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L’âge du Fer dans le haut Jura

 | 
Pierre Bichet
, 
Jacques-Pierre Millotte

Annexe 2. Analyse pollinique d’échantillons prélevés dans les tumulus de la plaine de l’Arlier

Jean Heim

Texte intégral

1Les valeurs des spores de fougères du type Monolètes ont été exclues des comptages car leur incorporation dans le calcul du pourcentage respectif de chaque espèce rendait la comparaison entre les différents échantillons difficile. De plus, elles n’apportaient aucun élément explicatif à l’évolution du paysage et n’avaient pas d’autres effets si ce n’est d’accentuer le taux de déboisement des spectres polliniques.

2Le commentaire du tableau 1 s’effectuera en allant du plus ancien (échantillons 7 et 9) aux échantillons présumés les plus récents (échantillons A et B). Le tableau 2 reproduit le spectre moyen du tumulus du Grand Communal à Bulle et en ce qui concerne le tumulus de la Grange‑Dessus à Vuillecin, on trouvera les valeurs depuis la surface à ‑30 cm sous l’inhumation ainsi que les données du contenu du vase.

Tumulus no 1 de Planquecet à Dompierre‑les‑Tilleuls

Echantillonnage

3Lors des fouilles réalisées par P. Bichet en août 1979, nous avons prélevé des échantillons dans les boîtes crâniennes des deux squelettes se trouvant en position marginale par rapport au centre du tumulus.

4Dans la sépulture principale, au centre du tertre, on a découvert un vase de grandeur exceptionnelle (jatte) et en vue de sa reconstitution intégrale, on coula du plâtre tout autour d’un bloc de terre englobant la jatte et l’ensemble fut extrait. C’est lors du décorticage de cette pièce montée que D. Vuaillat a prélevé à différents endroits des échantillons de terre et, avec son accord, nous avons réunis les échantillons homologues. Les différents échantillons ont été classés du plus récent au plus ancien :
– A + B : sépultures secondaires, boîtes crâniennes ;
– 3 et 4 : sépulture initiale, terre en contact du tibia et entre les orteils ;
– vase ou Jatte ;
– 1 et 2 : sépulture initiale, dépôt noirâtre et structure ligneuse sur la Jatte A1 ;
– 5, 6 et 10 : sépulture initiale, entre A1 et A;
– 8 : sépulture initiale, entre A et B ;
– 7 et 9 : sépulture initiale, sous B.

Commentaires

Echantillons 7 et 9

5Le taux de boisement (% AP) est de 27,5 % et compte tenu de l’abondance des pollens de Composées de la tribu des Carduacées (Cirsium, Aster, ...) et des Cichorinées (Crépis, ...) ainsi que des Graminées (16,7 %), du plantain lancéolé (8,4 %), auxquels s’ajoutent des représentants de la famille des Renonculacées et des Rosacées, on peut dire qu’il s’agit de vastes zones herbeuses parsemées de quelques buissons de noisetiers et d’aulnes. Les pollens d’Abies et de Picea proviennent sûrement des forêts de résineux couvrant la montagne du Laveron et les pollens de bouleau et de pin proviennent probablement des tourbières tapissant le fond de la vallée du Drugeon.

Echantillon 8

6Dans l’ensemble, ce spectre est fort semblable aux précédents. Il ne s’en différencie que par le pourcentage élevé de pollen de Composée du type Centaurea (42,3 %), ce qui a pour conséquence de diminuer fortement le taux de boisement qui atteint son minimum (24,8 %).

Echantillons 5, 6 et 10 ; 1 et 2

7L’ensemble de ces spectres est très comparable. Le taux de boisement se situe entre 30,8 % et 34 %. Ce léger accroissement est dû principalement à des valeurs plus élevées du noisetier (12,6 et 13,7 %). L’importance des pourcentages des Composées (36,1 et 30,9 %) et des Graminées (16,2 et 20,3 %) est encore la preuve d’un paysage pastoral.

