Introduction
p. 11‑13
Texte intégral
1Si les figurines découvertes en Gaule (et pour la plupart d’époque romaine et d’origine locale) ont suscité l’attention d’amateurs avertis au début du xixe s.1, il fallut attendre quelques décennies pour qu’elles donnent lieu à des études systématiques et, pour la première fois, scientifiques. Plus que le catalogue d’illustrations très précieux, mais superficiellement commenté ‑que dressa E. Tudot en 1860, ce sont les publications d’A. Blanchet, en 1891 et 19012, qui exposèrent avec pertinence l’ensemble des problèmes posés par ce petit mobilier. Les thèmes suivants furent alors abordés : technique de fabrication, centres de production (en France et en Allemagne), noms et localisations des céramistes, datation, origine et signification des types, destination des figurines, typologie, inventaire des trouvailles par départements et des collections par musées (fig. 1). Toutes les enquêtes ultérieures ont repris l’un ou l’autre des aspects de ce travail fondamental.

FIG. 1 – Musée de Moulins : anciennes vitrines (cartes postales).
2Toutefois les efforts des spécialistes s’appliquèrent inégalement à ces recherches et les progrès effectués depuis le début du siècle paraissent aujourd’hui très remarquables en certains domaines, beaucoup moins dans d’autres. Ces disparités sont imputables, pour une part, aux hasards heureux de l’archéologie qui, depuis quelques années ont permis de découvrir en France de nouveaux sites de fabrication3, ou de confirmer l’existence de quelques autres4 et, par ailleurs, d’améliorer notablement des datations –trop longtemps réduites aux ressources contestables de la stylistique–, grâce à la fouille soigneuse de lieux de production ou d’ensemble clos, tels qu’en peuvent offrir les nécropoles5.
3Mais surtout le développement d’une méthodologie nouvelle appliquée non seulement à la description des formes, mais à l’étude des matériaux a conduit depuis une quinzaine d’années à privilégier souvent les inventaires et les recherches proprement céramologiques au détriment des analyses esthétiques concernant l’origine des modèles ou des enquêtes sur l’interprétation sociologique d’un mobilier de pacotille, apparemment associé à de multiples circonstances de la vie quotidienne, ou parfois compagnon du mort dans sa sépulture6.
4C’est en 1972 que l’ouvrage de M. Rouvier‑Jeanlin7 donna réellement une impulsion vigoureuse aux travaux. Outre l’inventaire soigneux et richement illustré d’une des plus belles collections conservées en France, cette publication –qui s’inspire pour une part de la méthode de Blanchet tout en s’accordant avec la terminologie définie en 1952 par l’anglais Nicholls8– apporta la démonstration d’une recherche exigeante appliquée à l’identification et au classement hiérarchisé de quelque 1300 pièces. L’auteur avait eu l’occasion, au cours de sa patiente enquête, de constater que le travail de Blanchet, pour intelligent et sérieux qu’il fût, péchait par un point malheureusement essentiel : selon un usage fréquent à son époque, ce savant avait parfois conclu hâtivement à la similitude d’objets qu’il n’avait pas maniés ou comparés directement. Il contribuait ainsi, involontairement, par l’accumulation d’approximations ou d’erreurs, à bloquer la recherche. Car dans le cas de productions céramiques fondées sur le moulage en série, seule une analyse très minutieuse permet de faire apparaître des différences de taille, de proportions ou de modelé et de distinguer par ce moyen surmoulages et copies d’un type déjà connu, ou encore de confirmer l’identité d’origine de témoins inégalement conservés. Le modèle proposé par M. Jeanlin eut pour effets directs d’encourager la mise au point d’autres catalogues –inspirés soit directement de sa typologie, soit du moins par ses principes de rigueur– et de convaincre par l’exemple les archéologues qu’il était possible de dépasser l’observation anecdotique en constituant des séries incontestablement issues du même moule, puis, par ce dernier, de remonter au céramiste. Il n’était pas interdit, dès lors, d’envisager la possibilité de définir des répertoires caractéristiques d’un fabricant, d’un centre de production, d’une époque et, par réciprocité, de délimiter l’aire de diffusion commerciale d’un individu ou d’un atelier. Quoi qu’il en soit il semble, à voir le nombre des catalogues publiés depuis quinze ans9, ou celui des travaux universitaires du même genre mais demeurés inédits10, qu’on ait maintenant conscience de la minutie indispensable à ces enquêtes et qu’on ait implicitement adopté un ordre de priorité entre les orientations de recherche proposées jadis, en portant provisoirement une attention plus discrète à l’interprétation idéologique et à l’étude proprement iconographique.
