1Dans le Bassin parisien, les débuts du Néolithique moyen se caractérisent d’une part par l’apparition des structures de retranchement et des enclos funéraires, d’autre part par la diversification de l’implantation des habitats (Mordant 1980, 1984a, b, c). Ces innovations supposent une emprise nouvelle du groupe humain sur l’espace naturel. Elles impliquent par conséquent une organisation sociale différente s’accompagnant de modifications dans les domaines techno‑économiques et environnementaux. Ce sont ces derniers aspects que nous nous proposons d’aborder ici.

2Les observations de fouilles, menées depuis plus de 20 ans dans la vallée de la Petite‑Seine (fig. 72), posent de manière concrète la question des modalités de la transition Néolithique ancien/Néolithique moyen :
– en effet, à Marolles (Mordant 1970, 1986) les fosses latérales d’un bâtiment de type danubien ont livré une production céramique rattachable au groupe de Cerny ;
– d’autre part, l’enceinte de Châtenay/Les Pâtures contenait à la fois des éléments Villeneuve‑Saint‑Germain (décors plastiques) et Cerny (plat à pain, préhension « en oreille » horizontale...) (Gouge et al. à paraître) ;
– enfin, à Balloy/Les Réaudins (fouille D. Mordant) la position parfaitement tangentielle et symétrique de deux structures Villeneuve‑Saint‑Germain par rapport au tracé d’un enclos funéraire attribué au Cerny (fragments d’un même vase dispersés sur 1,5 m dans le fond du fossé) suggère l’hypothèse que ces deux structures étaient encore ouvertes lors de la construction du fossé.

3Il semble bien que ces modifications apparaissent progressivement avec l’adoption échelonnée des caractéristiques architecturales et culturelles du Néolithique moyen, comme le souligne D. Mordant (1980). Ceci est également vrai pour l’évolution typo‑céramique qui montre une continuité stylistique entre le post‑Rubané et la culture de Cerny (Mordant 1980 ; Constantin 1985). De quelle manière les résultats sur l’évolution du système techno‑économique qui ressortent de la confrontation des données lithiques, zooarchéologiques et palynologiques s’articulent‑elles par rapport à ce processus graduel ?

4La transition Néolithique ancien/Néolithique moyen sera principalement abordée, d’un point de vue lithique et faunique, à travers l’étude des séries de Balloy/Les Réaudins (fouille D. Mordant, fig. 72). Le Villeneuve‑Saint‑Germain est représenté par les plans, partiels ou complets, de trois bâtiments danubiens dont les fosses latérales étaient riches en rejets domestiques, ainsi que par quelques fosses isolées et trois sépultures ocrées avec inhumation en position repliée. On trouve également, superposée à ce village, les restes d’une nécropole Cerny dont six monuments funéraires ont été à ce jour découverts ; l’un d’eux se trouve en étroite relation, rappelons‑le, avec deux structures Villeneuve‑Saint‑Germain. A 50 m au sud‑ouest de cet ensemble se déploie l’enceinte Cerny dont un quart est actuellement exploité. Les fossés contenaient également d’abondants restes de détritus et d’autres dépôts, plus exceptionnels. Les données réunies à partir de ce site unique, tant par l’abondance et la qualité du matériel que par les périodes représentées et l’intérêt des structures, constituent les résultats les plus complets sur l’aspect techno‑économique du passage Néolithique ancien/Néolithique moyen dans la vallée de la Petite‑Seine. Ils s’inscrivent dans l’évolution déjà entrevue à partir de séries souvent moins importantes et qui seront reprises ici :
– transition Villeneuve‑Saint‑Germain/Cerny : enceinte de Châtenay/Les Pâtures (fouille P. Gouge ; Gouge et al. à paraître) ;
– groupe de Cerny : enceinte de Barbuise‑Courtavant (fouille J. Piette ; Piette 1974) ;
– groupe de Noyen : enceinte de Grisy/Les Rouqueux, barrage de Noyen (fouille C. et D. Mordant ; Mordant 1980, 1981, 1982, 1988) ;
– groupe de Balloy : enceinte de Châtenay/Le Maran (fouille C. et D. Mordant ; Mordant 1982, 1988), occupation de berge de Châtenay/La Bachère (fouille P. Gouge). Ces deux derniers sites ont fourni très peu de vestiges Ethiques, seule l’étude zooarchéologique a pu être menée.

