Les figurines en terre cuite gallo-romaines
| , ,Chapitre 2. Production, datation, iconographie, fonctions
2.4 Les répertoires iconographiques
Texte intégral
1A quel point en sommes‑nous actuellement dans l’attribution des figurines ? Le premier but de ces recherches est, en effet, de définir des répertoires spécifiques : c’est‑à‑dire d’imputer chaque modèle à un coroplathe (ou du moins à un atelier) localisé dans le temps et dans l’espace. Une telle identification présente l’avantage de transformer chaque figurine en un document archéologique capable de dater son propre environnement et de jalonner l’aire et les voies de diffusion d’un centre de production. On sait, par ailleurs, que la connaissance affinée des produits d’un potier autorise seule à préciser les modes de fonctionnement d’une officine et permet, par exemple, de savoir si le fabricant travailla dans un ou plusieurs lieux, s’il fit partie des créateurs de types ou s’en rapporta à l’imagination de ses congénères et, dans ce cas, s’il copia ou surmoula des produits finis ou utilisa simplement les moules dus au savoir‑faire d’autres mtisans. Le même type d’enquête peut‑il s’appliquer aux coroplathes ?
2Les moyens de caractériser les figurines relèvent, comme pour d’autres produits céramiques, de deux démarches : les analyses physico‑chimiques, les observations archéologiques. Les premières tendent à constituer le mobilier en groupes de production et, dans les cas les plus favorables, à déterminer par comparaison avec des échantillons d’origine certaine la provenance de chacun de ces ensembles. Nous nous contenterons, sur ce point, de renvoyer au chapitre 5 et à sa bibliographie en soulignant que ces travaux ne peuvent se concevoir qu’associés à l’étude archéologique dont ils sont le complément indispensable.
3La définition proprement archéologique du mobilier se fonde sur des critères extrinsèques ou intrinsèques qui permettent de situer chaque objet avec plus ou moins de précision.
2.4.1 La datation extrinsèque
- 1 Cf. infra, § 4.1 par exemple.
- 2 La durée de vie » de chacun des objets finis introduit évidemment une cause de variation aléatoire (...)
4Fondée sur l’environnement archéologique des figurines, elle présente de notables avantages par rapport aux observations stylistiques qui, jusqu’à une date récente, constituaient nos seules ressources en présence de collections anciennes, dépourvues de références utilisables. La notion de « style » présente en effet trop souvent, en l’absence d’inventaires systématiques, un caractère assez subjectif : les modèles qui ont inspiré cette iconographie sont pour la plupart encore mal connus et la distinction entre sujet emprunté et interprétation individuelle d’un thème ne se fonderait, à l’heure actuelle, sur aucune enquête sérieuse. On comprend dans ces conditions que la base la moins contestée des datations intrinsèques soit restée la coiffure. Encore l’usage de ce critère reste‑t‑illimité : borné par force aux personnages et, plus particulièrement, à certaines figures féminines, il ne fournit qu’un terminus a quo approximatif pour la création du type, mais aucune information sur la durée de son succès. En revanche, la datation par l’environnement, dont les fouilles récentes ont fourni d’intéressants exemples1, comporte un double avantage : elle permet de serrer de plus près la période d’utilisation de la figurine et de dégager, cette fois avec plus de vraisemblance, des particularités techniques ou morphologiques liées à différents stades de l’évolution de ce mobilier, c’est‑à‑dire de renouveler les bases de l’étude stylistique. Cette méthode ne permet évidemment qu’une approche partielle puisque l’objet n’est défini que d’un seul point de vue : le temps. De plus, elle implique bien des tâtonhements puisque la multiplication de ce genre d’observations permettra seule de proposer pour chaque type de figurine une fourchette chronologique vraisemblable2. Avec ces réserves il importe néanmoins de souligner l’importance des acquis récents liés à des fouilles plus scientifiques et à la découverte d’ensembles clos, en particulier dans des nécropoles.
