1Cette monographie, aux yeux modernistes insatisfaits, ne rompt guère avec la tradition. Elle cherche plus simplement à combler une lacune dans la géographie du monde hallstattien. Et tant pis pour ceux qui crient sans cesse haro sur le positivisme ! Car la difficulté essentielle demeure. Comment dépasser les données matérielles souvent très fragmentaires sans tomber dans l’affabulation ? Malgré une utilité certaine, matrices, graphes et autres modèles ne sauraient être des panacées.

Géographie et milieu

2Dans l’ensemble hallstattien étalé au pied nord des Alpes, suivant la terminologie habituelle, les tertres tumulaires des environs de Pontarlier occupent une position relativement élevée, comme ceux des hautes Alpes françaises. Il serait imprudent de surestimer l’influence du milieu, particulièrement rude dans le haut Jura, mais l’adaptation à l’environnement ne peut être niée. D’ailleurs, les populations hallstattiennes témoignaient en cela d’une faculté certaine, si l’on considère les implantations de la Bourgogne, de la Franche‑Comté, d’Allemagne, du Plateau suisse et des Alpes. Des installations parsèment les plateaux calcaires d’une altitude variant de 350 m à 600 m (Châtillonnais, région d’Amancey, forêt des Moidons, Plateau suisse), mais aussi la montagne jurassienne entre 800 et 1 000 m (région de Pontarlier, de Neuchâtel) et par contraste des vallées de faible altitude (200 m environ) comme celles de la Saône et de l’Ognon.

3Dans l’état actuel de la recherche locale, peu de facteurs expliquent l’établissement des hommes dans la Chaux d’Arlier, au plan du milieu naturel. Le sol est ingrat, le climat rude. Dans l’immédiat, les traces de structures agraires repérées mériteraient une étude plus approfondie dans un cadre plus général, celui des plateaux d’Amancey, Ornans, Salins d’une part, et du versant neuchâtelois d’autre part. Faute de mieux, on revient à privilégier la recherche des pâturages d’altitude et de surfaces herbeuses assez riches et faciles à parcourir. Mais comment subsister pendant les hivers rigoureux ? L’hypothèse d’un éventuel stockage de foin dès la protohistoire n’est guère retenue jusqu’ici par les chercheurs.

4Du point de vue géographie et espace, ces fouilles apportent‑elles du nouveau ? Des éléments reconnus jadis ne renseignaient guère sur l’occupation de ce val jurassien qui ressemblait plutôt à un « trou noir » sur une carte archéologique. Cette lacune est en partie comblée et le vide apparent de l’occupation du haut Jura ne servira plus d’argument éventuel. A une présence lacunaire des hommes au début de l’âge du Bronze, succède une colonisation plus intense à l’âge du Fer. Mais ces traces nombreuses, essentiellement funéraires, ces riches parures, ces outils ou ces armes, suffisent‑elles à circonscrire un ou des groupes culturels ?

5Il ne s’agit pas de s’interroger si le système des « cultures » ou plutôt des civilisations ou groupes archéologiques, cher aux écoles anglo‑saxonnes et germaniques, conserve encore toute sa valeur. Les chercheurs français et helvétiques ne tentèrent pas, dans les cinquante dernières années, de circonscrire ou de baptiser les ensembles de trouvailles localisées dans le Jura et le Plateau suisse, pour l’âge du Fer en particulier. En d’autres lieux, par contre, une inflation de noms de baptême embrouilla la situation au lieu de l’éclaircir. Au terme de cette étude, l’impression prévaut de l’existence d’une entité bien installée dans la Chaux d’Arlier avec des limites topographiques nettes, au nord et à l’est. Il faudra, dans l’avenir, rechercher des transitions territoriales possibles vers l’ouest et le plateau d’Amancey et Salins, vers le sud en direction de l’Ain et de Champagnole. Des témoignages, encore fragmentaires, laissent cependant bien augurer de l’avenir. Un jour se dessinera l’image d’un groupe hallstattien du Jura, avec différentes sections que les auteurs refusent de baptiser « cultures ».

Chronologie et typologie

Des insuffisances chronologiques

6Le manque ou la mauvaise qualité des échantillons de bois, charbons et ossements empêchait de recourir à la dendrochronologie et aux datations isotopiques. Sauf les résultats obtenus à Dompierre‑les‑Tilleuls, tumulus de Planquecet 1, dont il sera question par la suite.

7Ces fouilles n’apportent donc aucune révolution dans les datations des âges des Métaux dans l’est de la France et force est de recourir aux séquences habituelles, avec tout le caractère artificiel qu’on leur attribue. Cependant, il a été tenu compte d’acquis en datation absolue réalisés dans les régions voisines, Suisse, Allemagne, Autriche, Luxembourg, en postulant que les retards chronologiques dus à des causes diverses, le transport par exemple, étaient quasi nuls. Pour recourir à la typologie classique et aux ensembles clos, des regroupements sûrs ne manquaient pas, mais n’apportaient rien de neuf par rapport aux systèmes en vigueur dans l’Europe centrale et occidentale. L’usage des matrices de correspondance ou de co‑occurence ne s’imposait pas, compte tenu du nombre d’ensembles clos. Certains regretteront qu’il ne soit pas possible de déterminer dans ce groupe la date d’entrée en usage de tel ou tel objet et sa durée probable d’utilisation. Cette carence interdit donc de situer chronologiquement et pour le secteur, des modes curieuses et des usages bien particulier comme le port des ceintures en bronze estampé, des brassards‑tonnelets, des disques à renflement central et des pâtures pectorales pour mentionner seulement les pièces caractéristiques.

