Jablines Le Haut Château (Seine-et-Marne)
| ,Chapitre 1. Présentation générale
Texte intégral
1.1 Localisation géographique et géologique
1A une cinquantaine de kilomètres à l’est de l’agglomération parisienne, dans le nord du département de Seine‑et‑Marne, la Marne décrit une succession de larges méandres, encaissés de 50 m à 100 m dans les dépôts sédimentaires tertiaires du Bassin parisien (fig. 1). Entre les villes de Meaux et de Lagny, la rivière a tracé un très large et double méandre, à l’intérieur duquel se localise le petit village de Jablines. Au rétrécissement maximum du méandre, le pédoncule dit de Chalifelt, bien connu des géologues (le creusement d’un tunnel du chemin de fer au xixe s. permit d’y mettre en évidence un changement de faciès dans le Ludien, gypseux au nord et calcaire au sud), domine une vaste terrasse alluviale presque totalement exploitée aujourd’hui par les extractions modernes de sables et de graviers. Ce pédoncule, large de quelques dizaines de mètres seulement dans sa partie la plus étroite, s’élargit au nord en formant un petit plateau ; celui‑ci domine d’une trentaine de mètres la vallée de la Marne à l’ouest, et l’ancienne vallée du Grand Morin à l’est (cette rivière a subi un phénomène de capture, quelques kilomètres en amont, à hauteur d’Esbly), mais se distingue mal des terrasses alluviales de la Marne au nord : l’altitude décroît lentement de 75 m à 55 m.

FIG. 1 – Localisation géographique de la minière de silex de Jablines (*) et des sites néolithiques voisins mentionnés dans le texte. 1 Fresnes/Marne ; 2 Jablines, Pente de Croupeton ; 3 Dampmart, le Champ Breton ; 4 Jablines, Platry ; 5 Isles‑les‑Villenoy, les Pendants.
2Ce petit promontoire, au lieu‑dit Le Haut Château, est constitué d’un affleurement marno‑calcaire de Saint‑Ouen. Les formations laguno‑lacustres du Bartonien moyen, dont la puissance ne dépasse pas localement 10 m, sont constituées d’une alternance de marnes, de calcaires marneux et de bancs calcaires ; plusieurs niveaux de silicification s’y sont développés sur 10 cm à 15 cm d’épaisseur, sous la forme de rognons, de plaquettes ou de bancs quasi continus. La mise en évidence sur le promontoire du Haut Château de ces bancs de silex, par l’encaissement du réseau hydrographique et par le dégagement d’une surface d’érosion de quelques dizaines d’hectares, a eu pour conséquence une fréquentation sans doute précoce des lieux par les populations préhistoriques, à la recherche de gîtes à silex de bonne qualité. Mais l’exploitation systématique du gîte du Haut Château ne date que du Néolithique.
1.2 Historique des recherches
3Le site du Haut Château fut repéré au tout début du xxe s., notamment en 1904 par Duttenhofer et Reynier qui n’ont pas publié leurs découvertes (Reynier a laissé des notes et des documents inédits), et par Martin et Hue, qui présentèrent leurs travaux à la Se session du Congrès préhistorique de France à Beauvais en 1909 (Martin, Hue 1909). Ils y proposent une typologie détaillée : l’abondance des haches taillées, l’existence de hachettes à polissage partiel, l’absence de tranchets et de céramiques en firent par la suite le site éponyme (le Jablinien) d’une industrie représentant « l’aube du polissage » et s’intercalant chronologiquement entre le « Robenhausien » et le « Campignien » (Hue 1929), Deux ateliers étaient à cette époque distingués : La Remise du Haut Château et Le Haut Château, séparé du premier par une zone moins riche mais non stérile.
4Entre les deux guerres, A. Cabrol et H. Lamarre publièrent quelques pièces de technique Levallois, à patine blanche très profonde, qu’ils identifièrent comme moustériennes (Cabrol, Lamarre 1927) ; puis ils publièrent l’atelier du Haut Château (Cabrol, Lamarre 1929). La présence de tranchets et de disques, l’absence de pièces polies et de poterie leur font attribuer cet atelier au Campignien.
5Plus récemment, cette opposition entre le Haut Château campignien et La Remise du Haut Château néolithique était reprise par S. Arnette (Arnette 1961). En 1969, R. Daniel propose une nouvelle typologie, commune aux deux ateliers, à partir de ses propres recherches (Daniel 1969) ; contestant les termes de « jablinien » et « d’aube du polissage », il présente Jablines comme une « station‑atelier de technique campignienne » probablement assez récente. Enfin, H. Roche a étudié en 1971 deux collections provenant des deux ateliers et conservées au musée de Lagny (Roche 1973), Comme R. Daniel, elle considérait un seul et unique gisement‑atelier typologiquement attribuable au post‑campignien de Nougier, remarquait le caractère hasardeux de telles classifications et soulignait le problème crucial de la méconnaissance de la position chronologique de Jablines.