5Les principaux progrès se manifestent par la mise au jour d’un mobilier précoce datable du Ier s. et par la définition de répertoires de modèles qui furent exploités plus ou moins longtemps et se succédèrent entre le milieu du ier et la moitié du iiie s. Ainsi nous savons maintenant que parmi les premiers thèmes illustrés par les coroplathes, Vénus figure en tête aussi bien par la précocité de son apparition que par le nombre exceptionnel des exemplaires retrouvés, ou encore par la variété des types identifiés. Souvent représentée seule, on la trouve parfois placée dans un édicule au fronton à trois pointes caractéristiques du ier s. Le même type d’édicule pouvait d’ailleurs abriter une Minerve (la deuxième des divinités, mais très loin derrière Vénus), voire un Mercure. Bien que d’origine indigène, Epona en revanche fut peu représentée. Parmi les thèmes apparus au ier s. certains durèrent jusqu’à la fin de l’activité des centres de production, mais d’autres disparurent au début du iie s. : tels la Victoire, des convives au banquet, des gladiateurs, certaines caricatures grotesques, des sangliers, des taureaux tricornus ou parés des bandelettes sacrificielles, des chevaux portant une lunule et assemblés par paires, des chouettes, des vases zoomorphes à glaçure plombifère, ou encore des socles plats avec des pattes d’oiseaux ou de bovins trouées, des œufs, des fauteuils en osier et des autels miniatures.
Thèmes du ier s.
6Vénus type l, Vénus avec aigle et chouette, Minerve, Epona, Abondance, Victoire, Déesse assise indéterminée (avec animal ou des fleurs), Mercure debout ou assis, Hercule, Priape, divinités en couples, grands édicules avec fronton à trois pointes (vides ou avec Vénus, Minerve, Mercure ?) ; grands bustes à plastron plat, couples sur un lit, couples debout, groupe de pèlerins, gladiateurs, lutteurs, convives au banquet, grotesques, soldats‑cavaliers et serviteurs, personnages indéterminés ; taureaux tricornus, taureaux sacrifiés, chiens allongés ou assis, lièvres, écureuils, canards, oies, paons, aigles, chouettes, poules, coqs au combat, oiseaux non identifiés, socles plats avec des sabots ou des pattes trouées ; animaux divers à la tête tournée, lézards, vipères, vases zoomorphes (cerfs, biches, lions), tortues, œufs ; pommes ou grenades, noix ; fauteuils vides en osier, autels miniatures.
Thèmes de la fin du ier s. ‑ début du iie s.
7Vénus types I/II et II, Vénus à gaine, déesses‑mères à coiffure flavienne décorée d’s, Mercure, dieu à la roue, Jupiter, Hercule enfant, Hercule, divinités protectrices, édicules à fronton triangulaire ou arrondi (avec Vénus, Minerve, Mercure, déesse‑mère) ; Risus, bustes de Nubiens, nouveau‑né sur son berceau, enfant avec cucullus, assis avec un chien ou allongé sur un dauphin, enfant spinario, soldats ; période de transition pour la faune, disparition des œufs. Certains animaux disparurent aussi à partir d’un moment qu’il est difficile de préciser ; apparition en revanche des singes, panthères, lions ?
Thèmes de la 2e moitié du iie s. et du iiie s.
8Vénus type II et type III (pudique), déesse‑mère allaitant, Minerve, Abondance debout ou assise, Epona, Mercure debout, Hercule, Apollon, dieu au maillet ; Risus, petits bustes d’enfants et d’adultes, cucullati, spinario, couples sur un lit ou debout ; colombes, pigeons, poules, coqs debout, chevaux isolés, bovidés, ovinés, chiens, lions, qui tous ont la tête dans l’axe du corps.
9Tous les thèmes précoces –longuement exploités ou rapidement abandonnés– présentent des traits communs du point de vue du style tant que de la fabrication. Le plus important, le plus évident aussi, tient au traitement des yeux des figures humaines ou animales : grands, avec deux commissures, aiguës et exorbités, ils sont, au ier s. et au début du iie, cernés d’un profond sillon et creusés d’une pupille centrale, alors qu’au iie s. et plus tard ils ne sont plus exorbités, sont dessinés en amande et ourlés de paupières gonflées en bourrelet. Autre caractère distinctif : la forme des socles. Très plats, ils sont toujours très précoces et leur hauteur s’élève au fil du iie s. De même le groupement de plusieurs sujets sur le même socle plat –chevaux avec serviteur et cavalier, personnage accompagnant un animal, couples divins, pèlerins–, le choix de poses complexes exigeant pour chaque figurine l’emploi d’un moule à plusieurs pièces relèvent du type de fabrication, artisanale et originale, des premiers temps. Puis le succès venant, la production s’amplifia, les thèmes et les attitudes se simplifièrent, la frontalité devint la règle et les stéréotypes s’imposèrent.
- 3 Cf. Rouvier‑Jeanlin, Joly 1990 : 75, 126.
