation de Lüscherz en Suisse ont souvent été interprétées comme des épingles par les préhistoriens français. A. Galan distinguait dans ce matériel deux objets différents : « a) un outil : c’est une aiguille à filets pointue aux deux extrémités. Elle est robuste et comporte parfois une gouttière longitudinale destinée à guider le fil. Sur certains exemplaires, l’anneau latéral est à une extrémité. Ces aiguilles, interprétées comme aiguilles à filocher, en allemand « Netznadeln » sont communes dans les stations lacustres suisses [...] b) un objet de parure : épingle à bélière latérale prototype des épingles en bronze à œillet latéral. Ces épingles ont été trouvées dans les palafittes de Schaffis, Concise, Auvernier, Locras {sic}. Elles peuvent avoir une tête ou en être dépourvues... Ces pièces sont plus minces, plus élégantes que les aiguilles à filets qui sont dépourvues de tête. »

63Très tôt, ces objets ont été considérés comme des aiguilles à filocher. Les aiguilles à bélière de Portalban ont été présentées à un pêcheur professionnel, résidant à Estavayer‑le‑Lac, et qui pratique son métier depuis de nombreuses années ; il a été très surpris de voir de tels instruments ; après en avoir pris un en main, il s’est assis devant un filet accroché verticalement à un support en bois, l’a essayé et s’est déclaré enchanté de son efficacité. Le test viendrait donc confirmer l’utilisation présumée de ces instruments (Camps‑Fabrer, Ramseyer 1990 : fiche n^o 18).

Les baguettes en bois de Cerf pourvues d’une tête dégagée par des encoches latérales

64De nombreuses baguettes en bois de Cerf pourvues d’une tête dégagée par des encoches latérales ont souvent été qualifiées d’idoles. Mais la fréquence de ces objets dans les sites suisses particulièrement à Montilier et Portalban, Twann, etc. ont permis une étude précise qui nous a conduit à les interpréter comme des outils. A. Billamboz les considérait, dès 1977, comme de possibles navettes destinées à la fabrication des filets. Il existe aussi des baguettes de même type mais dépourvues de tête (fig. 143, n^os 1 à 5).

Le tissage

65Récemment, un objet en os encoché aux deux extrémités et doté de quatre perforations a été interprété comme un possible tendeur de métier à tisser mais l’étude menée par M. Menesses Fernandez semble bien montrer que cette hypothèse n’est pas vérifiée. Cet objet provient de la grotte de Nerja, Malaga, en Espagne (Gonzalez‑Tablas Sastre 1982) (fig. 143, n^o 6). D’autres plaques multiforées sont connues en Espagne mais aucune ne provient de France.

Les aiguilles et la couture

66Pour assembler les peaux ou les pièces de tissus, des aiguilles seront tirées des os ou du bois de Cerf. Elles peuvent être rectilignes ou courbes et le chas peut être remplacé par des encoches bilatérales.

L’alimentation

Préparation alimentaire

67Le découpage des produits alimentaires pouvait se faire avec les nombreux couteaux et objets tranchants : découpage de la viande, des végétaux ; les reconstitutions expérimentales en cours permettront peut‑être un jour de mieux différencier, sur l’os, ces traces de celles laissées par le bois.

Les récipients

68Les petits récipients en bois de Cerf, typiques du Néolithique moyen (Cortaillod, Chasséen) (fig. 144, n^os 1 à 4) sont prélevés soit dans la zone de la rosette d’un bois de Cerf, celle‑ci servant de fond, soit dans le merrain, soit, plus rarement, dans l’empaumure. Ils sont très souvent pourvus d’une ou deux perforations sur le bord et très finement aménagés, la paroi pouvant atteindre quelquefois un ou deux millimètres seulement d’épaisseur. Interprétés comme des gobelets, des lampes, des récipients à recueillir la résine, leur destination réelle n’est pas sûrement connue (Billamboz 1977’).

69La conservation de l’eau pouvait être assurée par des objets naturels tels que les œufs d’autruche en Afrique du nord et au Sahara. Il n’est pas rare en effet de découvrir des œufs d’autruche entiers, soigneusement perforés dans certains sites d’Afrique du nord (Damous el‑Ahmar) (Camps‑Fabrer 1966) ou du Sahara : Hassi Mouillait (Marinier, Trécolle 1966) ; Bordj Mellalah (Tixier et al. 1976) (fig. 144, n^o 8). Ces œufs réunis dans des filets de cordelettes, comme le font encore les Bushmen, permettaient d’assurer le transport de l’eau puis servaient de bouteille, voir même de biberon.

70D’autre récipients en os (fig. 144, n^os 5 à 7) accompagnent les sépultures de certains sites d’Espagne : Los Millares, Loma de Huechar, etc. (Leisner 1943) et du Portugal : Praïa das Maças et Casainhos (Leisner et al. 1969) ; ils sont obtenus à partir de diaphyses tronçonnées transversalement, leur conférant une forme cylindrique ; ils sont décorés de quadrillages losangiques et n’ont pas d’équivalents en France : toujours découverts dans des sépultures, ils peuvent n’avoir qu’un caractère votif.