6Si tous ces auteurs ont souligné les caractères d’atelier de taille du gisement, les typologies élaborées ne pouvaient que rendre compte du caractère partiel, et sélectionné par les ramassages, de la documentation. Pendant près d’un siècle, aucun chercheur n’a tenté de connaître, et la nature exacte, et la datation du gisement du Haut Château ; seul, G. Bailloud tenta infructueusement de recueillir par sondage des éléments de datation (Arnette 1961). Enfin, aucun des auteurs ne s’est interrogé sur la façon dont les Néolithiques se procuraient la matière première.
7L’identification de la véritable nature du site ne date que de 1979‑1981, du fait d’une fouille de sauvetage de la Direction des Antiquités préhistoriques d’Ile‑de‑France (Bulard et al. 1986), suscitée par un projet de déviation routière du village de Jablines. A la suite de sept sondages de 1 à 2 m2, un décapage mécanique de 1200 m2 fut effectué, mettant en évidence une quarantaine d’anomalies (fig. 2). La zone étudiée fut limitée à environ 250 m2 et à 6 des 15 structures qui y apparaissaient, en particulier deux puits de 2,3 m de profondeur pour 1,3 à 1,5 m de diamètre (str. 3 et 11), la seconde rejoignant par une galerie une structure plus complexe (str. 2) atteignant la même profondeur. La mise en évidence de structures d’extraction liées à une activité de taille sur les lieux mêmes, corrélée aux données des prospections de surface, laissait supposer l’importance et l’étendue de ce site minier.

FIG. 2 – Localisation des décapages de 1981 (au nord) et 1989 et des tranchées réalisées lors de la phase prospection (traits épais) ; en grisé : extension de la minière, définie à partir des prospections pédestres et aériennes.
8L’hiver suivant, à la suite d’un labour particulièrement profond, de nombreuses taches blanchâtres apparurent sur une grande partie de la parcelle. Interprétées comme la remontée des bouchons calcaires des puits par la charrue, ces anomalies ont été relevées et cartographiées par la direction des Antiquités préhistoriques (Bulard et al. 1986, fig. 16, 69), Mais c’est surtout en juillet 1987 que l’extension de la minière a pu être fixée très spectaculairement ; au cours d’une des missions de la prospection archéologique aérienne systématique de la basse vallée de la Marne (prospection Paul Brunet, Cécile Charpentier et Yves Lanchon), de très nombreuses têtes de puits apparurent sous la forme de points verts dans les blés mürissants (fig. 3), sur plus de quinze hectares. Leur organisation a parfois pu être fixée : ainsi, quatre zones apparemment vides de puits étaient mises en évidence. La photo‑interprétation, qui aurait pu s’avérer délicate dans un autre cas, a été évidemment facilitée par l’identification préalable de la nature du site. Enfin, ces photographies obliques ont été fort opportunément complétées par une mission verticale réalisée par l’IGN à la fin du mois de juillet 1987. Son étude par les prospecteurs a montré que la minière avait également été fixée sur ce cliché vertical, qui se révéla être un très efficace instrument de travail lors du montage du dossier administratif et scientifique.

FIG. 3 – Photographie aérienne de la minière de Jablines. Chaque point sombre correspond à l’entrée d’un puits
photo Brunet, Charpentier, Lanchon, 1986/AFAN
1.3 Le cadre du sauvetage archéologique
1.3.1 Le projet Interconnexion des TGV
9Le projet d’une ligne nouvelle pour les Trains à Grande Vitesse Paris/Nord de la France, et d’une Interconnexion avec la voie déjà construite du TGV Sud‑Est par l’est de la région parisienne a fait l’objet d’une très importante opération de sauvetage archéologique avant les travaux, à la suite d’une concertation et d’une collaboration avec la SNCF qu’on ne détaillera pas ici (Blanchet, Talon 1989). L’étude d’impact de l’interconnexion des TGV, soumise à enquête publique en octobre 1988, prenait en compte les sites archéologiques menacés par le tracé, et déjà répertoriés dans les fichiers des directions des Antiquités d’Ile‑de‑France. Cette étude d’impact archéologique soulignait en particulier, à partir des données et documents mentionnés précédemment, la grande importance scientifique du site du Haut Château. Le tracé de la ligne nouvelle ne pouvait être déplacé, car il était soumis à des impératifs techniques très stricts (passage fixé dans le futur parc de loisirs très proche d’Eurodisneyland ; proximité des villages de Chalifert, Lesches et Jablines ; configuration du terrain ; enfin, impossibilité d’effectuer pour un TGV des courbes à petit rayon). La direction des Antiquités préhistoriques d’Ile‑de‑France s’est alors attachée à monter un projet de sauvetage de grande ampleur, projet intégré par la suite dans la convention‑cadre passée entre la SNCF et le ministère de la Culture. Parallèlement, une procédure d’inscription au titre des Monuments historiques a été enclenchée pour le reste du gisement.
