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Les enceintes fortifiées du Limousin

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Ian B. M. Ralston

Chapitre 1. Aspects de l’âge du Fer en France non méditerranéenne

Texte intégral

1.1 Paramètres spatiaux et chronologiques

1Les paramètres spatiaux de l’ouvrage sont les trois départements du Limousin, bien que des éléments de comparaison provenant d’autres régions françaises ou même de l’étranger, aient été parfois évoqués. Dans ces cas, les inventaires de Collis et de Buchsenschutz ont été très utiles (Collis 1975a, 1984 ; Buchsenschutz 1984). Les paramètres chronologiques, par contre, sont plus difficilement fixés. Ceci est peut‑être inévitable, du fait que le corps de l’ouvrage est constitué par les données fournies par les sites. Nous avons trouvé utile, par endroits, de mentionner des découvertes datant du Néolithique ou d’époques postérieures, car les sites fortifiés étaient déjà une caractéristique du paysage à cette époque. Les attributions culturelles de ces objets sont reprises des publications citées. Pour la protohistoire, plusieurs systèmes chronologiques ont cours. Dans l’Est, on a de plus en plus tendance à utiliser le système de l’Allemagne du Sud, continuellement mis à jour depuis l’époque de Reinecke. D’autres chronologies, empruntées pour l’essentiel à Déchelette ou aux systèmes évolutifs proposés par Hatt, sont en grande partie fondées sur le mobilier funéraire (par exemple, Hatt 1977).

2Dans la France non méditerranéenne, La Tène moyenne (ou C ou II) pose de gros problèmes en ce qui concerne les rapports entre le mobilier des tombes et celui des habitats. L’article fondamental de Duval souligne l’importance quasi absolue du mobilier funéraire pour la datation dans le Bassin parisien, et expose les problèmes concernant l’intégration des systèmes français, suisse et allemand (Duval 1976a : 482). D’après l’évaluation d’Haffner, qui commence à être confirmée par la dendrochronologie, La Tène moyenne irait de 250 à 125 av. J.‑C. (Haffner 1979 : 409). Elle fut suivie par La Tène III et, dans le système allemand, le changement de D1 à D2 s’est produit aux alentours de 50 av. J.‑C. On affine continuellement les limites de ces étapes chronologiques dans plusieurs des régions qui nous intéressent. Dans l’Ouest, le phénomène de retard culturel a depuis longtemps reçu l’approbation générale, surtout auprès de Fabre (Fabre 1952) qui envisagea une époque « post‑hallstattienne » correspondant au début de La Tène en Champagne ; bien que certains objets, quelquefois prestigieux, datant du début de La Tène, aient été trouvés très à l’ouest (Mohen 1980 ; Gomez 1982 : 6‑7), on a découvert très peu de matériel laténien antérieur à La Tène III en Limousin. Dans l’ouest du Berry, du mobilier de La Tène I est connu à Palluau‑sur‑Indre, Indre (Coulon 1976). Des tumulus de la fin du Hallstatt, par exemple à Lizeray (Indre), peuvent quelquefois renfermer des objets qui étaient encore utilisés au début de La Tène (Lambert 1976 ; Willaume 1985).

3En ce qui concerne la fin de La Tène, la réapparition généralisée de très nombreuses importations provenant du monde méditerranéen offre un facteur supplémentaire dans l’équation chronologique ; ce matériel sert également dans les discussions sur l’évolution socio‑politique. Il semble donc souhaitable qu’un examen de certaines catégories de mobilier que l’on trouve en Limousin précède la présentation des sites. L’autre source chronologique (et socio‑politique) en termes de mobilier est fournie par les monnaies qui sont, elles aussi, étudiées dans le cadre du Limousin. L’intégration de ce matériel dans les données historiques, surtout celles qui concernent la Guerre des Gaules, devient le problème clé : il est loin, actuellement, de trouver une solution satisfaisante.

4Nous avons laissé de côté une discussion générale sur l’exploitation des sites dans la France non méditerranéenne, Certains éléments méritent une étude plus longue et, de plus, des travaux antérieurs (Dehn 1971 ; Buchsenschutz 1981c : 45‑66 ; 1984) ont souligné les différences importantes entre l’étude de ces sites en France et celle de leurs équivalents en Grande‑Bretagne. En résumé, la deuxième moitié du xixe s. et la première décennie du xxe ont été marquées en France par des études très poussées, mais ce travail est mort avec Déchelette dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Par rapport à la situation en Grande‑Bretagne, on peut dire que la reprise en France, avec l’introduction de fouilles régionales sur une grande échelle et l’utilisation d’une bonne base cartographique (les cartes IGN 1/25 000), a été retardée. Il semble probable, cependant, que dans les années 80 le volume des travaux en France sur l’âge du Fer dépassera celui qui a été atteint en Grande‑Bretagne.

