2.1 L’étude des minières de silex et les questions soulevées

1L’étude de mines préhistoriques soulève de multiples questions qui peuvent être hiérarchisées en plusieurs niveaux d’analyse, souvent présentés comme contradictoires (l’étude très fine d’un unique puits/l’analyse spatiale d’une minière dans son ensemble). Ces oppositions résultent en réalité des conditions d’étude de tels sites (sauvetages/fouilles programmées) qui imposent des choix drastiques et impliquent de privilégier un ou plusieurs de ces niveaux par rapport aux autres.

2Le niveau d’analyse « intra‑puits» implique l’étude et la compréhension de la morphologie de la structure en surface et en profondeur, des modalités de son creusement (types d’outils en silex, bois de cerf ou autre, et des traces éventuelles qu’ils ont laissées), de l’influence éventuelle du substrat sur sa morphologie, de son fonctionnement, d’aménagements spécifiques (échelles, planchers intermédiaires, étayage, circulation d’air et éclairage), de la gestion des déblais au fond du puits et en surface, du mode de prélèvement du silex, de l’abandon, du comblement (naturel ou anthropique) et de l’évolution morphologique de la structure. Ce type d’analyse implique des méthodes de fouilles spécifiques, avec l’étude fine des stratigraphies et des remplissages, et une vision multi‑directionnelle de l’exploitation souterraine. Un second niveau, « inter‑puits », est défini par l’étude de groupes de structures d’extraction adjacentes permettant la comparaison et l’agencement des unités entre elles, la compréhension du réseau souterrain et des phénomènes de synchronisme ou de diachronisme entre structures, la mise en évidence ou non d’une organisation prédéterminée de l’exploitation. Ce niveau implique l’étude d’un échantillon minimum de structures adjacentes ; les acquis seront d’autant plus pertinents que la zone étudiée sera plus importante.

3La nature des questions posées change quand on passe du groupe de structures à la minière dans son ensemble ; il s’agit de saisir l’évolution de l’exploitation dans l’espace et/ou dans le temps, les modalités de découverte et d’abandon d’un gîte de silex, épuisé ou non, les éventuelles discontinuités spatiales et temporelles dans l’histoire de la minière ; ces notions renvoient, bien sûr, à la chronologie, au problème de la datation précise de ce type de site et de la reconnaissance de la ou des cultures qui l’ont fréquenté. Répondre à ces questions implique évidemment l’étude d’une vaste surface du gisement, la reconnaissance de ses limites et la fouille d’un grand nombre de structures. On peut d’ores et déjà dire que peu de réponses ont été apportées à ces problèmes en Europe dans la mesure où, à part quelques exceptions, l’extension des mines néolithiques est rarement connue et que, d’autre part, peu de fouilles et de programmes sont envisagés à une telle échelle.

4Parallèlement à ces problèmes, l’étude du devenir de la matière première extraite et la caractérisation des productions réalisées constituent un second volet tout aussi indispensable ; il s’agit de déterminer quelles grandes phases technologiques sont représentées sur la minière, s’il y a évolution ou non des chaînes opératoires dans le temps et dans l’espace, comment était gérée et diffusée cette matière première, sous une forme blute, semi‑finie et/ou d’objets achevés. L’étude de la diffusion du silex sous une de ces formes passe aussi par sa caractérisation précise et sa distinction d’autres gisements. La précision des réponses à ces différentes questions dépend, bien entendu, de la finesse de l’enregistrement des données de fouille ; les études de diffusion dépendent d’un état des connaissances locales et régionales, indépendant dans un premier temps de la définition d’une problématique intra‑site.

