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Les figurines en terre cuite gallo-romaines

 | 
Colette Bémont
, 
Micheline Jeanlin
, 
Christian Lahanier

Chapitre 2. Production, datation, iconographie, fonctions

2.1 La fabrication des figurines

Micheline Jeanlin

Texte intégral

1C’est au cours de la deuxième moitié du viie s. av. n.è. que l’utilisation des moules pour la fabrication des figurines en terre cuite s’est développée en Grèce ; cette invention, venue vraisemblablement de Mésopotamie et de Syrie, fut améliorée par les Grecs d’Ionie et des régions voisines qui fabriquèrent des figurines en ronde‑bosse creuses. Cette innovation tout à fait révolutionnaire ne devint universelle qu’à l’époque classique (Nicholls 1984 : 26). En Gaule, il fallut attendre l’arrivée des Romains pour que surgisse tout un monde en argile ; ces dernières figurines de l’Antiquité doivent tout, quant à la fabrication, à leurs aînées grecques et romaines (Besques 1963).

  • 1 Coroplathe vient du mot grec koroplathos (de koré, jeune fille et de plassein, former) et il signif (...)
  • 2 Iusqu’à présent, aucune étude n’a été entreprise sur les figurines en terre colorée (du bistre au b (...)

2Les potiers ou modeleurs gallo‑romains –appelés coroplathes1 lorsqu’ils façonnent des figurines– installèrent leurs ateliers à proximité des matières premières indispensables à ce type d’activité : l’argile, l’eau et le bois. Avant d’examiner en détail les différents stades de la fabrication des figurines en terre cuite, rappelons que les opérations se déroulaient de façon identique –en ce qui concerne les figurines en pâte blanche2‑ dans les divers ateliers gallo‑romains : la création d’un original en argile, appelé archétype, permet d’obtenir les moules qui serviront à fabriquer en grand nombre les figurines.

2.1.1 L’argile

  • 3 Barrelet 1968 : 32 ; l’ouvrier « marcheur, pieds nus, devait vigoureusement piétiner l’argile dépos (...)
  • 4 « Le dégraissant doit avoir une composition aussi proche que possible de celle de l’argile traitée (...)
  • 5 Plus le grain est fin, meilleur est l’atelier.

3Les coroplathes gallo‑romains, particulièrement ceux des ateliers du Centre, utilisaient une argile dont la blancheur –principale caractéristique de leur production– était due à la richesse en kaolin et à la faible teneur en fer. Avant son utilisation elle devait être affinée soit par décantation, soit par lévigation. D’abord entreposée dans des cuves, peut‑être volontairement exposée aux intempéries, l’argile était, au fur et à mesure des besoins, lavée et tamisée, malaxée, puis compressée et battue pour éliminer l’excès d’eau et d’air. Usait‑on d’un procédé déjà connu des artisans égyptiens et mésopotamiens, encore utilisé très récemment en France, appelé" marchage » ?3. L’adjonction d’un dégraissant sous forme d’une autre argile moins grasse, ou composé de manières organiques ou minérales, comme le sable ou la chamotte, était souvent nécessaire pour diminuer la plasticité de l’argile et pour éviter un trop fort retrait durant le séchage ou encore les fendillements, les éclatements et les déformations toujours possibles en cours de cuisson4. En phase terminale, les artisans devaient encore, comme cela se pratique toujours, séparer l’argile en "pâtons » et "battre la pâte » à la main. Après cette minutieuse préparation dont dépendait la finesse du grain5, l’argile était prête à l’emploi.

2.1.2 L’archétype

  • 6 Egalement appelé archétype, original, patrize ou patrix.
  • 7 Notamment à Bourbon‑Lancy (Saône‑et‑Loire) ; voir supra l’article sur cet atelier.
  • 8 A moins que Pistillus n’ait été aussi habile que ses illustres prédécesseurs grecs Du moins le meil (...)

