1COLLECTIONS PRINCIPALES ET LIEUX DE CONSERVATION
Dépôt de prospection et de fouille Jacob Leredde, Montigny‑la‑Resle (Yonne) (fragments de moule et de statuettes).
Collection Matton‑Dannemoine (Yonne) (constituée, en grande partie, des objets recueillis par L. Tainturier dans ses fouilles du début du siècle, un élément de statuette très mal restauré).
Collection Bottin et collection Zlatoff à Flogny‑la‑Chapelle (Yonne) (résultats de prospections de surface avant 1965, contenant plusieurs fragments de statuettes et de moules).

2RESPONSABLES DU SITE
J.‑P. Jacob, conservateur régional du service régional de l'Archéologie de Provence‑Alpes‑Côte‑d'Azur et H. Leredde, maître de Conférence (informatique) à l'université de Paris‑Nord.
Service régional de l'Archéologie de Bourgogne.

3Le site de Jaulges/Villiers‑Vineux, dans le département de l’Yonne, se trouve à cheval sur le territoire de ces deux communes, arrondissements d’Avallon et d’Auxerre, cantons de Saint‑Florentin et de Flogny‑la‑Chapelle, aux lieux‑dits Charmois, Epinottes, Bruyères.

1.18.1 Circonstances de la découverte

4Connu depuis toujours en raison de l’abondance des vestiges visibles à la surface des champs labourés, ce site a fait l’objet au début du siècle de quelques fouilles conduites par un amateur, retraité du PLM, Louis Tainturier. C’est en 1965 que deux des auteurs retrouvèrent ce site et qu’en commença l’étude systématique.

5Ce travail a débuté par près de dix années de prospections au sol et par avion, destinées à bien localiser les limites du site et à en retracer l’histoire. Parallèlement, une vaste campagne de prospections géophysiques était entreprise par le laboratoire du CIVRS de Garchy, sous la responsabilité d’A. Hesse. Dans un second temps, cinq campagnes de fouilles programmées ont eu lieu. Elles avaient pour but de résoudre quelques problèmes archéologiques précis : mode d’approvisionnement en matières premières, relations entre les installations de potiers et la voie romaine, nature de ces installations, existence de stratigraphies bien marquées, vérification de la fiabilité des prospections géophysiques et aériennes.

6Actuellement le site est dans une clairière et dans les bois qui la cernent, au sud et à l’est. On peut évaluer la superficie occupée par les vestiges à près de 25 ha.

1.18.2 Contexte historico‑géographique

7Le centre de production de Jaulges/Villiers‑Vineux faisait partie de la Lugdunaise. Il était situé aux confins de plusieurs pagi et il est même possible qu’il se soit implanté exactement à cheval sur une limite antique. Il faut remarquer que l’un des chemins, qui sépare le site en deux dans le sens nord‑sud, sert actuellement de limite aux communes de Jaulges et de Villiers‑Vineux. Il servait aussi, semble‑t‑il, de frontière entre l’évêché de Langres et l’archevêché de sens ainsi que de limite de baillages et d’élections.

8L’implantation des potiers fut, à n’en pas douter, rurale. On constate la présence, dans un rayon allant de 2 à 4 km, de plusieurs uillae dont certaines paraissent avoir connu une certaine opulence. Il faut par ailleurs remarquer que le centre de production constituait à lui seul un village où il n’est pas du tout prouvé que seuls des potiers aient pu travailler. Ce village avait‑il une autonomie totale ou dépendait‑il, au moins au niveau de la propriété du terrain, des grandes uillae qui l’entourent ?

9Les agglomérations antiques de quelque importance sont assez éloignées de Jaulges/Villiers‑Vineux : Auxerre (Autessiodurum) est à 35 km au sud, tandis que sens (Agedincum) est à près de 60 km au nord ; quant aux bourgades de Tonnerre, de Saint‑Florentin et d’Avrolles (Eburobriga de la Table de Peutinger), bien plus proches, on manque totalement de données pour en apprécier l’importance dans l’Antiquité.

10Le site est remarquablement desservi par la voie romaine dite de « sens à Alise » qui le traverse d’est en ouest et qui croise à quelques kilomètres de là celle d’Agrippa reliant Lyon à Boulogne‑sur‑Mer. De plus, l’Armançon, qui coule à peu de distance, était encore navigable au xvii^e s. et a pu servir lui aussi de voie d’exportation commode, mettant en relation Jaulges/Villiers‑Vineux avec les bassins de l’Yonne et de la Seine.

11Les matières premières ne faisaient pas défaut non plus puisque toute la région est constituée par une vaste nappe d’argiles et de sables panachés du Barrémien supérieur convenant tout à fait à 1’ « industrie » céramique. Ce sous‑sol peu riche et imperméable favorise une dense couverture forestière où les feuillus abondent. La datation précise de l’atelier est délicate à établir car peu de céramiques datables semblent y avoir été importées. De plus, on connaît encore fort mal les séries céramiques tardives dans la région faute de fouilles urbaines publiées. Une importante série monétaire ne clarifie pas la situation puisqu’elle s’étend du i^er s. de n.è. au règne d’Arcadius. On peut légitimement penser que le site a été occupé durant la seconde moitié du i^er s. de n.è. et qu’il a été abandonné au début du v^e s. Il est certain que, durant les iii^e et iv^e s., Jaulges/Villiers‑Vineux connaît une période d’expansion extraordinaire et que les potiers rivalisent d’habileté pour mettre au point de nouvelles formes et de nouvelles techniques.