10Alors que quelques thèmes disparaissaient, d’autres virent le jour à la fin du ier s. Certains allaient connaître un succès remarquable : par exemple la déesse‑mère assise allaitant un ou deux nourrissons. Ce phénomène est bien attesté sur le site de Bourbon‑Lancy, dont le mobilier du ier s. ne contient pas un seul fragment de déesse‑mère3. Il a été observé également au Luxembourg. Et ce décalage chronologique pourrait expliquer la supériorité numérique des Vénus –rivales et complémentaires des déesses‑mères–, auxquelles on peut adjoindre le type de la déesse nue « protégeant » plusieurs personnages similaires et de plus petite taille. La technique d’exécution présente dans son ensemble au iie s. des tendances notables ; ainsi la taille des pièces diminue (15 à 20 cm en moyenne). Si la pose est plus banale et figée, les drapés acquièrent du volume et de la souplesse ; sur les grands bustes, les plastrons, très plats sous les Flaviens, présentent désormais un intéressant modelé. Parallèlement le goût pour les ornements ou stylisations géométriques (esses, cercles concentriques...) largement dispensés dans les coiffures ou les toisons tend à se perdre.
11Le cas du coroplathe Pistillus localisé à Autun, célèbre par son abondante production et daté désormais avec certitude de la fin du iie et du début du iiie s., conduit à modifier radicalement l’idée que se faisaient certains archéologues des relations entre ateliers et du développement de thèmes –telles les déesses‑mères– particulièrement illustrés grâce à lui. Avec lui fleurit un style plus élégant, plus libre, héritier probable de modèles gréco‑romains, mais dans lequel on ne retrouve plus ni la saveur, ni le décor de type « gaulois ». Son originalité, sa fécondité, l’usage fréquent qu’il fit des signatures font de ses productions des repères chronologiques particulièrement appréciables.
12Parallèlement, mais de façon encore incomplète, certains des chercheurs participant à l’enquête sur la diffusion du mobilier en France ont montré qu’une part au moins des figurines « non blanches » étaient, dans le sud du pays et le long du sillon rhodanien, associées à des matériels précoces et présentaient une typologie souvent originale. Il est dès lors permis de s’interroger sur la provenance de ces statuettes et sur l’influence qu’elles eurent –ou n’eurent pas– sur l’industrie des coroplathes en Gaule. Il serait donc opportun de mener dans ces régions une recherche plus poussée en même temps qu’une enquête sur les productions méditerranéennes contemporaines.
2.4.2 La caractérisation des figurines grâce à des critères internes
- 4 Cf. tableau en Annexe p. 110 sq.
- 5 Blanchet 1891 : 83‑105.
13Les signatures offrent apparemment le moyen le plus commode dont on dispose pour associer un potier à un produit, donc, par accumulation des observations, pour définir les répertoires de chacun des signataires et les particularités de leur mode d’exécution. La liste présentée plus haut4 constitue une mise à jour de l’inventaire publié par A. Blanchet5, mais ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’identification typologique précise de chaque échantillon ; elle fait toutefois ressortir clairement la diversité des marques et invite à s’interroger sur leur signification.
- 6 8 estampilles pour 345 moules signés, 22 pour 178 figurines, soit respectivement 0,023 % et 0,123 %
- 7 Sur 178 exemplaires identifiés ici, 116 sont imputés à Pistillus, 19 à Rextugenos, 8 à Seuerianus, (...)
14Globalement ces dernières suggèrent diverses remarques touchant à leur place, leur nature, leur répartition. Si l’on constate, comme dans la fabrication des vaisselles, l’usage de deux types de signatures : les graffites et les estampilles, dans le cas des figurines les graffites sont très largement majoritaires6 et les signatures sur objets finis sensiblement plus rares ou moins variées que sur les moules7. En effet, la plus grande partie des signatures sur moules figurent sur la face extérieure de ceux‑ci et ne peuvent donc se reproduire lors du moulage des figurines. Voyons à quels stades de la production ces marques peuvent être associées.
- 8 Ce dernier (MMR 537) est tenu par H. Vertet pour issu d’un surmoulage.
- 9 Respectivement CIL XIII, 10015, 54f (trouvé à Dompierre) et MMo 5.3.86 (conservé à Moulins et prove (...)
- 10 IOPPILLO : GI R (moule de Vénus, MMR FM. M.V.9) associé à GE C [lib] IIaris ; GI ? (moule de Vénus, (...)