5La palynologie ne dispose actuellement que des échantillons prélevés dans la séquence stratigraphique du chenal fossile de Noyen‑sur‑Seine (Mordant 1989), dont certains secteurs présentaient des niveaux néolithiques. Les résultats obtenus demandent à être étayés par des prélèvements systématiques à proximité des habitats et dans des zones plus faiblement occupées. Ce projet est en cours d’élaboration.

3.2.1 L’industrie lithique en silex

6Les séries lithiques de Balloy sont composées de restes de débitage et d’outils usagés.

L’industrie Villeneuve‑Saint‑Germain

7fig. 73

8Les vestiges lithiques Villeneuve‑Saint‑Germain sont très abondants. On compte jusqu’à 17 kg d’éclats de débitage par m² dans la structure 13 et près de 54 kg de blocs de silex concassés pour la structure 14. Les nucléus à éclats atteignent près de 300 individus (les nucléus à lames sont rares : 3 individus au total), les percuteurs dépassent la centaine. Les pièces retouchées qui sont présentées ici forment donc un pourcentage très faible par rapport au total des restes Ethiques. L’industrie se caractérise par une production de lames qui atteint 8 à 44 % des pièces retouchées selon les structures (moyennes : 27,5 %). Ces lames semblent avoir été débitées par percussion indirecte (L Pélegrin, comm. pers.). Le restant des outils est constitué de pièces retouchées sur éclat (69,7 %) et de pièces façonnées sur bloc (2,8 %) (tabl. xiv).

9La matière première utilisée est en grande majorité un silex local. Les affleurements du Crétacé abondent en effet dans cette partie de la vallée et présentent de nombreux rognons de silex de la craie. Le site se trouve à quelques centaines de mètres d’un tel affleurement. D’autre part, une petite proportion de silex éocène a été utilisée pour la fabrication de lames. Toutefois, cette matière est très peu représentée parmi les pièces retouchées où elle ne dépasse jamais 7 % de la production totale par structure. Elle est absente parmi les restes de taille. Cependant, la présence de ce silex, dont l’origine reste à préciser, est remarquable en dépit de sa ténuité. En effet, c’est une caractéristique exclusive du Villeneuve‑Saint‑Germain dans la vallée. On trouve enfin une petite hache polie en roche tenace.

10La composition de l’outillage (fig. 73, A) se caractérise par une dominance des grattoirs aussi bien sur lame que sur éclats (39 % des pièces). Les denticulés sur éclats sont généralement en quantité importante (19,9 % des pièces retouchées). La majorité des pièces sur éclat est représentée par ces deux types d’outils. Pour le reste de l’industrie les proportions sont inférieures à 10 % : burins sur lame (3,2 %), lames tronquées (2,4 %), lames utilisées (bords grignotés, pièces esquillées : 4,8 %..,).

L’industie Cerny

11fig. 73, B

12L’industrie Lithique du Cerny de Balloy représente à ce jour 6 973 pièces avec 6 268 éclats de taille, 142 nucléus à éclats, 87 percuteurs et 476 pièces retouchées et façonnées. Elle possède les caractéristiques suivantes :
– la totalité est façonnée dans un silex local ; néanmoins, les grès (fragments de haches polies) sont présents ;
– on trouve essentiellement une production d’éclats obtenue grâce à un débitage simple avec préparation sommaire des blocs qui se limite au décalottage des rognons ; la production de support laminaire par percussion dure concerne à peine 5 % des outils ;
– la composition de l’outillage (fig. 73, B) se caractérise par une dominance des grattoirs (38,1 % des pièces retouchées) ; les denticulés sont beaucoup moins importants (7,4 %) ; un trait marquant est la forte proportion de pièces à enlèvements irréguliers (14,1 %) ; enfin, il existe une petite proportion de tranchets (10,3 %) ; ces derniers sont façonnés par un véritable coup de tranchet pour 63 % d’entre eux ; le restant regroupe des éclats aménagés par bitroncature (grandes bitroncatures géométriques).