1.18.3 Activité céramique

12Le centre de production de Jaulges/Villiers‑Vineux commença à fabriquer une abondante vaisselle de luxe et de semi‑luxe (céramique sigillée, terrines à déversoir orné de tête de lion, gobelets à parois fines, vases à couverte métallescente, etc.) dès le i^er s. En ce qui concerne les figurines en terre cuite, le site a restitué bien peu de matériel : deux fragments de moules et quelques figurines seulement.

1.18.4 Définition archéologique des figurines

13Les deux valves de moules retrouvées sont en argile blanche, non micacée, devenue très dure à la cuisson : les parois sont épaisses et le revers de chacune est lissé à la spatule, sans trace de signature. Le premier fragment de moule (inv. JMB 04) (fig. 25) est celui d’une valve postérieure de Vénus dont la partie supérieure est brisée au‑dessus de la taille. L’épreuve tirée de cette valve est identique au revers d’une figurine de Vénus pudique (L 17‑IV 15‑0 15) trouvée dans les fouilles du sanctuaire de Châteaubleau près de Nangis (Seine‑et‑Marne) ; or, durant la période de prospérité de ce uicus au milieu du iii^e s., il y eut une abondance de vases à couverte métallescente, également en provenance de Jaulges/Villiers‑Vineux. Une autre figurine identique et complète a été trouvée dans la fontaine de Jonches (yonne) ; elle est conservée au musée d’Auxerre (Rouvier‑Jeanlin 1971 : n^o 9, pl. IV ; Rouvier‑Jeanlin 1986a : n^o 100, pl. IX). Cette figurine, qui représente une Vénus pudique dans le style du modeleur éduen Pistillus, a été fabriquée dans une terre différente d’aspect de celle habituellement utilisée à Autun et elle repose sur un socle bombé plus élevé que ceux qu’utilisa Pistillus. Par ailleurs, un amollissement du modelé et une atténuation des détails, dont certains ont dû être repris à l’ébauchoir (plis de la draperie), laissent à penser qu’il pourrait bien s’agir d’une copie ou d’un surmoulage d’une œuvre de Pistillus.

14Le second moule (inv. JAU 31 JMB 01) est un fragment de valve postérieure comprenant le revers d’une coiffure, le cou et l’encolure de la robe d’un personnage féminin ou d’une déesse‑mère. Sous un haut toupet sommital, une large natte composée de rangées de losanges en relief descend jusqu’à la naissance du cou ; cette stylisation sous forme de losanges est une originalité par rapport aux coiffures de ce type fabriquées dans les ateliers du Centre.

15Parmi les quelques figurines trouvées au cours des prospections, on remarque les fragments postérieurs de quatre têtes semblables mais non identiques recouvertes d’une coiffe ronde posée en arrière ; quelques mèches ondulées sont dessinées au‑dessus des oreilles de l’une d’elles (inv. JB 09), tandis qu’au revers la masse plate et comte des cheveux est parsemée de points ou de traits horizontaux disposés en colonnes. Ce type de coiffure nous est inconnu jusqu’à présent.

16Parmi les quelques têtes qui constituent le reste du lot de figurines, on reconnaît deux Vénus, une déesse‑mère (inv. Jor 09, identique au n° 334 dans Rouvier‑Jeanlin 1972), une femme (inv. JP 18 JMB 02, identique au n° 802 dans Rouvier‑Jeanlin 1972), ainsi que plusieurs Risus.

1.18.5 La fabrication et la diffusion

17Deux fragments de moules de figurines en terre cuite retrouvés sur un site permettent‑ils d’accréditer l’hypothèse d’une fabrication sur place ? Les analyses physico‑chimiques de ces moules nous donnent une réponse affirmative en prouvant une identité de composition de l’argile de ces moules avec celle qui fut utilisée pour d’autres productions de Jaulges/Villiers‑Vineux et en particulier la céramique craquelée‑bleutée. Les objets retrouvés sur ce site se rattachent au répertoire connu des ateliers du Centre (exception faite des deux types de coiffure, décrits plus haut, qui présentent une originalité stylistique propre, jusqu’à présent, à Jaulges/Villiers‑Vineux) ; ils ont pu être fabriqués à partir du milieu du ii^e s., avec certitude au iii^e s. et jusqu’à une date qu’il est difficile de préciser pour cette production, l’atelier ayant continué à fonctionner au‑delà du iv^e s. Leur diffusion allait de pair avec celle des autres produits comme le démontre la présence de la Vénus issue d’un moule de Jaulges/Villiers‑Vineux associée à des vases à couverte métallescente fabriqués dans le même centre de production.