5Si l’on cherche enfin à restituer la minière dans son cadre local et régional, on aborde alors d’autres types de problèmes comportant, d’une part, tous les aspects sociaux et culturels soulevés par ce type d’exploitation et, d’autre part, concernant les stratégies d’approvisionnement en matière première des populations néolithiques. On pose alors une série de questions difficilement maîtrisables : peut‑on estimer le nombre de mineurs ayant travaillé simultanément dans un puits ? Sur la minière ? Existe‑t‑il un habitat où vivait une population (ou une partie) très spécialisée, ou au contraire de nombreux villages venaient‑ils s’approvisionner en matière première, chacun disposant d’une sorte de « concession » ? S’il y avait spécialisation, l’extraction du silex était‑elle une activité permanente, ou seulement saisonnière ? Des minières très proches fonctionnaient‑elles simultanément, ou successivement ? Sous quelle forme, comment et jusqu’où circulait le silex ? Les réponses qu’on est parfois tenté d’apporter relèvent de constructions intellectuelles osées, voire de spéculations gratuites qui doivent être maniées avec infiniment de précautions. Elles supposent d’autre part un niveau de connaissances régionales rarement atteint.

6L’étude d’une minière nécessite, peut‑être plus que dans tout autre domaine, de connaître les expériences antérieures et d’en tirer parti pour mener à bien une recherche. La documentation actuellement disponible en France est très restreinte, et c’est surtout hors de nos frontières, en particulier vers l’Europe de l’Est, qu’il a fallu se tourner pour trouver des éléments de comparaison.

2.2 Un état de la question

2.2.1 Un certain retard de la recherche en France

7Bien que les plus anciennes découvertes de minières en France remontent au xix^e s., il faut constater que leur étude ne fait pas partie des axes prioritaires de la recherche archéologique française, ce qui se traduit par un nombre très faible d’opérations de fouilles, d’études et de publications sur le sujet.

8Une étude rapide réalisée à partir de la publication de Bochum (Weisgerber 1980) et du travail de P. Soulier (Soulier 1971), montre que peu de gisements ont fait l’objet d’études précises jusqu’en 1980. Cet inventaire est délibérément partiel : notre but, dans le cadre de cette publication, n’est pas de faire un recensement des potentialités du territoire français en gisements miniers. Seuls les sites ayant donné lieu à une publication un peu détaillée, témoignant de la réalisation d’un travail minimum sur ces gisements, ont été retenus. Des renseignements tels que ceux donnés par Leclerc (Leclerc 1941) n’ont pas été retenus ; ce type d’information, que l’on citera à titre d’exemple, reste beaucoup trop vague et incertain : « On a remarqué dans la localité des vestiges d’un théâtre romain, les traces de 60 puits sur une longueur d’un kilomètre et disposés sur deux lignes distantes d’environ 50 m ; dans ces puits, on a recueilli des bois de cerf, des haches en silex, des monnaies romaines » (Leclerc 1941). De tels « sites » ne peuvent être pris sérieusement en considération ; R. Agache faisait déjà remarquer en 1959 que certaines informations devaient être considérées avec précaution, l’existence d’une mine étant parfois affirmée à partir de simples découvertes de surface (Agache 1959 : 556).

9Le tableau réalisé à partir de ces données (fig. 4) montre nettement l’ancienneté des recherches françaises dans le domaine. Un retour rapide dans bon nombre d’articles anciens (Boule 1887 ; Fouju 1891 ; etc.) a permis de constater que les illustrations figurant dans le catalogue de Bochum (Weisgerber 1980) sont celles des publications anciennes ; aucune documentation nouvelle n’est disponible depuis ! Il indique aussi que la majorité des sites français ont été repérés dans le cadre de travaux ou d’exploitation de carrières. Le plus souvent, seules des observations rapides avant destruction ont été faites ; quelques relevés ou photographies complètent parfois la documentation. Malgré tout, quelques auteurs, sans pouvoir apporter de réponses précises, soulevaient déjà des problèmes importants comme ceux de la sécurité (Boule 1887 : 10) ou celui des remplissages (Fouju 1891 : 452) et formulaient des remarques tout à fait pertinentes sur des questions telles que les types de traces sur les parois (Fouju 1891 : 452), ou l’organisation de l’espace (Cousset 1910).