13Les séries du Villeneuve‑Saint‑Germain et du Cerny de Balloy se distinguent par plusieurs aspects fondamentaux :
– le silex éocène est absent dans la série du Cerny ;
– la méthode de débitage laminaire par percussion indirecte est uniquement représentée dans le Villeneuve‑Saint‑Germain ;
– enfin, la série Cerny montre l’apparition des tranchets ainsi que des éclats aménagés par bitroncature (grandes bitroncatures) et des armatures tranchantes (petites bitroncatures géométriques ).

14Cependant, le grattoir sur éclat reste l’outil dominant, ce qui apparaît comme une caractéristique de l’ensemble du Néolithique du Bassin parisien dès l’Epi‑rubané.

Les industries de la vallée, du Néolithique ancien à la fin du Néolithique moyen

15Afin de replacer les séries de Balloy dans l’ensemble des industries de la vallée, une analyse factorielle des correspondances a été effectuée. Celle‑ci porte sur la répartition des types de pièces retouchées sur éclat ou sur bloc par sites. Les lames du Villeneuve‑Saint‑Germain, jugées trop discriminantes, ont été éliminées.

16Les trois premiers axes représentent 96 % de l’inertie totale. Cette analyse fait apparaître trois ensembles (fig. 74) :
– la série Villeneuve‑Saint‑Germain, qui définit 65 % de l’axe 2 (28,7 % de l’inertie totale), se distingue bien des autres ensembles, avec une forte contribution des denticulés (DE : 29,1 %) ;
– Barbuise (qui participe à 54,1 % à la formation de l’axe 1) et Balloy‑Cerny sont groupés sur l’axe 1 (45,9 %), notamment grâce à la présence des petites bitroncatures géométriques (GE.) ; cependant, ils s’opposent sur l’axe 3 (21 % de l’inertie totale), où leur participation est importante ; cette opposition s’accompagne de celle des tranchets (TR), absents à Barbuise, aux pics (PI), mieux représentés sur ce même site (Augereau 1989) ; une étude approfondie du matériel de ces deux enceintes devrait permettre de mieux apprécier ces variations et de déterminer leur origine ;
– Grisy et Noyen sont très proches sur l’axe 2 (28,7 %) et sont attirés par les foliacées (FO) et les pièces appointies (PT), les racloirs (RA), les grandes bitroncatures (BT) et les haches en silex local (HS) ; ces types constituent les principales différences avec les industries du Cerny.

17Cependant, l’ensemble des séries du Néolithique moyen s’inscrivent le long d’une diagonale, ce qui pourrait attester leur continuité.

18Il est remarquable de constater qu’en dépit de la Suppression des lames, la série du Villeneuve‑Saint‑Germain s’individualise. Parallèlement, l’analyse factorielle fait ressortir les différences entre le Cerny et le groupe de Noyen. Mais celles‑ci n’affectent que les types d’outils secondaires et une parenté technologique unit les ensembles du Néolithique moyen : méthode de débitage d’éclats dans un silex local, majorité des grattoirs, importance des pièces à enlèvements irréguliers, apparition des tranchets et augmentation des grandes bitroncatures.

Conclusion

19La méthode de débitage laminaire par percussion indirecte, avec un petit pourcentage de silex tertiaire, semble être une caractéristique du Néolithique ancien régional. A Montereau, J. Tarrête (1970) signale une industrie de lames découverte en contexte Villeneuve‑Saint‑Germain dont une petite proportion est façonnée dans un « silex beige clair ». D’autre part, la proportion des classes d’outillage laminaire et les types d’armatures (symétriques à retouche biface à la base trapèze) de Balloy sont comparables aux autres industries Villeneuve‑Saint‑Germain du Bassin parisien (Trosly‑Breuil et sites de la vallée de l’Aisne : Plateaux, comm. pers. et communication au colloque « Rubané et Cardial », Liège, octobre 1988) et à celles des habitats blicquyens de Belgique (Cahen et al. 1986).