Echantillon vase

8Par son spectre pollinique, le vase est intermédiaire entre les échantillons 1, 2 et 3, 4. Par l’importance des Composées et les valeurs du plantain (1,5 %), il se rapproche des échantillons 1 et 2, alors que les proportions polliniques du pin (10,3 %) le rattachent d’avantage aux échantillons 3 et 4. Nous mentionnerons encore le pourcentage élevé des Composées du type Crepis (41,2 %), mais faute de macrorestes, il est difficile de se prononcer sur la présence effective de ces plantes dans le vase.

Echantillons 3 et 4

9Par la composition floristique des spectres polliniques, il s’agit toujours de prairies plus ou moins fraîches et dominées par les Composées et les Graminées.

Echantillons A et B

10Le taux de boisement n’a fait qu’augmenter et il atteint 41,8 %. Cette progression résulte de l’accroissement des valeurs polliniques du pin (de 3,3 % dans l’échantillon 8, à 26 % dans les échantillons A et B). Il est possible que ce soit la conséquence d’un reboisement naturel des tourbières de la vallée du Drugeon.

Tumulus du Grand Communal à Bulle

Echantillonnage

11En 1982, trois prélèvements de terre ont été effectués au niveau de l’ancienne surface. Notons que le tumulus était fortement arasé car il se trouvait dans une pâture.

Commentaires

12Les trois spectres polliniques étant très semblables, on a calculé un spectre moyen. Le site est très déboisé car la valeur AP moyenne est faible (moyenne 16 % : de 13 à 18 %). Parmi les plantes herbacées, les Composées type Crepis prédominent (moyenne 75,3 % : de 70 à 81 %). Toutes les autres espèces herbacées confirment l’environnement prairial de l’endroit (Caryophyllacées, Cypéracées, Liliacées, Plantago lanceoloata). Pour autant que le spectre palynologique soit effectivement contemporain de l’édification du tumulus, et qu’il ne soit pas pollué (déjections) ou remanié par le piétinement répété des bovins, on constate qu’il représente un paysage très déboisé voué exclusivement au pâturage car il n’y a pas la moindre trace de pollens de Céréales.

Tumulus de Grange‑Dessus à Vuillecin

Echantillonnage

13Nous avons prélevé de la terre d’une part dans un vase et d’autre part à plusieurs niveaux sous les restes des os inhumés.

Commentaires

14Compte tenu de l’importance des espèces arboréennes (% AP : 59,8 % à 77,5 %), le site de Grange Dessus peut s’identifier à un paysage jurassien à savoir une formation dénommée « prébois », intermédiaire entre la forêt et le pâturage. Cette dualité se retrouve dans les spectres polliniques où d’une part la forêt est caractérisée par des espèces arborescentes (Abies, Picea, Pinus) et arbustives (Alnus, Betula, Corylus) et où d’autre part les Graminées sauvages (5,4 % à 18,8 %) et les Composées type Crépis (3,8 % à 24 %) sont indicatrices d’espaces ouverts (clairières, prairies...).

15Vu la situation du site sur le deuxième plateau du Jura français (altitude 880 m), la prédominance de l’épicéa (Picea, en moyenne 14,7 %) sur le sapin (Abies, en moyenne 11,2 %) est normale. Plus étonnante est l’importance du pin (25,3 % à 37,7 %). Les pollens de Pinus proviennent soit de zones marginales, soit ils constituent un apport régional ou lointain.

16Le noisetier (Corylus : 3,8 % à 11,5 %) et le bouleau (Betula : 1,5 % à 5,0 %) se rencontrent en tant qu’arbustes dans les massifs forestiers, à la lisière des forêts ou bien encore ils croissent par groupe ou isolément dans les prés ou les clairières. Les essences feuillues (Fagus, Quercus, Tilia et Ulmus) interviennent pour moins de 5 % dans les spectres, ce qui prouve que ces espèces, au temps de l’édification du tumulus, étaient déjà peu abondantes sur le deuxième plateau du Jura.

17Le vase rempli de terre offre certainement les résultats les plus fiables car vu sa position, son contenu n’a pu être modifié. Le spectre pollinique provenant de cet objet est très comparable aux spectres des niveaux ‑20 cm et ‑30 cm sous les restes humains. En effet, on note l’absence de Carpinus et de Céréales ainsi que des proportions polliniques équivalentes d’Abies, Corylus et des Graminées sauvages. Par contre, dans les niveaux 0 cm et ‑10 cm, Corylus, les Graminées sauvages et Plantago lanceolata montrent des pourcentages plus élevés. Du fait de cette augmentation des valeurs NAP (pollens non arboréens), il apparaît que les niveaux supérieurs sont plus déboisés. Ceci permet d’envisager une éventuelle percolation.

