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Le Néolithique au quotidien

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Blanchet Jean-Claude
, 
Bulard Alain
, 
Constantin Claude
, 
et al.

Chapitre 4. L’alimentation

4.1. Données récentes sur l’agriculture au Néolithique ancien et moyen dans le nord de la France

4.1 Recent results on agriculture and food gathering during the early / middle neolithic in northern France

Philippe Marinval

Résumé

L’agriculture du Néolithique dans la moitié nord de la France demeure mal connue. Aussi, l’acquisition de quelques données supplémentaires représente‑t‑elle une aubaine. A cette occasion un nouveau tableau de l’exploitation des végétaux cultivés est brossé.

Texte intégral

1Le phénomène néolithique est, entre autres, caractérisé par l’apparition et le développement de l’agriculture. Or, paradoxalement pour le nord de la France et, notamment dans l’ouest du pays, les plantes cultivées pendant cette période sont fort mal connues. Partant de ce constat et désirant mieux cerner la diffusion des plantes comme la gestion et les modes d’exploitation des végétaux cultivés par les sociétés humaines, C. C. Bakels (pour les régions nord et est), J. Heim (pour les marges orientales) et nous‑même (pour les contrées occidentales), essayons de développer les analyses carpologiques afin de combler des quasi‑vides de connaissances. Quelques données récentes nous offrent aujourd’hui la possibilité de dresser un premier bilan. Celui‑ci, évidemment, est encore très lacunaire.

4.1.1 L’apparition de l’agriculture : le Néolithique ancien

2Fig. 101, tabl. xvi

3En France, comme dans l’ensemble de l’aire de dispersion de la civilisation danubienne, l’agriculture repose principalement sur l’exploitation de trois plantes : deux espèces de Blé, l’Amidonnier (Triticum dicoccuni) qui est dominant et l’Engrain (Triticum monococcum) dont les restes sont nettement moins fréquents, ainsi qu’une Légumineuse, le Pois (Pisum sativum). Ce fonds commun supporte quelques spécificités locales. En Alsace, s’ajoute à la trilogie des plantes cultivées la Lentille (Lens esculenta). Cette plante connaît une extension assez importante (de l’Alsace à la Bohême et de la Thuringe à la vallée du Danube). Dans le Bassin parisien, l’Orge figure sur tous les sites. Il s’agit de l’Orge polystique à grains nus (Hordeum vulgare var. nudum), variété qui présente une répartition plutôt occidentale de l’ouest de l’Elbe au Bassin parisien. Cette situation va vite évoluer.

FIG. 101 – Sites du Néolithique ancien du nord de la France dont les paléo‑semences ont été étudiées.

TABL. XVI – Les plantes attestées au Néolithique ancien et moyen.

4.1.2 Le Post‑Rubané

4fig. 101, tabl. xvi

5Dès les phases tardives du Néolithique ancien, trois plantes font leur apparition : l’Orge polystique à grains vêtus (Hordeum vulgare), le Millet commun (Panicum miliaceum) et le Blé tendre hérisson (Triticum aestivo‑compactum) (fig. 102).

FIG. 102 – Caryopses (grains) de Blé tendre‑compact (Triticum aestivo‑compactum). A Cairn d’Ernes (Calvados) ; B Butte Sandun, Guérande (Loire‑Atlantique).

6En ce qui concerne l’Epeautre (Triticum spelta), sa mention n’est pas certaine. L’auteur de l’analyse carpologique de la Baume de Gonvillars, où il est attesté, doute de la présence de l’espèce (Villaret von Rochow 1974). De plus, il ne précise pas si des bases d’épillets (le seul élément qui permette, sans ambiguïté, d’attester ce Blé) ont bien été retrouvées sur le site. Aussi, sommes‑nous très réservés quant à l’existence de l’Epeautre. D’autant plus qu’à l’époque, il paraît localisé en Pologne méridionale et en Moldavie.

