Chapitre 3. Interprétation
3 Interpretation
p. 103‑111
Résumés
En Europe occidentale, 5 gisements archéologiques sont caractérisés par la présence d’industries moustériennes laminaires. A partir des données pédo‑stratigraphiques et des datations par thermoluminescence, deux périodes d’occupation peuvent être reconnues : l’une à la fin de l’Eémien, dans des conditions boréales ; l’autre à la fin de l’étage 5c (Brorup), dans des conditions un peu plus froides. Deux gisements (Port‑Racine et le Rozel) sont situés dans des conditions très exposées au bord de la Manche. Ils ont donc été probablement occupés durant l’été. Les deux gisements « continentaux » (Riencourt‑lès‑Bapaume et Seclin) sont situés dans des vallées humides, ce qui correspond sans doute à une occupation hivernale. Leur position géographique permet de supposer que les populations moustériennes possédant ces industries suivaient des migrations saisonnières, en liaison avec la chasse (bovidés, équidés, cervidés).
Les niveaux archéologiques, dispersés dans toute la séquence stratigraphique de la première partie du Dernier Glaciaire, ont livré un matériel lithique abondant. Il a pu être attribué à plusieurs types d’industries. Il s’agit d’assemblages à faciès laminaire (CA et C), de Moustérien de type Ferrassie (niveaux C et A, niveau II du chantier Sud), de Moustérien de tradition acheuléenne de type A (niveau C), de Charentien à influence micoquienne (B1 et C), c’est‑à‑dire d’industries de la phase récente du Paléolithique moyen, déjà présentes dans d’autres gisements du nord de la France mais découvertes pour la première fois en un même endroit. Avec la présence d’artefacts que l’on peut rattacher à différentes industries en raison de la fréquence relative de certains types d’outils, de l’existence de pièces (bifaces) que l’on considère généralement comme caractéristiques de traditions culturelles (MTA, Micoquien) et de méthodes de débitage particulières, le matériel du niveau C illustre bien la complexité de la variabilité du Paléolithique moyen. Cette variabilité est le fait de plusieurs facteurs dont nous ignorons les influences respectives.
L’ensemble lithique du niveau CA, contenu dans un sol humifère dont la mise en place a été attribuée au stade 5c, montre l’association de vestiges issus d’au moins deux chaînes opératoires distinctes, utilisées simultanément : une chaîne opératoire de production d’éclats Levallois et une de fabrication de lames, dont les modalités s’apparentent à celles rencontrées au Paléolithique supérieur. La composition typologique de l’outillage et sa morphologie allongée affirment le caractère original de cette industrie qui appartient au complexe des industries à lames de la phase récente du Paléolithique moyen. On peut cependant se demander si cet assemblage est homogène. Toutefois, les résultats de l’étude tracéologique menée par S. Beyries sur un premier échantillonnage de 178 pièces semble montrer qu’il existe une relation entre les deux modes de débitage et des fonctions spécifiques (travail de la peau et du bois avec des outils de type paléolithique moyen, activités de boucherie avec des outils de type paléolithique supérieur). Ces résultats, qui diffèrent totalement de ce que l’on observe dans les assemblages moustériens, confirmeraient donc l’homogénéité de l’industrie.
Cette dernière s’intègre dans un ensemble de découvertes, remontant au 1er épisode tempéré du début du Dernier Glaciaire, effectuées depuis la partie orientale du Massif armoricain (Cotentin) à la moyenne vallée du Rhin. Une tendance au débitage laminaire peut, d’ailleurs, être observée dans plusieurs industries du Pléistocène moyen récent de la France septentrionale. Le phénomène des industries à débitage laminaire présentes dans le nord‑ouest de l’Europe n’est pas sans rappeler la situation du Proche‑Orient où des industries à lames (Tabun D, Hummalien) existent entre l’Acheuléo‑Yabroudien et un Moustérien de faciès levalloisien. Une forte composante laminaire apparaît également dans certains assemblages d’Ukraine.
Le matériel de la série B1 a confirmé l’extension occidentale du Micoquien (ou d’industries présentant des affinités avec les faciès culturels du Micoquien d’Europe centrale), comme le montre la présence de quelques pièces foliacées bifaciales (Faustkeilblätter) et d’autres s’apparentant à des prondniks. Des comparaisons sont effectuées avec d’autres industries de l’Europe du Nord‑Ouest qui ont également été classées dans le technocomplexe Micoquien, au sens de G. Bosinski.
Les nouvelles données apportées par le gisement de Riencourt‑lès‑Bapaume attestent l’existence, au Paléolithique moyen récent, de relations entre la façade atlantique de l’Europe et l’Europe centrale, lors des phases d’amélioration climatique dans un paysage de prairie arborée favorable au développement de la grande faune.
In Western Europe, 5 archaeological sites are characterized by the presence of laminar Mousterian industries. Based on soil stratigraphy and on TL dating, it seems that two periods of occupation can be defined for all sites, one at the end of the Eemian during boreal conditions and another in the last part of stage 5c (Brorup) in somewhat colder conditions. Two sites (Port‑Racine and Le Rozel) are located in very exposed conditions along the shore of the Channel. It is presumed, therefore, that they were only occupied during the summer. The two main « continental sites » (Riencourt‑lès‑Bapaume and Seclin) are located in humid shallow valleys and were probably occupied during the winter. From the geographical position of the different sites, it is presumed that the Mousterian population associated with these industries migrated seasonally and primarily hunted bovidae, horses and deer.