4Pour fabriquer des moules, il faut partir d’un modèle6, fait d’une matière qui n’est pas forcément la même que celle qui sera utilisée pour les figurines. Il est admis depuis longtemps que cet archétype pouvait être aussi bien une statuette en bronze qu’un original massif en argile ; nous verrons au chapitre des surmoulages qu’il était également possible d’obtenir des moules à partir d’une figurine en terre cuite de première génération, c’est‑à‑dire obtenue à partir de moules issus de l’archétype, et que cette opération pouvait se répéter plusieurs fois. Depuis quelques années, une importante quantité d’archétypes en argile retrouvés en fouille7 permettent d’affirmer qu’il a dû y avoir une nette prédominance de l’argile sur le bronze : en tout cas aucune statuette en métal ayant pu servir à cet usage n’a encore été retrouvée. Cependant, la finesse de certains détails, notamment dans les figurines du coroplathe Pistillus d’Autun, pourraient avoir pour origine l’utilisation de telles statuettes8.

5Par ailleurs, des radiographies d’archétypes, effectuées par les soins du Laboratoire de recherche des musées de France il y a quelques années, ont permis de révéler que certains d’entre eux n’étaient pas massifs comme on le croyait, ce qui vient d’être confirmé par les récentes découvertes de Bourbon‑Lancy où des moitiés creuses d’archétypes ont été retrouvées. Mais comment distinguer un archétype d’une figurine ? Rien de plus aisé quand la pièce comprend les deux faces, ne serait‑ce que sur une faible hauteur, et qu’on peut y découvrir les lignes creuses, continues ou en pointillé, qui indiquent les limites des valves du futur moule. L’identification est plus difficile lors de l’examen d’une seule moitié si, par malchance, ces lignes ont disparu lors de la séparation accidentelle des deux faces. Fort heureusement, quel que soit l’état de conservation de l’archétype, il demeure une constante : son poids toujours plus élevé que celui d’une figurine. De même, dans le cas d’une moitié creuse, l’attention est attirée par la forte épaisseur, inhabituelle, des parois qui entraîne un surplus pondéral.

  • 9 A Bourbon‑Lancy, les détails de certains archétypes en terre tendre sont complètement émoussés à la (...)

6Autre critère important, mais qui dépend lui aussi de l’état de conservation de la pièce9 : la netteté et la précision des décors, des chevelures, des toisons, des plumages, etc., qui doivent apparaître jusque dans les moindres détails. Ces détails, qui étaient obtenus avec des instruments très simples comme des pointes en bois, des lissoirs et des spatules, se trouveront ensuite atténués au fil des manipulations nécessaires durant la fabrication des moules, puis celle des figurines, pour disparaître parfois, recouverts d’une couche de peinture ou de vernis comme nous le venons plus loin.

7Un trou rond qui apparaît sous l’archétype laisse à penser que pour modeler, puis ajouter librement tous les détails, le coroplathe fixait l’argile du futur archétype sur un plateau (tournant ?) muni d’une courte tige. La taille raisonnable des figurines, autour de 20 cm le plus souvent, ne nécessitait pas l’utilisation d’une armature pour la fabrication des archétypes, pas même semble‑t‑il, pour les pièces du ier s., pourtant plus grandes. Lorsque l’archétype était achevé, il fallait le laisser sécher, ce qui entraînait un retrait de la terre par déperdition d’eau et donc une première diminution de taille. Mais un seul archétype n’était pas toujours suffisant, car certains sujets devaient être décomposés en un nombre d’éléments variable, en fonction de la complexité de la pose de la figurine à reproduire ; chaque élément séparé (tête, membre, attribut, etc.) devenait un archétype complémentaire de l’archétype principal, en général celui du corps.

2.1.3 Les moules

  • 10 Plusieurs moules identiques tirés d’un même archétype ont été retrouvés dans les ateliers de l’Alli (...)

8La fabrication de l’archétype achevée, il devenait possible de prendre sur lui de nombreux moules10. Dans les cas simples de dépouille facile, les plus fréquents, deux valves suffisaient : une pour chaque face du personnage (antérieure et postérieure) ou de l’animal (côté gauche et côté droit ou, quelquefois, partie supérieure et partie inférieure pour les oiseaux à la tête tournée). Il fallait évidemment prévoir un moule pour fabriquer le socle sur lequel, dans la majorité des cas, serait collée la figurine. Il y avait encore plus simple : alors qu’au ier s. les coroplathes prenaient la peine de mouler à part une Vénus et son socle pour orner leurs édicules en terre cuite, beaucoup plus tard Pistillus s’est contenté de réaliser l’ensemble avec un moule d’une seule pièce ; il est vrai que si ces édicules, bien plus petits, perdaient du relief par ce système, ils étaient, en revanche, d’une facture plus élégante. A l’opposé, il faut rappeler le célèbre tireur d’épine qui ne réclamait pas moins de douze pièces pour sa fabrication !