1.2 Rappel de certains types de mobilier clé

1.2.1 Introduction

5Nous n’avons pas tenté ici un examen complet du matériel de la fin de la protohistoire en Limousin, bien que les phases principales qui ont été proposées en se fondant sur ce matériel soient esquissées ci‑dessous. Nous allons en examiner ici certains aspects dans un contexte assez large avant de nous pencher sur les données concernant le Limousin. Ultérieurement, nous étudierons le matériel plus tardif,

6Deux types de mobilier –les céramiques campaniennes et les amphores– sont étudiés car ils représentent les objets de fabrication italique les plus nombreux dans la Gaule non méditerranéenne. Un troisième groupe est formé par les monnaies qui ont fait l’objet de nombreuses études mais qui me semblent poser encore beaucoup de problèmes.

1.2.2 Céramique campanienne

7Cette céramique a été utilisée comme un des indicateurs chronologiques potentiels dans la Gaule non méditerranéenne. Normalement, les importations ne forment qu’un petit pourcentage de ce qui peut se révéler être des ensembles volumineux de poteries. Fabriquées en Italie, elles semblent avoir été à l’origine de deux types d’imitations. Le premier, qui reste assez fidèle aux prototypes, était fabriqué, peut‑être, dans le midi de la France ; le deuxième s’en éloigne plus nettement. Ces dernières poteries sont peut‑être des productions locales et on les retrouve sur les sites de La Tène III, tels ceux de Tournus (Perrin 1976b : type 21, avec sous‑types). Périchon et ses collaborateurs ont publié un ensemble d’imitations provenant du nord‑est du Massif central (Périchon 1977 : types 201‑209). Ce matériel, correctement analysé, pourrait offrir des possibilités de datation plus précise à la suite des travaux sur quelques enceintes importantes du midi de la France et d’ailleurs. En attendant, comme l’a remarqué Collis, il est certainement possible de tirer parti de ce type de céramique pour d’autres objectifs que la seule chronologie en France non méditerranéenne (Collis 1975a : 48).

8Les travaux de Morel semblent suggérer l’évolution chronologique ci‑après pour les trois grands types de céramiques campaniennes : Lamboglia A, B, C (Morel 1978). Il subsiste des problèmes typologiques, dont certains ont des répercussions historiques importantes (Morel 1978 : 150‑151). Le concept « d’imitations » n’est pas toujours utile, car les relations avec la campanienne commerciale n’étaient pas obligatoirement à sens unique : l’innovation aurait pu être adoptée par des producteurs plus industrialisés.

9Depuis quelque temps, on tend à ramener la date de l’apparition de la campanienne A dans le Midi vers les dernières années du iiie s. av. J.‑C. Le premier lot important serait celui du Grand‑Congloué, associé à des amphores gréco‑italiques et daté par Morel vers les années 190 av. J.‑C. (Morel 1978 : 157 ; 1981). Cette première vague d’exportations campaniennes cède la place à une deuxième vers 180 av. J.‑C, et à une troisième, et dernière, vers 100 av. J.‑C. Il semble que l’exportation et la diffusion ont continué jusqu’en 50 av. J.‑C. environ, mais la dernière phase pourrait représenter une diminution dans le nombre de types produits. Les indications de réutilisation, d’usure et de réparations suggèrent que l’utilisation de certains vases a pu continuer pendant quelques décennies après la date limite des importations, mais plusieurs ensembles fermés indiquent l’absence d’un chevauchement avec la période des céramiques arétines (cité par Morel 1978 : 161).

10On peut subdiviser la campanienne B ; les exemplaires qui sont venus jusqu’en Gaule tempérée (par exemple à Vienne, Roanne et Tournus) furent probablement fabriqués en Campanie septentrionale. Morel propose un autre lien possible entre l’exportation de la campanienne B « du type campanien septentrional » et les amphores Dressel 1 (Morel 1978 : 162). Pour la première apparition de ce type en France, on peut proposer une date vers le début du dernier quart du iie s. av. J.‑C.

11La campanienne C, qu’on trouve à Carthage mais qui y est rare, n’apparaît pas avant 100 av. J.‑C. sur les sites provençaux. Les « imitations » de ce type semblent avoir été largement produites dans l’Ouest méditerranéen et sont souvent beaucoup plus nombreuses sur les sites du sud de la France que les fabrications de Syracuse (Morel 1978 : 163).