The archaeological levels, dispersed in the entire stratigraphic sequence of the first part of the last glacial, have yielded an abundance of lithic artifacts. These artifacts can be assigned to many types of industries including blade assemblages (Levels CA and C), Ferrassie Mousterian assemblages (Levels C and A, Level II of the Chantier Sud), a Mousterian of Acheulian Tradition Type A assemblage (Level C) and a Charentian Mousterian assemblage with Micoquian influences (levels B1 and C). In other words, they could be assigned to industries of the late Middle Paleolithic already known from other sites in the north of France but never before discovered together in the same location. These assemblages, particularly the Level C material, illustrate the complexity of Middle Paleolithic.
The lithic assemblage of Level CA demonstrates the association of at least two distinct lithic reduction sequences which were simultaneously utilized : one for the production of Levallois flakes and another for the production of blades like those known from the Upper Paleolithic. The typological composition of the tools and their elongated morphology affirm the singular character of this industry which appears to be part of the late Middle Paleolithic complex of blade industries.
The material from Level B1 has confirmed the western extension of the Micoquian (or some industries presenting affinities with the cultural facies of the Micoquian of central Europe).
The new data given by the site of Riencourt‑lès‑Bapaume attest to the existence, in the late Middle Paleolithic, of relations between the Atlantic coast of Europe and central Europe at a time of climatic amelioration in an arboreal prairie environment favorable for the development of large fauna.
Texte intégral
3.1 Position stratigraphique des industries à lames du Paléolithique moyen en Europe occidentale
1Brigitte VAN VLIET‑LANOË
Alain TUFFREAU
Dominique CLIQUET
2Depuis plusieurs années, des industries laminaires apparaissent très bas dans la stratigraphie de la Dernière Glaciation, de la Belgique au nord du Cotentin (fig. 79). Ces dernières peuvent être confondues avec des industries du Paléolithique supérieur (Le Rozel : Scuvée, Verague 1984) amenant une mésinterprétation, voire plus, de la stratigraphie. Comme nous allons le voir, ces faciès culturels à lames, reconnus à Seclin (Leroi‑Gourhan et al. 1978 ; Révillion 1988, 1989 ; Tuffreau et al. 1985 ; Tuffreau, Révillion 1984‑1985) et à Port‑Racine (Cliquet 1992 ; Révillion et al. 1991), sont localisés dans deux positions stratigraphiques bien définies, caractérisées par un contexte climatique identique. Celle de l’industrie de Rocourt (Haesaerts 1978), récemment étudiée (Otte et al. 1990), est à préciser d’après nos anciennes observations (Van Vliet 1975).

FIG. 79 – Carte de localisation des gisements à industries laminaires dont le cadre stratigraphique a été étudié.
Dessin B. Van Vliet‑Lanoë.
3L’analyse pedo‑stratigraphique de ces sites, menée de pair’ avec les fouilles archéologiques excepté à Rocourt et au Rozel, a permis de localiser avec précision les sites d’occupation et de les raccorder aux différents épisodes du pédocomplexe du Dernier Interglaciaire définis en Belgique (Van Vliet 1975 ; Haesaerts, Van Vliet‑Lanoë 1981), puis clans le nord et l’ouest de la France (Van Vliet‑Lanoë 1986, 1988 ; Antoine 1990).
3.1.1 Rocourt
4Ce site‑éponyme du pédocomplexe (Gullentops 1954) a été réétudié en 1974 par P. Haesaerts et nous‑mêmes afin de comprendre la stratigraphie proposée par B. Bastin (1971). L’analyse paléopédologique que nous en avons faite (Van Vliet 1975) a été effectuée à peu près à l’emplacement des prélèvements de B. Bastin. Tous les horizons observés sont en général affectés par une bioturbation en relation avec la mise en culture du loess récent ainsi que par de légers revêtements argilo‑humiques susceptibles de perturber les datations 14C (Otte et al. 1990).
5De tous les horizons étudiés, seul le B3tgx (horizon argillique) du sol inférieur (Eém) est parfaitement en place (fig. 80). Une strate complexe remaniant le sol inférieur, soit par colluvionnement, soit par solifluxion, est caractérisée par un Btg à glosses, surmonté par un horizon éluvial à nodules ferriques et charbons de bois et par un horizon humifère ; cette strate constitue une seconde pédogénèse, dont la complexité pourrait être mise en relation avec celle du second sol du pédocomplexe : Brorup (sol de Villers‑Saint‑Ghislain : Saint‑Germain 1 – stade 5c). La dernière phase n’est visible qu’en lame mince. Elle est caractérisée par une illuviation argileuse brun jaune, très différente de l’illuviation agricole. Il s’agit de la troisième pédogénèse du complexe, telle que nous l’avons définie à Harmignies (Odderade : Van Vliet 1975 ; sol de Malpaquet : Haesaerts, Van Vliet‑Lanoë 1981). Les deux horizons humifères postérieurs correspondent à des sols de prairie arctique développés sur loess, alors que l’horizon humifère inférieur est pollué de sable, comme tout le pédocomplexe de Rocourt.

FIG. 80 – Profils stratigraphiques de différents gisements à industrie laminaire.
Dessin B. Van Vliet‑Lanoë.