9Comme nous l’avons signalé plus haut pour la fabrication des archétypes, les coroplathes ont également utilisé une autre façon de procéder, qui consistait à établir un modèle sans tête et ! ou sans bras, complété ensuite par des membres, des attributs, des éléments interchangeables modelés à part : ainsi, une femme drapée (Rouvier‑Jeanlin 1972 : nos 428, 429) pouvait devenir, tantôt une Minelve (Rouvier‑Jeanlin 1972 : no 443), tantôt une Abondance (Rouvier‑Jeanlin 1972 : no 430), selon qu’on lui ajoutait un casque, une égide et un bouclier (Rouvier‑Jeanlin 1985 : no 209), ou un diadème, une patère et une corne d’abondance (Rouvier‑Jeanlin 1985 : no 13). De même, chez les animaux, les paons (Rouvier‑Jeanlin 1972 : no 1121b) étaient prévus sans leur queue, qui était moulée à part et ajoutée ensuite, afin qu’on puisse les admirer, tantôt faisant la roue (Rouvier‑Jeanlin 1972 : no 1121a ; Rouvier‑Jeanlin 1985 : no 376), tantôt suivis d’une traîne ocellée (Rouvier‑Jeanlin 1972 : no 1123 ; Rouvier‑Jeanlin 1985 : nos 17, 377, 378). Il apparaît de plus en plus certain que cette méthode de fabrication, comme celle qui fut utilisée pour les grands édicules cités plus haut ou celle qui consiste à rassembler plusieurs sujets, personnages ou animaux, sur un même socle, a été abandonnée après le premier tiers du iie s. pour faire place, le succès venu, à une standardisation plus rentable.

10C’est à partir de ce point de la fabrication que l’avis des spécialistes commence à diverger à propos des méthodes utilisées pour obtenir des moules à partir d’un archétype, que ce dernier soit complet ou qu’il soit décomposé en éléments. Pour les uns, on devait enrober entièrement chaque archétype d’une chape d’argile qu’il fallait immédiatement séparer en deux à l’aide d’une lame guidée par les lignes de repères dessinées en creux (Rabeisen, Vertet 1986 : 14). Pour d’autres, au contraire, on devait fabriquer séparément les pièces du moule ; pour cela l’artisan aurait recouvert d’argile chaque partie délimitée par les lignes creuses, véritable frontière au ras de laquelle il devait s’arrêter net, n’entreprenant la suivante qu’après retrait de la première (Van Boekel 1987 : 217). Beaucoup d’auteurs éludent ce problème qui est difficile à résoudre.

  • 11 C’est peut‑être ce qui s’est passé pour une valve de moule trouvée dans un atelier de Brive. A l’in (...)

11Il est toujours possible d’admettre que plusieurs méthodes furent utilisées selon les ateliers ou la période de fabrication ; tout au plus peut‑on faire remarquer :
– que les lignes creuses étaient souvent en pointillé et qu’alors, elles ne pouvaient plus servir de guide à la lame ;
– que, lorsque ces lignes étaient continues, il devait être difficile de les repérer, puis de ne pas s’en écarter11 ;
– que, dans ce dernier cas, la lame devait avoir des hésitations dans son cheminement et qu’elle aurait dû laisser alors des traces sur son passage, traces que nous n’avons jamais observées sur aucun archétype.

12Pourquoi ne pas envisager l’usage d’un fil de même façon qu’il sert encore aujourd’hui pour réaliser des moulages (Baudly 1984 : 105, 559, fig. 1) ? Quelle qu’ait été la méthode utilisée, l’argile devait être soigneusement appliquée pour épouser parfaitement le moindre détail ; si la majorité des spécialistes pensent que la terre était étalée en couches successives, quelques‑uns avancent que l’archétype a pu être poussé et s’imprimer dans une masse d’argile ; mais peut‑être est‑il possible de connaître la méthode utilisée en observant les revers de moules : certains sont terriblement tourmentés, avec des creux profonds, témoins d’une application vigoureuse mais peu soigneuse, alors que d’autres sont méticuleusement lissés à la spatule en plans nets.