10Le renouveau d’intérêt en France pour les sites miniers est marqué par les travaux de C. Guillaume à Saint‑Mihiel, à partir de 1974. La minière, étendue sur 6 ha, a été appréhendée dans son ensemble, et reconnue grâce à des méthodes de détection géo‑physiques. Le travail de J. Desloges à Bretteville‑le‑Rabet (Desloges 1986) marque une rupture dans la tradition des fouilles de minières en France : en effet, au-delà d’une simple reconnaissance des formes, les problèmes de la rentabilité des structures d’extraction, des modes de remplissage, des relations inter‑structures y ont été largement abordés. Le puits n’est plus considéré comme une entité mais comme un élément d’un système technique complexe. Ce renouveau d’intérêt s’est illustré par des travaux encore isolés (reprise de l’étude de Nointel par P. Romenteau, travaux de C. Cupillard), souvent en contexte de sauvetage 0ablines en 1981) ; il s’est imposé brutalement à l’occasion des grands travaux de la fin des années 90, sous l’emprise de l’autoroute A5 (Labriffe 1990 ; Mendoza, Hascoët 1990 ; Hascoët, Mendoza 1991) et du TGV : les minières y sont appréhendées dans leur globalité, voire dans un contexte régional (notion de « complexe minier » sur laquelle on reviendra) et, pour la première fois, l’ampleur des moyens d’étude et de sauvetage est au niveau de l’importance des destructions prévues.

2.2.2 L’étude des minières de silex en Europe

11Le retard certain des études archéologiques sur les sites néolithiques miniers en France implique la recherche de références et de comparaisons dans les pays voisins. Il ne s’agit pas ici de dresser un tableau comparatif des recherches sur les mines néolithiques de silex en Europe, mais de tenter de montrer comment les problèmes inhérents à ces sites sont abordés, à l’aide de quelques exemples.

12Les minières dont les limites sont connues ou partiellement connues sont assez nombreuses. Certaines sont toujours visibles dans la topographie, les puits d’accès n’étant pas totalement comblés et les couronnes de déblais non totalement érodées ; c’est le cas de plusieurs minières anglaises, dont la plus connue est Grime’s Grave (Greenwell 1870 ; Mercer 1976 ; Sieveking 1980), mais aussi Harrow Hill (Sheperd 1980) et Windover Hill (Curwen 1928 ; Sheperd 1980) ; une grande partie de la documentation est ancienne et à utiliser avec précaution ; d’autre part l’analyse spatiale de ces minières reste à faire.

13L’extension d’autres minières européennes est relativement bien cernée ; c’est le cas du complexe minier de Spiennes en Belgique (Hubert 1978, 1988 ; Gosselin 1986) reconnu dans une tranchée de chemin de fer, par photographie aérienne et par prospection de surface. Le système d’exploitation souterrain est partiellement reconnu, en partie par des fouilles anciennes. Une approche très originale du système d’exploitation souterrain a été mise en œuvre à Rijckholt ‑St. Geertruid, aux Pays Bas (Bosch, Felder 1990) : le réseau a en effet été exploré et étudié, non pas à partir de la surface ou d’un puits d’accès néolithique, mais au moyen d’un tunnel artificiel, foré horizontalement au niveau de l’extraction du banc de silex ; ce système, lourd à mettre en œuvre, a permis l’économie de la fouille de nombreux puits d’accès profonds de 6 à 16 m et une étude d’une vaste surface de l’exploitation souterraine ; ce tunnel est enfin utilisé dans un but muséographique et pédagogique.

