1Cet article fait le point sur l’état actuel des recherches effectuées au laboratoire d’Anthropologie de l’université de Rennes I concernant l’environnement du Mésolithique au Néolithique en Bretagne. L’étude porte principalement sur des paléosols scellés par différents types de tertres tumulaires littoraux et intérieurs (dolmens, allées couvertes) et sur des tourbières associées contemporaines de ces sites (fig. 5). Elle comprend des analyses sédimentologiques et paléobotaniques, effectuées respectivement par A. Gebhardt et D. Marguerie, et menées en parallèle sur les sites concernés. A la palynologie, appliquée aux sites archéologiques bretons depuis quelques années, viennent, récemment, s’ajouter des études anthracologiques. En sédimentologie, depuis deux ans, des résultats micromorphologiques complètent ceux de la granulométrie.

1.2.1 Le Mésolithique

2La péninsule armoricaine recèle une petite cinquantaine de sites épipaléolithiques et mésolithiques. Ils sont répartis principalement dans les zones côtières et correspondent à des habitats (Beg‑er‑Vil et Beg‑an‑Dorchenn), des nécropoles (Hoëdic et Téviec), ainsi qu’à quelques découvertes isolées d’industries lithiques à trapèzes et lamelles tronquées (Kayser 1989).

3Les données paléoenvironnementales acquises jusqu’alors pour le Mésolithique sont ténues. De rares ossements d’animaux domestiques ont été signalés. Il s’agit de restes de petits Bovidés à Beg‑an‑Dorchenn (Finistère) et à Hoëdic (Morbihan), ainsi que d’Ovicapridés à Téviec (Morbihan). A côté de ces espèces domestiquées, le gibier tel que le Cerf, le Sanglier, le Chevreuil, mais aussi les oiseaux et les produits de la mer (coquillages, crustacés, poissons) sont consommés. Enfin, des coquilles de noisettes ont été récoltées à Beg‑an‑Dorchenn et des pépins de poires à Téviec et Beg‑er‑Vil.

4Les gisements mésolithiques bretons, en cours de fouilles ou dernièrement fouillés correspondent à des habitats littoraux en contexte sableux. Un tel milieu sédimentaire est particulièrement impropre à la conservation du matériel pollinique. C’est la raison pour laquelle aucune donnée palynologique n’est venue s’ajouter aux trop rares données environnementales concernant cette période en Armorique. Néanmoins, l’étude microscopique du sol d’habitat de Beg‑er‑Vil en Quiberon (Morbihan), conservé sous une dune littorale, et daté de 5245 à 4585 cal B.C., révèle un sédiment d’aspect très poussiéreux, caractéristique d’un milieu ouvert. On y observe quelques rares fragments remaniés issus d’un horizon d’accumulation d’argiles du sol brun lessivé Atlantique. A la lumière des travaux de Visset (1979), précisant l’absence de forêt sur une bande littorale d’environ 10 km dès la fin de l’Atlantique, nous pensons que nos observations ne correspondent pas à des perturbations anthropiques mésolithiques. Les caractéristiques micromorphologiques seront donc plutôt interprétées comme le résultat de l’action des « grains » littoraux sur une dune mal stabilisée.

1.2.2 Le Néolithique moyen

5Sous le tumulus de Dissignac (Loire‑Atlantique), une couche d’occupation ayant fait l’objet de trois datages : GIF 3823 : 6250 ± 150 B.P., soit 5390 à 5090 cal B.C. ; GIF 3822 : 5940 ± 150 B.P., soit 4970 à 4670 cal B.C. ; GIF 3820 : 5780 ± 150 B.P., soit 4840 à 4540 cal B.C., a livré des semences carbonisées de Céréales (Blé tendre compact) et de Légumineuses (travaux de J. Heim, non publiés). Une étude palynologique a été menée par L. Visset (1974) sur cette même couche. La végétation locale apparaît très ouverte. La strate arborescente est dominée par le Chêne, suivi du Noisetier et de l’Aulne. Les herbacées renferment tout un cortège de plantes rudérales : Plantago lanceolata, Artemisia, Rumex... Une telle association pollinique implique l’élevage du bétail (Vuorela 1970). De plus, quelques pollens de Graminées type céréale ont été dénombrés dans le paléosol. Ils corroborent la découverte de grains carbonisés et sont la preuve avec eux de la pratique d’une agriculture précoce dans cette région.

6L’étude palynologique du tertre de terre prémégalithique du Petit Mont en Arzon (Morbihan) (Marguerie 1987c), daté de 5650 ± 70 B.P. (GIF 6844), soit 4700 à 4415 cal B.C., montre alors l’existence d’un milieu floristique très déboisé à Noisetiers, dans lequel les herbacées (80 %) sont à base de Plantains, Graminées et toute une variété de Composées. Les Céréales sont absentes de ces cortèges polliniques.