20Le passage au Néolithique moyen paraît donc marqué par l’abandon de la méthode laminaire et par l’arrêt de l’approvisionnement en silex éocène (sous forme de produits finis ?). La méthode de débitage simple dans une matière première locale prévaudra jusqu’à la fin du groupe de Noyen. Cette perte serait effective dès la charnière entre le Villeneuve‑Saint‑Germain et le Cerny. En effet, l’enceinte de Châtenay/Les Pâtures, rattachée à cette période selon les types céramiques, a livré une production sur éclat à dominante de grattoirs façonnés dans un silex local (Augereau, à paraître). Ces modifications surviendraient donc assez rapidement puisque les habitations danubiennes de Balloy et l’enceinte de Châtenay seraient relativement proches dans le temps, d’après la typologie céramique. Cette évolution se répète dans certains secteurs du Bassin parisien : dans la vallée de l’Oise, c’est une industrie sur éclat avec une majorité de grattoirs que l’on trouve dans le Chasséen septentrional ; dans la vallée de l’Aisne, la composante laminaire reste importante mais recule nettement par rapport aux périodes précédentes (Plateaux, comm. pers. ; Dubouloz et al. 1989 ; Augereau, Hamard 1991). D’une manière générale, il semblerait que le début du Néolithique moyen soit marqué par une simplification technologique. Ce fait, qui affecte l’ensemble du Bassin parisien, apparaît donc comme une étape fondamentale dans l’évolution des industries lithiques de cette région lors de la transition Néolithique ancien/Néolithique moyen. Les causes et la signification de ce phénomène font actuellement l’objet d’un axe de recherches.

3.2.2 L’approvisionnement carné

21L’exploitation et la production vivrières constituent également un secteur clé de ce changement techno‑économique. C’est particulièrement perceptible au niveau de l’approvisionnement carné, dont on tentera de mettre en évidence les modalités d’évolution. Seuls les problèmes inhérents au choix des espèces consommées seront envisagés, car c’est dans ce domaine que nos données sont les plus nombreuses. L’analyse est fondée sur l’étude comparative de huit ensembles fauniques diachrones, issus de dépotoirs d’habitats (cf. introduction). Le paramètre choisi pour décrire cette évolution est le pourcentage de nombre de restes par espèce.

Les ensembles Villeneuve‑Saint‑Germain et Cerny de Balloy

22fig. 75

La faune du village Villeneuve‑Saint‑Germain

23L’échantillon est constitué de plusieurs milliers de restes, dont un peu plus de 1 300 ont été déterminés. La grande taille de certains restes de Bovins et de Suidés laisse subsister un doute quant à leur attribution à des formes domestiques ou sauvages. Il semble cependant que l’élevage soit le mode principal d’approvisionnement carné sur le site. Il est de type mixte, intégrant l’exploitation du Bœuf, espèce la mieux représentée avec plus de 50 % des restes, mais aussi des Caprinés (30 % des restes). Le Porc semble avoir été assez peu prisé (moins de 15 % des restes). Les rares restes de faune sauvage renvoient essentiellement au Cerf. Cela est tout à fait cohérent avec ce que l’on connaît actuellement des ensembles de la fin du Néolithique ancien dans le Bassin parisien, de la Picardie jusqu’à la Bourgogne (Beny‑au‑Bac/La Croix Maigret et Le Chemin de la Pêcherie à Menneville, Méniel 1984 ; Anneau, Poplin 1975), les Caprinés étant cependant à Balloy légèrement plus abondants qu’ailleurs.

La faune de l’enceinte de Cerny

24Le matériel est constitué de quelques milliers de restes dont un peu plus de 800 ont été déterminés. Il provient du fossé d’enceinte. La chasse semble relativement importante, elle concerne essentiellement le Cerf qui représente 8,9 % des restes. L’élevage est presque exclusivement centré sur l’exploitation du Bœuf (69,6 % NR). Les Suidés occupent une place secondaire (14,4 % du NR). Les Caprinés sont faiblement représentés (6 % des restes). On remarque la présence du Chien dans les détritus domestiques. La comparaison entre les deux ensembles met en évidence :
– un changement d’orientation de l’élevage ; on passe en effet d’une exploitation de type mixte intégrant les Bovins et les Caprinés à un élevage presque exclusivement centré sur le Bœuf, les Caprinés étant relégués à une place très secondaire ;
– l’augmentation sensible de la proportion de Cerf ;
– la stabilité de la représentation des Suidés ;
– l’apparition sporadique du Chien dans les restes de cuisine.