13Le séchage en cours générait un retrait qui permettait aux valves de moule de se détacher aisément –à condition d’être de parfaite dépouille– de l’archétype ; il était encore temps d’effectuer d’ultimes retouches à l’intérieur avant que le séchage ne fût trop avancé, soit parce que l’empreinte laissait à désirer, soit parce que certains détails ne figuraient pas, volontairement, sur l’archétype et étaient laissés à l’imagination du coroplathe (cas assez rare semble‑t‑il), soit encore parce qu’il s’agissait d’un surmoulage dans lequel les détails sont toujours affadis.

14C’est sur le revers, lorsque l’argile était encore assez fraîche, que des signatures ont été tracées en creux, soit en capitales soit en cursive, tandis que d’autres, moins nombreuses et pas forcément identiques à celles du revers, ont été inscrites dans le creux du moule. Certaines signatures étaient estampillées, tant au revers du moule qu’à l’intérieur (martini, pistillvs). Il n’est pas rare de rencontrer plusieurs moules issus d’un même archétype, dont l’un ne porte aucune signature, dont un autre en porte une, mais différente de celle d’un troisième moule, voire d’un quatrième et d’un cinquième qui ne portera qu’une marque en forme de « X ». Aussi est‑on tenté de voir dans ces signatures plutôt une marque de propriété (comment reconnaître ses moules à la sortie du four ?) qu’un nom d’altiste. Sans doute faut‑il faire une exception pour les moules où le même nom figure tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la valve, comme c’est le cas de Pistillus par exemple.

  • 12  Le cas est différent pour les lampes en terre cuite.

15Il est une méthode de fabrication des moules que les coroplathes gallo‑romains ne semblent pas avoir utilisée, c’est celle qui consiste à remplacer l’argile par du plâtre liquide, méthode employée à partir du iie s. av. n.è. par les Grecs qui s’inspirèrent peut‑être de la technique égyptienne. Si la facilité et la rapidité de fabrication des moules par coulage du plâtre, alliée à une réduction du temps de séchage des épreuves en argile dans ces moules plus poreux que ceux en terre cuite, présentaient un avantage tentant dans le domaine de la rentabilité, de nombreux inconvénients ont dû rebuter les artisans gallo‑romains12 : fragilité du matériau, retouches interdites, présence de bulles d’air survenues lors du coulage et qui apparaîtront comme autant de petites perles sur les figurines. Ces repères, si précieux pour les archéologues, n’ont jamais été observés, à notre connaissance, nulle part ailleurs que sur les figurines gallo‑romaines trouvées à Nidda‑Heddernheim (Huld‑Zetsche in Rüger 1980 : 18) ou semblant provenir d’ateliers de l’Est.

2.1.4 Les figurines

16Une fois la cuisson des moules terminée, la fabrication d’une longue série de figurines pouvait commencer. Chaque valve de moule était recouverte de minces couches successives d’argile fraîche, dont la première, en contact avec le moule ; était parfois d’une argile plus blanche et plus fine que les suivantes (Rouvier‑Jeanlin 1975 : 95) ; ces couches étaient vigoureusement pressées pour obtenir une meilleure répartition de la pâte et la faire bien pénétrer dans les creux les plus profonds et étroits des boucles de chevelure, des yeux et de leur pupille, du nez, etc. : détail émouvant, on observe souvent sur la dernière couche l’empreinte bien nette laissée, il y aura bientôt 2000 ans, par les doigts de l’ouvrier. Serait‑il fructueux de se livrer, avec des méthodes très performantes, à une véritable enquête qui utiliserait ces empreintes digitales comme repères ?

17Il faut croire que cette énergie à appliquer l’argile dans les moules n’était pas toujours aussi vigoureuse et minutieuse, comme il est facile de le constater sur de si nombreux visages au nez et aux lèvres sans relief ; ce qui peut être autant le résultat d’une négligence que le signe d’une fabrication devenue hâtive par souci de rentabilité.

  • 13 Nicholls 1984 : l’auteur a visité en 1951 une fabrique au Sri Lanka où il ne fallait pas plus de de (...)

18A partir de là, de nouvelles divergences apparaissent chez les spécialistes quant à la suite des opérations de fabrication. Pour certains, l’artisan « pressait les deux valves l’une contre l’autre et obtenait la reproduction de la figure initiale » (Rabeisen, Vertet 1986 : 14)13. Pour d’autres, après un léger retrait de l’argile dû à un premier temps de séchage, les épreuves se détachaient d’elles‑mêmes des moules et étaient prêtes pour être assemblées à l’aide de barbotine (Van Boekel 1987 : 220). La simplicité de cette opération n’est qu’apparente et, nous en avons fait l’expérience, recèle de nombreux pièges : que la terre séchât trop longtemps ou trop peu et il s’ensuivait fendillements, ruptures, affaissements...