- 11 De telles variations sont observées exclusivement sur le fauteuil de déesses assises –le plus souve (...)
- 12 Anomalies des signatures scindées cf. tableau en annexe p. 118.
- 13 CIL XIII, 10015, 84a à Eauze.
- 14 On observe dans certains cas l’impression défectueuse de la première et de la dernière lettre sur l (...)
- 15 Ces exemples sont apparemment des exceptions : il n’en existe que deux (Pistillus, MAutun 370 ; Seu (...)
- 16 La présence de deux noms paraît quelquefois attestée sur moules ou figurines : ivlivs allvsa, ciirt (...)
15On ne signale que trois graffites sur archétypes : le premier, dû à Balbus et gravé dans l’argile crue d’un cheval, témoigne apparemment d’une relation entre l’artisan et le façonnage de l’objet, sinon de la création du type8 par ce dernier. Les deux autres –de la main d’Vrbicus– ne figurent malheureusement que sur des socles9 ; par ailleurs, certains graffites en creux sur des figurines provenaient de marques en relief sur moules. Cette pratique est attestée directement au moins par des matrices signées intérieurement iopillo et... anvs 10 et indirectement par les anomalies des graffites en creux que portent une série de figurines de Pistillus. Composées de deux coques complémentaires dont la signature, en principe, tantôt se concentre sur la partie arrière, tantôt commence –P– et finit –s– sur la partie avant11, elles pêchent parfois par excès –signature p/pistillvs/s 12 –tantôt par défaut– istillv 13 ; ces irrégularités, difficilement explicables par le marquage direct de la statuette, le sont en revanche très bien quand on imagine deux types de moules bivalves différemment signés et dont les produits auraient été volontairement14 ou accidentellement mélangés. Or les graffites en relief sur moule ne peuvent représenter que l’empreinte d’un modèle signé en creux, de préférence avant cuisson pour obtenir des lettres nettes, au ductus souple. Qu’était ce modèle ? Un archétype ? Un prototype ? Une figurine appartenant à l’une des générations issues de l’archétype ? Les marques de ce genre permettent de relier le moule à un positif signé en creux, mais n’autorisent par elles‑mêmes ni à imputer ce positif au fabricant de moules, ni à l’identifier comme un archétype. L’existence de deux signatures que l’on rattache au même nom, l’une extérieure, l’autre intérieure15, prouve peut‑être que le même artisan a été associé parfois à deux stades consécutifs de la chaîne de production ; mais seuls des indices d’une autre nature ‑tels que traces mal effacées des sillons‑repères, finesse du relief, etc. –peuvent témoigner de la proximité du moule signé et du premier modèle dont il dérive. En revanche, la présence à l’intérieur et à l’extérieur de signatures dissemblables invite tout aussi clairement à dissocier la fabrication du modèle, quel qu’il soit, et le travail du mouliste16.
- 17 Cf. supra, p. 110‑124. Les estampilles en creux sur figurines peuvent en principe provenir aussi bi (...)
- 18 abvdin : MAN 960, socle.
- 19 grecvs : Tudot 1860 : pl. 42c et 43a : deux cucullati.
- 20 ioppios : Tudot 1860 : pl. 21 : Vénus.
- 21 l vrbicvs : MAN 1076 : singe.
- 22 marcello : musée de Besançon : déesse‑mère.
- 23 melvs : DAH de Bretagne : Vénus.
- 24 severianvs : MMR 1527, MMR 2 ex. s.n., MAN 415 a, b, c, musée de Clermont‑Ferrand cat. 9, musée de (...)
- 25 svlplcl (a) nvs : I.B.D., 1988, 215.2 : déesse‑mère (cf. supra).
16Au demeurant les signatures en creux sur figurines sont peu fréquentes, si l’on excepte le cas du prolifique Pistillus17. Pour ce dernier, l’absence de monographie détaillée interdit encore de constituer des groupes d’après leur moule d’origine et surtout d’affirmer que tous les types de marques –graffites et estampilles– recensés dans l’atelier et connus par des figurines impliquaient deux moulages successifs. Il est moins aisé encore de déterminer l’origine des graffites en creux d’autres céramistes Abudinus18, Grecus19, Ioppios20, L. Vrbicus21, Marcello22, Melus23, Seuerianus24, Sulpici(a)nus25 –à cause de la rareté des séries et de l’état de conservation des figurines signées illustrant le même sujet.