5Tout aussi important paraît le rôle joué méthodologiquement par l’analyse des pâtes céramiques, bien que les résultats en soient actuellement plus limités. Cette pratique, depuis environ vingt ans, a prouvé son efficacité dans l’étude des vases, en particulier des vaisselles sigillées. Fondée sur la comparaison entre des groupes de référence d’origine certaine et des mobiliers issus de sites consommateurs ou de collections sans provenances connues, cette technique pouvait avantageusement compléter l’analyse archéologique en révélant non seulement les sites producteurs de moules ou figurines et le développement de leurs relations commerciales, mais aussi les transferts d’outils ou les déplacements de coroplathes. En fait, de nombreuses études de laboratoire ont été menées depuis plus de dix ans ; cependant leur extension est restée sélective et leur exploitation n’est encore que partielle. Pendant longtemps, l’échantillonnage laissa à désirer puisqu’il n’était guère possible d’utiliser que des mobiliers de collection (d’origine plus ou moins obscure) ; en outre, l’enquête se concentra délibérément sur le matériel de loin le plus abondant : les figurines à pâte blanche, que l’on tendait sans doute trop vite à imputer aux ateliers producteurs les plus célèbres, ceux de l’Allier (fig. 1). Or d’une part, les analyses ont été très délicates, compte tenu de la proximité géographique et de la parenté géologique de plusieurs sites de fabrication. Par ailleurs, ces fabriques elles‑mêmes ne permettaient pas nécessairement d’identifier tout le mobilier diffusé et étudié11. Les découvertes très récentes des archéologues prouvent maintenant l’existence de productions de pâtes blanches, ou claires, en d’autres régions de la Gaule12. Aussi comprend‑on que ces travaux n’aient encore été utilisés que de façon partielle et prudente, comme compléments de quelques catalogues13. Mais la publication de monographies proposant des synthèses pluridisciplinaires sur certains ateliers et leur diffusion ou sur l’activité de coroplathes célèbres demeure encore à l’état de projet. Enfin –est‑il nécessaire de le souligner ?– toutes les figurines gallo‑romaines n’étaient pas blanches.
6Outre l’importance des examens pour la solution de problèmes touchant à l’histoire de ces ateliers, il importe de noter qu’ils ont également permis d’approfondir les recherches technologiques, par exemple sur le problème des revêtements : certaines statuettes blanches furent‑elles réellement engobées ? Quelle était la composition des enduits colorés rehaussant partiellement l’anatomie ou le vêtement de nombreuses figurines, découvertes en particulier dans la vallée du Rhin14 ?
7D’autres enquêtes, moins spectaculaires mais extrêmement efficaces, ont également pris le relais des recherches de Blanchet. Ainsi en Hollande, en suisse, en Belgique, en Allemagne, en Grande‑Bretagne des travaux systématiques d’inventaire et de critique archéologique du mobilier de fouille sont en cours et ont déjà fait l’objet de publications partielles15. Par la quantité du mobilier, ils n’intéressent en général qu’assez faiblement les ateliers connus situés sur le territoire français. Néanmoins ils témoignent de l’ampleur de la diffusion des produits de certaines fabriques (en particulier du Centre) et contribuent surtout très notablement au progrès de la datation. absolue du mobilier.
8Il est permis de regretter que l’absence de recensements aussi méthodiques en France ait rendu les études sur les échanges à l’intérieur de la Gaule ou avec les régions du limes si étroitement tributaires des limites politiques des Etats modernes.
9Il apparaît donc, au terme de ce survol, que les recherches sur les figurines ont donné lieu durant les dernières décennies à une multitude d’enquêtes diverses et ayant plus ou moins abouti. Aussi le but de nos travaux est‑il avant tout de dresser un état des progrès effectués depuis quinze ans dans certains des secteurs définis par A. Blanchet. Où en est à ce jour l’inventaire des ateliers ? En l’absence de publications systématiques16, quelques spécialistes ont bien voulu en établir pour nous le fichier descriptif. Qu’ont apporté les nouvelles méthodes d’étude ? Quels problèmes nouveaux soulèvent‑elles ? Où en sont maintenant nos connaissances sur la fabrication, les fabricants, leur histoire et leurs produits ? Nos acquis et lacunes font l’objet d’une partie des rapports présentés ici, de même que les résultats obtenus chez nos voisins par l’inventaire critique du mobilier, particulièrement des découvertes en fouille.