7Les premiers grands mégalithes armoricains sont attribués au Néolithique moyen. Les bâtisseurs de ces tombes sont contemporains de la phase climatique Atlantique et plus exactement de son optimum climatique. Les données palynologiques, nombreuses sur cette période, concernent, entre autres, des tourbières littorales et intérieures. Dans le Finistère intérieur, les tourbières du Yeun Elez (Brasparts) dans les monts d’Arrée étudiées par W. Van Zeist (1964), livrent à la période Atlantique un bon nombre de Chênes. La chênaie mixte est de plus le siège de l’Orme, du Frêne et du Tilleul. L’Aulne ne se développera sensiblement qu’au Subboréal. La présence du pollen de Plantain lancéolé signe une certaine activité humaine au Néolithique sur ces hautes terres finistériennes.

8M.‑T. Morzadec‑Kerfourn (1974, 1982), à travers l’étude de tourbières du littoral nord finistérien, des marais de Redon (Morbihan) et de Dol‑de‑Bretagne (près du Mont‑Saint‑Michel), signale qu’à l’Atlantique les spectres polliniques sont de type boisé à plus de 70 % de pollens d’arbre : Chêne, Orme, Tilleul, Noisetier, Frêne et pour les plus hygrophiles, Bouleau, Aulne, Saule. L. Visset (1979), dans son étude pollinique de la Brière, voit le Noisetier dominer encore le Chêne, alors que l’Orme atteint son paroxysme et que le Tilleul se développe. Dans la seconde partie de l’Atlantique, le Noisetier décroît et la chênaie mixte devient dominante. Vers la fin de cette période, l’Aulne se multiplie.

9Les plus anciennes tombes à couloir armoricaines sont celles de Barnenez. Dans la chambre G, une date de 5750 ± 150 B.P. (GIF 1309), soit 5010 à 4400 cal B.C. a été obtenue. Des études palynologiques ont été effectuées sur les trois monuments mégalithiques finistériens que sont Barnenez, Carn et Guennoc (Marguerie 1987b). Les cortèges polliniques de ces trois sites sont relativement contemporains et datent d’environ 4500 cal B.C. L’ensemble des résultats obtenus montre, pour le Léon, l’existence d’un environnement peu boisé durant le Néolithique moyen. Les zones d’implantation des monuments ont été primitivement déboisées. Tout un cortège de plantes rudérales indique une importante occupation humaine des lieux. Enfin, et c’est là le fait le plus marquant, la culture céréalière est attestée sur les côtes septentrionales de la Bretagne à cette époque. A Guissény (Finistère), le sol néolithique du site d’habitat côtier du Curnic (Giot 1960), contemporain des monuments mégalithiques de Barnenez, Carn et Guennoc, a également fait l’objet d’une analyse pollinique (Marguerie 1987b). Le milieu apparaît peu boisé (40 % de pollens d’arbres et arbustes) avec Noisetiers et Bouleaux dominants et quelques Tilleuls et Ormes. Les herbacées comptent de nombreux indices d’une végétation rudérale.

10Depuis 1987, des analyses concernent les monuments mégalithiques d’Er Grah et de la Table des Marchand en Locmariaquer (Morbihan). Les tests polliniques ont été réalisés sur le paléosol conservé sous le cairn de la Table des Marchand renfermant une bonne quantité de poteries de style Castellic datées par deux récentes analyses radiocarbone de 5170 ± 50 B.P., soit 4135 à 3785 cal B.C. et 5040 ± 50 B.P., soit 3950 à 3960 cal B.C. (L’Helgouach 1989). Malheureusement, ceux‑ci se sont révélés quasiment stériles en pollen. Cependant, le tumulus limoneux d’Er Grah a préservé un magnifique sol brun (GIF 7693 : 5370 ± 70 B.P., soit 4410 à 3900 cal B.C.) riche en pollens et spores fossiles. Les spectres polliniques obtenus en différents endroits du monument (fig. 6) ont des compositions fort proches. Les taux de pollens arboréens sont faibles, variant de 6 à 16 %. L’Aulne et le Noisetier dominent. Le Chêne est assez peu représenté. Les Plantains (dont Plantago lanceolata) et les Graminées sont nombreux, les Composées variées. Enfin, parmi la strate herbacée, un cortège non négligeable de plantes rudérales existe. Aucun pollen de type céréale n’a été rencontré. Les analyses polliniques, effectuées en 1989, révèlent, à côté du cortège ci‑dessus évoqué, le développement de la Potentille Rosacée typique des milieux de reconquête de lande incendiée (Kaland 1986). Un lot de charbons de bois originaire d’Er Grah a révélé du Noisetier (fig. 7), mais surtout du Chêne à feuillage caduc, probablement en provenance de lambeaux de chênaie mixte encore présents aux alentours. Celle‑ci va d’ailleurs perdurer localement en différents points de la Bretagne, pendant tout le Néolithique et jusqu’à l’époque médiévale (Gebhardt 1988).