- 26 Aetus : m. Autun 331, femme. Allusa : Jullian nos 385, 388 et MAN 76905 (moulage), déesses‑mères ; (...)
- 27 Moule de Rextugenos : Joubeaux et al. 1988 n° 243, Vénus à gaine.
- 28 Au (u) ot : anto(?), attlano/sacrillos, rextvgenos svlllas, sacr(i)llos. Cf. Formi. Fecit : nattvs, (...)
- 29 Forma : nattvs ; forma/m : nattvs ; auot formi : sacrillos et sacrillos caratI.
- 30 Au (u) ot : rextvgenos svluas ; fecit : Pistillus ; m(anus) : nattvs.
17Par ailleurs, l’existence de quelques signatures en relief sur les statuettes –graffites dans la plupart des cas (Aetus, Allusa, Attino ? Estrus, Iulius Allusa [?], Iulos, Pestika, Pistillus, Rextugenos, Sabinei Allusa, Tetio), estampilles pour Nattus et peut‑être Pistillus26– suppose des originaux en creux à l’intérieur des moules ; l’un d’entre eux, d’ailleurs, a déjà été retrouvé27. Cette analyse montre donc que les marques de coroplathes actuellement dénombrées ne permettent qu’exceptionnellement de remonter au‑delà de la fabrication du moule. Et nous avons même vu que, dans quelques cas, la présence de deux signatures dissemblables sur la même matrice incitait expressément à dissocier le fabricant du positif utilisé comme modèle de l’artisan qui s’est borné à en prendre l’empreinte. D’autre part, les formules un peu plus développées que l’on rencontre à l’extérieur des moules n’autorisent pas à préciser la compétence des signataires fecit, auot, manus28 ne suggèrent qu’une participation : personnelle au travail sans en définir la nature ; fonna29ne semble faire référence qu’au moule. Les marques sur figurines ne sont pas plus explicites : fecit, auot et manus sont également attestés30, sans plus. Cependant la signature dans ce cas paraît, par sa seule présence, traduire le désir qu’a son auteur de se faire connaître, de revendiquer auprès des clients une responsabilité, d’ampleur indéterminée, dans la fabrication des statuettes.
18Si l’on admet que la définition de répertoires individuels puisse se fonder, au moins partiellement sur l’épigraphie, le graffite sur figurine, issu du surmoulage d’un positif signé, aurait les chances les plus grandes d’appartenir à un fabricant de modèles, tandis que les signatures en relief provenant d’un moule marqué en creux témoigneraient au moins des prétentions du fabricant de ce dernier. En revanche, les signatures extérieures sur moule ne sont liées qu’à un stade de la fabrication, sans impliquer par elles‑mêmes l’artisan dans des activités plus créatives. En l’absence d’archétypes signés, les noms ainsi connus doivent donc, quels qu’ils soient, être traités comme des références hypothétiques et la responsabilité des signataires dans la création ou l’adaptation originale d’un thème, devra impérativement être confirmée par l’analyse du répertoire iconographique, des sujets choisis, des caractères remarquables –voire spécifiques– présentés par leur traitement. Ce sont finalement les objets eux‑mêmes qui offrent les plus grandes ressources dans la mesure où nous ignorons si les usages épigraphiques analysés ici reflètent le statut professionnel du scripteur ou, simplement, des modes locales ou temporaires, voire des fantaisies individuelles. Au point où nous en sommes, l’intérêt le plus immédiat de la marque de fabrique et surtout du graffite extérieur sur moule (qui ne se prête guère au surmoulage) est d’ordre chronologique : les pièces portant la même signature originale peuvent être considérées comme approximativement contemporaines.
- 31 Ainsi l’étroitesse du visage féminin encadré d’une opulente chevelure, la taille excessive des main (...)
19Avec ces réserves, on a pu noter au moins des associations privilégiées entre quelques signatures et certains sujets ou particularités stylistiques. Ainsi la marque de Rextugenos n’apparaît que sur des figurines thématiquement peu variées (représentations d’une déesse le plus souvent nue, parfois vêtue) et stylistique ment originales. En effet, ce corps féminin est enfermé dans une gaine plate et la limitation du répertoire est compensée par la variété et l’exubérance des décors spécifiques qui ornent à la fois le corps et la gaine. Un autre exemple est fourni par Pistillus. A l’inverse du répertoire de Rextugenos, celui de Pistillus est varié : Vénus, déesses‑mères, Mercure, édicules, cucullati, couples, bustes, animaux, etc. y figurent ; mais son style, en demeurant dans la tradition gréco‑romaine, présente des caractères personnels31.
