Précédent Suivant

1.9 Yzeure / Saint‑Bonnet (Allier)

Atelier

p. 40‑44


Texte intégral

1COLLECTIONS PRINCIPALES ET LIEUX DE CONSERVATION
Dépôt de fouilles de Bellevue et quelques éléments au musée de Moulins.

2RESPONSABLE DU SITE
Service régional de l'Archéologie d'Auvergne.

3Yzeure fait partie de la communauté urbaine Avermes‑Moulins‑Yzeure et appartient au canton est de Moulins (Allier). L’altitude moyenne est de 240 m.

1.9.1 Circonstances de la découverte

4Le bourg d’Yzeure a donné lieu à de nombreuses découvertes gallo‑romaines. Il est séparé en deux parties (nord et sud) par le ruisseau du Grillet qui coule au fond d’un vallon resté peu urbanisé jusqu’à nos jours, car très humide.

5La partie sud paraît avoir été plus richement construite que la partie nord (Périchon 1966 : 122‑135) ; plusieurs vestiges laissent penser que la voie romaine de Bourges à Autun y passait (Fanaud 1960 : 71‑72), c’est la partie centrale de la ville actuelle, établie autour d’une belle église romane.

6Les ateliers de potiers ont été trouvés dans la partie nord du bourg –nous n’en connaissons aucun dans la partie sud–, dans le quartier dit « Saint‑Bonnet », au lieu‑dit La Vieille Cure. Il existait ici, non loin du bord du vallon, une église entourée d’un cimetière. L’édifice, roman, était le centre de la paroisse Saint‑Bonnet. Il a brûlé à la Révolution et n’a jamais été reconstruit (Bertrand 1905), Ces premières découvertes des ateliers de potiers ont été signalées en 1827. En 1863‑65, Bertrand signale « un demi‑moule d’un buste en terre cuite, à tête capuchonnée, des monnaies de bronze de Philippe et de Néron. » Des fouilles pratiquées par Tudot et Bertrand, sur « un terrain profondément miné pour des plantations de mûriers » ne donnèrent que des débris sans intérêt. En 1866 eut lieu la découverte fortuite d’une figurine, de monnaies. En 1900, Bertrand signale « la découverte de deux fours de potiers modeleurs ». En 1901, il reprit des fouilles qui portèrent le nombre des fours à 7 (monnaies de Trajan, figurines : coq en terre blanche, ... et fragments de moules). En 1908, on découvrit près des bâtiments actuels d’habitation qui ont remplacé l’église, un nouveau four et un fragment de moule.

7Les découvertes ont donné lieu à des mentions succinctes dans le BSEB dont on trouvera les références dans la bibliographie. Des plans indiqués comme déposés dans les archives de la SEB n’ont pas été retrouvés. Nous n’avons pas encore situé les emplacements exacts des fouilles de Bertrand, Tudot et d’autres (lieu‑dit Champ de la Cure et autres).

8La surveillance du site a permis les observations et découvertes suivantes. En 1961, lors de travaux dans la rue Claude‑Debussy, nous avons observé des couches et des fosses plus ou moins profondes. Nous avons recueilli une valve de moule de lion (vase plastique), un pigeon, de la sigillée et des morceaux divers de figurines, de la céramique augusto‑tibérienne. En 1962, les tranchées destinées à un lotissement ont donné des fours de potiers de la fin du ier s. On n’y avait fabriqué que de la céramique commune, souvent assez fine (Fournier 1963 : 487). En 1974, nous avons fouillé deux tombes pauvres, sans matériel. En 1975‑76, nous avons pu entreprendre des fouilles sur un terrain provisoirement dégagé avant d’être construit. Il est situé au sud de l’ancienne église, et avait été utilisé comme cimetière ; il n’a pas été touché par les fouilles du xixe s. Nous y avons trouvé des tombes dont la plus ancienne est datée par une monnaie de Louis le Pieux. Les sépultures anciennes sont peu profondes, mais des tombes plus récentes, creusées à plus d’un mètre, ont malheureusement haché le site gallo‑romain. Nous avons pu exploiter de rares lambeaux de sol intact et, plus profondément, un fossé augusto‑tibérien, sous un sol de cailloutis. Les restes d’un seul four, superficiel et très abîmé, ont été découverts, mais il semble avoir servi à des artisans du fer et non à des potiers.