11Le sol fossilisé préservé sous le tumulus d’Er Grah est de type brun acide, tronqué, débarrassé de ses horizons supérieurs organiques. Les phytolithes et accumulations cendreuses (fig. 8) observées à la surface du paléosol signent un environnement ouvert développé sur l’horizon B. Cette reprise de végétation, plutôt herbacée, précédant la construction du cairn, fut de trop faible durée pour permettre la formation d’un nouvel horizon humique bien développé. Les cendres et microcharbons de bois et la présence de Potentille dans le spectre pollinique confirment un défrichement par brûlis légèrement antérieur à la construction du monument. En certains endroits du site, l’observation, en lame mince, de traits texturaux très poussiéreux pourrait témoigner d’une mise à nu prolongée du sol à des fins agricoles. Enfin, nous avons reconnu sur le site d’Er Grah les traces d’une podzolisation (acidification extrême), conséquence d’une activité anthropique intense. Les lieux semblent donc avoir été largement fréquentés par l’Homme dans une phase antérieure à la construction du mégalithe. Cette observation est confortée par la découverte archéologique récente de quelques foyers, fosses et trous de poteaux au sein du paléosol.

12Dans le golfe du Morbihan, d’autres paléosols conservés sous tumulus du Néolithique moyen ont été étudiés. M.T. Morzadec‑Kerfourn (1984) a décompté, sous le tertre de Bilgroix à Arzon, 35 % de pollens d’arbres dont Noisetiers et Chênes à feuillage caduc dominants. La pelouse était à Graminées, au milieu desquelles poussaient quelques Composées et Plantaginacées. Aucune Céréale n’y fut rencontrée. Sur la même commune, une série d’analyses palynologiques (Marguerie 1987c) a été menée sous le cairn secondaire du complexe mégalithique du Petit Mont, au sein d’un sol daté de 4900 ± 70 B.P. (GIF 7015), soit 3880 à 3400 cal B.C. Elle témoigne de l’image d’une flore arboréenne assez variée, quoique peu dense (AP = 15 %), à Noisetiers dominants suivis d’Aulnes, de Tilleuls, de Chênes, de Frênes, de Bouleaux et de Hêtres. Les herbacées et les fougères, dont la fougère aigle, reflètent cependant une action anthropique certaine de ces lieux. Enfin, quelques pollens de type céréale s’ajoutent à ces cortèges. L’observation micromorphologique de ce même sol révèle une intense activité biologique fossile. On y observe des papules, fragments remaniés de revêtements argileux fins, limpides et microlités (Fédoroff 1983). Ce sont les reliques d’un sol ancien de type brun lessivé mis en place, sous couvert forestier Atlantique (Macphail 1986), avant l’arrivée des grands défrichements.

13Plus à l’intérieur de la péninsule, le paléosol enterré sous le dolmen de Coëby (Morbihan) correspond à la racine du sol brun lessivé Atlantique, riche en revêtements argileux limpides, de couleur brun‑rouge et parfois microlités. Des micro‑fragments de bois carbonisés assez gros confirment l’hypothèse d’un défrichement par brûlis de la forêt originelle (Kwaad, Mücher 1979). Ainsi, avant la construction du monument, le sol est mis à nu pendant un temps trop court pour permettre l’érosion complète du profil. Une végétation porteuse de phytolithes (herbacées) se met en place.

1.2.3 Le Néolithique récent ou final

14Les allées couvertes, nouvelle architecture de sépultures collectives, se multiplient. Des sols se trouvent, là encore, piégés sous ces monuments et sont l’objet de toute notre attention. Des espèces de reconquête se signalent de plus en plus dans la flore. Dans les diagrammes polliniques obtenus sur les tourbières des monts d’Arrée, W. Van Zeist n’a observé qu’un pollen de Graminée type céréale et quelques Plantains pour attester la présence humaine dans cette région au Néolithique final. L’anthropisation y apparaît donc bien peu marquée et exclusivement orientée vers l’élevage. L. Visset voit alors, en basse Loire, l’apparition des premières grandes landes régressives à Callunes, en relation avec le déboisement et les cultures céréalières. Sur le littoral breton, M.‑T. Morzadec‑Kerfourn signale une végétation défrichée par des brûlis. L’activité agricole est signalée par la présence de Céréales. Il faut attendre le début de l’âge du Bronze pour voir les défrichements s’intensifier et l’agriculture se développer. La tourbière littorale de l’anse de Kervigen dans la baie de Douarnenez (Finistère), montre alors des spectres polliniques riches en taxons arboréens dont le Noisetier, l’Aulne et le Chêne. Des éléments de la chênaie mixte comme le Tilleul et l’Orme sont présents. Dans la strate herbacée, seul le Plantain lancéolé témoigne d’une certaine fréquentation des lieux par l’Homme.