6Lors de la fouille de 1977 (Haesaerts 1978 ; Haesaerts, Van Vliet‑Lanoë 1981), la stratigraphie observée était identique et le sol éémien était mieux développé. L’industrie a été observée à la base de l’horizon humifère étiré.
3.1.2 Riencourt‑lès‑Bapaume
7La séquence observée à Riencourt, décrite dans ce volume (Tuffreau, Van Vliet‑Lanoë), est très voisine de celle de Recourt. Elle en diffère par deux points : entre le second Btg à glosses et l’horizon humifère inférieur (CA) contenant l’industrie, il existe une discontinuité stratigraphique, CA constituant un dépôt propre dérivé d’un sol gris forestier. Cette discontinuité a également été observée à Harmignies, en association avec un sol de prairie subarctique (site froid) et surtout dans toutes les coupes du Léon, en association avec un ranker ou un podzol hydromorphe (événement de Brouennou ; Hallegouët, Van Vliet‑Lanoë 1986). L’illuviation du 3e sol est brun rouge et nettement antérieure aux deux sols de prairie arctique du stade 4. L’industrie se situe donc à la partie finale de l’interstade de Bromp‑St‑Germain I.
3.1‑3 Seclin
8A Seclin (Tuffreau et al. 1985), l’enregistrement est différent, puisqu’il s’agit cette fois d’un site de.fond de vallée avec une stratigraphie de type Warneton (Paepe 1967 ; Sommé 1990). L’occupation (DX) se situe en fin d’interglaciaire en période de colmatage organique puis sédimentaire d’un bras mort dans un contexte déjà franchement boréal (Van Vliet‑Lanoë à paraître).
9L’accumulation principale d’artefacts (D7 à D2) apparaît après un premier coup de froid (micromorphologie) ; elle est en relation avec une stabilisation relative des sols et la constitution d’un mull organique assez épais, rappelant une prairie humide, correspond encore à un contexte de taïga (D7). L’unité D2‑D4 qui la surmonte est encore dans un contexte de taïga à nuance plus subarctique (faciès micromorphologique de l’humus et abondance de charbons de conifères). Elle est séparée de l’ensemble D4‑D7 par une reprise de l’érosion. D1 appartiendrait au stade 5a en raison de son contenu pollinique (Leroi‑Gourhan et al. 1978 ; Leroi‑Gourhan 1988) et de ses charbons de conifères (fig. 80).
10Il existe donc deux occupations séparées, l’une en fin d’interglaciaire (DX), l’autre à la fin d’un premier interstade tempéré (D2‑7) qui peut être interprété comme appartenant à la fin du Brorup, comme le suggère les datations TL (Aitken et al. 1986 et inédit, cité in Tuffreau, Révillion 1984‑1985).
3.1.4 Port‑Racine
11Dans ce gisement fouillé par D. Cliquet (1983, 1992), l’industrie à lames (Cliquet, Révillion 1991 ; Révillion et al. 1991) apparaît dans deux endroits différents : le chantier principal et, plus au nord, dans une anfractuosité de la falaise littorale faisant effet d’abri sous‑roche. Dans le chantier principal, deux occupations successives peuvent être observées.
12La première occupation se situe au sommet de la plage (avec quelques éléments roulés), dans un contexte de fin d’interglaciaire (Lautridou 1985), avec déjà une dynamique littorale glacielle (Van Vliet‑Lanoë 1986) associée à une petite transgression située vers 117 000 BP par Shackleton (1986) et également retrouvée à La Cotte de Ste‑Brelade (Callow, Cornford 1986). Quelques foyers associés à cette occupation contiennent encore des charbons de feuillus (détermination S. Thiébault).
13Le second niveau d’occupation est localisé dans un limon humifère ou dans un ranker, à la fin du stade 5c, après la petite phase froide de Brouennou, mais est antérieure à l’intense développement de la gleyification observée sur les versants exposés au nord‑est. Il est associé à des foyers contenant des charbons de conifères et d’os. Il faut cependant noter que, dans l’abri sous‑roche, seul le niveau inférieur est présent et que clans les autres sites du gisement, dans les mêmes positions stratigraphiques, on ne trouve que du Moustérien à encoches et denticulés (Cliquet 1992). Ces deux occupations sont associées à un contexte boréal un peu plus chaud pour le premier, confirmé par les analyses palynologiques (Clet 1988, interprétation stratigraphique de l’auteur : stade 5d).
3.1.5 Le Rozel
14Ce site, localisé dans une anfractuosité de falaise partiellement enfouie dans une épaisse formation dunaire, a été fouillé par Scuvée et Verague (1984). Il est exposé plein sud, ce qui est exceptionnel pour le Cotentin, et domine un plateau littoral envahi par les sables. L’industrie laminaire était associée à une faune à bovidés, équidés et ceividés (détermination M.‑F. Bonifay). Cette industrie a été attribuée par les auteurs au Paléolithique supérieur et sa position stratigraphique à l’interstade de Paudorf.