14La reconnaissance de l’extension de minières de silex s’est également effectuée en contexte de sauvetage, comme à Kvarbny‑Sallerlip en Suède (Olausson et al. 1980 ; Rudebeck 1987), où une grande partie d’une mine a été reconnue et fouillée dans une carrière de craie ; à Arnhofen en RFA (Engelhardt 1988), le site compte près de 18 000 structures d’extraction du silex ; celles aujourd’hui reconnues sont des puits verticaux d’extraction, sans exploitation souterraine. A Aachen Lousberg (Weiner, Weisberger 1980), également en RFA, une exploitation à ciel ouvert a été reconnue dans son intégralité : l’exploitation du silex, se faisant en front de carrière, a pratiquement totalement arasé la colline. Dans d’autres cas enfin, c’est à la suite de décapages archéologiques extensifs que les minières ont été reconnues comme en URSS, à Krasne Sielo (485 puits, dont 155 fouillés) et à Karpovcy (180 puits dont 31 fouillés) (Gurina 1976).

15Les recherches polonaises dans le domaine des minières de silex doivent être spécialement mentionnées, par leur ancienneté et leur acuité. La quasi‑totalité des gîtes a été recensée sur l’ensemble du territoire, et les programmes ; de recherche se sont succédé sur les gisements du chocolate flint (Schild 1976, 1987 ; Lech 1980 ; Chmielewska 1988), du jurassic Cracöw flint (Lech 1975, 1980) et du striped flint (Borkowski et al. 1989 ; Migal 1990 ; Babel 1990 ; Borkowski 1990). Seule la minière très importante de Swieciechow‑Lasek (grey white‑spoted flint) n’a pas fait pour le moment l’objet de recherches poussées, bien que ses productions et leur diffusion soient par contre bien connues et étudiées (la matière première étant très caractéristique). Le silex zoné (striped flint) est exploité par une série de minières, dont la mieux étudiée est celle de Krzemionki. Cette mine est exceptionnelle à plus d’un titre et mérite une mention spéciale. Découverte dans les années 1920 à la suite de la mise en culture d’une zone boisée, elle a pu être classée comme réserve archéologique très tôt. Une équipe du musée archéologique de Varsovie est aujourd’hui détachée à l’étude du site. L’extension de la minière est intégralement reconnue, et 2 500 des 2 800 entrées de puits sont toujours visibles en surface ; les couronnes de déblais, les ateliers de taille sont préservés ; les questions les plus pointues peuvent donc être abordées (l’organisation du travail, la gestion des déblais au fond des mines, etc.), sur un site très bien conservé, sans qu’une menace de destruction pèse à plus ou moins long terme sur le gisement.

2.3 Problématique et méthodologie adoptées à Jablines

16L’avantage majeur a priori du sauvetage de Jablines était, paradoxalement, la très grande taille de la zone menacée, susceptible de permettre une étude extensive peu courante pour ce type de gisement. A contrario, le handicap de départ résidait dans la rareté des fouilles, en France, sur les sites miniers, particulièrement en contexte de sauvetage. Toutes les expériences acquises en ce domaine ont bien évidemment été sollicitées, dont celles de J. Desloges, C. Guillaume, P. Soulier, et de F. Hubelt et F. Gosselin, plusieurs mois avant les travaux. De même, la visite en septembre 1989 du professeur polonais]. Lech, spécialiste de l’archéologie minière d’Europe centrale, et surtout la possibilité qu’il a offerte à deux d’entre nous d’effectuer un stage de dix jours en Pologne (concrétisé un peu tardivement, en juin 1990) ont largement permis une meilleure maîtrise des données techniques et méthodologiques nécessitées par ce type de sauvetage.

2.3.1 Le tracé

17Le premier choix a dû être effectué bien avant le début de la fouille puisque le projet TGV proposait localement deux tracés. La variante A ne faisait apparemment qu’écorner la minière dans sa partie nord ; mais elle impliquait une rectification du chemin départemental 145, ce qui augmentait énormément la superficie détruite et morcelait le gisement. La variante B traversait de part en part le site avec une emprise au sol plus large, mais n’entraînait pas de travaux annexes. La variante B a semblé préférable parce qu’elle constituait un transect total à travers la minière, et qu’elle était en fin de compte moins destructrice pour le gisement. Son choix final résulte d’une convergence de vues (quoique les motivations soient évidemment très différentes) entre archéologues, élus des communes concernées, agriculteurs et SNCF. On signalera simplement que le projet de déviation qui avait motivé la fouille de 1981 n’est pas abandonné, mais a été modifié et devrait passer parallèlement au TGV, côté ouest, ce qui amputerait une nouvelle fois le site.