12La percée de la campanienne A dans la Gallia Comata semble commencer au cours du iie s. av. J.‑C. ; Morel tend à remonter plus haut les dates proposées par les autres chercheurs. Par exemple, la campanienne A, appartenant aux deux premiers tiers de ce siècle, a été retrouvée à Verdun‑sur‑le‑Doubs en Saône‑et‑Loire. Un décor à palmette, très élaboré, sur trois tessons de ce type trouvés aux Arènes à Levroux, serait antérieur à 150 av. J.‑C. suivant la typologie de Morel. A Vieille‑Toulouse, Muller a avancé des arguments partiaux (réfutés par Morel) proposant une datation aussi tardive que l’époque augustéenne, contemporaine des productions arétines, pour la fabrication de la campanienne A trouvée dans quelques puits (Muller cité par Morel 1978, 1981). Certains traits de la campanienne A indiquent une datation vers la première plutôt que la deuxième moitié du iie s. av. J.‑C. Il est évident que le remblayage d’un puits implique le mélange possible d’objets de datations différentes, mais d’autres importations ici présentes (par exemple les poteries grises ampuritaines et les amphores rhodiennes) seraient acceptables dans un contexte du iie s. av. J.‑C.

13A Vieille‑Toulouse, cependant, on retrouve de la campanienne A et de la campanienne B. Roanne, également, livre de la campanienne A (donc, du iie s. av. J.‑C.) dans les fouilles de l’institut St‑Joseph (Bessou 1976 : pl. 18, 3) associée à du mobilier qui appartient à une phase plus tardive. Parmi ce dernier, d’après Morel, se trouverait le fond d’un bol avec un pied largement évasé (Morel 1978 ; 167).

14On ne peut donc pas prendre la présence de la campanienne A (comme elle est habituellement appelée dans les chroniques de Gallia, sans autres qualifications) pour justifier une datation ancienne. Néanmoins, même si la série A continue sur les sites non méditerranéens pendant le ier s. av. J.‑C., la fréquence baisse par rapport à la série B, du moins dans la région de Toulouse, en Forez et sur les sites en bordure de la Limagne (Morel 1978).

15Après la Guerre des Gaules, la céramique campanienne est évincée par la sigillée, qui s’est développée à partir de la céramique arétine à vernis noir aux alentours de 50 av. J.‑C. (Morel 1978). Il se peut, cependant, qu’il existe une rupture de deux (ou peut‑être trois) décennies entre la fin des séries campaniennes et l’importation des céramiques arétines. Elles étaient déjà arrivées en Gallia Comata dans la dernière décennie du ier s. av. J.‑C., comme on le voit sur la carte de répartition de Pucci pour les bols radiaux, dont la fabrication est attribuée aux années 15 à 10 av. J.‑C. (Pucci 1981 : fig. 16).

1.2.3 Amphores

16Nous allons examiner les amphores sous deux aspects : les dates de leur importation dans les trois Gaules et leur évolution typologique interne. Comme l’a dit Callender, on trouve sur les sites de l’âge du Fer beaucoup d’utilisations secondaires allant du pissoir au cippe funéraire, ce qui implique un écart entre la date de fabrication, et celle de son utilisation finale (Callender 1965).

17Il semble certain que le premier produit transporté dans ces récipients était le vin (Jongkees 1955 : 88‑89). Morel a décrit le commerce des céramiques campaniennes comme » parasite », parce qu’elles semblent représenter un complément des cargaisons de produits agricoles, parmi lesquels le vin semble être le plus important. Pour le Grand‑Congloué, par exemple, Benoit a estimé que là cargaison consistait en 108 tonnes d’amphores vinaires gréco‑italiques et 1,5 tonnes de céramiques campaniennes (Morel 1981 : 88).

18Les amphores gréco‑italiques furent graduellement remplacées, pendant la dernière partie du iie s. av. J.‑C., par des amphores Dressel 1 qui furent utilisées pour l’exportation du vin jusqu’à la fin du siècle suivant. Leur répartition dans la région méditerranéenne occidentale, en dehors des frontières italiennes, montre quelques sites épars près du littoral nord‑africain et une pénétration importante en Ibérie et en Gaule, sauf pour des zones étendues de la Gallia Belgica (Panella 1981 : fig. 12 ; mais cf. Fitzpatrick 1985 pour des cartes plus récentes).

19La présence d’amphores Dressel 1 à Entremont montre qu’on les importait avant 123 av. J.‑C. Les amphores avec marques en Gaule ou dans les pays avoisinants sont datées entre 119 (à Ampurias) et 13 av. J.‑C. (Tchernia 1983 ; Collis 1975a). Vers la fin de leur utilisation, elles furent progressivement remplacées par les Dressel 2‑4, dont l’exemple le plus ancien remonte à environ 28 av. J.‑C., bien qu’elles aient pu commencer à être utilisées depuis déjà une vingtaine d’années.