15La paléopédologie de ce site n’ayant pas été reconstituée, nous avons entrepris son étude en 1984 (Van Vliet‑Lanoë 1986). Le sol équivalent à l’interstade de Denekamp (+ 30 000 BP) a été retrouvé beaucoup plus haut, dans les beads surmontant le paléocomplexe dunaire. Sur la base de l’enregistrement sédimentaire et paléopédologique, l’industrie du Rozel, selon notre interprétation, se localise dans deux petits niveaux humifères soliflués incorporés dans un podzol, antérieurs à la dune finale du stade 5c ; ce podzol est développé dans un sable qui recoupe, par l’intermédiaire d’un pavage de blocs, le sol lessivé en bandes, développé lors de l’optimum du 5c dans la dune fini‑éémienne. Le niveau d’occupation correspond apparemment à la 3e partie du stade 5c. Les fragments d’os retrouvés sont très altérés (podzolisation finale anté‑dunaire), ce qui explique les difficultés de détermination de la faune, associée à des charbons de conifères.
16En 1989, nous avons confronté nos observations (Van Vliet‑Lanoë : pédostratigraphie ; Cliquet : industrie lithique) à celles des inventeurs du site. Les unités observées sont bien équivalentes à celles définies par ces derniers. L’industrie à lames du Rozel est très comparable à celle de Port‑Racine et, selon des critères pédostratigraphiques, en position identique à la seconde occupation de Port‑Racine, en d’autres termes à la phase finale du Brorup. Il serait en effet curieux qu’un gros massif dunaire de type littoral puisse se mettre en place lors de la fin du stade 3 ou au Pléniglaciaire supérieur, compte tenu des variations de niveaux marins proposées par Shackleton (1986) pour ces périodes, et dé la morphologie du fond marin au large du Rozel.
3.1.6 Conclusion
17L’apparition de ces industries à lames se fait pour l’essentiel à la fin de l’Eémien dans un contexte humide de fond de vallée ou d’arrière de cordon littoral, dans un milieu déjà boréal. Il est probablement en relation avec une modification de la flore et de la faune. Cette industrie est surtout représentée à la fin du Brorup, après le refroidissement temporaire de Brouennou. La marquetterie de végétation et de sols observée plus particulièrement en milieu littoral ‑à cette époque, associée à des conditions de prédation très variée, a favorisé localement l’utilisation d’industries à composante laminaire sur la côte du Cotentin. Par la suite, lors du stade 5a, le matériel lithique est représenté par un Moustérien typique (Cliquet 1992). Etant donné la dynamique glaciaire observée à Port‑Racine, il paraît vraisemblable que ce site n’était pas occupé en hiver. En été, la prédation devait surtout s’effectuer au détriment des populations d’oiseaux et autres habitants de la frange littorale (Cliquet et al. 1989). Au Rozel, la prédation était faite aux dépens du gros gibier parcourant la steppe développée sur les étendues sableuses libérée par la mer. A Seclin, la prédation pouvait s’effectuer, entre autres, au détriment de la faune aquatique fréquentant le bras mort (batraciens, poissons et mollusques).
18Etant donné la répartition spatiale de ces sites, on peut imaginer que ces derniers s’inscrivaient dans un parcours de migrations annuelles de groupes à la poursuite de troupeaux de gros gibier, hivernant dans les forêts‑galeries d’une steppe boisée (sols gris forestiers) à l’intérieur des terres, à l’abri des grosses tempêtes du nord‑ouest. Selon ce schéma, Rocourt est probablement un site de passage, Seclin et Riencouit des sites d’hivernage, Port‑Racine et le Rozel des sites estivaux. La distance entre ces deux zones, supposées d’habitats, étant de l’ordre de 500 km (fig. 79), elle paraît raisonnable dans l’éventualité d’une migration annuelle. Il pourrait même être possible que ces déplacements aient été favorisés par les étendues littorales découvertes par le début de la régression marine.
19Ce schéma, fort hypothétique, ne saurait être pris comme un modèle trop strict car la contemporanéité des occupations des différents gisements ne peut être établie à l’échelle humaine. Il nous a cependant semblé intéressant de le présenter malgré toutes ces incertitudes. La répartition des gisements à industrie laminaire au Paléolithique moyen est certainement le témoignage d’une adaptation aux conditions paléoenvironnementales de groupes d’Homo sapiens primitifs, dont l’industrie est déjà en grande partie de type paléolithique supérieur, tout en utilisant les possibilités technologiques du Paléolithique moyen.
3.2 Les industries lithiques de Riencourt‑lès‑Bapaume dans le contexte de l’Europe du Nord‑Ouest
20Nathalie AMELOOT‑VAN DER HEIJDEN
Alain TUFFREAU
21Les fouilles de sauvetage réalisées sur le tracé du TGV Nord à Riencourt‑lès‑Bapaume ont surtout permis de fouiller des niveaux contenant des industries remontant à la première moitié du Dernier Glaciaire. Cependant, des assemblages plus anciens sont présents, comme l’ont montré la découverte de quelques artefacts clans les sondages ayant atteint les limons du Pléistocène moyen récent, ainsi que celle d’une industrie épi‑acheuléenne aux Osiers, à l’est de l’autoroute lors du creusement en 1966 d’un bassin de récupération des eaux.
22Le contexte stratigraphique des découvertes de Riencourt‑lès‑Bapaume est tout à fait caractéristique du bilan régional. En effet, les industries du nord de la France de la phase récente du Paléolithique moyen proviennent surtout de dépôts humifères du Début Glaciaire weichsélien (stades isotopiques 5c à 5a) mais aussi de sols intra‑loessiques témoignant de légères améliorations climatiques durant les stades isotopiques 4 et 3, la région semblant avoir été définitivement abandonnée après l’interstade de Moershoofd vers 45 000 BP.