15Le coffre à tumulus de L’Hôtié de Viviane (Brocéliande), scelle un paléosol (GIF 7465 : 4370 ± 80 B.P., soit 3555 à 2890 cal B.C.) de type brun acide, très bioturbé, qui renferme des traces de podzolisation précoce. Les phytholites signent un paysage plutôt ouvert, ce que confirme la palynologie. Sous ce coffre à tumulus, comme sous le tertre mégalithique du Jardin aux Moines (Néant‑sur‑Yvel, Morbihan), également en Brocéliande, les sols renferment les traces d’un milieu semi‑boisé à Frênes et Noisetiers dominants. Les caractéristiques de la strate herbacée prouvent cependant que ces monuments ont été construits à l’écart de toute zone d’activité humaine. Sensiblement à la même période, à une quinzaine de kilomètres au sud‑ouest, l’allée couverte de La Ville‑Bouquet (Ploërmel, Morbihan) a été construite dans un paysage très ouvert, dans lequel régnait une intense activité humaine basée sur l’élevage et la culture de Céréales. L’analyse anthracologique d’un lot de charbons de bois provenant de l’allée couverte de Pors Poulhan (Plouhinec, Finistère) (GIF 7610 : 4300 ± 60 B.P., soit 3340 à 2860 cal B.C.) révèle du Houx, de l’Aulne, du Noisetier, et du Genêt à balais. Ces deux derniers arbustes sont des espèces de reconquête. Dans les landes de Lanvaux (Morbihan), le sol scellé sous le petit coffre campaniforme du Roh Du renferme un cortège pollinique de milieu ouvert, où, comme à L’Hôtié de Viviane, la présence de la Fougère aigle atteste un défrichement récent. La strate arboréenne comprend des essences de la chênaie mixte (Chêne, Tilleul). Des pollens de céréales témoignent d’une agriculture. Enfin, ce site est marqué par la présence de Bruyères et de Callunes. Il s’agit d’indices de mise en place d’une lande régressive. Ce même phénomène est observé dans des niveaux contemporains de la tourbière de Kervigen.

1.2.4 Conclusion

16Nous sommes donc en mesure de brosser un premier tableau de l’évolution du paysage armoricain sous l’influence de l’Homme néolithique. A la fin de l’Atlantique, en Bretagne méridionale et centrale domine encore la chênaie mixte. Sur les côtes, on note pourtant l’absence de forêt. Il s’agit là d’un paysage naturel encore peu anthropisé dans les régions étudiées. Avec le Néolithique moyen, les premières traces évidentes d’anthropisation sont détectées, d’abord au travers de déboisements, puis de cultures de Céréales, très tôt mentionnées dans la région de Saint‑Nazaire. Des indices de mise en place de la lande régressive apparaissent ensuite dans les monts d’Arrée et en Brière. L’impact humain se fait plus nettement ressentir sur les côtes (Barnenez, Locmariaquer, etc.). Le milieu végétal y est largement ouvert, défriché par brûlis. A l’intérieur des terres (landes de Lanvaux, monts d’Arrée), l’anthropisation est plus tardive, l’érosion des sols est moindre. Au Néolithique final se développe, sur un sol marqué par une anthropisation intense, une végétation secondaire de reconquête. La lande régressive prend de l’importance.

17Il est clair que nous n’avons là qu’un aperçu de l’évolution de l’environnement au cours du Néolithique. Réalisé à l’occasion des diverses interventions archéologiques menées en péninsule armoricaine, ce programme de recherche demande à être complété par l’étude de sites nouveaux. De plus, il permet d’apprécier l’intérêt d’un travail pluridisciplinaire. Des études carpologiques, réalisées par P. Marinval, viennent s’ajouter aux données archéobotaniques présentées ici. Cette discipline est appliquée actuellement sur le paléosol de La Table des Marchand (Locmariaquer, Morbihan) et sur des fosses du Néolithique moyen de Tinténiac (Ille‑et‑Vilaine). Les premiers résultats carpologiques obtenus sur ce dernier site (P. Marinval, communication orale) mettent en évidence la culture de trois céréales : l’Orge (Hordeum vulgare) et deux Blés (Triticum aestivo compactum et Triticum dicoccum).