20Les amphores Dressel 1 (= Benoit républicain III) représentent l’importation méditerranéenne la plus abondante sur les sites de la fin de La Tène dans la Gaule non méditerranéenne. Le type a été subdivisé et nous nous intéressons surtout à deux (a et b) des trois sous‑types définis par Lamboglia, bien qu’un troisième type, c, connu en Espagne, ait été retrouvé, par exemple, à Toulouse. Fitzpatrick est le dernier auteur à parler des différences typologiques entre les 1a et les 1b (Fitzpatrick 1985). A Ventimiglia, Lamboglia a pu suggérer une utilisation grandissante du type 1b à partir d’environ 70 av. J.‑C., même si l’utilisation du la continuait. De même, des travaux récents sur les épaves méditerranéennes renforcent l’hypothèse d’une substitution progressive des 1b aux la (Liou et Lequément, cités par Buchsenschutz 1981b : 335). On n’a trouvé dans aucune épave les amphores Dressel 1 associées à des céramiques sigillées italiques. En Gallia Comata, donc, les amphores Dressel 1a et 1b peuvent aider à préciser la chronologie à partir de 125 av. J.‑C., au fur et à mesure que l’information sur les contextes de découverte s’améliore. Les cartes récentes de répartition de ce type en France (Peacock 1971 : fig. 36b ; Nash 1978a : 112 et appendice 3) mettent en évidence quelques caractéristiques des répartitions mais sous‑estiment le nombre de sites et, dans certains cas, la quantité de tessons qui s’y trouvent (Fitzpatrick 1985). A. Tchernia donne des descriptions illustrées de la masse de matériel qu’on peut trouver sur certains gisements et attire l’attention sur les sites de quelques régions de France (Tchernia 1983) qui étaient laissées plus ou moins en blanc sur les cartes plus anciennes.

21Toutes ces données portent à croire que le commerce du vin transporté dans les amphores Dressel 1 fut considérable et mené de façon très intensive à l’extérieur des frontières à la fin de la République et au début de l’Empire. Nous savons qu’il existait des commerçants –César nota qu’ils furent exclus du territoire des Nerviens (BG, II, 15 et IV, 2)– et on peut imaginer plusieurs produits gaulois d’échange : jambons, laine, métaux (précieux et autres) et esclaves. Diodore de Sicile a fourni le seul taux d’échange connu : 1 esclave = 1 amphore de vin (Duval 1971 : no 191, pour les sources). On peut supposer que le taux d’échange variait suivant les circonstances et que les esclaves ne représentaient pas la seule marchandise proposée.

22Deux facteurs méritent des commentaires, outre la prédilection bien connue des Gaulois pour le vin. D’abord, même si une partie de ce vin était destinée aux armées romaines –des amphores sont connues sur les sites où l’armée a hiberné pendant la Guerre des Gaules (au Mont‑Beuvray/Bibracte, par exemple)–, celle‑ci ne peut représenter qu’un pourcentage difficile à chiffrer, mais probablement faible, de la quantité de vin importée. On trouve beaucoup d’amphores sur certains sites datant d’avant la Conquête et sur d’autres où, malgré le manque d’indices historiques, il semble peu probable que l’armée était cantonnée.

23En second lieu, quelques commentaires sur l’importance du commerce semblent nécessaires. A plus long terme, la quantification des données fournies par des sites occupés en Gallia Comata pourra peut‑être permettre une évaluation numérique de l’importance relative des importations de vin sur les différents sites et, en plus, des variations à l’intérieur d’un même site.

24En attendant, A. Tchernia nous a donné un calcul approximatif astucieux du volume total du commerce. Ses prémisses, dont certaines sont plus audacieuses que d’autres, donnent une importation annuelle de 50 000 hectolitres –à peu près la moitié des exportations de la Guyenne au xve s. De telles quantités ne sont pas dénuées d’intérêt dans une étude des interactions entre la Gaule et Rome pendant le dernier siècle av. J.‑C.

25Un commerce à cette échelle semble inhabituel en dehors du territoire romain. Il semble également marquer le zénith des exportations du vin italien vers la Gaule car, à partir du début de l’Empire, elles furent concurrencées par les productions ibérique et indigène.

1.2.4 Monnaies indigènes

1.2.4.1 Numismatique et archéologie

26De nombreux aspects des monnaies fabriquées dans la Gaule non méditerranéenne relèvent strictement d’une étude spécialisée qui dépasse les limites de ce livre. Néanmoins, l’interface entre les faits historiques –donnés par les auteurs classiques (Duval 1971)– la numismatique et les indices archéologiques n’est pas simple ; les monnaies méritent une étude pour plusieurs raisons.

