1E. Tudot et A. Blanchet, pères de l’étude des figurines de terre cuite, avaient établi, au siècle dernier, l’existence d’une série d’ateliers de production1 situés, pour les plus importants, dans l’Allier. Par ailleurs, ils soupçonnaient l’existence d’un second groupe dans l’ouest de la France et de quelques ateliers isolés ici ou là (Clermont‑Ferrand, Troyes, Meaux...). Mais tous les grands ateliers repérés avec certitude se trouvant dans l’Allier, on avait pris l’habitude de parler des « terres cuites blanches de l’Allier ».

2Cette première carte n’a pas été transformée pendant plusieurs décennies, puis, en quelques années, une succession de découvertes importantes a multiplié le nombre des ateliers recensés : en premier lieu à Thiel‑sur‑Acolin en 19592 et à Gueugnon entre 1955 et 19663, puis à Mougon en 1972‑734, à Jaulges en 19655, et depuis dix ans le rythme s’accélère : on repère un atelier à Brive en 19796, à Amboise en 19857, à Bourbon‑Lancy en 19848, à Rennes en 19869, à Saintes en 198610. La géographie des ateliers s’est élargie nettement et le quasi‑monopole de l’Allier pour la production de figurines de terre blanche n’est plus qu’une vision partielle d’une réalité devenue beaucoup plus vaste : Saône‑et‑Loire, Yonne, Charente, Corrèze, Indre‑et‑Loire, Ille‑et‑Vilaine possèdent maintenant un ou plusieurs sites producteurs (fig. 2). Ces données nouvelles risquent de modifier profondément les connaissances sur les figurines elles‑mêmes, mais aussi sur leur diffusion, sur les ateliers, leur organisation, leur chronologie, sur leurs relations et sur l’importance relative de chacun d’eux.

1.1.1 Une meilleure connaissance des ateliers

3Le bilan des recherches de ces dernières années est tout à fait positif : trois ateliers ont été repérés par les analyses : celui qui est représenté par le matériel découvert à la Chapelle‑des‑Fougeretz11 ; celui qui a produit les Vénus à gaine de Rextugenos12 ; celui d’Autun avec les productions de Pistillus13^, et neuf autres, révélés par l’archéologie, la plupart grâce à des vestiges assez importants et significatifs (dépotoirs, restes de fours, moules en grand nombre, ratés de cuisson...) pour être certains. seules exceptions, Thiel‑sur‑Acolin, qui n’a été repéré que par un dépotoir, et l’atelier d’Amboise, qui n’est soupçonné que par la présence d’une valve de moule et d’un fragment d’archétype dans un dépotoir contenant surtout des fragments de vases.

4En revanche, les deux ateliers de Saône‑et‑Loire, supposés par A. Blanchet, ont été confirmés de manière éclatante : celui d’Autun (plusieurs moules avaient été trouvés en 1841) s’est révélé être l’atelier de Pistillus14, et celui de Bourbon‑Lancy, dont on avait recueilli de nombreux moules et statuettes en 189215, a fourni lors de fouilles récentes (1984) moules, prototypes et archétypes en masse.

5Il reste, malgré l’étendue de ces découvertes récentes, un certain nombre d’ateliers supposés ou incertains qui n’ont pas été confirmés : dans l’ouest ceux des Baux16 et du Havre17, celui de Cesson18 où l’on avait peut‑être trouvé les vestiges d’un four, celui qui avait été identifié près de Tréguennec grâce à la découverte d’un four chargé19, celui de Rezé dont le musée de Nantes a reçu des pains d’argile blanche et des fragments de moules20, et un atelier hypothétique à Chassenon21 où l’on a recueilli un fragment de moule, indice nettement trop faible pour déterminer la présence d’un atelier. C’est le même cas pour Bordeaux où A. Blanchet suppose un atelier de figurines en s’appuyant sur des preuves épigraphiques plus que minces.