23Comme les fouilles de plein air couvrent généralement une superficie assez restreinte et permettent rarement de mettre en évidence plus d’un niveau d’occupation humaine, le gisement de Riencourt‑lès‑Bapaume constitue un site majeur pour la compréhension de la phase récente du Paléolithique moyen en Europe du Nord‑Ouest. En effet, les niveaux archéologiques, dispersés clans toute la séquence stratigraphique de la première partie du Dernier Glaciaire, ont livré un matériel Ethique abondant, recueilli sur de grandes superficies, qui a pu être attribué à plusieurs types d’industries. Il s’agit d’assemblages à faciès laminaire (CA et C), de Moustérien de type Ferrassie (niveaux C et A, niveau II du chantier Sud), de Moustérien de tradition acheuléenne de type A (niveau C), de Charentien à influence micoquienne (B1 et C), c’est‑à‑dire d’industries de la phase récente du Paléolithique moyen déjà présentes dans d’autres gisements du nord de la France (Tuffreau 1987), mais pour la première fois découvertes en un même endroit.
24Toutefois, l’hypothèse de la coexistence de plusieurs ensembles lithiques interprétés en terme de faciès industriels distincts dans le niveau C doit désormais être confirmée, étant donné les découvertes récentes effectuées dans l’Yonne, sur le tracé de la friture autoroute A5 (Depaepe et Locht, inédit) où une composition technologique et typologique assez proche de celle du niveau C a pu être mise en évidence. Le Moustérien typique n’a pas pu être identifié à Riencourt mais, comme ce type d’industrie se reconnaît surtout par l’absence de caractéristiques typologiques très affirmées (importance moyenne des différents groupes d’outils) et que le tri du matériel n’est pas achevé, il n’est pas possible d’exclure l’hypothèse de sa présence dans un secteur du niveau C. Seuls parmi les faciès du Moustérien, le Quina, le MTA de type B et le Moustérien à denticulés sont inconnus dans le nord de la France (fig. 81).

FIG. 81 – Cadre chronostratigraphique des gisements du Paléolithique moyen dans le nord de la France.
Dessin A. Tuffreau.
25Avec la présence d’artefacts que l’on peut rattacher à différentes industries en raison de la fréquence relative de certains types d’outils, de l’existence de pièces (bifaces) généralement considérées comme caractéristiques de traditions culturelles (MTA, Micoquien), et de méthodes de débitage particulières, le matériel du niveau C illustre bien la complexité de la variabilité du Paléolithique moyen. Il apparaît de plus en plus probable que cette dernière résulte non seulement de traditions culturelles ou d’activités différentes, mais qu’elle est aussi la conséquence de conditions paléoenvironnementales, voire parfois de transformations de certains types d’outils par réduction comme cela a été suggéré par N. Rolland et H.L. Dibble (1990). Cette variabilité est le fait d’un ou de plusieurs facteurs dont nous ignorons les influences respectives.
26L’ensemble lithique du niveau CA, contenu dans un sol humifère dont la mise en place des sédiments a été attribuée au stade 5c, montre l’association de vestiges issus d’au moins deux chaînes opératoires distinctes : une chaîne opératoire de production d’éclats Levallois et une de fabrication de lames, dont les modalités s’apparentent à celles rencontrées au Paléolithique supérieur. Les méthodes Levallois les plus employées (linéale à éclat et récurrente centripète) ont la caractéristique de produire des éclats peu allongés. Il semble donc que les tailleurs aient utilisé conjointement des méthodes de débitage de conceptions différentes, relevant chacune de schémas opératoires complexes, destinées à produire un maximum de produits de forme et de module standardisés.
27Les outils façonnés sont relativement peu nombreux (environ 2 % du matériel lithique), ce qui renforce le faciès levalloisien de l’industrie. Le groupe moustérien est prépondérant mais non majoritaire. Il est composé surtout de racloirs simples. Les pointes moustériennes et les racloirs convergents sont néanmoins fréquents (I outils à bords convergents = 31,11). Le groupe paléolithique supérieur est fortement représenté (III réel. = 22,22). Les burins dièdres et sur troncature, de très bonne facture, y sont prépondérants.
28Les outils du groupe moustérien ont plus fréquemment que les autres été fabriqués sur des supports Levallois. Parmi ceux‑ci, les outils à bords convergents ont tendance à être plus grands, plus allongés et de section plus épaisse que les autres racloirs. De plus, ils sont généralement affectés d’une retouche différente selon leur bord. Les outils de type paléolithique supérieur ont généralement été façonnés à partir de produits ordinaires dont un certain nombre de lames. Près de 30 % des outils entiers du niveau CA sont de module au moins long.