  • 14 Cela tient à la légère déformation causée par le retrait de l’argile au cours du séchage et de la c (...)
  • 15 Une troisième procédure est proposée, à la suite d’expériences, par M. Franc.

19Le choix entre ces deux hypothèses de fabrication est malaisé à opérer. Aux partisans du système des valves rapprochées on peut opposer que ces valves, lorsque nous avons la chance de posséder un moule complet, ne sont pas vraiment jointives sur le pourtour14, tant s’en· faut, et qu’il n’y a pas de repères d’assemblage sur le revers (une ou deux fois exceptées sur l’ensemble des moules retrouvés). Par ·ailleurs, nous avons personnellement remarqué sur la surface interne de nombreuses moitiés de figurines détachées accidentellement au cours d’une cuisson ou d’un choc, une incision caractéristique due à l’extrémité d’un instrument pointu utilisé pour retirer cette partie de figurine en cours de séchage dans sa valve de moule ; cette manipulation est, à l’évidence, impossible dans le cas de faces collées en rapprochant les valves15. Enfin on retrouve assez souvent des figurines dont les deux faces n’étaient pas faites pour être assemblées, et qui l’ont été, soit par la fantaisie d’un ouvrier, soit par inadvertance ; dans ce dernier cas, les valves de deux moules différents ne pouvaient plus être complètement rapprochées et la jonction entre les deux faces de la figurine était impossible à réaliser, alors qu’elle peut l’être entre deux faces déjà détachées du moule. Mais, là aussi, plusieurs systèmes, ont pu être mis en pratique suivant la date ou les lieux de fabrication. Dans le cas d’opérations réussies, l’artisan (homme ou femme ?) pouvait effectuer une ultime retouche sur les figurines complètement assemblées et devait percer un trou d’évent (petit et discrètement placé dans les ateliers du Centre) afin d’éviter l’éclatement des pièces durant la cuisson à ± 800° qui suivait ; celle‑ci devait être bien menée, sous peine de défourner de nombreuses pièces ratées qui étaient alors jetées au rebut, dans des dépotoirs situés à proximité des fours (pour le plus grand bonheur des spécialistes !).

20Sur les fours eux‑mêmes, les renseignements sont aussi rares que les vestiges retrouvés ; les plus complets nous sont fournis par le Dr Bailleau pour ses fouilles de Saint‑Pourçain‑sur‑Besbre (plusieurs fours de 50 cm et 1 m de diamètre. Bailleau Journal 1868, mai et 6 octobre ; 25 août 1869 : « [...] dans les uns on faisait uniquement des statuettes, dans les autres exclusivement de la poterie. Dans l’un d’eux il n’y avait qu’une seule espèce de vases, espèce de mortier à large bords. »), mais ceux de Tudot pour Toulon‑sur‑Allier sont à utiliser avec prudence (Tudot 1860 : pl. 2, p. 57 sq. ; cf. supra Vertet) (fig. 35), Certes depuis cette époque les fouilles sont menées de plus en plus scientifiquement, mais hélas, les découvertes de fours utilisés avec certitude pour la cuisson des figurines demeurent très rares (cf. supra le chapitre des ateliers).

FIG. 35 – Fours à céramique romaine découverts près de Moulins (Tudot 1860 : pl. 2).

21Les figurines étaient‑elles peintes ? Oui, si nous nous référons aux traces retrouvées sur des édicules, sur des draperies, sur des visages, etc. L’étaient‑elles toutes ? Nous ne pouvons pas en fournir encore la preuve. Entièrement comme les Vénus de Nidda‑Heddernheim ou comme l’« acteur » trouvé au même endroit mais fabriqué avec des moules du Centre (Huld in Rüger 1980 : 23) ? Paltiellement comme à Saint‑Bonnet‑Yzeure (Vertet 1976 : 167, 168) ou à Boppard et Nidda‑Heddernheim (Huld in Rüger 1980 : 23) ? L’étaient‑elles avant cuisson comme à Saint‑Bonnet (Rabeisen, Vertet 1986 : 18) ou après cuisson ? Les analyses chimiques pratiquées sur les figurines peintes de Nidda‑Heddernheim n’ont pu, hélas, résoudre ce problème (Rüger 1980 : 129).