2.3.2 Ampleur du décapage

18Le premier objectif de la fouille était de trouver les limites du site sur le transect concerné. Bien que les photographies aériennes de 1987 donnent une bonne image de l’importance du gisement, certaines zones d’ombre existaient sur son extension réelle, en particulier au sud, où une parcelle plantée différemment et un taillis occultaient la lisibilité des structures. Sur ces mêmes photographies, des zones vides de structures apparaissaient nettement ; deux d’entre elles étaient localisées sur l’emprise ; il fallait comprendre ces espaces vides et caractériser leurs fonctions éventuelles.

19Pour répondre à ces questions, la totalité de l’emprise a fait l’objet d’un décapage archéologique à la pelle mécanique (fig. 5a) ; le décapage a été suivi de manière constante et nettoyé au fur et à mesure (fig. 5b). On doit répéter que, comme la lisibilité des structures et leur repérage dépendent très largement de cette phase du travail (où l’habileté et la motivation du conducteur de la pelle joue également), la présence d’archéologues est alors fondamentale. La pelle était très puissante (pelle de type Poclain 220, munie d’un godet de 3,5 m³, et trois dumpers pour évacuer les terres), et les cinq personnes présentes tout à fait nécessaires. Au fur et à mesure de leur mise au jour, les structures ont été numérotées de 1 à n. Bien que la suggestion de J. Desloges de réserver une zone à décaper manuellement semblait a priori intéressante pour estimer la quantité de matériel perdu dans les labours et au décapage, elle n’a pas pu être retenue dans la mesure où sa réalisation aurait constitué un investissement de temps trop lourd dans un contexte de sauvetage. Le suivi constant de la pelle a permis une intervention rapide dès qu’apparaissaient les structures, en particulier les amas de débitage ; le godet n’a retiré que la partie supérieure de la terre végétale, le reste ayant été nettoyé manuellement. L’épaisseur de la terre enlevée varie entre 0,3 m au nord et 0,5 m au sud. On peut ainsi affirmer que la pelle n’a pas détruit d’éventuels ateliers de taille qui auraient pu être conservés dans la moitié sud du transect. Le décapage d’une superficie de 3 ha a duré 13 jours entiers.

2.3.3 Géologie des formations siliceuses

20Un autre objectif était d’effectuer une reconnaissance géologique précise du calcaire de Saint‑Ouen et des formations siliceuses qu’il contient. Il s’agissait d’inventorier les différents bancs de silex, leur profondeur, leur épaisseur, leur qualité, et de déterminer ceux qui avaient été exploités par les mineurs néolithiques. Compte tenu de la longueur du site, il était important de comprendre si les bancs étaient ou non continus et, de ce fait, de savoir si le (ou les) banc(s) exploitées) au nord était le(s) même(s) que celui (ou ceux) exploitées) au sud. Aussi, un ensemble de six sondages géologiques ponctuels (sur 10 à 15 m de long) a été réalisé après le décapage, d’une profondeur variant de 3,5 m à 7 m, et régulièrement espacés sur l’emprise (fig. 6). Dans un second temps, et compte tenu des problèmes de raccords entre les différentes stratigraphies relevées, une tranchée quasi continue sur toute la longueur a été réalisée sur une profondeur variant de 3,5 m à 7 m (fig. 6) ; deux transversales ont été faites dans les zones vides. Ces tranchées ont été réalisées début juillet 1990, après la prise de plusieurs couvertures aériennes du chantier.