Evolution du choix des espèces : du Villeneuve‑Saint‑Germain au groupe de Balloy

25tabl. xv et fig. 76

26Les différences constatées entre les spectres fauniques Villeneuve‑Saint‑Germain et Cerny de Balloy semblent s’intégrer à un phénomène général, observable entre la fin du Néolithique ancien et le Néolithique moyen récent dans la vallée de la Seine. En effet, si l’on examine l’évolution de la fréquence des quatre principaux taxons exploités (Bœuf, Porc, Caprinés et Cerf) à travers les huit ensembles traités (tabl. xv, fig. 76), on observe l’apparition entre le VSG et le début du Cerny, de certains traits typiques du Néolithique moyen régional :
– la régression du taux de Caprinés observée précédemment semble s’effectuer très tôt et de manière brutale, puisqu’elle est déjà observable dans l’enceinte Villeneuve‑Saint‑Germain/Cerny de Châtenay/Les Pâtures (tabl. xv, fig. 76), où ce groupe n’est pas représenté (la conservation différentielle explique en partie cette absence totale) ; jusqu’à la fin du Néolithique moyen (Châtenay/La Bachère, tabl. xv, fig. 76), son importance restera très faible, ne dépassant jamais 10 % du nombre de restes déterminés total ;
– après une brusque poussée au début du Cerny, la proportion de Bœuf, tout en restant majoritaire, régresse de manière constante jusqu’à la fin du Néolithique moyen ;
– en ce qui concerne le Cerf, sa contribution à l’approvisionnement en ressources animales augmente sensiblement dès la transition Villeneuve‑Saint‑Germain/Cerny (Châtenay/Les Pâtures) ; ce phénomène semble s’amplifier par la suite, le taux de Cerf dans les restes fauniques culminant aux alentours de 20 % à la fin du Néolithique moyen II (groupe de Balloy : enceinte de Châtenay/Le Maran et Châtenay/La Bachère, tabl. xv, fig. 76) ; on remarque que les bois restent minoritaires parmi les restes de Cerf ; leur fréquence au regard de l’ensemble des restes fauniques semble à peu près constante durant le Néolithique moyen, sauf à Châtenay/La Bachère ;
– l’importance du Porc dans les spectres de faune reste relativement stable de la fin du Néolithique ancien jusqu’à l’extrême fin du Néolithique moyen (sa représentation fluctuant autour de 15 % des restes), sauf à Noyen (n^o 6 sur le tabl. xv et la fig. 76), caractérisé par un élevage mixte intégrant l’exploitation du Bœuf et du Porc ; le type d’élevage mis en évidence sur ce dernier site (Tresset 1988a, b) n’est pas sans rappeler ce que l’on observe sur les sites du Néolithique moyen de la vallée de l’Aisne, à Berry‑au‑Bac (Méniel 1984), à Bazoches et Maizy (Hachem 1987, 1989).

Situation de la vallée de la Seine au sein du Bassin parisien

27Le diagramme de la figure 77 montre que du point de vue de la composition faunique :
– l’ensemble Villeneuve‑Saint‑Germain de Balloy se rattache, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, à la sphère rubanée et épi‑rubanée du Bassin parisien, qui semble former une entité cohérente (A) ;
– les ensembles fauniques du Néolithique moyen de la vallée de la Seine forment un groupe homogène (B), bien distinct du précédent ainsi que du Néolithique moyen de la vallée de l’Aisne (C) ; Noyen (6) fait exception, puisqu’il semble avoir plus d’affinités avec cette dernière région qu’avec la vallée de la Seine ; cela recouvre à notre avis un problème d’influences culturelles que nous avons déjà traité ailleurs (Tresset 1987, 1988a) et au sujet duquel le débat reste ouvert.

Conclusion

28Cette analyse permet de dégager plusieurs points majeurs. Il semble tout d’abord que l’on puisse parler de rupture, en ce qui concerne les proportions dans lesquelles les espèces animales étaient exploitées, entre le Néolithique ancien et moyen de la vallée de la Seine ; ce bouleversement est caractérisé par l’apparition d’un élevage mixte intégrant les Bovins et les Caprinés ; un autre phénomène important est l’augmentation sensible de la place du Cerf dans les ressources animales perceptible dès le début du Néolithique moyen. On remarque également la forte cohésion inhérente aux différents groupes que sont respectivement le Néolithique ancien du Bassin parisien, le Néolithique moyen de la vallée de la Seine et le Néolithique moyen de la vallée de l’Aisne ; ils semblent, au plan de l’approvisionnement carné, constituer des entités bien définies et distinctes.