2.1.5 Les surmoulages

  • 16 Seules les déesses‑mères ont toujours eu leur socle compris dans le moule.

22Nous avons évoqué plus haut l’éventualité du remplacement de l’archétype original par une figurine en terre cuite issue d’un des moules qu’il a servi à fabriquer, soit parce que l’artisan n’avait plus l’archétype à sa disposition, soit parce que ce dernier était hors d’usage, soit encore pour copier un sujet fabriqué dans un autre atelier. Cette opération, appelée surmoulage, entraînait une déperdition de taille estimée à environ 10 à 15 %, voire plus, d’une figurine à l’autre, c’est‑à‑dire d’une génération à l’autre. Il n’est pas exceptionnel de retrouver une suite de surmoulages obtenus successivement à partir d’une figurine et il nous a été donné d’en dénombrer jusqu’à six générations. Naturellement, à chaque surmoulage la diminution de taille allait de pair avec un affadissement, voire la disparition des détails. Les plus consciencieux parmi les artisans palliaient cet inconvénient en pratiquant des retouches à l’intérieur des moules, ou quelquefois sur les figurines, d’où la difficulté de bien reconnaître une succession de surmoulages. Nous avons même rencontré dans le matériel trouvé aux Bolards (Côte‑d’Or) deux oiseaux identiques de deux générations différentes, dont le plus grand avait été fabriqué à l’aide de valves de moule horizontales (une pour le dessus, une pour le dessous du corps) alors que le plus petit, de la génération suivante, avait été fabriqué avec des valves latérales (une pour le côté gauche, une pour le côté droit du corps). Les valves de moules d’oiseaux étaient horizontales lorsque l’oiseau avait la tête tournée sur le côté et que ses ailes étaient croisées sur le dos ; elles ont été utilisées pendant le ier s. mais elle disparaîtront avec l’apparition de la standardisation et la généralisation de la frontalité. Dans le cas des deux oiseaux trouvés aux Bolards, il est difficile de savoir si les deux générations ont été fabriquées dans un même atelier avec un décalage chronologique ou si la deuxième génération est le fruit d’un piratage. Dans ce dernier cas, lorsque la copie était faite dans un petit atelier concurrent (comme celui de Rennes ; Joubeaux 1988 : nos 76, 90), l’empreinte des nouveaux moules était souvent prise sur l’objet complet, c’est‑à‑dire collé sur son socle ; celui‑ci était alors compris dans le moule et non plus modelé à part16.

23Ces observations, fondées sur des évidences globales, telles que l’existence de modèles similaires dans des tailles différentes, sont peu contestables. Mais le détail de la pratique ouvrière, dès qu’on cherche à préciser l’enchaînement des générations, est en revanche beaucoup plus difficile à saisir. Car les variations des retraits à chaque stade –fabrication du moule, de la figurine– sont indépendantes les unes des autres et peuvent, en se cumulant, entraîner des différences notables entre des produits de même génération, issus de moules distincts, différences à leur tour accentuées ou réduites, pour les mêmes raisons, à la génération suivante.

  • 17 Figurine MMR S.N. (réserves du musée de Moulins).
  • 18 Moules : 2 valves postérieures (MAN no 79 signée VIVI, venant de Toulon‑sur‑Allier ; MAN no 81 sign (...)
  • 19 Les variations intéressant la hauteur des empreintes sont de 3,1 % pour les valves postérieures (la (...)
  • 20 Ht. MAN 78 / Ht. MAN 79 = 0,95 Ht. MAD / Ht. MAN 81 = 0,92 Ht. MAD / Ht. MMo = 0,93 Ht. MAN 80 / Ht (...)
  • 21 Elle est de 10,5 %.
  • 22 Les faces de la figurine peuvent se modifier, se courber, se redresser légèrement au moment du démo (...)