27Du point de vue de l’archéologie qui s’intéresse en premier lieu aux monnaies trouvées dans les habitats, lasignification du monnayage peut être analysée sous plusieurs rubriques couvrant un large éventail socio‑politique et socio‑économique :
– le lieu de fabrication ;
– les caractéristiques de la circulation : spécifique à la civitas, au pagus ou au site, ou plus générale :
– les potentialités chronologiques ;
– les relations entre les répartitions de variétés antérieures et la répartition d’habitats éventuels, soit à l’échelle macroscopique –suggérant des entités tribales– soit à une échelle plus grande ‑ indiquant des possibilités spécifiques de recherches sur le terrain, particulièrement pour les habitats antérieurs non fortifiés ;
– l’importance des monnaies pour indiquer des liens spécifiques avec le monde méditerranéen (par exemple, l’emploi de motifs ou de poids particuliers) ;
– les utilisations non commerciales par opposition aux utilisations commerciales ;
– l’importance des monnaies par rapport aux changements dans la structure de la société celtique, aux processus d’urbanisation et à l’apparition d’entités étatiques, aux relations enfin entre les « centres » et leur arrière‑pays.

28La numismatique celtique est un domaine en pleine activité et, pour la Gallia Comata, les ouvrages de Colbert de Beaulieu, de Nash et d’Allen sont utiles (Colbert de Beaulieu 1973 surtout ; Nash 1978a ; Allen 1980). Les travaux de Nash représentent la tentative la plus poussée pour intégrer les indices numismaliques et les habitats du centre de la France et sont le point de départ pour toute étude ultérieure.

29Si on considère les faits sous un angle non numismatique, les principaux problèmes représentés par les monnaies semblent très variés. Il faut tenir compte, notamment, des monnaies sans provenance ainsi que des nombreuses vicissitudes auxquelles les monnaies sont exposées (par exemple, Rodwell 1981). Comme Colbert de Beaulieu, on pourrait ajouter la prédilection des musées et des collectionneurs pour des monnaies » lourdes » et la possibilité de fausses provenances (Colbert de Beaulieu 1973). Pour beaucoup d’habitats, les indications sont, malheureusement, imprécises car les stratigraphies exactes semblent rares. Une grande partie des listes de monnaies proposées par Nash ne sont que des énumérations qui mélangent peut‑être des monnaies datant de plusieurs phases d’activité des sites concernés (Nash 1978a, 1978b).

30Certains problèmes semblent intimement liés et compliquent donc l’étude. Par exemple, la métrologie des monnaies et sa précision sont liées à la frappe et celle‑ci, à son tour, est liée à la question de leur attribution à des civitates données. Même les outils de fabrication ne sont pas un guide infaillible. Par exemple, un coin d’une monnaie attribuée aux Bituriges Cubi a été trouvé sur le Puy de Cotent. Il est vrai qu’on peut expliquer ce fait par les distorsions dans la circulation des monnaies dues à la Guerre des Gaules qui fournit pourtant, grâce aux ensembles monétaires trouvés dans les fossés d’Alésia, l’un des rares points fixes généralement acceptés dans l’étude de ces monnaies, surtout depuis le rejet par Nash de l’idée que l’hégémonie arverne correspondrait à un monopole antérieur supposé dans la frappe des monnaies.

1.2.4.2 Datation

31Le plus souvent, vu le manque de contextes archéologiques, il faut résoudre les problèmes de chronologie, surtout en ce qui concerne les monnaies les plus anciennes, en termes de ressemblances avec des prototypes méditerranéens. Actuellement, notre perception des phénomènes de diffusion progressive représente le seul moyen, obligatoirement subjectif, d’estimer la date d’introduction d’un grand nombre de monnayages de la Gaule centrale. En supposant que les quantités ne soient pas faussées de façon excessive ni par les facteurs mentionnés ci‑dessus, ni par le petit nombre sur lequel leur identification est fondée, il paraît clair qu’à l’époque de la Guerre des Gaules, des monnaies en or, argent, bronze et des potins circulaient en Gallia Comata et qu’ils étaient, de plus en plus, alignés sur les normes romaines de métrologie. Dans de telles circonstances politico‑économiques, il ne semble pas déraisonnable d’évoquer la loi de Gresham pour expliquer la dévaluation progressive de ces monnaies et, peut‑être, leur donner une importance chronologique (Colbert de Beaulieu 1973 : 262‑263 et note 482), mais on peut se demander dans quelle mesure un tel mécanisme est valable pour les premières monnaies, peut‑être moins influencées par les mouvements du marché. Depuis qu’on a envisagé des utilisations non commerciales pour ces monnaies (Nash 1981) et qu’on a suggéré que le paiement de la solde des mercenaires expliquait l’essor de leur production, la nécessité d’une grande précision métrologique se fait peut‑être moins sentir.