6Hors des groupes de « l’Allier » et de « l’ouest de la France », A. Blanchet citait quelques découvertes éparses qui ne prouvaient pas non plus l’existence d’ateliers (restés d’ailleurs hypothétiques depuis) :
– à Vertault (Côte‑d’or) un moule de médaillon22 ;
– près de Troyes (Aube) : un moule de figurine en terre rouge23 ;
– à Meaux (Seine‑et‑Marne) : un fragment de moule de figurine24.

7Il cite également un moule provenant de la forêt de Compiègne. Ces moules et les quelques statuettes provenant de ce site ont un aspect si particulier que Micheline Rouvier‑‑Jeanlin estime qu’ils ont bien été fabriqués dans un atelier local25. Le cas de Clermont‑Ferrand est un peu similaire : les indices qui font supposer la présence d’un atelier sont forts, mais l’archéologie n’a pour l’instant apporté aucune confirmation.

8La chronologie des productions a été precisée puisque les études récentes apportent des nouveautés d’importance. En premier lieu, la preuve est maintenant faite que la production des figurines de terre blanche a commencé au i^er s. ap. J.‑C. A Saintes en effet l’atelier a été créé sous les Flaviens26 et à Bourbon‑Lancy, l’activité débute vers 50 ap. J.‑C, date donnée par la position stratigraphique des vestiges dans des couches comportant du mobilier céramique et métallique du milieu du i^er s. ap. J.‑C

9Il n’est pas sans intérêt non plus d’avoir pu observer une évolution chronologique dans la production. Du point de ’vue technique, elle se traduit par une tendance à la simplification. socle et figurine, par exemple, sont d’abord moulés à part, puis ensemble dans le même moule. En même temps, les figurines compliquées se simplifient afin que le moule ne comporte pas un trop grand nombre de pièces.

10Certaines transformations stylistiques enfin ont pu être étudiées : par exemple, le traitement des yeux des Vénus change entre celles du style I et celles du style II qui les remplacent.

1.1.2 Connaissance des figurines

11La majorité des figurines –un nombre considérable dispersé dans à peu près tous les musées de France– sera à réexaminer à la lumière des découvertes récentes. Certaines pourront être attribuées à l’un ou l’autre de ces nouveaux ateliers, appauvrissant ainsi ceux de l’Allier. Parallèlement et à l’inverse, il faudra étudier les aires de diffusion des ateliers, voir comment elles se situent les unes par rapport aux autres, si elles sont indépendantes, si elles s’imbriquent ou se recouvrent partiellement, chercher à savoir si elles restreignent l’aire d’expansion traditionnellement assignée aux ateliers de l’Allier en les dépossédant d’une partie du matériel qu’on leur attribuait auparavant. En corollaire, il faudra voir si les ateliers actuellement repérés suffisent à rendre compte de toutes les figurines connues ou si, au contraire, certaines figurines n’entreront ni stylistiquement, ni par l’aspect et la composition de la pâte, dans aucun de ces ateliers, prouvant qu’il se trouve encore des lacunes dans leur cartographie. Les figurines à pâte rose de Provence et du sillon rhodanien, par exemple, sont‑elles fabriquées dans des ateliers locaux du i^er s. ap. J.‑C, qu’il reste encore à découvrir ? Ou au contraire, ont‑elles été importées des pays méditerranéens ? Dans ce cas, une question importante serait à examiner : quelle fut leur influence sur les productions postérieures ? Leur succès a‑t‑il déterminé des potiers gaulois à ouvrir des ateliers pour les concurrencer ?

12Il faut bien se rendre compte que ces récentes découvertes, en fouille et en laboratoire, ont ouvert un champ de recherches qui est immense : définir chaque nouvel atelier par ses caractéristiques propres, par ses relations de dépendance ou d’influence avec d’autres ateliers, son aire de diffusion par les éléments chronologiques de sa production ; rechercher pour les figurines dans quel atelier elles ont été fabriquées ; affiner la typologie... Les figurines n’ont pas fini de faire parler d’elles !