24L’analyse des fig. 36 et 37 est à cet égard révélatrice. L’exemple choisi –une Vénus de type II (Rouvier‑Jeanlin)– est illustré par un moule conservé à Moulins qui représente la première génération actuellement connue17 et par une série de moules et de figurines provenant pour la plupart de Toulon‑sur‑Allier et appartenant –compte tenu de leur taille et de leur évidente parenté morphologique– à la deuxième génération18. Les valves ou fragments conservés montrent que 4 ou 5 artisans au moins ont pris concurremment des moules, que l’empreinte de la Vénus à ce stade présente de faibles variations dans sa hauteur19 et que certains moulistes –Siluinus et Tiberius– ont apporté des retouches dans les draperies. Trois figurines sont apparentées chacune assez étroitement par leur morphologie à deux des valves, sans qu’on puisse toutefois affirmer formellement qu’elles sont issues de l’une d’entre elles, a fortiori des deux. Les différences dans la hauteur totale entre empreintes (modernes) tirées des moules et figurines supposent dans cinq des cas un retrait possible de 5 à 9 %20 . L’importante différence constatée entre MAN 80 et le moule signé silvini 21, est due à un raccourcissement accidentel de la figurine au moment de sa restauration. Nous voyons par cet exemple le nombre de variations aléatoires qu’entraînent la qualité des pâtes (moules ou figurines) et leur retrait. Et les manipulations que subissent les morceaux de l’ébauche après démoulage22 peuvent affecter de façon imprévisible et anarchique les dimensions globales de chaque statuette. Il apparaît ainsi que toute étude approfondie des successions généalogiques doit tendre à éliminer l’influence incontrôlable des finitions : c’est‑à‑dire se fonder moins sur les dimensions maximales de la silhouette que sur la mesure des détails « intérieurs » de chaque face, tels dans le cas présent les éléments du visage ou certaines parties des drapés. Ces précautions sont indispensables si l’on veut faire progresser les recherches sur la reproduction et la diffusion des modèles entre les coroplathes et dans les ateliers de production.

FIG. 36 – Moulins/Toulon‑sur‑Allier : quelques représentants d’une généalogie de Vénus, décors de la face. a : empreinte du fragment de moule MMR 779 conservée à Moulins ; b : empreinte du moule de Tritogeno(s) provenant de Toulon‑sur‑Allier et conservée au MAN (MAN 77) ; c : figurine conservée au MAN (MAN 78) et étroitement apparentée au décor du moule de Tritogeno(s) ; d : empreinte du moule de Tiberius provenant de Toulon‑sur‑Allier et conservée au musée de Moulins (MMo 5.3.24) ; e : figurine conservée au musée archéologique de Dijon (MAD 73.3.95) et étroitement apparentée au décor du moule de Tiberius

dessins M. Jeanlin

FIG. 37 – Schéma d’une succession généalogique de Vénus. F : figurine M : moule R : retouches MAN : musée des antiquités nationales MMO : musée de Moulins MMR : réserves de Moulins MAD : musée archéologique de Dijon.

Notes

1 Coroplathe vient du mot grec koroplathos (de koré, jeune fille et de plassein, former) et il signifie modeleur de poupées, ou de figurines en terre cuite, en cire, etc.

2 Iusqu’à présent, aucune étude n’a été entreprise sur les figurines en terre colorée (du bistre au brun‑rouge foncé) retrouvées en Gaule (excepté les séries fabriquées dans les grands centres rhénans qui sont parfaitement étudiées) et qui ne représentent encore qu’une faible minorité.

3 Barrelet 1968 : 32 ; l’ouvrier « marcheur, pieds nus, devait vigoureusement piétiner l’argile déposée en forme de cercle sur le sol, en partant du centre pour aller vers la circonférence et en revenant de même en spirale, de la circonférence au centre (Brongniart 1854 : 112 sq.).

4 « Le dégraissant doit avoir une composition aussi proche que possible de celle de l’argile traitée pour que la dilatation du dégraissant et celle de l’argile soient d’ampleur voisine (Leroi‑Gourhan 1971 : 213).

5 Plus le grain est fin, meilleur est l’atelier.

6 Egalement appelé archétype, original, patrize ou patrix.

7 Notamment à Bourbon‑Lancy (Saône‑et‑Loire) ; voir supra l’article sur cet atelier.

8 A moins que Pistillus n’ait été aussi habile que ses illustres prédécesseurs grecs Du moins le meilleur Pistillus, car l’ensemble de la production est loin d’être homogène dans son style.

9 A Bourbon‑Lancy, les détails de certains archétypes en terre tendre sont complètement émoussés à la suite de leur long séjour en terre, ce qui tient sans doute aussi à un manque de cuisson. Dans le cas d’une argile peu dure, il peut aussi s’agir d’usure du relief après plusieurs utilisations comme archétype. D’autres archétypes retrouvés, à la pâte très dure, ont conservé toute la précision des détails.