7L’extension de la culture de l’Orge à grains vêtus poursuit le mouvement d’est en ouest instauré lors des phases anciennes du Néolithique ancien. La plante ne s’étendait pas, en effet, à l’époque antérieure, au‑delà de la rive droite du Rhin sauf sur le gisement de Köln‑Lindenthal (Knörzer 1971) ; localisé, il est vrai, en bordure du fleuve. Au Post‑Rubané, l’Orge vêtue franchit le Rhin et se répartit un peu plus à l’ouest (Alsace, Doubs). L’accroissement des semis de cette céréale se conçoit fort bien. Il s’agit d’une variété qui offre un rendement supérieur à la variété à grains nus car elle résiste mieux à l’égrenage naturel.

8La présence du Millet commun à Fossé est, en revanche, tout à fait surprenante. Cette découverte constitue la mention la plus occidentale de l’espèce pour le début du IVe millénaire. Elle est même très éloignée (plus de 500 km) des sites contemporains les plus proches (Aldenhoven, Langweiler en Rhénanie) (Marinval à paraître). Pour l’instant, compte tenu de l’état d’avancement de nos connaissances, la mention de Fossé demeure donc énigmatique car il ne peut s’agir de grains intrusifs. Le site, un habitat de plein air sur un plateau calcaire, ne présente qu’un seul niveau d’occupation. De plus, les grains de Millet ont été retrouvés dans un trou de poteau et étaient associés à de la céramique du Néolithique ancien.

9Si l’Orge et éventuellement le Millet commun sont issus de l’extension du complexe danubien, en revanche, le Blé tendre hérisson semble provenir d’un autre horizon. Mais nous traiterons de ce Blé lorsque nous aborderons le Néolithique moyen. Les données relatives à cette période nous permettrons de mieux cerner l’aire d’origine de ce taxon.

10Une autre plante est mentionnée au cours du Post‑Danubien : la Vigne (Vitis sp.). Lors des fouilles du Jardin du Carrousel, après un tamisage d’un échantillon de sédiment provenant du fond d’une fosse silo (F 52), A.

11Cornejo a mis au jour un fragment de pépin carbonisé de raisin (Vitis sp.) relativement mal conservé. La présence de Vigne à Paris (situé dans l’aire de dispersion de l’espèce) n’a rien de surprenant d’autant plus que le gisement est localisé en bordure de Seine (la Vigne sauvage est une sorte de « liane » qui croît dans la ripisylve). Au reste, des pépins de Vigne sauvage (Vitis sylvestris) ont été retrouvés sur le site mésolithique de Noyen‑sur‑Seine (étude P. Marinval inédite). Cependant il est regrettable que nous ne disposions que d’un fragment ce qui ne nous permet pas de préciser le statut de la plante : Vigne sauvage ou cultivée car des découvertes récentes pourraient bouleverser les schémas établis jusqu’alors.

12Dans le sud de l’Angleterre, en 1981, fut mis au jour sur le site néolithique d’Hambledon Hill (Dorset) un unique pépin de raisin, malheureusement endommagé, mais qui présente une nette morphologie de pépin de Vigne cultivée. Il s’intègre au sein d’une série de datations parfaitement cohérentes de 4660 ± 80 B.P. (Jones, Legge 1987). Les auteurs se demandent, évidemment sans pouvoir apporter de réponse, si ce pépin est issu d’une vigne cultivée localement ou bien s’il s’agit d’une importation à partir du continent.

13Fort loin de la limite nord de la Vigne, il faut signaler l’existence au Danemark de pollens de Vigne (Vitis sp.) au sein d’un contexte néolithique et les découvertes sur plusieurs gisements du centre de la Suède d’impressions, identifiées par quatre personnes différentes, de pépins de raisin dans de la céramique néolithique. Malheureusement, il est bien délicat à partir de ces seules empreintes de proposer une détermination spécifique.

14Ces informations sont anciennes puisque les publications datent des années quarante et cinquante, mais elles sont passées inaperçues car rédigées en danois et en suédois. G. Rausing (1990), en assurant leur présentation en anglais, a permis de les faire connaître à la communauté internationale. Ces découvertes laissent pour le moins perplexe. La dispersion de la Vigne serait à reconsidérer complètement tout comme éventuellement l’origine de sa culture. En tout cas, cela ne fait qu’accentuer notre regret face à la médiocre conservation de l’exemplaire du Louvre.