2.3.4 Échantillonnage

21Compte tenu du nombre de structures découvertes au décapage (plus de 1200 numéros attribués), et malgré la durée du sauvetage, il était évident que leur totalité ne pourrait pas être étudiée. Il a donc fallu procéder à des choix draconiens quant à l’organisation de la fouille. Le plan général des structures a été réalisé en priorité pour sélectionner les structures à fouiller non pas arbitrairement mais en fonction de critères morphologiques précis (fig. h.t. IIa) : dimensions à l’ouverture, type de remplissage, position sur le décapage ; en effet, dès le décapage achevé, il était évident que les parties nord et sud s’opposaient nettement ; au nord les structures sont de petites dimensions à l’ouverture (1,5 m de diamètre), avec un remplissage final limoneux, et sont groupées dans l’espace en concentrations séparées par de larges zones vides. Dans ce secteur aussi une dizaine d’ateliers de taille étaient conservés. Au sud, les puits avaient des dimensions plus grandes à l’ouverture (presque toujours plus de 3 m), avec un remplissage constitué le plus souvent d’une couronne limoneuse entourant un sédiment calcaire parfois de couleur légèrement grisâtre. Ces structures étaient implantées de façon assez systématique dans l’espace, la distance de centre à centre étant d’environ 6 m. Une zone intermédiaire (carrés 13 à 15), présentant des recoupements entre puits, retenait aussi notre attention puisqu’elle laissait entrevoir une possibilité d’étude de structures diachroniques. Les structures proches des zones vides devaient aussi être testées parce qu’elles pouvaient donner des informations sur la rupture de l’exploitation. Si la fouille de structures sur toute la surface apparaissait comme une nécessité pour pouvoir appréhender une analyse spatiale, il était tout aussi fondamental de ne pas choisir aléatoirement notre échantillon et de fouiller des structures proches les unes des autres pour comprendre l’organisation de l’exploitation en profondeur, et voir s’il existait des relations ou des passages entre les espaces exploités.

22Il fut donc décidé de fouiller dix groupes d’une dizaine de puits chacun, espacés régulièrement sur le transect. Ce nombre constituait un échantillon de 10 % puisque l’estimation initiale du nombre de puits, d’après les photographies aériennes, était d’environ 1 000. Les observations faites sur ces structures totalement fouillées devaient être complétées en fin de chantier par des vérifications à la pelle mécanique. La réalité a été un peu différente puisque l’estimation du temps de fouille avait été faite, à partir de l’expérience de 1981, sur des structures de 2 m de profondeur, alors que celles rencontrées au sud dépassaient 7 m. Le temps de fouille d’une structure s’est donc trouvé considérablement augmenté ; d’autre part, de considérables problèmes de sécurité sont apparus (cf. infra). Nous avons donc dû aménager les choix de départ : les deux groupes les plus méridionaux, constitués des structures les plus profondes, ont été réduits. Le groupe initialement prévu autour des structures 776 et 778 a été rapidement abandonné dans la mesure où les types de structures étaient comparables aux structures 894‑955 ; celui autour des structures 1061, 1110 et 1111 a été divisé par trois. Ainsi, sur les 766 puits relevés, 58 ont été fouillés manuellement (8 %). La seconde modification du programme a été l’abandon du système de vérification à la pelle mécanique, celle‑ci s’étant révélée totalement inefficace du fait de la nature du substrat géologique, où existe un banc de calcaire dur : la pelle, pour traverser ce banc de calcaire, devait donner des coups de godets répétés et puissants qui entraînaient presque systématiquement l’effondrement des coupes. Par ailleurs, l’expérience a montré qu’une coupe ne donnait pas d’indications sur le type d’exploitation. Ainsi, un grand nombre de puits ont été coupés par la tranchée géologique, mais seules huit coupes ont été relevées précisément.