10 Plusieurs moules identiques tirés d’un même archétype ont été retrouvés dans les ateliers de l’Allier et à Bourbon‑Lancy.

11 C’est peut‑être ce qui s’est passé pour une valve de moule trouvée dans un atelier de Brive. A l’intérieur du moule apparaît le négatif de la ligne creusée dans l’archétype qui a servi à le fabriquer ; alors que l’artisan aurait dû suivre cette ligne de frontière entre les deux valves, s’il est allé largement au‑delà c’est peut‑être qu’il ne la voyait pas et qu’elle était cachée par l’argile qui devait envelopper tout l’archétype.

12  Le cas est différent pour les lampes en terre cuite.

13 Nicholls 1984 : l’auteur a visité en 1951 une fabrique au Sri Lanka où il ne fallait pas plus de deux minutes aux ouvrières pour remplir les moules de statuettes (en plâtre) d’une couche d’argile, d’en tailler les bords, de les humecter, puis de /oindre les deux valves de moule ensemble et à l’aide du doigt ou d’une spatule de comprimer les /onctions d’argile à l’intérieur avant de retirer les valves.

14 Cela tient à la légère déformation causée par le retrait de l’argile au cours du séchage et de la cuisson des valves ; il en va autrement des valves en plâtre qui ne subissent pas ce retrait.

15 Une troisième procédure est proposée, à la suite d’expériences, par M. Franc.

16 Seules les déesses‑mères ont toujours eu leur socle compris dans le moule.

17 Figurine MMR S.N. (réserves du musée de Moulins).

18 Moules : 2 valves postérieures (MAN no 79 signée VIVI, venant de Toulon‑sur‑Allier ; MAN no 81 signée SILVINI, venant de Toulon‑sur‑Allier) ; 3 valves antérieures (MAN no 77 signée TRITOGENO, venant de Toulon‑sur‑Allier ; MMo no 5.3.24 signée TIBERIVS, sans provenance ; MMR 779, sans provenance). Figurines :
3 exemplaires (MAN no 78, venant de Vichy ? ; MAN no 80 venant de Toulon‑sur‑Allier ; MAD no 73.3.95, sans provenance).

19 Les variations intéressant la hauteur des empreintes sont de 3,1 % pour les valves postérieures (la plus grande et la plus petite du lot) et de 1,6 % pour les valves antérieures. Elles sont pratiquement négligeables entre les faces et les revers les plus proches les uns des autres (MAN nos 77 et 79 ; MAN no 81 et MMo 5.3.24).

20 Ht. MAN 78 / Ht. MAN 79 = 0,95 Ht. MAD / Ht. MAN 81 = 0,92 Ht. MAD / Ht. MMo = 0,93 Ht. MAN 80 / Ht. MAN 77 = 0,91 Ht. MAN 78 / Ht. MAN 77 = 0,95

21 Elle est de 10,5 %.

22 Les faces de la figurine peuvent se modifier, se courber, se redresser légèrement au moment du démoulage ; le collage peut entraîner épaississement ou élargissement ; le raclage des sutures en revanche peut se traduire par une perte de matière.

Table des illustrations

Légende FIG. 35 – Fours à céramique romaine découverts près de Moulins (Tudot 1860 : pl. 2).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37915/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 412k
Légende FIG. 36 – Moulins/Toulon‑sur‑Allier : quelques représentants d’une généalogie de Vénus, décors de la face. a : empreinte du fragment de moule MMR 779 conservée à Moulins ; b : empreinte du moule de Tritogeno(s) provenant de Toulon‑sur‑Allier et conservée au MAN (MAN 77) ; c : figurine conservée au MAN (MAN 78) et étroitement apparentée au décor du moule de Tritogeno(s) ; d : empreinte du moule de Tiberius provenant de Toulon‑sur‑Allier et conservée au musée de Moulins (MMo 5.3.24) ; e : figurine conservée au musée archéologique de Dijon (MAD 73.3.95) et étroitement apparentée au décor du moule de Tiberius
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37915/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 78k
Légende FIG. 37 – Schéma d’une succession généalogique de Vénus. F : figurine M : moule R : retouches MAN : musée des antiquités nationales MMO : musée de Moulins MMR : réserves de Moulins MAD : musée archéologique de Dijon.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37915/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 48k

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1993

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