Annexe 1. Moulage et surmoulage : expérience de simulation
p. 103
Texte intégral
1Il est difficile de résister au véritable besoin que l’on ressent devant des tessons de figurines : retrouver les gestes créateurs du coroplathe gallo‑romain. Le problème à l’origine semble simple : on s’arrêtera juste avant la cuisson (qui est une technologie toute différente, celle du fournier), la glaise est la même qu’au temps de Priscus, et l’outillage aussi. Mais dès le début de l’opération les choses se compliquent, et si j’ai réussi, c’est en grande partie à cause d’une obstination qui put se manifester aussi longtemps que nécessaire dans l’atelier de Dominique Lapendry, maître‑potier.
2Les figurines sont réalisées par l’addition de deux ou plusieurs parties, moulées séparément et montées ensuite. Il faut écarter absolument toute construction par coulage dans un moule obtenu par juxtaposition de valves. Ce procédé nécessite des guides, en général tenons et mortaises, qui permettent une parfaite opposition des différents composants. Aucun moule ainsi équipé ne nous est parvenu et aucune figurine ne porte de trace de l’indispensable ébarbage qui termine ce genre d’opération.
3Le musée de Moulins possédant l’outillage nécessaire (et même signé), la fabrication d’un socle par estampage entre poinçon massif et matrice correspondante fut notre premier essai et notre première réussite. Puis, ayant réuni documentation, outillage, glaise, plateau de travail et les deux mains d’un potier professionnel et choisi une Vénus anadyomène aux cassures solidement recollées, l’expérience a débuté.
4Nous savons que les archétypes possédaient une incision ou une suite de pointillés délimitant la ligne de démoulage. Cette dernière est la frontière qui sépare le moule antérieur du moule postérieur : physiquement, on peut la comparer à la ligne géographique de partage des eaux. Sinueuse (surtout aux oreilles), elle doit être rigoureusement respectée, ce qui exclut la technique, curieusement baptisée « grecque », qui consisterait à envelopper toute la figurine et à découper ensuite à l’aveuglette.
5Dans le cas de surmoulage d’une figurine de série, le premier travail est de tracer cette ligne d’un trait fin et précis. Ensuite, le coroplathe, après avoir écrasé une galette de terre de 1,5 cm d’épaisseur, recouvre entièrement une seule face et, par pressions multiples, va tout à la fois épouser le modèle et réduire l’épaisseur à environ 1 cm. Mais l’expérience prouve que, pour une plasticité suffisante à une prise correcte de l’empreinte, les bords du futur moule n’ont pas assez de consistance pour se maintenir durant le séchage. Le résultat est donc placé dans une pré‑forme (fig. 38), bloc d’une argile beaucoup plus ferme. Ainsi maintenu, le moule est borduré selon la ligne de dépouille et laissé environ une heure. La terre ainsi « ressuyée1, donc rigide, permet alors la sortie de la figurine avant que le retrait dû au séchage ne rende l’opération impossible sans abîmer la valve.

FIG. 38 – Moulages et surmoulages : valves de moules exactement semblables extérieurement et signées priscvs. a musée de Moulins ; b collection Lapierre‑Desgranges ; c épreuve en plâtre.
6Il est fort probable que cette technique a connu, en plus de deux siècles et demi de pratique, quelques variantes. Pour éviter la pré‑forme, certains moules ont été réalisés avec une grande épaisseur, ce qui nécessite de les larder de stries profondes2, afin d’augmenter la surface d’évaporation, donc de diminuer le temps de séchage. Notons que, contrairement à une idée lancée bien imprudemment, les moules ont un pouvoir d’absorption non négligeable3. D’autres valves ont été amincies au couteau, mais leur rareté prouve que le procédé n’a pas été retenu.
7Les deux valves ainsi réalisées et séchées sont ensuite cuites. Elles le seront sans atteindre le point de vitrification, afin d’acquérir la rigidité nécessaire tout en conservant une certaine perméabilité. Notons que les températures de « biscuit et de vitrification ne sont séparées que par 100°, parfois moins, ce qui suppose un trou de regard et une conduite à la couleur des objets. Donc, muni des deux matrices, le coroplathe écrase de nouveau deux galettes, d’environ 1/2 cm d’épaisseur et tapisse le creux du moule, laissant parfois ses empreintes digitales. Et de nouveau, on attend que la terre soit « ressuyée » pour sortir une face du moule, et une seule. En effet, pour que les flasques adhèrent parfaitement l’une à l’autre, il est indispensable que la glaise possède encore une élasticité importante, ce qui exclut un montage des deux flasques « au bout des doigts ». On gardera une face dans sa valve et l’on placera par dessus l’autre face, sortie de sa valve (ou de son moule).
Notes de bas de page
1 Terme de métier qui signifie avoir perdu une partie de son humidité.
2 Les stries peuvent aussi être un signe distinctif, mais on ne les trouve que sur des moules de grande épaisseur et parfois accompagnées d’une signature.
3 Mettez deux verres d’eau dans un récipient ; plongez‑y une valve de Vénus de grandeur « standard » ; une demi‑heure plus tard sortez la figurine et tentez de remplir les verres : vous aurez perdu 20 %.
Auteur
Secrétaire général de la Société d’émulation du Bourbonnais
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