15Quoi qu’il en soit de l’existence ou non de la culture de la Vigne, l’agriculture de la fin du Néolithique ancien montre un accroissement indéniable du nombre de plantes cultivées. De plus, un certain équilibre entre les céréales semble apparemment s’instaurer. Les Blés vêtus (Amidonnier, Engrain) ne sont plus aussi dominants. L’Orge commence à les concurrencer. Elle deviendra même, dans toute l’Europe, la céréale prépondérante à l’âge du Bronze.

4.1.3 Le Néolithique moyen

16Fig. 103, tabl. xvi

17L’ensemble des plantes attestées aux époques antérieures continue globalement à être exploité, Les seules distinctions manifestes au Néolithique moyen sont l’apparition du Lin (Linum usitatissimum) dans le Jura, du Pavot (Papaver somniferum) dans l’Aisne et le Jura ainsi que l’extension du Blé tendre hérisson dans le nord et l’ouest du pays.

FIG. 103 – Gisements du Néolithique moyen dont les paléo‑semences ont été analysées. A aire actuelle dans laquelle le Chêne vert (Quercus ilex) est abondant (selon Roi et al. 1981) ; B aire actuelle dans laquelle le Chêne vert est disséminé (selon Roi et al. 1981).

18La présence des deux premiers végétaux s’accorde tout à fait avec les aires de dispersion de ces espèces. Le Lin est commun dans les sites de la céramique linéaire de l’Allemagne de l’Ouest et figure très fréquemment dans les palafittes suisses au Néolithique moyen et final. Toutefois, du fait de cette répartition, sa mention uniquement dans l’est de la France est inattendue. Peut‑être n’est‑elle que le reflet de l’état de nos connaissances ? Le Pavot est attesté sur de nombreux sites antérieurs à 6 000 B.P. de la zone rhénane et du Limbourg néerlandais. Par la suite, il est courant en Europe centrale (Allemagne et Suisse). Aussi sa présence à Cuiry‑lès‑Chaudardes et à Clairvaux n’a rien d’exceptionnelle.

19En revanche, l’extension comme l’importance du Blé tendre compact, notamment sur la façade atlantique, détonne par rapport aux situations qui prévalent en Europe septentrionale. Au Néolithique danubien, ce Blé, bien qu’il ne soit attesté que sur un nombre réduit de sites et toujours par quelques individus, se répartit sur une vaste étendue. Celle‑ci, de nature orientale, part de l’est du Rhin pour aboutir à la Pologne (fig. 104). Lors du Post‑Rubané il commence à gagner l’Occident. On le rencontre alors entre la Meuse et le Rhin et, en France, il est présent sur le site rössen de Rosheim (Erroux 1976), dans le gisement sous abri de Gonvillars (Villaret von Rochow 1974). Un grain a aussi été retrouvé dans l’habitat de Fossé (Van Zeist in Despriée, Viet 1981). Malgré cet élargissement géographique, l’importance, en nombre de grains, de ce Blé demeure fort réduite. Les gisements de la façade atlantique, Tinténiac et Butte Sandun, paléosols du tumulus de Dissignac et du Cairn d’Ernes, sur lesquels le Blé tendre compact est largement dominant sinon seule céréale attestée, sont en totale discordance avec le reste des données. En fait, tout un faisceau d’indices laisse supposer que l’apparition et l’impressionnant développement de ce Blé dans la moitié ouest du pays résultent d’influences méditerranéennes :
– le Blé tendre compact représente avec l’Orge à grains nus les fondements de l’agriculture cardiale du Midi français (Marinval 1988, 1992). Or, des éléments céramiques d’affinités cardiales ont été récemment mis au jour dans l’Anjou et le Centre (Villes 1984 ; Bailloud et al. 1987 ; Roussot‑Larroque et al. 1987), selon M. Lichardus‑Itten (1986), des parallèles existeraient également dans la décoration des poteries entre les civilisations cardiales et le Rubané récent du Bassin parisien ; R. Joussaume et J.‑P. Pautreau (1984) avaient aussi évoqué l’existence de contacts entre les zones méditerranéennes et le centre‑ouest d’après l’étude des armatures en silex de la culture mésolithique retzienne ;
– comme le Pavot sauvage n’existe pas au Proche‑Orient ni en Europe centrale mais qu’il est présent en Méditerranée occidentale (Italie, France, Espagne), C.C. Bakels (1982) avait émis l’hypothèse, pour expliquer les mentions rhénanes et du Limbourg, que les prémices de la culture de la plante seraient à rechercher dans le bassin méditerranéen occidental ; des liens entre les deux régions se seraient alors produits ;
– au plan biométrique (fig. 105), il est troublant de constater que les individus mesurés de Blé tendre compact des gisements d’Ernes et de Sandun s’intègrent parfaitement dans le nuage de dispersion des populations méridionales françaises et se démarquent de celles de contrées plus septentrionales, (tabl. xvii) ce qui représente un argument supplémentaire pour asseoir l’hypothèse de l’origine méditerranéenne des souches cultivées dans le grand Ouest.