8Par contre, au‑delà de ces insuffisances, la date absolue obtenue après analyse d’un échantillon du tumulus de Dompierre‑les‑Tilleuls/Planquecet 1 appelle quelques commentaires. Le résultat 640 ± 90 b.c. exigerait peut‑être d’être calibré, mais les travaux les plus récents sur l’âge du Fer, ne tiennent guère compte de cette éventualité, les écarts entre données isotopiques et dendrochronologiques paraissant assez minces. Quant au contexte, les objets extraits du tumulus relèvent typologiquement du Hallstatt ancien, séquence encore mal connue malgré de nombreuses découvertes en France. Les discussions sur la durée de cette phase durent déjà depuis plus de trente ans, mais sans présenter de conclusions définitives.

9L’analyse de Dompierre‑les‑Tilleuls/Planquecet inviterait donc à situer la construction de ce tertre entre 730 b.c. et 550 b.c. Les dates obtenues ici n’ont rien d’aberrant comme l’indique la figure 81. Tout au plus, ce Hallstatt ancien du Jura se prolongerait‑il jusque vers 550 b.c., à l’orée du Hallstatt moyen traditionnel. Ce qui n’a rien d’original au regard des ensembles du Châtillonnais avec épée de fer et rasoir qui semblent occuper cette séquence avant l’avènement d’une phase finale de faciès vixien. La phase ancienne à épées de bronze et de fer hallstattiennes prendrait ainsi le relais des civilisations du Bronze final, comme l’attestent les résultats obtenus dans les lacs suisses et savoyards.

Des originalités typologiques

10En gros, la typologie des objets métalliques, la seule qui puisse être utilisée dans cette étude, intéresse des matériels bien connus au pied nord des Alpes aux âges des Métaux, mais avec certaines particularités pour le Hallstatt, particularités qui aideront dans l’avenir à circonscrire des ateliers. Ainsi, pour le décor des tonnelets, le groupement des motifs sur les ceintures de bronze estampé, le port des parures pectorales voisines, celles de la forêt des Moidons. A noter aussi la présence des épingles en col de cygne, la fantaisie des boucles d’oreilles à pendeloques, des fibules avec un ressort orné et les extrémités de ceintures, connues aussi en Suisse voisine. Resteraient aussi à préciser la répartition et la chronologie des grandes épingles comme celles du tumulus de la Décharge à La Rivière‑Drugeon ou du tertre arasé de Chaffois/Mordeterre. Enfin, comme dans la majorité des sépultures du Hallstatt franc‑comtois, la céramique est souvent difficile à étudier car trop fragmentée et bien souvent absente.

Les aspects socio‑économiques

11Les fouilles de la Chaux d’Arlier fournissent quelques éléments de réponses, hélas insuffisants, à des questions souvent posées.

Les échanges

12Les tumulus de Pontarlier jalonnent une voie importante en direction du pays de Neuchâtel d’une part, de la « reculée » de Salins et la vallée de l’Ain d’autre part. Piroutet, en son temps, avait entrevu le rôle joué par cet axe de communication qui relie aisément les deux flancs du Jura. C’est sans doute par cette route que transitèrent des marchandises ou des idées en provenance d’Allemagne du Sud comme les fibules, voire d’Europe du Nord comme l’ambre retrouvé dans les tombes de Chaffois.

13Plus précisément, les trouvailles des environs de Pontarlier démontrent l’existence de trafics limités avec le Plateau suisse dans sa quasi‑totalité, mais surtout avec les environs d’Ins à proximité du lac de Bienne et avec le pied oriental du Jura et ses abords immédiats, dans le secteur d’Orbe. Dans ce cas (tumulus de Bofflens, Rances, etc.) le passage du col de Jougne dut être utilisé.

La société

14Sur ce point, il est toujours hasardeux de tirer des conclusions. La nécropole de la Chaux d’Arlier se compose de groupements de tombes nettement attestés avec des tumulus de volume inégal et qui abriteraient un chef possible, quand il s’agit d’une sépulture unique. Pour d’autres tumulus, le groupement des inhumations, la réutilisation des tertres présentent une continuité qui témoignerait de l’existence de familles dont le statut social ne saurait être précisé.

15En l’absence d’habitats reconnus dans la plaine de l’Arlier, il est difficile de postuler l’existence d’une « résidence princière » à proximité. Mais, petit à petit, naît l’idée d’un regroupement des grands ensembles jurassiens, forêt des Moidons, plateau d’Amancey, environs de Pontarlier, autour du site fameux de Château‑sur‑Salins, dont la situation particulière, topographique ou socio‑économique, s’expliquerait alors plus aisément.

16L’idée d’un regroupement autour d’un centre principal, jointe à celle d’une occupation par les hommes de l’âge du Bronze et du Fer, de terroirs encore libres de tout habitat et à valoriser, appellera des développements futurs, tâche exaltante des protohistoriens de demain.