29A l’échelle du Bassin parisien on assisterait donc, après une période où un certain conformisme culturel prévalait quant aux proportions dans lesquelles les différentes espèces animales étaient exploitées (sphère rubanée et épi‑rubanée), à un changement radical d’orientation dès le début du Néolithique moyen. Celui‑ci déboucherait, en ce qui concerne l’élevage, sur une différence d’options entre Aisne et Seine.

3.2.3 Le cadre végétal

30D’un point de vue floristique, la transition Néolithique ancien/Néolithique moyen ne sera abordée qu’au travers des études polliniques réalisées sur les paléochenaux tourbeux de Noyen. En effet, les travaux engagés sur les sites de Balloy et de Châtenay/La Bachère ne sont pas encore achevés.

31A Noyen, l’étude palynologique de sept coupes a permis d’y retracer l’évolution du pré‑Boréal jusqu’au sub‑Boréal. Quatre d’entre elles, réparties sur l’ensemble du site (fig. 78), présentent des niveaux néolithiques. Toutefois, ces niveaux ne témoignent pas tous d’un même type de fréquentation. Si une occupation du Néolithique moyen II est attestée à Noyen, les vestiges archéologiques du Néolithique ancien sont ténus, révélant plutôt une fréquentation des lieux qu’une réelle implantation dans ce fond de vallée.

Le Néolithique ancien

32Le cadre végétal durant le Néolithique ancien nous est connu au travers de deux séquences. Au nord du site, la coupe XVI U 211 comprend, sus‑jacent à un Mésolithique tardif, un niveau Néolithique ancien. Les spectres polliniques (fig. 79) y témoignent d’un taux de pollens arboréens assez élevés, oscillant de 70 à 76 %. Le Pin (17 à 25 %) est l’essence majoritaire, alors que cette place était tenue dans les niveaux mésolithiques par le Noisetier, qui conserve malgré tout une bonne représentation. Au sein de la chênaie, si le Chêne reste le taxon majeur (8 à 14 %), le Tilleul est en hausse (3 à 7 %), bientôt en proportion plus élevée que l’Orme, dont la courbe décline. Enfin, l’Aulne connaît une lente progression (de 2 à 17 %), occupant au sommet de la séquence la seconde place derrière le Pin. Située au nord‑ouest de la précédente, la coupe XVI L 196 présente la stratigraphie la plus complète du site. Cependant, les couches du Néolithique ancien (c. 7 et 8) sont séparées du Mésolithique par des hiatus de sédimentation, nettement mis en évidence sur le diagramme pollinique (fig. 80). Dans les couches 7 et 8, les taux de pollens arboréens s’élèvent à 70 et même 76 %. Le Pin, en hausse par rapport aux niveaux mésolithiques, est majoritaire avec une représentation d’environ 30 %. Il est secondé par le Noisetier (8 à 17 %) puis par le Tilleul (4 à 16 %). Ce dernier progresse durant le Néolithique ancien, au contraire du Chêne et surtout de l’Orme, qui décline de 7 à 1 %. L’Aulne augmente régulièrement durant cette période, passant d’une représentation de 4 % à 27 %. Ainsi, ces deux séquences témoignent d’un enregistrement pollinique assez proche, illustrant un paysage boisé et faiblement anthropisé.

Le Néolithique moyen II

33Trois diagrammes illustrent le paysage durant le Néolithique moyen. Au sud du site, la coupe XXVI MN 46‑47 témoigne de pollens arboréens élevés (fig. 81) ; ils atteignent 80 %, mais sont essentiellement le fait de l’Aulne qui représente à lui seul près de 50 % des pollens décomptés. Les autres taxons sont beaucoup plus faiblement représentés. Le Pin atteint en moyenne 12 % et le Noisetier 10 % ; le Chêne (8 %) reste majoritaire au sein de la chênaie, secondé par le Tilleul (3 %) puis l’Orme (1 %).

34La coupe XXI U 100, située au nord de la précédente, offre des spectres polliniques (fig. 82) dont l’organisation est très proche. Les taux de pollens arboréens sont élevés (72 à 85 %), trahissant une prédominance massive de l’Aulne (33 à 42 %). En moyenne, le Pin et le Noisetier représentent respectivement 15 et 12 % du total. Le Chêne, bien que régressant de 14 à 3 %, reste déterminant au sein de la chênaie ; il est accompagné du Tilleul qui progresse de 1,5 à 4 % et de l’Orme qui, lui, est en net déclin.