29La composition typologique de l’outillage et sa morphologie allongée affirment le caractère original de cette industrie qui appartient au complexe des industries à lames de la phase récente du Paléolithique moyen. Elle possède des traits moustériens par son débitage Levallois et la prépondérance, dans l’outillage, des racloirs et pointes moustériennes associés à des encoches et des denticulés. Par contre, son débitage laminaire, basé sur une gestion des nucléus conçue en terme de volume, la fréquence et la bonne facture des burins constituent une composante évoquant le Paléolithique supérieur. On peut alors se demander si cet assemblage est homogène. Certaines observations le laissent supposer : le facettage des plans de frappe des nucléus à lames, l’utilisation du percuteur dur pour leur débitage et la morphologie allongée de nombreux racloirs (dont certains, fragmentés, n’ont pas été pris en compte pour l’étude de l’outillage). Une étude tracéologique concernant un premier échantillonnage de 178 pièces semble montrer, d’après les résultats de S. Beyries (ce volume), qu’il existe une relation entre ces deux modes de débitage et des fonctions spécifiques : travail de la peau et du bois avec des outils de type paléolithique moyen, activités de boucherie avec des outils de type paléolithique supérieur. Ces résultats, qui diffèrent totalement de ce que l’on observe dans les assemblages moustériens, confirmeraient donc l’homogénéité de l’industrie.
30Il serait tentant de considérer que le matériel lithique de CA appartient à une industrie de transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur. C’est effectivement le cas sur les plans technologiques et typologiques mais il n’est pas possible de réduire le Paléolithique supérieur à sa seule composante lithique. Aucun élément autre que les artefacts ne permet de déceler l’existence de caractères propres aux cultures du Paléolithique supérieur tels les structures évidentes, le symbolisme ou le travail de l’os. En outre, des industries, caractéristiques du Paléolithique moyen (Moustérien de type Ferrassie et Charentien à éléments micoquien) sont présentes dans le gisement, dans des unités stratigraphiques plus récentes que celle contenant l’industrie CA. Cette dernière s’intègre dans un ensemble de découvertes remontant au premier épisode tempéré du début du Dernier Glaciaire (Van Vliet‑Lanoë et al., ce volume), effectuées clans un domaine s’étendant de la partie orientale du Massif armoricain (Cotentin) à la moyenne vallée du Rhin (Tönchesberg : Conard 1990). Elles ont toutes la particularité de posséder de nombreuses lames souvent obtenues à partir d’un mode de débitage de type paléolithique supérieur dans un contexte paléolithique moyen. Une tendance au débitage laminaire peut, d’ailleurs, être observée dans plusieurs industries du Pléistocène moyen récent : « Moustérien chaud » de la carrière Boutmy‑Muchembled à Montières (Comment 1912 ; Tuffreau 1983, 1987), série lustrée de Beaumetz‑les‑Loges (Hurtrelle et al. 1972), celle du gisement des Osiers à Bapaume (Tuffreau 1976a), couches 5 et 7 du gisement de Bagarre (Tuffreau, Zuate y Zuber 1975 ; Boëda 1986). Il en est de même de la couche et du niveau HA et II base du gisement de Biache‑Saint‑Vaast (Tuffreau 1986 ; Tuffreau, Sommé 1988), des séries du gisement du Rissori en Belgique (Adam, Tuffreau 1973 ; Locht 1986 ; Adam 1991) et de l’assemblage recueilli à Saint‑Valeiy‑sur‑Somme (Heinzelin, Haesaerts 1983).
31Les séries lithiques de Seclin (Tuffreau et al. 1985) sont fort proches de celles de Riencourt‑lès‑Bapaume. Les niveaux archéologiques du gisement de Seclin et les niveaux CA et C de celui de Riencourt‑lès‑Bapaume, remontant au stade isotopique 5c, ont livré des industries dont l’originalité réside moins dans l’abondance de lames, caractéristique relativement courante dans les industries du Paléolithique moyen de France septentrionale (Tuffreau 1983), que dans leur obtention par des méthodes de débitage élaborées, de conception non Levallois, présentant des affinités avec les méthodes de production laminaire du Paléolithique supérieur par la conception volumétrique des nucléus et leur(s) mode(s) d’exploitation (Révillion 1988, 1989 ; Tuffreau 1990 ; Boëda 1990). L’outillage du niveau CA s’individualise plus par l’abondance et la qualité des outils de type paléolithique supérieur. Les industries de ces deux gisements possèdent néanmoins une forte tradition moustérienne dont témoignent l’usage du débitage Levallois, l’emploi du percuteur dur et le facettage des plans de frappe lors du débitage laminaire, ainsi que la composition typologique globale de l’outillage dominée par les racloirs.
32D’autres industries laminaires ont été individualisées dans un contexte chronostratigraphique semblable, en basse Normandie à Saint‑Germain‑des‑Vaux (D. Cliquet, communication orale), en Belgique à Rocourt (Cahen 1984 ; Otte et al. 1990), dans le remplissage du volcan du Tônchesberg où quelques pièces laminaires ont été mises au jour (Conard 1990). Des lames sont présentes à Rheindahlen (Bosinski 1966, 1986), mais la production laminaire y est très marginale et obtenue selon des méthodes de débitage qui restent à déterminer.
33Le phénomène des industries à débitage laminaire présentes dans le nord‑ouest de l’Europe n’est pas sans rappeler la situation du Proche‑Orient, où des industries à lames (Tabun D, Hummalien) existent entre l’Acheuléo‑Yabroudien et un Moustérien de faciès levalloisien (Bar‑Yosef 1988 ; Copeland 1985 ; Meignen 1990 ; Muhesen 1988). Une forte composante laminaire apparaît également dans certains assemblages d’Ukraine (Cabaj, Sidivyj à paraître).