Les cuillers

71Fig. 145

72Nous sommes sûrs que l’absorption des aliments pouvait se faire à partir du Néolithique ancien à l’aide de cuillers. Je pense qu’il ne faut pas dissocier leur apparition de la cuisson dans des poteries de bouillies végétales qui, pour être consommées, nécessitent l’emploi d’un instrument intermédiaire qui permet de puiser la nourriture dans l’écuelle et de la porter à la bouche. Ainsi est né un nouvel art de vivre... Les cuillers en céramique sont plus fréquentes que celles en os, sans parler des exemplaires en bois qui ne nous sont pas parvenus sauf dans certains sites lacustres. Le cuilleron creux peut être surcreusé dans une diaphyse fendue d’os de gros ruminant. Le manche est ensuite aménagé dans l’épaisseur de l’os compact et dans le prolongement du cuilleron, qui est de forme ellipsoïdale. Un fragment de diaphyse en cours d’aménagement du site de La Sarsa, en Espagne (Cardial) (San Valero Aparisi 1950) a ainsi permis de retrouver les gestes et la technique qui ont présidé à l’élaboration de ce premier type qui n’est pas représenté en France. En Europe centrale, les cuillers étaient prélevées dans des métapodes de Bœuf et leur cuilleron se termine en triangle vers le manche (Nandris 1971). Les cuillers de la civilisation S.O.M. de Belgique à Han‑sur‑Lesse (Marien 1981) sont très allongées et de même style que les longues pointes de trait d’Isles‑les‑Meldeuses dont il a déjà été question. Une coquille de Triton nodifer de Chateauneuf‑les‑Martigues a pu servir de cuiller (Camps‑Fabrer 1987).

Rôle des substances dures animales dans les objets de parure

73Quant aux objets de parure (Camps‑Fabrer et al. 1991), leur origine est très variée : simples coquillages collectés sur les plages (dentales ou cardium jusqu’aux espèces plus rares), rondelles et pendeloques en test d’œuf d’autruche en Afrique du nord et au Sahara plus précisément, dents de Canidé, Suidé, Cervidé, Bovidé, Ovidé appartenant à des animaux domestiques ou sauvages reconnaissables au fait que la perforation le plus souvent située à une extrémité porte des traces d’usure dans la zone de frottement du lien qui retenait l’objet suspendu. D’autres sont manifestement plus élaborés et leur technique de fabrication livre un éventail très ouvert de formes dans les pendeloques courbes, droites, ou de formes géométriques diverses. Certains objets portent des perforations multiples alors que les perles ont une perforation centrale, qu’elles soient en test de coquillage, en os ou en pierre. Anneaux et bracelets peuvent être tirés de grosses coquilles ou façonnés dans la pierre. Des rondelles perforées découpées dans une mandibule de Bœuf (fig. 146) et perforées entre les deux parois de l’os appartiennent spécifiquement à la civilisation chasséenne : site de Miouvin (Bouches‑du‑Rhône), site de Villeneuve‑lès‑Avignon, La Baume des Enfers, Sargel où la perforation est absente, etc. (Camps‑Fabrer 1985). Les épingles, apparues sous des formes simples au Néolithique moyen, vont connaître un grand développement au cours du Néolithique final et surtout de l’âge du Bronze et sont très variées : à palette, à tête discoïdale, en béquille, à tête globuleuse, en pavot, en champignon, fusiforme, cylindrique, à collerette, à anneau, à tête tron‑conique latérale, à balustre (Camps‑Fabrer et al. 1991 : fiches n^os 11.0 à 11.16) (fig. 146). Certains de ces objets destinés à retenir le vêtement offrent des répliques fidèles en métal à moins que ce ne soit l’inverse.

74Les formes des boutons sont multiples (la perforation peut être double, en V, en œillet). Les peignes offrent une grande variété de forme et de décors à l’âge du Bronze (fig. 146).

Emploi d’ossements humains

75Des têtes de fémurs humains percées ont été retrouvées dans quelques sites : interprétées comme de possibles fusaïoles, elles ont pu n’être que de simples pendeloques.

Les idoles schématiques

76C’est au Chalcolithique qu’il faut attribuer les idoles schématiques en os trouvées en Espagne, particulièrement dans le site de Los Millares (Ballester Tormo 1946) portant des motifs gravés, géométriques, semblant représenter les yeux (d’où leur nom d’idoles oculaires) (fig. 147, n^os 1 à 6).

Objets énigmatiques

77Il existe toute une série d’objets dont il est difficile de trouver la destination : tels les objets anciformes d’Aquitaine (fig. 147, n^o 7) (Roussot‑Larroque 1983), les « objets » dont la figuration sur les statues‑menhirs n’a pas encore permis d’élucider la destination réelle (Barge, D’Anna 1982), les plaquettes bosselées de Sicile (Bernabo Brea 1972) etc. (fig. 147, n^o 8).

5.1.3 L’industrie de l ’os et la chronologie

78Certains de ces objets en os n’apparaissent qu’à des périodes précises, comme le montre le tableau xxxvi.

79Au Néolithique, il existe quelques bons marqueurs chronologiques : cuillers, gaines de hache, gobelets, fusaïoles et aiguilles à bélière en bois de Cerf, poignards plats et tranchants sur les bords, pointes de flèches, et, parmi les objets de parure, citons : les épingles, les quilles, les boutons à perforation en V, les perles à ailettes. A l’âge du Bronze apparaissent les peignes, les branches de mors en bois de Cerf, certaines formes de pointes de flèches, d’épingles et de poignards. Ainsi peut être soulignée l’importance du développement et de l’évolution chronologique de l’outillage sur os, coquille, ivoire, bois de Cervidé dans les civilisations néolithiques et de l’âge des Métaux.

80Aujourd’hui, bien que rares, certains objets en os sont encore utilisés et les bergers ignorent sans doute qu’en accrochant au cou d’une brebis une clochette dont le battant est constitué d’un métapode de mouton percé, ils perpétuent, dans l’usage des os animaux, des traditions plusieurs fois millénaires.