9En 1981‑82, les constructions, non surveillées, de deux maisons ont détruit en grande partie le site. Nous avons pu fouiller quelques fosses apparues dans les fondations et datables du début à la fin du ier s. (dont un autre fossé comblé de déblais augusto‑tibériens). Aucune figurine n’a été retrouvée. En 1986, des sondages préliminaires aux fondations d’une troisième maison ont donné une tombe et la possibilité de ramassages dans des déblais des maisons précédentes. Du site, qui aurait dû être acheté comme réserve archéologique, reste une parcelle constructible à fouiller, mais la direction des Antiquités n’envisage actuellement aucune recherche.

10En conclusion, le site antique déborde largement les alentours immédiats du cimetière chrétien, mais c’est seulement dans sa partie sud que nous avons découvert des figurines. La route nationale actuelle recouvre peut‑être des vestiges antiques, ainsi que le bord du vallon.

1.9.2 Contexte historico‑géographique

11Yzeure se trouve sur la frontière des Eduens et des Arvernes et on considère que le bourg antique se trouvait plutôt chez les Eduens. La richesse des implantations gallo‑romaines sur la commune est notable. De riches habitations ont été signalées, à quelques kilomètres des ateliers. Dans les fondations d’un four, nous avons trouvé la moulure d’une base de colonne en grès.

12L’Allier coulait à trois kilomètres environ des fabriques. Si une voie romaine importante passait à quelques centaines de mètres, de l’autre côté du ruisseau du Grillet, il est possible qu’un autre chemin antique ait précédé la route nationale actuelle qui longe les fabriques. Le site se trouve sur la deuxième terrasse de l’Allier, sur le bord de la Sologne bourbonnaise. La carte géologique indique pour le lieu de l’atelier : argile accessoirement sableuse.

13Les matériaux nécessaires étaient à portée de main des potiers. L’argile plastique, de différentes couleurs, affleure un peu partout. Au lieu‑dit Les Terres Blanches ont été fouillés des fours de potiers gallo‑romains en 1900‑01. Jusque vers 1914 ont fonctionné, à Yzeure, de très nombreuses briquetteries‑tuileries qui ont laissé des bâtiments et des carrières qu’efface l’urbanisme. Des puits existaient au milieu des ateliers ; nous en avons fouillé un, dont l’eau était peu profonde. De plus, dans le vallon, l’eau est si abondante qu’on y trouve des captages alimentant Moulins. Des bois de feuillus poussent encore dans la campagne environnante, dont le sol est assez pauvre.

14Les plus anciens témoins historiques découverts sur le site sont des monnaies gauloises recueillies par un particulier dans son jardin. Elles ne sont pas en rapport, à notre connaissance, avec les ateliers. La datation des figurines peut être établie par la céramique trouvée en même temps qu’elles, sigillée et commune fine, et par les noms marqués sur les moules. Nous distinguons volontiers au moins trois périodes :
– Auguste‑Tibère : moule d’une figurine à glaçure, datée par la présence dans le dépotoir d’estampilles arétine et lyonnaise ;
– fin ier début iie s. : date donnée par des formes lisses de sigillée ; un Dr. 30 de Butrio et quelques autres tessons pourraient se rattacher à cette période ;
– 2e partie du iie s. : fragments de moules avec signatures : certino (collection Génermont), priscvs, severi, vrbaivvs. Plusieurs de ces noms ont été trouvés au Lary, en connexion avec de la sigillée de la fin du iie s.

15En même temps que les potiers gallo‑romains, existèrent à Saint‑Bonnet des artisans qui travaillaient le fer. De nombreuses scories ont été découvertes et restent à analyser. Nous avons noté la même connexion à Saint‑Rémy‑en‑Rollat (Vertet 1979 : 58). Il y avait aussi des bronziers (Melin, Bertrand 1900).