- 32 Cf. infra, § 5.1 et 2.
20Enfin la localisation des artisans épigraphiquement attestés est, pour une part notable, tributaire de découvertes dans des ateliers et des analyses de pâtes. Car la forte concentration de pièces marquées sur un site de fabrique, présumé ou certain, conduit à supposer l’implantation du fabricant. Et l’analyse des pâtes appliquée à un tel mobilier tend à confirmer, ou infirmer, l’homogénéité des groupes de même provenance et à caractériser la composition de l’argile utilisée localement pour la fabrication. Ainsi la diffusion des figurines de Pistillus, attestée dans toute la Gaule, paraît rayonner à partir d’Autun où se trouve actuellement la plus forte concentration de ses moules. Ceux de Cossius, Liberarius, Seuerianus, Tiberius sont largement présents à Toulon‑sur‑Allier, ceux d’Ant(onius) à Saint‑Pourçain‑sur‑Besbre ; ceux de Celillus (?) se rencontrent exclusivement à Brive. Les analyses en cours ont permis de caractériser les produits de plusieurs ateliers32, mais aussi de révéler certains particularismes, encore inexpliqués, d’un groupe associé à la signature de Seuerianus.
21Si l’on envisage plus largement la question de la diffusion, l’existence d’aires restreintes de dispersion autorise, faute de mieux, de prudentes hypothèses. Ainsi un seul moule de Rextugenos a jusqu’à présent été retrouvé (à Rennes), mais sa production, majoritairement localisée en Bretagne et en Normandie, laisse supposer une fabrication dans cette région. De même, une forte concentration autour de Bordeaux, et dans la ville, de pièces signées Allusa permet d’envisager une production locale.
22En l’absence de repères épigraphiques, les figurines peuvent être constituées en groupes selon différents critères extérieurs. Ainsi moules et figurines anonymes peuvent, d’après leur iconographie et leur technique d’exécution, être rattachés à des ensembles connus associés au nom d’un coroplathe, ou constituer des séries homogènes à part. Le classement est facile dans le cas de styles particulièrement originaux : tels ceux dits de Rextugenos, Pistillus, Allusa. Mais d’autres « manières » sont plus délicates à identifier. Dans ce cas, le recours à une typologie fine peut être efficace. Et le logiciel d’attribution automatique, fondée sur une analyse morphologique minutieuse, qu’a conçu B. Deloche (cf. infra § 5.3) pourra rendre de très nombreux services en permettant la manipulation simultanée de très nombreux critères pertinents et l’intégration rapide des échantillons dans des séries connues ou leur exclusion.
- 33 Cf. par exemple, en Ile‑de‑France (§ 3.2), 2 fragments de déesses‑mères classiques » (fig. 54).
23L’aspect extérieur des objets, de leur pâte, leur couleur permettent aussi soit une première approche, soit d’opérer des recoupements dans l’identification des figurines. Deux exemples méritent de retenir l’attention. Premier cas : celui des statuettes « non blanches », recensées à l’occasion du préinventaire. Rangées en deux catégories, elles soulèvent de nouveaux problèmes. Les unes sont morphologiquement identiques à des modèles gallo‑romains attestés33 : il importe désormais de préciser dans quelles circonstances –essai isolé, transfert de moules, stade particulier d’une production plus importante– la fabrication a pris cette forme. En revanche, l’originalité typologique liée à une apparence particulière oriente actuellement l’enquête vers la recherche de nouveaux ateliers en Gaule –près d’Arlon, à saintes, dans la région d’Arles–, ou l’identification de produits importés d’Espagne, d’Italie, voire d’Afrique du Nord ou d’officines rhénanes.
- 34 Rouvier‑Jeanlin, Joly 1990 : 33‑116 ; cf. supra ivlivs, sacrillos, vrbicvs.
24Autre exemple : la spécificité apparente, l’aspect « crayeux » de figurines de Saint‑Pourçain incitaient à définir sur cette base le répertoire d’un centre de production et à s’interroger sur la spécificité des modèles recensés. Depuis 1986, la fouille de Bourbon‑Lancy a révélé que les moules sur ce site avaient le même aspect, sans qu’on sache encore à quelle particularité technique (composition de la pâte, conduite de la cuisson ?) ou quelles conditions de conservation on peut le relier. Les mêmes coroplathes travaillant dans les deux ateliers, le problème de la spécificité des produits s’est maintenant globalisé ; et la question se complique compte tenu des relations apparentes entre ces deux centres et Toulon‑sur‑Allier, où, comme à Vichy et Yzeure, les moules ont une pâte fine, très dure et polie34.