35Enfin, la coupe XVI L 196, située à proximité de l’enceinte (fig. 78), témoigne d’une tout autre organisation des spectres polliniques (fig. 80). Les pollens arboréens y sont faiblement représentés, ayant régressé à 40 et même 23 %. Si l’Aulne se révèle être majoritaire au sein des arbres, le diagramme est dominé ici par les Poacées (43 à 58 %) et les fougères. Les Urticacées  (7 à 9 %) accusent un léger développement ainsi que les Composées liguliflores (cichoriées et le Plantain lancéolé (5 %). Enfin, des pollens de céréales sont présents dans ces niveaux. Ainsi, la répartition spatiale des différentes coupes induit une différence d’enregistrement pollinique qui nous permet d’avoir deux images du paysage à Noyen durant le Néolithique moyen II.

Le passage Néolithique ancien/Néolithique moyen

36On constate donc que les hommes du Néolithique ancien et du Néolithique moyen n’ont pas évolué dans un cadre végétal identique. Toutefois, aucune des coupes de Noyen‑sur‑Seine n’offre une continuité totale entre les deux occupations ; un hiatus, même s’il est probablement de courte durée, vient accentuer la différence entre ces deux types de paysage.

37Durant le Néolithique ancien, la chênaie est bien implantée à Noyen, le Tilleul y joue un rôle important, aux dépens de l’Orme qui s’efface progressivement. Le Pin connaît une meilleure représentation que durant le Mésolithique, tandis que le Noisetier semble moins déterminant. On observe durant cette période la mise en place de l’Aulne, qui ne devient cependant jamais majoritaire. Les associations végétales sont de type atlantique, attribution chrono‑stratigraphique qui concorde avec les datations obtenues. La forte représentation du Pin peut apparaître comme un particularisme ; ce phénomène a toutefois déjà été observé sur d’autres sites du Bassin parisien (Elhai 1959 ; Planchais 1966, 1967).

38Au Néolithique moyen, le paysage apparaît largement dominé par une aulnaie. Le développement important de celle‑ci dans les zones humides amoindrit l’enregistrement pollinique des pins et des composants de la chênaie qui subsistent vraisemblablement aux alentours. Le développement de l’Aulne est un phénomène déjà reconnu dans nombre d’études palynologiques ; il est souvent considéré comme un marqueur chrono‑stratigraphique (Planchais 1969.). En fait, son développement ne s’avère pas synchrone sur l’ensemble du Bassin parisien, il s’étale de 6500 et 3000 B.P. (Van Zeist, Van der Spoel‑Walvius 1980). La mise en place de l’aulnaie doit donc être attribuée à des facteurs locaux.

39A proximité de l’enceinte (coupe XVI L 196), l’anthropisation du milieu se marque nettement dans le diagramme. Un défrichement est mis en évidence par le recul des taux de pollens arboréens. La hausse des proportions de Plantain lancéolé, d’Urticacées et de Composés liguliflores témoigne d’une fréquentation intensive des lieux. Enfin, une mise en culture des terres est attestée par quelques pollens de céréales. L’ouverture du milieu apparaît localisée aux abords immédiats de la zone d’habitat puisqu’à moins de 100 m, l’aulnaie domine et l’anthropisation est faible. Ainsi à Noyen, le développement de l’aulnaie et une pression anthropique sur le milieu permettent de caractériser le paysage du Néolithique moyen par rapport à celui du Néolithique ancien. Toutefois, cette différenciation est amoindrie par l’existence de hiatus dans la sédimentation qui ne nous permettent pas d’enregistrer de manière continue la dynamique de la végétation. Enfin, l’absence d’une réelle occupation du Néolithique ancien sur le site n’autorise aucune interprétation sur l’existence ou non de défrichements avant le Néolithique moyen.