34Ce phénomène laminaire semble donc être présent de manière plus ou moins synchrone, à l’échelle géologique, dans des domaines paléogéographiques très différents (nord de l’Europe, Ukraine, Proche‑Orient, et aussi en Afrique du Sud) (Singer, Wymer 1982) où il a disparu sans évoluer vers le Paléolithique supérieur qui émergea en Europe occidentale et au Proche‑Orient plusieurs dizaines de milliers d’années après (Mellars 1989). On peut alors s’interroger sur les causes de l’apparition et de la disparition de ce type d’industrie. Il est frappant de constater que le phénomène laminaire s’inscrit dans un contexte de fluctuations climatiques importantes (Début Glaciaire) dans des régions (nord‑ouest de l’Europe et aussi le Proche‑Orient) où les répercussions sur l’environnement sont directement perceptibles. Il est fort probable que la disparition du phénomène laminaire dans le nord‑ouest de l’Europe soit la conséquence de péjorations climatiques du Pléniglaciaire inférieur et de changements paléoenvironnementaux qu’elles entraînèrent. D’autre part, il est certain que des phénomènes de convergence ont pu se produire, car il est difficile d’imaginer des liens entre le Proche‑Orient et l’Afrique du Sud. Il n’en est pas de même pour le Proche‑Orient et le nord‑ouest de l’Europe qui ont certainement connu des mouvements de population liés à des facteurs climatiques. Seuls des éléments chronologiques plus fiables, surtout en ce qui concerne les données du Proche‑Orient, permettraient de conforter, d’infirmer ou d’enrichir ces hypothèses. Il ne faut pas oublier que toute tentative pour présenter des hypothèses concernant les déplacements des groupes humains au Paléolithique moyen demeuré dans le domaine des spéculations, contrairement au Paléolithique supérieur où les résultats obtenus par le 14C permettent d’atteindre une certaine finesse chronologique.
35La découverte de quelques bifaces dans le niveau C indique qu’une partie du matériel appartient au MTA de type A, qui se caractérise notamment par la présence de bifaces triangulaires plats, façonnés sur éclats. L’outillage uniface sur éclat du MTA du nord de la France comprend toujours un groupe moustérien d’importance moyenne, typologiquement varié, avec peu d’outils à bords convergents et de racloirs à retouche biface. Les outils du groupe paléolithique supérieur (groupe III), dont les couteaux à dos, sont souvent abondants et parfois mieux représentés que les encoches et les denticulés (Farizy, Tuffreau 1986). Le MTA de type A est assez bien représenté sur toute la façade atlantique de la France. En Bretagne, il s’individualise nettement par la fréquence de bifaces ovalaires, amygdaloïdes et discoïdes, et par la présence plus sporadique de hacheraux sur éclats et de bifaces hacheraux, telles les industries de Bois du Rocher et de Clos Rouge (Monnier 1980, 1986). L’abri sous roche de La Vallée Heureuse à Rinxent (Hamy 1889) a livré des pièces attribuées au MTA. Il en est de même pour les gisements de plein air de Saint‑Just‑en‑Chaussée (1ere couche humique), Marcoing, Catigny ou le Tillet (série café au lait) (Bordes 1954 ; Tuffreau 1976b, 1977, 1987 ; Sommé, Tuffreau 1971). Le MTA comprend aussi un faciès, peut‑être plus tardif, sans bifaces triangulaires plats mais où sont présents de petits bifaces (Hamel : Tuffreau 1987). Le MTA est le faciès du Moustérien quasi exclusivement représenté en Grande‑Bretagne avec des bifaces de forme un particulière (les « bouts coupés »), tant dans les grottes des Midlands, du Sud‑Ouest et du Pays de Galles, que dans les gisements de plein air de Brarnford Road, Ipswich (Suffolk) ou Great Pan Farm, Shide (île de Wight) (Roe 1981). Ces témoignages semblent marquer la limite de l’extension du MTA qui se retrouve aussi en Belgique (Ulrix‑Closset 1975) et, plus rarement, dans la partie occidentale de l’Allemagne (Bosinski 1986).
36L’hypothèse de F. Bordes, selon laquelle le MTA serait relativement tardif dans le Sud‑Ouest de la France, a été reprise par P. Mellars (1988). Les données chronostratigraphiques des gisements du MTA sont toutefois trop imprécises pour établir si le MTA de type A du nord de la France est antérieur ou non à celui du Sud‑Ouest (Tuffreau 1990). En effet, il faut tenir compte du fait que, dans le Périgord, les dépôts de la phase ancienne du Würm sont très mal conservés dans les cavités karstiques et que les stations de plein air ayant livré du MTA sont indatables.
37L’étude des stratégies de production des racloirs du niveau C (cf. § 2.6) semble montrer qu’il existe un lien entre le support (éclat Levallois, couteau à dos naturel...) et le type de racloir. Une observation similaire avait pu être effectuée à Biache‑Saint‑Vaast. La composition typologique du groupe moustérien du niveau C semble indiquer la présence d’un Moustérien de type Ferrassie. La morphologie des supports des outils à bords convergents est comparable à ce que l’on peut observer dans les industries du Moustérien de type Ferrassie de la phase récente du Paléolithique moyen. En effet, les assemblages du Pléistocène moyen récent (Biache‑Saint‑Vaast : Tuffreau, Sommé 1988 ; Rheindahlen : Bosinski 1986) possèdent d’assez nombreux racloirs convergents et pointes moustériennes allongées et à la section souvent asymétrique. Le Moustérien de type Ferrassie, à débitage Levallois, possède un fort groupe moustérien dont de nombreux outils à bords convergents. Un Moustérien de type Ferrassie avec des outils à bords convergents assez comparables à ceux du niveau C est présent à Busigny (Tuffreau, Vaillant 1984), mais l’âge de l’industrie n’a pas pu être établie avec précision : il est compris entre la fin du Pléistocène moyen et le Pléistocène supérieur (1ère moitié du Dernier Glaciaire). Dans la moitié nord de la France, l’industrie du Mont‑Dol, en Bretagne (Monnier 1980), se rattache également au Ferrassie. Il faut souligner que ce type d’industrie se retrouve à Riencourt, dans le niveau le plus récent (niveau A : Tuffreau 1977) qui n’a pas pu être fouillé en 1989 et 1990. Elle y est postérieure à un Charentien à influences micoquiennes.