32Il est difficile de concilier certaines affirmations qu’on trouve dans la littérature avec les données numériques disponibles, et il semble difficile de démontrer la pertinence de techniques statistiques sur de si petits échantillons. Néanmoins, on a essayé de le faire pour un groupe de données. On peut considérer que les monnaies en argent du Berry occidental, étudiées par Nash, sont dignes d’intérêt car on connaît presque 150 poids pour ces monnaies (Nash 1978a : 44). Attribuées au iie s. av. J.‑C., on les a considérées comme des monnaies frappées dans un but spécifique, peut‑être en rapport avec la naissance de la civitas des Bituriges.

33On interprète l’inclusion de ces monnaies dans des trésors comme le signe d’une rapide thésaurisation, bien que certaines montrent des signes d’usure (Nash 1978a). D’après Nash, les poids des monnaies en argent du Berry occidental « ressemblent beaucoup » à ceux des premières émissions importantes des monnaies à la croix (pour les monnaies du Berry, le poids modal est 3,40 g, le médian 3,34 g environ et la tranche interquartile 3,23‑3,40 g environ), mais il existe des divergences nettes entre les poids de certaines émissions en argent du Berry occidental. Par exemple, le type au cavalier (PIIA) (moyen 3,45 g environ, interquartile 3,43‑3,50 g environ, médian 3,45 g) est nettement plus lourd que l’ensemble de la série, et le type au loup et cheval (B2) (moyen 3,15 g environ, interquartile 3,04‑3,24 g environ, médian 3,17 g) est nettement moins lourd. Nash note que « à l’intérieur de l’ensemble des monnaies du Berry occidental, les poids sont, en gros, similaires, même si on peut distinguer des séries à peine plus légères ou plus lourdes » (Nash 1978a : 46). Mis à part quelques types mineurs qui, d’après Nash, sont tardifs, il semble qu’il y ait une variation assez importante dans certaines séries. La différence entre les poids moyens des deux séries citées ci‑dessus est de l’ordre de 10 %, le même ordre de grandeur que pour les copies de première génération des statères de Philippe II et la série gauloise à 7,75 ± 0,25 g (Allen 1980 : 31, fig. 9). En termes de différences de poids, la similarité est un concept très souple.

34Les attributions tribales semblent poser beaucoup de problèmes et, excepté pour les émissions les plus récentes, devraient sans doute être abandonnées, sauf pour des attributions provisoires. Même ici, dans le cas des monnaies les plus récentes, l’importance potentielle des monnaies et leur répartition peuvent militer contre les attributions à une seule tribu car il apparaît que la frappe des monnaies ne s’était pas généralisée à toutes les civitates, et quelques‑unes semblent avoir commencé assez tardivement. Les Cadurques, auxquels on n’a pas attribué de monnaies nettement antérieures à la Guerre des Gaules, peuvent en être un exemple pertinent. Il est possible que ce soit un reflet des liens politiques, par exemple des clientèles, mais il y a également des cas dans l’antiquité classique d’Etats qui ne frappaient pas leurs propres monnaies mais qui utilisaient celles de leurs voisins, par exemple Sparte. Les deux questions de la production des monnaies et –accessoirement– de leur chronologie, sont un sujet de discussion pour lequel des données précises provenant de fouilles seraient primordiales. Étant donné que les monnaies des trois départements du Limousin vont des statères de Philippe de Macédoine jusqu’au modeste potin, un survol rapide du matériel semble nécessaire. Bien qu’il soit évident que certains attributions tribales soient discutables, elles ont été retenues car elles fournissent au moins un cadre géographique pour les répartitions.

1.2.4.3 Monnaies de la première période et monnaies de l’époque de la circulation généralisée

35Pour cette présentation synthétique, on peut, pour simplifier, fusionner les deux premières phases de Nash (Nash 1976a, 1978a, 1981) afin d’insister sur les différences entre ce qu’on peut appeler « les monnaies de la première période » et les « monnaies de l’époque de la circulation généralisée ». Ces dernières profitent de ce que Colbert de Beaulieu a appelé « une répartition secondaire » qui a eu lieu dans des régions étendues de la Gaule à la suite de la guerre. Les premières émissions consistent exclusivement en monnaies frappées en métal précieux, en commençant par les séries stylistiquement et métrologiquement proches des prototypes méditerranéens. Déjà, on employait une métrologie « normalisée », mais on ne peut pas attribuer cette série à des tribus données. D’après Nash, la frappe était très certainement intermittente et répondait à des crises particulières. De plus, on a supposé que le retour en Gaule de mercenaires dont les Etats méditerranéens n’avaient plus besoin aurait pu donner un coup de fouet à ce processus, même s’il n’en était pas la cause. Toutefois, les royaumes hellénistiques de la Méditerranée orientale auraient eu encore besoin de mercenaires, et on peut penser que le recrutement à distance ne faisait pas partie des pratiques courantes de l’ancien monde. Il est peu probable que ces monnaies de haute valeur nominale aient eu une fonction économique directe et leur rôle dans un premier temps devait se situer au niveau socio‑politique.