- 35 Cf. supra, § 2.1, fig. 36 et 37.
25Enfin, la prise en compte des mensurations conduit, d’abord, à différencier certains produits et à les exclure de groupes stylistiques composés d’individus plus grands ou plus petits qu’eux et surtout à mettre en évidence le système des générations successives issues d’un même archétype. Ces stades dans l’évolution d’un modèle peuvent avoir selon les cas des implications chronologiques, géographiques ou individuelles : l’exemple cité plus haut35 montre ainsi des relations probables d’une génération de Vénus de type II avec plusieurs moulistes et avec l’atelier de Toulon‑sur‑Allier.
26Il apparaît donc que de grands progrès restent à faire pour définir des répertoires individualisés qui permettent enfin d’échapper à l’obligation systématique (et coûteuse) des analyses. On peut souhaiter que l’orientation des études vers les monographies consacrées aux ateliers de production et aux styles individuels les plus originaux conduise au moins à préciser dans ce domaine les limites et le niveau des certitudes possibles.
Notes
1 Cf. infra, § 4.1 par exemple.
2 La durée de vie » de chacun des objets finis introduit évidemment une cause de variation aléatoire dont seule la multiplication des échantillons datés pourra permettre de tempérer la portée.
3 Cf. Rouvier‑Jeanlin, Joly 1990 : 75, 126.
4 Cf. tableau en Annexe p. 110 sq.
5 Blanchet 1891 : 83‑105.
6 8 estampilles pour 345 moules signés, 22 pour 178 figurines, soit respectivement 0,023 % et 0,123 %.
7 Sur 178 exemplaires identifiés ici, 116 sont imputés à Pistillus, 19 à Rextugenos, 8 à Seuerianus, 7 à Pestika, 6 à Allusa, 21 autres noms se partagent le reste des marques à raison d’une (Abudinos, Aetus, Attino[s), Estrus, Gallus, loppios, lulos, Marcello, Melus [7), Sabinei Allusa, Sabinos, Sulpici[a) nus, Tetio, L Vrbicus), deux (Grecus, lulius Allusa[?]), ou trois (Nattus), la dernière ne portant que la mention Auuot.
8 Ce dernier (MMR 537) est tenu par H. Vertet pour issu d’un surmoulage.
9 Respectivement CIL XIII, 10015, 54f (trouvé à Dompierre) et MMo 5.3.86 (conservé à Moulins et provenant de Toulon‑Le Lary).
10 IOPPILLO : GI R (moule de Vénus, MMR FM. M.V.9) associé à GE C [lib] IIaris ; GI ? (moule de Vénus, MMR 1491) associé à GE C ATIlANO ; GI ? (moule de Vénus, MMo 5.3.38) associé à GE ? satvs. SEVERIANVS : GE C (moule de D.‑M., MMo 5.3.58) associé à GI R ; [seueri] anvs ; [p] ist[i] llvs : GI ? (moule de D.‑M., MAutun 370) associé à GE C : P. Par ailleurs, le moule de Paris signalé par Durand‑Lefebvre 1963 (p. 182, n° 237) et qui aurait comporté à l’intérieur au moins une partie des signatures ivli et sacrillos avot n’a pas été retrouvé. Compte tenu des usages jusqu’à présent connus par d’autres produits de ces céramistes et de la fréquence des erreurs dans cette publication, on ne peut sans preuve accorder un crédit à cette information.
11 De telles variations sont observées exclusivement sur le fauteuil de déesses assises –le plus souvent des nourrices. Pour les signatures sur la valve arrière et pour les signatures scindées cf. tableau en annexe p. 117 et 118.
12 Anomalies des signatures scindées cf. tableau en annexe p. 118.
13 CIL XIII, 10015, 84a à Eauze.
14 On observe dans certains cas l’impression défectueuse de la première et de la dernière lettre sur la valve arrière et il n’est pas interdit de justifier par ce défaut l’assemblage de la pièce avec une valve antérieure portant un P et un S bien lisibles.
15 Ces exemples sont apparemment des exceptions : il n’en existe que deux (Pistillus, MAutun 370 ; Seuerianus, MMo 5.3.58) et encore à condition qu’on restitue ou développe dans chaque cas une marque incomplète.