18Seul le contenu du vase et les niveaux inférieurs sont contemporains de l’époque de la construction du tumulus et à cette période, les alentours étaient plus boisés qu’actuellement.

19En définitive, on peut conclure que le tumulus a été érigé dans un environnement forestier d’autant plus qu’en l’absence de déterminations spécifiques, il est fort probable qu’un certain nombre de pollens, notamment des Composées type Crepis, font partie de la flore forestière (cf. Cicerbita, Hieracium, Mulgedium, Prenanthes...).

20En outre, la présence de pollens de Céréales uniquement dans le niveau supérieur (0 cm) indiquerait que l’introduction des cultures serait postérieure à l’installation de la sépulture.

Conclusion

21Chaque site funéraire par sa position géographique fournit une image particulière de l’environnement végétal à proximité du tumulus. Dans celui du Grand Communal à Bulle, le déboisement est le plus drastique (AP moyen 13 %), suivi du tumulus de Planquecet à Dompierre‑les‑Tilleuls (AP moyen 33,3 %) et c’est à Grange Dessus à Vuillecin que la valeur AP est la plus élevée (AP moyen 71,5 %). A Bulle, le tumulus a été édifié dans un site manifestement très ouvert alors qu’à moins de quatre kilomètres de là, à Dompierre‑les‑Tilleuls, la butte sur laquelle le tumulus fut installé était probablement entourée d’un rideau d’arbres. Cette grande dépression où coule le Drugeon est limitée au sud par la montagne du Laveron aux versants assez abrupts, couverts de forêts, et cette configuration est peu favorable à une économie pastorale. Par contre, la partie septentrionale de cette plaine de l’Arlier est constituée d’un « champ » de moraines plus ou moins arasées et présente un modelé propice à l’installation des pâturages. C’est probablement à partir de l’agrandissement progressif de clairières naturelles qu’ont été créées ces vastes aires de parcours pour le bétail comme le montrent les sites de Bulle et de Dompierre‑les‑Tilleuls et où, d’après l’analyse pollinique, un paysage ouvert constitué de prairies mésophiles à mouilleuses semble avoir une origine préhistorique. Cette constatation rejoint bien l’opinion émise par P. Bichet dans une note intitulée « Des tumulus dans la plaine de l’Arlier ». Il dit notamment de cette plaine de l’Arlier que : « Cet espace libre où convergent, pour des raisons géomorphologiques, sentiers et voies de communications, devient important pour le voyageur qui y trouve prétexte à halte avant ou après le rude franchissement du Jura, une eau abondante, une sécurité assurée par une vue dégagée et une vaste zone de pâturages ».

22Cette explication pertinente n’est toutefois plus valable dès qu’on sort de ce bassin. Ainsi, à Grange Dessus à Vuillecin, le tumulus a été édifié sur un replat situé dans le prolongement de la Côte du Fol et du Crêt de Cottaroz caractérisés par des prés‑bois. Cette proximité des forêts se manifeste dans les spectres polliniques par l’importance des espèces ligneuses (plus de 70 % en moyenne). On notera également l’absence totale des Composées type Centaurea qui étaient bien représentées à Bulle (3,7 %) et à Dompierre‑les‑Tilleuls (17,3 %).

23A savoir si la présence de quelques grains de pollens de Céréales permet de déceler une agriculture naissante, nous admettrons que les faibles valeurs polliniques de Céréales, d’autant plus qu’elles ne figurent que dans les spectres supérieurs, ne constituent pas un indice probant et nous pensons qu’il s’agit plutôt d’un apport lointain ou éventuellement d’une pollution récente.

24Il apparaît donc que dès 640 av. J.‑C. (période subatlantique), la plaine de l’Arlier présentait une physionomie comparable à celle de nos jours (à l’exception des villes, villages et voies carrossables).

Table des illustrations

Légende TABL. V
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37110/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 104k
Légende TABL. VI
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37110/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 92k

Auteur

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