36Par contre, les « monnaies de la période de circulation généralisée » offrent de nettes différences. Les premières séries sont connues soit par des trouvailles isolées, soit par des trésors. Beaucoup n’ont pas de provenance sûre et ne sont pas représentées en stratigraphie sur des habitats. On trouve des monnaies de cette époque sur les deux types de site –fortifié et ouvert– ainsi que sur les lieux de culte et dans les trésors : certains en contiennent plusieurs milliers. On utilisait un éventail plus large de métaux, y compris le métal vil, le bronze, soit frappé soit coulé. A en juger par le nombre de découvertes et le nombre de coins employés, la fabrication était en progression. Il y a une augmentation très nette dans le nombre de types et de sous‑types de monnaies, ce qui, ajouté aux métaux utilisés, complique leur interprétation. Un point fixe est fourni par les monnaies des années 50 av. J.‑C., et celles qui ont été trouvées dans les fossés d’Alésia jouent un rôle important à cet égard. Il est cependant improbable que la Conquête ait mis fin à la frappe des monnaies celtes, sauf peut‑être pour certaines pièces d’une haute valeur nominale. Il est évident que la date d’émission diffère nettement de celle de l’utilisation finale, et on trouve assez fréquemment dans les trésors des monnaies celtes associées à des monnaies impériales. On a même suggéré que certaines monnaies indigènes –surtout les monnaies en argent de Togirix– étaient utilisées par l’armée romaine pour des transactions commerciales (Colbert de Beaulieu 1973).

37Les données historiques pour la France non méditerranéenne d’avant le ier s. av. J.‑C. sont tellement fragmentaires qu’il paraît déraisonnable de se cramponner à l’idée géopolitique d’une hégémonie arverne afin de donner un contexte aux premières émissions en or, modelées sur le statère de Philippe II de Macédoine (356‑336 av. J.‑C.), qui semblent avoir été frappées surtout entre 340 et 310 av. J.‑C. environ (Scheers 1981 : 18, note 2). Il est certain qu’on ne trouvera jamais un accord complet en ce qui concerne la date d’émission des premières monnaies en or (Kent 1981), parce qu’elles représentent des copies qui diffèrent à divers degrés de l’original et. manquent de contextes archéologiquement utilisables. Cependant, une datation au iiie s. av. J.‑C. ne semble pas improbable. D’après Nash (et malgré Richard), leur répartition milite contre l’idée d’un monopole arverne pour la frappe de ces monnaies, un monopole qui aurait continué jusqu’aux dernières décennies du iie s. av. J.‑C. (Nash 1978a ; Richard 1976 : 246). On a dit que l’apparition des premières monnaies de cette série (poids supérieur à 8 g) était un phénomène qui ne fut ni national ni territorial (Allen 1980 : 19). Scheers a postulé l’existence d’au moins six régions indépendantes impliquées dans la fabrication de la première série des philippi (Scheers 1981 : 20, fig. 8, note 10). Elle a identifié en Belgique une influence secondaire qu’elle rattache à un contact maritime direct entre Tarente et la région (elle l’attribué plus précisément à ce qui fut plus tard le territoire des Ambiens) en se basant sur des demi‑statères imités de prototypes tarentains. Des contacts directs de ce type, si on les acceptait, suggéreraient peut‑être des liens commerciaux plus solides que les soldes de mercenaires ou l’« arrosage politique » qu’on propose souvent pour expliquer ces émissions. On ne peut pas, cependant, ignorer totalement ces derniers mécanismes. Les émissions des première et deuxième époques montrent, par la suite, une diversité régionale plus grande. Le poids des émissions ultérieures a tendance à se stabiliser à 7,75 ± 0,25 g (Allen 1980 : fig. 9). Dans certaines régions, ces monnaies vont de pair avec des monnaies en argent. En ce qui concerne le Limousin, le trésor le plus important de ces monnaies en argent dont, on connaisse la provenance –en fait, le seul– est celui de La Souterraine (Creuse) avec ses diverses influences méditerranéennes.