16 La présence de deux noms paraît quelquefois attestée sur moules ou figurines : ivlivs allvsa, ciirtvs ant, qvqvi ant D ? sabinei allvsa, sacrilloscarati, ... as [pes] tika... a, rextugenos svlllas. Mais ces deux personnes ne sont pas nécessairement concernées par la fabrication de l’objet : certains échantillons pourraient porter le nomen et le cognomen d’un même individu (Ivllvs allvsa), d’autres conserver la mention d’une filiation (rextugenos svluas, sacrillos caratI). En tout cas la mention de noms différents à l’intérieur et à l’extérieur n’est apparemment constatée que dans le cas de lopillo (cf. supra, n. 10) à condition que ce mot soit bien le nom d’un coroplathe.
17 Cf. supra, p. 110‑124. Les estampilles en creux sur figurines peuvent en principe provenir aussi bien de l’impression d’un sceau en relief dans un positif ensuite surmoulé, que de l’impression directe à l’intérieur d’un moule d’un sceau gravé en creux. Dans ce cas toutefois, la marque de la surface du poinçon doit également s’imprimer dans le moule et laisser sur la figurine la trace, en relief, d’un cartouche entourant l’inscription.
18 abvdin : MAN 960, socle.
19 grecvs : Tudot 1860 : pl. 42c et 43a : deux cucullati.
20 ioppios : Tudot 1860 : pl. 21 : Vénus.
21 l vrbicvs : MAN 1076 : singe.
22 marcello : musée de Besançon : déesse‑mère.
23 melvs : DAH de Bretagne : Vénus.
24 severianvs : MMR 1527, MMR 2 ex. s.n., MAN 415 a, b, c, musée de Clermont‑Ferrand cat. 9, musée de Compiègne V 797 : 8 déesses‑mères.
25 svlplcl (a) nvs : I.B.D., 1988, 215.2 : déesse‑mère (cf. supra).
26 Aetus : m. Autun 331, femme. Allusa : Jullian nos 385, 388 et MAN 76905 (moulage), déesses‑mères ; Jullian no 389, édicule ; RAC 1974, 315, fauteuil. Attino ? : MAN 962, socle. lulius Allus (a) : Jullian nos 383, 384, déesses‑mères. lulos : MAN 212, Vénus à gaine. Pestika : MAN 209, 210, m. Nancy (CIL XIII 10015, 83c), Tudot 1860 p. 33 XLV, Vénus à gaine ; MAN 440, m. Bourges, déesses assises. Pistillus : m. Compiègne 793, déesse‑mère ; MAN 439, Abondance assise. Rextugenos : Joubeaux 1988 : 110, 112, 119, 166, 167, 168, 170, 171, 172, 175,181,246, AB 1979, 47‑48 ; Schauerte 297 ; m. Evreux s.n. ; Gallia 1981 : p. 300, nos 21, 24 et p. 316 ; BSAFinist 1904 : 104‑110, Vénus à gaine. Sabinel Allusa : Jullian n° 386, déesse‑mère. Tetio : MAN 28, Vénus.
27 Moule de Rextugenos : Joubeaux et al. 1988 n° 243, Vénus à gaine.
28 Au (u) ot : anto(?), attlano/sacrillos, rextvgenos svlllas, sacr(i)llos. Cf. Formi. Fecit : nattvs, sextvs 7 Manus : beliniccvs, cos (sius), nattvs. Cf. forma.
29 Forma : nattvs ; forma/m : nattvs ; auot formi : sacrillos et sacrillos caratI.
30 Au (u) ot : rextvgenos svluas ; fecit : Pistillus ; m(anus) : nattvs.
31 Ainsi l’étroitesse du visage féminin encadré d’une opulente chevelure, la taille excessive des mains (en particulier des déesses‑mères), le modelé accusé des jambes nues, le traitement des nourrissons jambes libres, chemisette), celui de l’osier des fauteuils, enfin le luxe des détails vestimentaires et la recherche dans la coiffure permettent d’identifier assez facilement les produits de cet atelier.
32 Cf. infra, § 5.1 et 2.
33 Cf. par exemple, en Ile‑de‑France (§ 3.2), 2 fragments de déesses‑mères classiques » (fig. 54).
34 Rouvier‑Jeanlin, Joly 1990 : 33‑116 ; cf. supra ivlivs, sacrillos, vrbicvs.
35 Cf. supra, § 2.1, fig. 36 et 37.
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1993