1.9.3 Activité céramique

16sur le même site de Saint‑Bonnet, on a produit constamment diverses céramiques : de la céramique commune et fine en quantité (attestée du début à la fin du ier s.) ; de la sigillée lisse de la fin du ier s. ; et au iie s., de la sigillée moulée : des fragments de vases Dr. 37 en terre blanchâtre et à engobe rouge, avec un décor de rinceau qui paraît être une interprétation locale des décors de Lezoux contemporains, ont été trouvés dans une grande fosse profonde contenant une réserve d’argile ; des vases à glaçure plombifère : gobelets d’Aco, vases plastiques ; des moules : une valve de tête et une de lion couché, un fragment de « moule de vase, en terre jaune, à ornements fleuronnés dans des demi‑cercles et deux petites rouelles » (Bertrand). Des fabrications de céramique à glaçure ont existé à Saint‑Pourçain‑sur‑Besbre, à Saint‑Rémy‑en‑Rollat, à Vichy : des gourdes moulées, un moule plat représentant un épisode des tables iliaques, le combat près des vaisseaux (Déchelette 1904) ; des éléments décoratifs d’architecture : éléments d’un « château fort » en terre cuite jaune engobée de blanc (Déchelette 1901b).

17Des analyses de la terre sigillée ont été effectuées par le Laboratoire du CNRS de Lyon ; des analyses de figurines par celui des musées de France.

1.9.4 Définition archéologique des figurines

18L’argile des figurines de la fin du ier s. est blanche, dure, fine. Les figurines ont été minutieusement lissées sur presque toute leur surface avec un objet qui a laissé des traces étroites et juxtaposées, ce qui l’a rendue luisante. Grâce à un accident de cuisson pendant lequel la fumée s’est déposée sur quelques figurines, nous avons fait la preuve que sur ce lissage étaient déposées des peintures (Vertet 1976, 1980). Celles‑ci ont agi comme un cache, qui laisse nues et blanches les parties enluminées, car la peinture a disparu après avoir joué ce rôle providentiel. C’est‑à‑dire qu’il subsiste seulement la certitude que certains emplacements, les yeux, les lèvres, la pointe des seins des Vénus par exemple, avaient reçu des couleurs. Il est probable qu’elles furent différentes. Quelques très rares draperies ont conservé des traces d’une couleur brune qui a bien résisté.

19A la fin du ier s., le trou d’évent des Vénus types 1 et 3 de Saint‑Bonnet était obtenu au moyen d’une lame étroite, plantée obliquement. Il avait environ 13 mm de longueur et 1 mm de largeur. Dissimulé habilement dans un pli vertical de la draperie, derrière la main gauche ou un peu en dessous, il passe quasi inaperçu. Sur les Vénus de type 2, il est obtenu avec une pointe de section carrée, plantée plus haut, au niveau médian de la fesse gauche et de l’avant‑bras et contre celui‑ci. A Toulon‑sur‑Allier, il est en général un peu plus bas, et percé avec des pointes rondes de dimensions diverses. Les trous d’évent des chiens de type 1 sont percés à droite du sexe, au niveau de la mi‑hauteur un peu plus haut, avec une pointe ronde de 3 mm de diamètre environ. Sur les chiens no 2, le trou d’évent est percé sous l’attache de la patte antérieure gauche, un peu plus haut que ne monte la cuisse, avec une pointe ronde de 3 mm aussi. Ces quelques exemples posent un curieux problème. Pourquoi ces différences selon les types d’un même sujet ?

20Le répertoire iconographique varie notablement selon la période :

1re période

21Un demi‑moule de visage devait servir à fabriquer un rhyton à tête humaine, analogue à celui que nous avons découvert dans le fossé tibérien de Lezoux.

2e période

22– Divinités et personnages : 4 types de Vénus debout (fig. 13), 2 types d’édicules, 1 ou 2 types de Vénus sous édicules ?, 1 type de triade de Vénus, 2 types de Mercure, 3 types de Minerve, 1 type de nourrice, 2 types d’écuyers debout (fig. 9), 1 type de cavalier, 3 types masculins indéterminés, 2 types de grands bustes (fig. 11 et 12), 1 type de moyens bustes, 1 type de petit buste (Vertet 1980c) ;
– animaux : 6 types de chevaux divers (attelés, harnachement peint...), 1 lion (moule de vase plastique), 6 ou 7 types de chiens, 3 types de coqs, 5 types de paons (fig. 10) ;
– objet : joug.

Image 10000000000001D2000002E4430788FD4E22687B.jpg

FIG. 9 – Atelier d’Yzeure : serviteur avec cheval, fin du Ier s.

Image 1000000000000338000002004B2290C63B5793AF.jpg

FIG.10 – Yzeure/Saint‑Bonnet : paon à queue ouverte, type I, fin du Ier s. (restitution graphique à partir de fragments de figurines).