2.3.5 Les autres structures du site

23D’autres structures sont apparues au décapage. Parmi les dix amas de débitage conservés dans des lambeaux de niveaux en place, il fut décidé de n’en fouiller qu’un seul (str. 148), mais de manière assez fine pour permettre une étude lithique un peu plus poussée par la suite. De nombreux trous de poteaux ont été relevés ; ils étaient concentrés en deux ensembles distincts : le premier dans la grande zone vide (carrés 8 à 10) a été traité partiellement ; le second, dans la partie sud du décapage, a été délaissé dès le départ, car les poteaux, d’une part recoupaient systématiquement les structures d’extraction et leur étaient donc postérieurs et, d’autre part, ne formaient pas d’ensembles cohérents. L’existence de structures annexes (chèvres de levage, couvertures des puits d’accès) que nous avions cm discerner au début du sauvetage n’a donc pas été confirmée. A la suite de la découverte inattendue d’une sépulture campaniforme (str. 1060, cf. annexe 1), cinq taches allongées morphologiquement et spatialement proches ont été testées sans résultats.

2.3.6 Méthodes de fouille

24L’implantation des puits à fouiller permettait d’aborder le troisième aspect important des recherches à effectuer sur la minière, qui concerne la détermination des types de structures d’exploitation du silex et l’analyse de leurs variabilités. L’étude des comblements étant indispensable pour comprendre le fonctionnement de chaque structure, puis de chaque groupe, chaque puits a donc été fouillé par moitié (excepté les deux premiers qui ont servi de test et dans lesquels aucune coupe n’a été relevée), les coupes ainsi préparées ont fait l’objet d’un relevé interprétatif systématique ; on savait a priori que le positionnement d’une seule coupe stratigraphique dans un type de structure aussi particulier pouvait être aléatoire, dans la mesure où la coupe pouvait ne pas rendre compte des développements souterrains de la structure. Les délais impartis ne permettaient malheureusement pas de multiplier les sections. Enfin, nous avons opté pour un enregistrement photographique systématique des structures (noir et blanc, couleur).

25Si, dans le cas des structures de la moitié nord, les relevés ont pu être faits d’un seul tenant, zone d’exploitation comprise, de nombreux problèmes se sont posés dans la zone sud. En effet, les puits, de plus en plus profonds (de 4 à 7 m), traversaient des sédiments peu compacts (marnes litées et blocs calcaires fracturés) qui étaient totalement déstabilisés du fait de l’exploitation néolithique. Il a semblé préférable, pour des raisons de sécurité, de fouiller en premier lieu le puits d’accès, toujours en ménageant une coupe, et ensuite de fouiller les galeries les unes après les autres. Cependant, cette méthode n’était pas des plus rentables puisqu’elle mobilisait une ou deux personnes pour la surveillance d’éventuels mouvements de terrains. Par ailleurs, la fouille des galeries nécessitait obligatoirement l’utilisation de très nombreux étais (fig. 7) qui rendaient pratiquement impossible la circulation des fouilleurs. Cette incommodité dans le travail entraînait une perte de précision dans l’étude et demandait un temps de fouille que nous avons estimé eau coup trop long (deux mois en moyenne). Par ailleurs, la formation de fontis a empêché de terminer l’exploration de certaines galeries. Il était donc nécessaire de trouver rapidement un système efficace permettant une fouille complète et sans risque de ces structures.