38La présence d’industries micoquiennes, au sens de G. Bosinski (1967), était déjà attestée dans le nord de la France grâce à la découverte de petits bifaces (Faüstel) et de pièces bifaciales avec une face plane (Halbkeil) à Saint‑Acheul (Commont 1913), de quelques pièces bifaciales dans la vallée de l’Aisne (Tuffreau 1982), d’un racloir foliacé et de bifaces à retouche bifaciale alterne simultanée dans la moyenne vallée de l’Oise (Ameloot‑Van der Heijden, inédit) et de prondniks, au Mont de Beuvry près de Béthune (Marcy 1991). La fouille du gisement de Riencourt‑lès‑Bapaume a confirmé l’extension occidentale du Micoquien (ou d’industries présentant des affinités avec des faciès culturels du Micoquien d’Europe centrale), déjà reconnu dans le bassin mosan (Ulrix‑Closset 1975). En effet, l’industrie de l’assemblage Bl, remontant au stade isotopique 4, qualifiée provisoirement d’industrie de tradition charentienne à influence micoquienne (Farizy, Tuffreau 1986), possède quelques pièces foliacées bifaciales (Fauslkeilblâtter) et d’autres s’apparentant à des prondniks, outils dont la présence a d’abord été reconnue en Europe centrale (Chmielewski 1969 ; Bosinski 1967 ; Bosinski, Kulick 1973). De même, quelques bifaces de la série C possèdent des caractères spécifiques de ce faciès. Il faut souligner que ces outils considérés comme étant caractéristiques du Micoquien sont associés à des assemblages à débitage Levallois alors qu’en Europe centrale, mis à part la série A de Konigsaue (Mania, Toepfer 1973), le débitage Levallois semble avoir été très peu utilisé. D’autres industries de l’Europe du Nord‑Ouest ont également été classées dans le technocomplexe Micoquien, au sens de G. Bosinski. Il s’agit de l’industrie de Tréisseny en Bretagne (Monnier 1980, 1986), de celle de Champlost au sud‑est du Bassin parisien (Farizy, Tuffreau 1986 ; Farizy 1988), de certains assemblages du Bassin mosan, tel celui de la grotte du Docteur à Iluccorgne (Ulrix‑Closset 1975) et, aussi, des bifaces de Wolvercote (Tyldesley 1986). Ces assemblages montrent une extension vers l’ouest plus importante qu’on ne le pensait des industries qui sont regroupées dans le « Moustérien oriental » (Rolland 1990).
39Les niveaux archéologiques de Riencourt‑lès‑Bapaume sont contenus dans des dépôts qui indiquent un contexte climatique tempéré à tempéré froid, ce qui est conforme aux données obtenues ailleurs. Aucun témoin n’atteste une occupation humaine des plaines d’Europe du Nord‑Ouest pendant les phases de péjoration climatique. Il semble donc exclu d’envisager une évolution sur place des industries durant toute la phase récente du Paléolithique moyen et de considérer, en particulier les industries laminaires comme des industries de transition du Paléolithique moyen vers le Paléolithique supérieur. La séquence archéologique de Riencourt‑lès‑Bapaume montre que les industries à lames des niveaux CA et C sont surmontées par des industries, attribuées respectivement à un Moustérien typique et à un Charentien d’influence micoquienne. Ce dernier assemblage comprend quelques nucléus à lames à section prismatique, ce qui atteste la présence d’un débitage laminaire au delà du Début Glaciaire. Les industries les plus récentes, découvertes dans la région du Nord (Corbehem, niveau A de Riencourt), sont des industries non laminaires, à débitage Levallois (linéal ou récurrent centripète dominant), attribuées à des Moustériens. L’industrie d’Hénin‑sur‑Cojeul semble présenter globalement les mêmes caractéristiques technologiques (Marcy 1989 et communication orale).
40Les nouvelles données apportées par le gisement de Riencourt‑lès‑Bapaume confirment les déplacements, dans la région du Nord de groupes humains venus d’Europe centrale, du Bassin parisien ou du sud‑ouest de la France, lors des phases d’amélioration climatique dans un paysage de prairie arborée favorable au développement de la grande‑faune.
Auteurs
Directeur de Recherche au CNRS, Centre de géomorphologie du CNRS.
Nathalie Ameloot‑Van der Heijden
Docteur, ERA 37 du CRA, CNRS, Université des sciences et technologies de Lille.
Professeur à l’Université des sciences et technologies de Lille, directeur de l’ERA 37 du CRA, CNRS.
Conservateur au musée d’Evreux, ERA 37 du CRA, CNRS.
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