FIG. 104 – Carte de répartition des découvertes de Blé tendre‑compact (Triticum aestivo‑compactum) au Rubané et Post‑Rubané occidental (d’après Willerding 1970 ; Bouchette 1987 modifié). 1 sites rubanés ; 2 sites occidentaux post‑rubanés.

FIG. 105 – Comparaison biométrique des valeurs moyennes de populations de Blé tendre‑compact (Triticum aestivo‑compactum) antérieures à 6000 B.P. Les échantillons néerlandais datent de périodes plus récentes.

TABL. XVII – Indices biométriques des caryopses de Blé tendre‑compact (Triticum aestivo‑compactum) du Cairn d’Ernes (14) et de la Butte Sandun, Guérande (44).

20Le climat est peut‑être un facteur qui a pu intervenir dans l’établissement de ces relations interrégionales. La façade atlantique bénéficie d’influences méridionales qui permettent la croissance de quelques espèces méditerranéennes dont le Chêne vert (Quercus ilex) (Rol et al. 1981 ; Marinval 1987) (fig. 103). Cette série d’arguments tend bien à concrétiser l’établissement de relations entre le nord et le sud de la France. Les influences méridionales sont même manifestes jusqu’aux rives septentrionales du Rhin par la présence du Pavot. Cependant, les échanges ne se seraient pas effectués que dans un sens, du sud vers le nord. Nous avons suggéré (Marinval 1988, 1990) que la civilisation rubanée pouvait éventuellement être à l’origine du développement de l’Amidonnier dans le Midi de la France.

4.1.4 Conclusion

21Ce premier bilan, évidemment très lacunaire, laisse de nombreuses questions sans réponses. Subsistent également beaucoup de « blancs » sur les cartes de répartition. Mais il a permis de dégager quelques tendances qui s’avèrent fort intéressantes pour la compréhension de l’économie des sociétés du début du Néolithique.

Bibliographie

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Table des illustrations

Légende FIG. 101 – Sites du Néolithique ancien du nord de la France dont les paléo‑semences ont été étudiées.
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Légende TABL. XVI – Les plantes attestées au Néolithique ancien et moyen.
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Légende FIG. 102 – Caryopses (grains) de Blé tendre‑compact (Triticum aestivo‑compactum). A Cairn d’Ernes (Calvados) ; B Butte Sandun, Guérande (Loire‑Atlantique).
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Légende FIG. 103 – Gisements du Néolithique moyen dont les paléo‑semences ont été analysées. A aire actuelle dans laquelle le Chêne vert (Quercus ilex) est abondant (selon Roi et al. 1981) ; B aire actuelle dans laquelle le Chêne vert est disséminé (selon Roi et al. 1981).
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Légende FIG. 104 – Carte de répartition des découvertes de Blé tendre‑compact (Triticum aestivo‑compactum) au Rubané et Post‑Rubané occidental (d’après Willerding 1970 ; Bouchette 1987 modifié). 1 sites rubanés ; 2 sites occidentaux post‑rubanés.
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Légende FIG. 105 – Comparaison biométrique des valeurs moyennes de populations de Blé tendre‑compact (Triticum aestivo‑compactum) antérieures à 6000 B.P. Les échantillons néerlandais datent de périodes plus récentes.
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Légende TABL. XVII – Indices biométriques des caryopses de Blé tendre‑compact (Triticum aestivo‑compactum) du Cairn d’Ernes (14) et de la Butte Sandun, Guérande (44).
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© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1993

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