2.6 La répartition des figurines selon le contexte
p. 139‑142
Texte intégral
1Une expérience, conduite à l’aide de l’analyse factorielle des correspondances sur les figurines en terre cuite découvertes en Auvergne et en Limousin nous a permis d’avancer quelques hypothèses sur leur utilisation dans l’Antiquité. Par la suite, avec l’aide de responsables des recensements1, nous avons étendu cette expérience aux régions voisines. Les données, d’abord traitées séparément pour les régions Auvergne‑Limousin et Bourgogne, ont ensuite été regroupées avec celles de Poitou‑Charentes, insuffisantes pour donner lieu à un traitement individualisé. Il est ainsi possible de mettre en évidence les points communs et les divergences entre les deux principales régions puis de les comparer aux résultats globaux. De nombreuses descriptions sont trop succinctes et ne permettent pas de connaître le type représenté. Aussi, afin de conserver un maximum d’informations, les types sont regroupés en grandes catégories : animaux domestiques, animaux sauvages, volatiles, Vénus... Le traitement statistique est effectué sur un tableau de contingence où le nombre porté dans chacune des cases indique les fréquences d’association entre les modalités des caractères en lignes (catégories de figurines) et de ceux en colonnes (contexte).
2Pour l’Auvergne et le Limousin, le graphique résultant de l’analyse factorielle montre que les trois principaux contextes rencontrés (habitats, nécropoles et sanctuaires) sont bien dissociés (fig. 46). L’examen du graphique révèle qu’il existe cinq catégories de figurines dont la présence est associée à un contexte. Animaux sauvages et fruits à rattacher aux sépultures, animaux domestiques liés aux sanctuaires et enfin personnages et divinités féminines plus étroitement associés aux habitats. L’examen des données montre par contre que les enfants et les volatiles ne se rencontrent pas plus fréquemment dans les sanctuaires comme pourrait le suggérer le seul examen du graphique mais qu’ils sont seulement plus rares dans les habitats. On observera également l’opposition marquée entre les Vénus et les sépultures. Toutefois, l’examen du graphique apporte d’autres renseignements. En effet, l’axe 1 oppose sépultures et habitats et les sujets s’ordonnent sur ce même axe en fonction de leur caractère religieux : les animaux à gauche et les divinités à droite. L’exception concernant l’inversion entre les personnages et les divinités masculines peut s’expliquer par l’interprétation de fragments : une divinité peut être décrite comme un personnage.

FIG. 46 – Auvergne et Limousin : AFC (analyse factorielle des correspondances) montrant les rapports entre sujets et contextes.
3Deux analyses furent effectuées à partir de l’inventaire des figurines de Bourgogne (fig. 47 et 48). La seconde prend en compte les figurines découvertes sur les sites d’ateliers alors que la première n’a porté que sur les figurines mentionnées hors ateliers. Sur ce dernier graphique d’analyse factorielle, comme c’était le cas pour l’Auvergne et le Limousin, l’axe 1 oppose toujours habitats et nécropoles (fig. 47). De la même façon, les sujets s’ordopnent sur l’axe 1 en fonction de leur caractère religieux. Aux nécropoles sont liées les animaux sauvages, mais aussi les volatiles et les animaux domestiques et, dans une moindre mesure, les bustes féminins. Les animaux domestiques et les Vénus sont également fréquents dans les sanctuaires. Les divinités féminines et masculines ainsi que les enfants sont en conjonction avec les habitats et les contextes indéterminés. Les principales oppositions concernent les animaux et les habitats ou les contextes indéterminés, ainsi que les divinités en général et les nécropoles.

FIG. 47 – Bourgogne : AFC (analyse factorielle des correspondances) montrant les rapports entre sujets et contextes sans les ateliers.