2.3.7 La technique du décaissement

26La solution retenue a consisté à faire disparaître tout le sédiment encaissant jusqu’au niveau du toit des galeries, ce qui permettait presque une fouille à ciel ouvert. Il fût décidé de décaisser à la pelle mécanique la totalité du substrat calcaire où s’inscrivait un groupe de sept structures d’extraction (fig. 8) ; les puits d’accès avaient préalablement été fouillés jusqu’au niveau du banc de calcaire dur, leur fouille reprenant après le décaissement. Après cette expérience, un second décaissement fut réalisé (fig. 9), en supprimant cette fois le banc de calcaire dur pour réduire encore le poids supporté par le toit des galeries. Les puits d’accès verticaux avaient été entièrement vidés. Si la première méthode offrait l’avantage certain de ne pas devoir revider les fonds de puits après le décaissement, elle posait quelques problèmes de raccords stratigraphiques ; alors que, dans le second cas, les repères d’axe et d’orientation du système de relevé en trois dimensions (cf. infra) étaient fixés une fois pour toutes, ce qui minimisait les risques d’erreurs. Le bilan de cette expérience méthodologique nous semble très positif : la fouille de la totalité des galeries d’exploitation dans de très bonnes conditions de sécurité, l’enregistrement optimum des données de terrain (photographies, relevés tri‑dimensionnels, étude facilitée des remplissages), la mise en évidence spectaculaire et pédagogique, sur le terrain, de l’exploitation souterraine du silex sont les principaux éléments du bilan de cette méthode de fouille ; son seul inconvénient étant, en fin de compte, son coût.

2.3.8 Le système de relevé en trois dimensions

27Compte tenu de la stratégie de fouille adoptée, il était important de disposer d’un outil visualisant le volume des structures, les relations entre elles, l’extension en profondeur de l’exploitation, ses différentes formes, son développement et, d’autre part, de pouvoir estimer le volume de matière première extraite ainsi que celui des stériles ; ces calculs permettaient d’estimer la rentabilité des structures et de les comparer. Aussi, en nous inspirant des rendus graphiques de Bretteville‑le‑Rabet (Desloges 1986) et sur une idée de départ d’A. Bulard, l’équipe de Jablines a conçu et réalisé un système de relevé en trois dimensions (fig. 10). Il se compose d’un axe vertical positionné en X et Y par rapport au carroyage et comprend plusieurs éléments emboîtables de 2 m chacun. Sur cet axe, coulisse un plateau circulaire portant des graduations (tous les 10 grades). Les distances entre le bord du puits et l’axe central sont plis es pour chaque graduation, ces points constituant une courbe de niveau. La première courbe correspond au sommet du puits et est cotée en NGF. Le plateau est ensuite descendu régulièrement tous les 0,2 m jusqu’au fond du puits. Dans le cas de galeries aux formes accidentées, il a été néanmoins nécessaire de compléter le relevé à la machine par des mesures complémentaires.

28Par la suite, et grâce à une adaptation du logiciel Excel (utilisé sur Macintosh SE 30) conçue par L. Laporte (cf. annexe 2), des images volumétriques verticales ou obliques des structures d’extraction ont pu être créées.

2.3.9 Les types de production

29L’objectif suivant était de comprendre quel(s) type(s) de production(s) pouvai(en)t caractériser la minière de Jablines et de voir si une évolution était perceptible d’un secteur à l’autre. Pour cela, il était nécessaire de collecter la totalité des produits lithiques provenant des structures d’extraction. Ce matériel a été prélevé par couche archéologique et non pas en passes arbitraires afin d’essayer de comprendre si la position dans la structure représentait une réalité technologique, et si sa présence pouvait aider à la compréhension du fonctionnement de la mine. Les blocs non débités ont été conservés par puits pour faire, d’une part, une estimation du volume de matière première rejetée pouvant compléter les calculs de rentabilité et, d’autre part, pour tenter de saisir les premiers traitements et les premiers choix réalisés sur la matière brute.

2.3.10 Datation

30Le dernier objectif réside bien évidemment dans la question de la datation de ce site et de son attribution culturelle. Compte tenu des expériences similaires en France et en Europe, il était clair qu’a priori, il ne fallait pas s’attendre à pouvoir dater les structures d’exil‑action par des « fossiles directeurs », quelle que soit leur nature. Le programme de sauvetage devait donc nécessairement prévoir une série importante de datations absolues I4C, qui avait été estimée à une vingtaine d’échantillons. Ces datations ont été confiées au laboratoire polonais de Gliwice, pour des raisons qui seront expliquées au paragraphe 7.2.1.