10Toutefois, la diversité des lieux de production peu à peu identifiés nous a inspiré un autre projet. Plus de vingt archéologues régionaux ont bien voulu contribuer à sa réalisation en constituant par morceaux un préinventaire du matériel actuellement connu en France. Qu’attendons‑nous de cette entreprise ? Qu’elle nous montre, fut‑ce approximativement, la densité relative du mobilier, ses variations thématiques selon la date et le lieu, sa qualité constante ou inégale, ses fonctions. La constitution d’un échantillonnage plus dense est destinée, entre autres, à fonder plus solidement ou à infirmer les hypothèses qu’on a dû souvent se contenter de lancer sur l’utilisation des figurines et la signification des choix opérés par les potiers et leurs clients. Il nous paraît, d’autre part, nécessaire de rééquilibrer les recherches et d’attribuer aux ateliers du Centre leur juste rôle. Or, seule la mise au jour de statuettes différentes par leur thématique et leur qualité de pâte peut inspirer concrètement des recherches sur des ateliers locaux encore inconnus, ou sur les ressources offertes jadis par le commerce extérieur aux amateurs gaulois. Peut‑être aussi la mise en évidence d’échanges réciproques ou de courants alternés d’exportation nous permettra‑t‑elle enfin d’aborder avec de meilleurs arguments le délicat problème des modèles, de la création et du choix d’un répertoire iconographique, encore trop dépourvu d’antécédents incontestables.
11N.B.
12Nous adoptons pour les noms latins les transcriptions des éditions de textes latins : i = i ou j ; u = u ou v ; U est transcrit par V.
13Sauf indication contraire, les figurines reproduites sont réduites aux deux tiers.
14Dans les bibliographies qui suivent certaines contributions, les références auteur, date » seules renvoient à la bibliographie générale.
Notes de bas de page
1 Par exemple REVER (M.F.G.). ‑ Extrait d’un mémoire sur quelques figurines antiques en terre cuite, découvertes à Baux, département de l’Eure. Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, III, 1826, p. 189‑206 ; cf. JOLLOIS, VERGNAUD‑ROMAGNÉSI (I.B.P.). – Figurine antique trouvée à Tigy (Loiret). Annales de la Société royale des Sciences, Belles‑Lettres et Arts d’Orléans, XII, 1832, p. 221‑271.
2 Pour les références complètes, voir la bibliographie, infra, p. 299 sq.
3 Cf. infra, chapitre 1, Les ateliers (p. 15 sq.) : Thiel‑sur‑Acolin, Gueugnon, Mougon, Jaulges, Brive, Rennes, Saintes, peut‑être Amboise et, parmi les sites les plus récents, Montans et Roanne.
4 Par exemple à Autun ou Bourbon‑Lancy. En revanche, certaines confirmations font encore défaut (Bordeaux, Rezé, Le Havre, Chassenon, etc.). Il importe toutefois en la circonstance de distinguer les faibles présomptions fournies par la découverte de moules isolés de celles qu’apporte la concentration régionale de types particuliers ou de signatures originales.
5 Cf. infra, § 4.1.
6 Voir Lahanier, Rouvier‑Jeanlin 1977.
7 Pour les références complètes, voir la bibliographie, infra, p. 299 sq.
8 Pour les références complètes, voir la bibliographie, infra, p. 299 sq.
9 Vuillemot, Vertet 1973 ; Camuset‑Le Porzou 1984 ; Rabeisen, Vertet 1986 ; Joubeaux 1988.
10 Par exemple pour Saint‑Pourçain‑sur‑Besbre (Seuillet 1971) ; Clermont‑Ferrand (Mercier 1974) ; Evreux (Giesbert‑Benneteu 1983) ; la Picardie (VVarin 1984).
11 On peut penser ainsi aux produits imputables à Seuerianus, dont la composition est homogène, mais l’origine indéterminée.
12 Par exemple en Bretagne, Bourgogne, Vendée.
13 ROUVIER‑JEANLIN (M.). — Quelques Figurines gallo‑romaines en terre cuite, de provenance parisienne, conservées au musée des Antiquités nationales de Saint‑Germain‑en‑Laye. In : Camuset‑Le Porzou 1984 annexe 2, p. 121‑126. LAHANIER (C.) et ROUVIER‑JEANLIN (M.). ln : Rabeisen, Vertet, 1986, p. 200‑210.
14 Rüger 1980.
15 Cf. infra, chapitre 4, La diffusion des figurines hors de France.
16 A côté de brèves présentations des découvertes récentes à Brive, Rennes, Saintes, il faut signaler la publication plus détaillée du sauvetage de Bourbon‑Lancy (Rouvier‑Jeanlin, et al. 1990).
Auteur
Directeur de recherche CNRS Paris, UMR 126.3
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