3.2.4 Discussion et conclusion

40La confrontation de ces analyses permet de dégager plusieurs points. La prédominance des grattoirs sur éclat dans l’outillage et l’importance du Bœuf au sein de l’élevage sont deux traits qui semblent perdurer, dans la vallée de la Seine, du Néolithique ancien jusqu’à la fin du Néolithique moyen. Ils semblent caractériser l’ensemble du Néolithique du Bassin parisien. La production de grattoirs sur éclats et l’élevage de Bovins peuvent mettre en jeu des techniques et des finalités très diverses. On peut donc se demander si leur constance spatio‑temporelle recouvre une réelle homologie dans le rôle qu’ils ont tenu au sein des sociétés concernées. Le grattoir sur éclat a‑t‑il été fabriqué selon la même technique et a‑t‑il eu la même fonction, les Bovins ont‑ils été élevés de la même manière et pour les mêmes fins au Néolithique ancien et moyen dans toutes les régions ? L’analyse technologique et tracéologique de l’industrie lithique d’une part et l’étude des stratégies d’abattage des Bovins de l’autre permettront sans doute, dans un proche avenir, d’éclairer ce problème. Parallèlement à cette fixité apparente de certains traits généraux, on enregistre, à la transition Villeneuve‑Saint‑Germain/Cerny, de profonds changements techno‑économiques qui inaugurent le Néolithique moyen dans la vallée :
– abandon total de la méthode laminaire de débitage par percussion indirecte ;
– arrêt de l’approvisionnement en silex tertiaire ;
– importante régression de la place des Caprinés dans l’élevage ;
– amorce de l’augmentation de la proportion de Cerf au sein des ressources animales (viande, matières dures), qui culmine à la fin du Néolithique moyen (groupe de Balloy).

41En ce qui concerne le cadre végétal de la vallée durant cette période, les données sont restreintes au seul site de Noyen. Les observations ne peuvent donc être généralisées. Il est cependant intéressant de remarquer qu’elles montrent un impact anthropique (déforestation) plus important au Néolithique moyen (II, essentiellement) qu’au Néolithique ancien. Ces changements sont difficiles à interpréter. Leur caractère marqué (disparitions totales ou réorientations radicales de certaines techniques) et la rapidité avec laquelle ils se produisent permettent sans doute de parler de mutation. En cela, ils s’opposent à l’évolution stylistique de la céramique et morphologique de l’architecture, qui semble beaucoup plus graduelle. Ces modifications surviennent parallèlement à une diversification de l’implantation des habitats (investissement du fond de la vallée) et à un changement dans leur conception (apparition des enceintes) dans la région (Mordant 1984a, b, c, 1988 ; Dubouloz et al. 1989). Le lien existant entre ces différents phénomènes semble complexe. Il s’inscrit vraisemblablement dans le cadre des profonds changements socio‑économiques qui affectent une grande partie de l’Europe tempérée à cette période (Lichardus, Lichardus‑Itten 1985). Dans la vallée de la Petite‑Seine, cela se traduit par une dislocation de l’identité culturelle danubienne, perceptible dans la disparition de certains traits caractéristiques tels que le débitage laminaire, l’importance de l’élevage des Caprinés et l’architecture danubienne. L’abandon de ces traits culturels est vraisemblablement lié à une réorganisation générale des systèmes de production et de gestion des ressources. Cette réorientation se manifeste, en l’occurrence, par une diversification et une intensification de l’exploitation du milieu naturel au sein de la vallée :
– diversification de l’implantation des habitats ;
– élargissement possible du spectre de chasse (Tresset 1990) ;
– intensification de l’exploitation du bois pour la construction des palissades d’enceintes ;
– augmentation de l’exploitation du Cerf.

42Cette augmentation de la pression d’exploitation sur l’environnement naturel aurait induit l’anthropisation du paysage dont rendent compte les enregistrements palynologiques. On assisterait donc à un élargissement et à un renforcement de l’emprise des communautés sur leur territoire, phénomène qui trouverait sa symbolisation dans la construction des enceintes (Mordant 1988). Ce serait donc la notion même de territoire qui aurait changé au sein du groupe humain, et cela ne serait peut‑être pas étranger à la diversification culturelle et techno‑économique observée entre les différentes microrégions du Bassin parisien au Néolithique moyen. Tout cela n’est encore qu’un scénario hypothétique qui reste à étayer et à tester à partir d’un corpus de données plus important. Quoi qu’il en soit, même si les résultats à venir l’accréditent, il ne fait que contribuer à expliquer un mécanisme de transformation. Il reste en effet à comprendre les causes profondes de la dislocation rapide du système socio‑économique danubien dans nos régions au début du IV^e millénaire.