1.3.2 La phase de prospection
10Au cours de la phase de prospection et de diagnostic de cette opération « TGV Nord et Interconnexion », il fut décidé par l’équipe d’Ile‑de‑France, en accord avec la direction des Antiquités, de ne pas réaliser de sondages sur le site du Haut Château ; celui‑ci, dont la nature et l’extension semblaient suffisamment cernées, aurait été inutilement mutilé. Par contre, des tranchées de sondage furent effectuées dans les parcelles immédiatement adjacentes, au nord‑est du gisement ; il s’agissait de localiser, non pas l’extension du gisement, mais d’éventuels habitats néolithiques en relation directe avec l’activité minière. Ces sondages ont été négatifs. On peut a posteriori s’interroger sur la fiabilité de tranchées étroites (précisons qu’il s’agissait d’une obligation, compte tenu des conditions de prospection, des conventions passées avec les organisations agricoles et des procédures d’indemnisation) : on peut en effet constater (fig. 2) que la tranchée méridionale de 100 m de long aurait pu être prolongée de la même longueur sur le décapage sans rencontrer de structures.
1.3.3 Le sauvetage archéologique
11Le site du Haut Château à Jablines est répertorié à la direction des Antiquités d’Ile‑de‑France sous le numéro d’inventaire 77.234.004 A.p.
12Il se localise aux coordonnées Lambert suivantes :
carte IGN au 1/25 000e Lagny‑sur‑Marne 2414 Est
X : 631,100 à 631,500
y : 1 134 à 1 134,600
z : 66 m à 75 m
La minière s’étend sur plus de 200 000 m2, sur 25 parcelles cadastrales de la section AS (290 à 294, 440 à 445, 451 à 456, cadastre de 1958).
13Le travail de terrain s’est effectué en 1989‑1990 ; la partie menacée du site a été décapée à la pelle mécanique en août 1989 (décapage réalisé par la société Récipon). A partir de septembre 1989, le sauvetage proprement dit s’est déroulé pendant douze mois, avec une moyenne de quinze fouilleurs salariés, aidés, pendant les vacances scolaires notamment, par quelques fouilleurs bénévoles et étudiants stagiaires. Une prolongation d’un mois (sans augmentation de budget) en septembre 1990, acceptée par la SNCF, a été nécessaire pour terminer l’étude des puits les plus profonds. Parallèlement commençait la phase de mise en forme et d’étude des données, qui a duré six mois et s’est achevée en mars 1991. La liste et le détail de tous les intervenants sont donnés en tête de ce volume.
14Ce sauvetage a reçu la visite et accueilli plusieurs centaines de visiteurs, archéologues professionnels et bénévoles, habitants de la région, associations archéologiques, chercheurs étrangers (allemands, belges, britanniques, tchécoslovaques, polonais), qu’il est impossible de tous citer ici. Nous tenons cependant à remercier particulièrement Pierre Bodu (LA 275 du CNRS) et Jacques Pélegrin (ERA 28 du CNRS), pour la démonstration de taille du silex qu’ils effectuèrent amicalement à l’automne 1989 devant l’ensemble de l’équipe.
Table des illustrations
![]() | |
---|---|
Légende | FIG. 1 – Localisation géographique de la minière de silex de Jablines (*) et des sites néolithiques voisins mentionnés dans le texte. 1 Fresnes/Marne ; 2 Jablines, Pente de Croupeton ; 3 Dampmart, le Champ Breton ; 4 Jablines, Platry ; 5 Isles‑les‑Villenoy, les Pendants. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37273/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 96k |
![]() | |
Légende | FIG. 2 – Localisation des décapages de 1981 (au nord) et 1989 et des tranchées réalisées lors de la phase prospection (traits épais) ; en grisé : extension de la minière, définie à partir des prospections pédestres et aériennes. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37273/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 59k |
![]() | |
Légende | FIG. 3 – Photographie aérienne de la minière de Jablines. Chaque point sombre correspond à l’entrée d’un puits |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37273/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 88k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1992