38Ce sont les dernières séries de monnaies, peut‑être en circulation déjà dans les dernières décennies du iie s. av. J.‑C., qui offrent les meilleures preuves des relations entre les sites. Une restructuration de l’économie et le pillage des métaux précieux après la Guerre des Gaules portèrent un coup mortel aux monnaies en or et en argent, bien qu’il ait fallu quelques décennies avant que Rome puisse approvisionner la Gaule en espèces, probablement aux environs de 26 av. J.‑C. (Allen 1980 : 24). Les trouvailles à Alésia indiquent que des monnaies en or, en argent, en bronze frappé et des potins étaient en circulation au milieu du ier s. av. J.‑C., même s’il est évident que ces monnaies n’ont pas été nécessairement toutes perdues au même moment (Nash 1978a : trésor A1). Il est certain que l’utilisation des monnaies en bronze date d’avant la Guerre des Gaules, tout comme celle des potins fiduciaires, mais on s’est intéressé davantage aux dates terminales qu’aux dates d’émission. On considère que les monnaies d’Alésia représentent une première étape (Allen 1980 : 99) et que la majorité des émissions fut réalisée entre la Conquête et l’an 10 av. J.‑C. environ.

39Il est difficile de situer chronologiquement les potins et, à nouveau, il faut fixer leur date d’émission par rapport aux prototypes méditerranéens : les bronzes massaliotes au taureau cornupète (Colbert de Beaulieu 1973 : 321). Les fossés d’Alésia ont fourni de nombreuses variétés, datées aux alentours du milieu du Ier s. av. J.‑C., et il semble que ces monnaies aient eu cours jusqu’au ier s. ap. J.‑C.

40En fait, ce sont les deux derniers types de monnaies –les bronzes et les potins– qu’on trouvait le plus souvent clans les habitats. Par exemple, Levroux a fourni un bronze très usé provenant du munis gallicus (probablement BN 6088 ; Buchsenschutz 1975c : 43). Ce type, généralement attribué aux Carnutes, était largement répandu en Gaule (Fischer 1981 : 191). Fischer a étudié les monnaies provenant des fouilles de Levroux et il semble que les bronzes et les potins circulaient avant la Conquête, même si, personnellement, elle penche pour une date ultérieure. Dans une étude préliminaire de l’habitat des Arènes, Buchsenschutz note déjà une divergence apparente entre les monnaies et le reste du mobilier qui semblait indiquer des parallèles avec La Tène II pour certains objets (Buchsenschutz 1977b : 102). Il est intéressant de noter que le rapport bronzes frappés/ potins est inversé sur la Colline des Tours à Levroux et que ceci pourrait avoir une certaine importance chronologique (Buchsenschutz 1981b : fig. 3). Mais malgré l’apparition précoce d’une grande partie du matériel des Arènes à Levroux, la présence de monnaies de Rome et de Rhoda en Espagne indique nettement que ce site était toujours occupé à l’époque de la Conquête. Buchsenschutz a déjà attiré l’attention sur les potins de La Tène C2/D1 provenant des sites ouverts près du Rhin à Breisach‑Hochstetten et à Bâle‑Usine à gaz (Buchsenschutz 1981b : 332). Même si une telle datation peut se justifier pour ce dernier site au moins, Fischer a indiqué qu’au moins deux des monnaies Catalauni/Remi datent d’après la Conquête car elles sont modelées sur un prototype romain frappé entre 54 et 49 av. J.‑C. Il y a donc des indications nettes que de la petite monnaie circulait dans les décennies précédant la Conquête, avec des ramifications sociales et politiques possibles. Le site de Levroux/Les Arènes a également fourni un fragment de moule à flans qui contenait des traces d’un alliage d’argent, de cuivre et de plomb. La répartition de telles trouvailles, qui ont des parallèles à Aulnat et sur les oppida, suggère que la production ne fut pas limitée aux agglomérations principales (Tournaire 1982).

41Dans l’ensemble, nous avons l’impression que les données numismatiques sont en train de se modifier, en particulier à cause du manque de stratigraphies sûres jusqu’à une période récente. Il semble que l’on va vers un vieillissement généralisé des monnaies, surtout, semble‑t‑il, pour les petites valeurs. Les implications de cette tendance par rapport à l’organisation des habitats sont importantes mais, pour les préciser, il faut davantage de stratigraphies et de quantifications. On peut penser que les ensembles trouvés dans les fossés d’Alésia ont dû exercer une influence excessive dans les datations tardives qu’on attribue à ces monnaies. Les découvertes à Bâle, par exemple, semblent inverser la séquence habituelle des potins (Berger 1981). Néanmoins, il semble que certaines régions n’aient pas participé au développement précoce de monnaies de faible valeur et il se peut que le Limousin, malgré ses ressources minières, en soit un exemple. Cependant, il est possible que d’autres fouilles puissent réfuter cette assertion, bien que le nombre de sites de La Tène III qui n’ont pas fourni de monnaies –même en tenant compte de l’acidité du sol– suggère que l’utilisation des monnaies chez les Lémovices était moins développée que parmi certains de leurs voisins.

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1992

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