FIG. 48 – Bourgogne : AFC (analyse factorielle des correspondances) montrant les rapports entre sujets et contextes en tenant compte des figurines découvertes dans les ateliers.
4La prise en compte des figurines découvertes sur les sites d’ateliers concorde avec les résultats obtenus précédement (fig. 48). La seule différence significative porte sur une seule catégorie de sujets : les divinités féminines, fréquemment rencontrées dans les ateliers. L’examen des données et le test du χ2 montrent en effet que, dans les ateliers, les divinités féminines sont proportionnellement excédentaires alors que les personnages opposés aux ateliers sur le graphe sont déficitaires. Cette différence provient uniquement des conditions de la recherche : en Bourgogne, une part importante de figurines, ou de fragments, appartenant à des divinités féminines sont en fait considérées comme de simples personnages. Par conséquent, en raison de la position du point relatif à ces derniers, on peut admettre que les divinités féminines sont un peu plus fréquentes dans les habitats que ne le suggérait le graphique précédant. En Bourgogne, le sens de l’axe 2 paraît refléter la qualité des observations. En effet, les contextes tels que les ateliers, les sanctuaires ou même les nécropoles se reconnaissent aisément. De même, un animal s’identifie facilement ; à l’opposé, une construction est généralement assimilée à un habitat, mais elle peut aussi avoir une autre fonction. Tout au bas du graphique, la projection des points « personnages » et « divinités masculines » sur l’axe 2 correspond bien à l’ambiguïté des identifications relatives à ces deux catégories découvertes dans les habitats et dans des contextes indéfinis. Dans certains cas, des fragments issus d’une figurine de divinité sont, par prudence, décrits comme appartenant à un personnage. Dans d’autres, ces confusions sont probablement à imputer à l’imprécision de publications anciennes.
5Enfin, la dernière analyse (fig. 49) porte sur la totalité des données précédentes complétées par celles de Poitou‑Charentes, sans prendre en compte les figurines d’atelier, soit sur une population totale de plus de 1 500 figurines (fig. 50 et 51). Là encore, un simple examen du graphique montre, sur l’axe 1, l’opposition entre habitats et nécropoles. Les points correspondant aux caractères « ateliers », « nécropoles », et « sanctuaires » sont bien dissociés mais, par contre, on remarque la proximité des caractères « habitats », et « contextes indéterminés ». Il semble par conséquent que la plupart des statuettes, dont le contexte n’est pas connu proviennent de sites d’habitats. La position du point correspondant aux puits n’est pas significative en raison de son faible poids (26 ex.) et de sa position proche de l’origine des axes. Il semble cependant que les figurines qui en proviennent soient plus proches de celles des habitats que de celles des sépultures, ce qui affaiblit l’hypothèse de puits funéraires. Par contre, les puits n’ont pas systématiquement servi de dépotoirs aux habitats : ils ont parfois reçu un dépôt volontaire de figurines comme par exemple la Vénus placée dans une niche aménagée dans la paroi d’un des puits de Chanteau‑en‑Creuse. Comme précédemment, les points relatifs aux types s’ordonnent sur l’axe 1 en fonction du caractère plus ou moins sacré des sujets : animaux sauvages, fruits, animaux domestiques, bustes, volatiles, personnages, divinités masculines, enfants, Vénus et divinités féminines. Sur l’axe 2, le caractère indéterminé s’oppose au caractère sanctuaire. Comme c’était le cas en Bourgogne, l’axe 2 reflète ici la précision des observations ; les conjonctions et oppositions entre le contexte et les types coïncident généralement avec les relations déjà définies. Animaux sauvages et domestiques, comme les fruits et les bustes féminins, se rencontrent plus particulièrement dans les nécropoles, Vénus et divinités féminines dans les sanctuaires, divinités masculines et bustes féminins dans les habitats ; les oppositions concernent surtout les animaux sauvages et les divinités féminines dans les nécropoles, les bustes féminins, les enfants et les personnages dans les sanctuaires. Ici, les volatiles sont indépendants de tout contexte, mais nous avons vu qu’en Bourgogne, ce type de figurine ne semblait que faiblement lié aux nécropoles, ce qui n’était pas le cas en Auvergne et en Limousin.

FIG. 49 – AFC (analyse factorielle des correspondances) montrant les rapports entre sujets et contextes pour l’ensemble des régions étudiées.

FIG. 50 – Répartition quantitative des sujets entre les différents types de structures.

FIG. 51 – Répartition (en %) des différents sujets entre les principaux contextes dans les régions Auvergne, Bourgogne, Limousin et Poitou‑Charentes.
6En conclusion, il est certain que le choix du sujet des figurines était en partie lié à l’usage auquel on les destinait. Globalement, l’opposition entre sépultures et habitats paraît très forte et systématique, quelle que soit la région considérée. Les figurines rencontrées sur des sites d’habitat présentent généralement un caractère religieux. L’habitat livre des statuettes de divinités, principalement des divinités féminines parmi lesquelles les déesses‑mères dominent largement. La figurine peut alors jouer un rôle protecteur et prendre place dans un laraire. Dans les sépultures, ce sont au contraire les animaux, et en particulier les animaux sauvages qui dominent. Plusieurs hypothèses sont envisageables pour expliquer ce phénomène : tout d’abord, le rôle funéraire de certains animaux tel que les lions, béliers, taureaux... ne peut être exclu. Il est également possible d’évoquer des jouets d’enfant déposés dans la tombe ou encore des offrandes de substitution : la figurine remplacerait l’animal favori (pour le chien par exemple). Le phénomène de substitution peut également s’envisager pour les fruits en tant qu’offrande alimentaire, mais le symbolisme religieux de la pomme paraît plus probable. Certes, des Vénus se retrouvent bien dans certaines sépultures mais ce type de figurine ne semble pas spécifique des nécropoles ; seul le très grand nombre de Vénus anadyomènes fait qu’elles se rencontrent malgré tout assez souvent dans les tombes (fig. 50). L’analyse factorielle montre que, selon la région, des divergences importantes existent dans la nature des figurines mises au jour dans les sanctuaires. En Auvergne et en Limousin, ces derniers enferment surtout des animaux domestiques, alors qu’en Bourgogne, les Vénus dominent. L’examen des données révèle qu’en Côte‑d’Or, les sanctuaires de Beire‑le‑Châtel et de Pagny ont, à eux deux, livré 53 Vénus sur 111 figurines répertoriées. A l’inverse, comme en Auvergne et en Limousin, les animaux domestiques représentent les trois quarts des figurines du sanctuaire de source de Colombière‑sur‑Orb. Il semble, par conséquent, que les figurines retrouvées dans certains sanctuaires se rapportent essentiellement à des divinités, alors que d’autres livrent surtout des représentations animales (animaux domestiques ou familiers, poules, coqs...). Dans ce dernier cas, la figurine peut jouer le rôle d’offrande de substitution.
Notes de bas de page
1 M. Rouvier‑Jeanlin, Mlle M. Joly, MM. F. Moser, I.‑C. Notet et I.‑L. Tilhard. Nous leur adressons nos vifs remerciements.
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