Image 100000000000021A0000040A1B7168EA84227E79.jpg

FIG.11 – Yzeure/Saint‑Bonnet : buste féminin (no 1) avec torques à têtes de serpent, face, fin du Ier s. (restitution graphique à partir de fragments de figurines).

Image 1000000000000140000002AD72A4BD0679F19908.jpg

FIG. 12 – Yzeure/Saint‑Bonnet : buste féminin (no 1), avec torques à têtes de serpent, profil, fin du ler s. ; on notera sur le plastron et le visage des traces de peinture

cliché H. Vertet

Image 100000000000029A000003D2244CDEEB77FFFCD2.jpg

FIG. 13 – Yzeure/Saint‑Bonnet : Vénus, type 2, fin Ier, s. a face ; b revers (reconstitution photographique).

3e période : petit buste (moule)

23Trouvailles anciennes notables actuellement disparues : un édicule de 20 cm de large et qui devait avoir 40 cm de haut peint en rouge, une Abondance avec corne dans la main gauche (Melin, Bertrand 1900), un Mercure, une « jolie tête de divinité", cassée au niveau des yeux « terre fine et lustrée », des fragments de médaillons, d’édicules, de Vénus, de phallus (portion inférieure) ; un Risus (moule) (Melin, Bertrand 1900), un sujet très complexe (probablement groupe 3 Vénus), un joueur de flûte de Pan (2e groupe ?) ; un coq, un paon la queue étendue.

24Plusieurs caractéristiques paraissent spécifiques de l’atelier de Saint‑Bonnet, à cette période de production. Par exemple, sur un édicule de Vénus, les s qui décorent les pilastres ont, à chacune de leurs extrémités, une tête de serpent. Les grands bustes féminins portent un collier et un torque terminé par deux têtes de serpents affrontés. Nous n’avons rencontré cet ornement nulle part ailleurs.

25Plus représentatifs de l’époque de production, les socles hémisphériques de Vénus, portent une moulure basse, ce qui en élargit l’assise. Les sujets sont hauts et souvent effilés comme le sont ceux du Ier s. Pas plus que la robe des Minerve, la draperie ne comporte de plis courbes ; celle de la Vénus type 2 (fig. 13) présente, de face et de dos, cinq plis verticaux qui descendent jusqu’à terre ; celle des types 1 et 3 montre, de dos, quatre plis verticaux et, devant, un croisillon.

26On remarquera que le lissage, la peinture, le socle mouluré de Vénus ne se retrouvent plus au Lary ni à La Forêt qui travaillent, plus de 50 ans plus tard, dans une période de standardisation et de production rapide. Les figurines du ne s. paraissent moins soignées.

1.9.5 La diffusion

27A ce jour, nous n’avons trouvé aucune figurine de la période Domitien‑Trajan sur des sites extérieurs à l’atelier et nous n’en avons point vu signalées ailleurs. La diffusion de cette fabrication paraît réduite.

Bibliographie

Bibliographie

Bertrand 1901 : p. 114‑120.

Bertrand 1905 : BERTRAND (A.). — Deux Sépultures antiques réunies en une seule découverte à Saint‑Bonnet/Yzeure (Allier). BSEB, 13, p. 114‑117.

Déchelette 1901b : DÉCHELETTE (J.). — Le Jeu du fort chez les Romains. Mémoires de la Société éduenne, 36, 1901, p. 267‑275.

Déchelette 1904b : II, p. 199.

Fanaud 1960.

Fournier 1963 : FOURNIER (P.‑F.). — Informations archéologiques, Auvergne. Gallia, XXI, 1963, p. 487.

Mélin, Bertrand 1900 : MÉLlN (Mgr), BERTRAND (A.). — Fours de potiers découverts à Saint‑Bonnet, commune d’Yzeure. BSEB, 8, 1900, p. 91‑95.

Pérot 1901 : PÉROT (F.). — Inventaire des découvertes archéologiques faites en Bourbonnais en 1900. BSEB, 9, 1901, p. 26.

Périchon 1966 : Essai d’inventaire des découvertes archéologiques de l’époque gallo‑romaine faites dans le département de l’Allier (DES, Faculté de Clermont‑Ferrand, 1966). Clermont‑Ferrand, 1966, p. 144.

Vertet 1969 : VERTET (H.). — Observations sur les vases à médaillons d’applique de la vallée du Rhône. Gallia, XXVII, 1969, p. 113‑115.

Vertet 1976.

Vertet 1980c.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.