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L’âge du Fer dans le haut Jura

 | 
Pierre Bichet
, 
Jacques-Pierre Millotte

Chapitre 1. Un site d’altitude original

1 Eine eigenartige Höhensiedlung

1 A unique upland site

Resumen

Les auteurs précisent leur démarche et exposent le résultat de leurs fouilles. Ils se limitent à des descriptions précises et formulent seulement de prudentes hypothèses. Les tumulus de la Chaux d’Arlier firent l’objet de destructions au 19e s. Les investigations récentes résultent de sauvetages rendus nécessaires par l’amélioration des pâtures. Les observations, malgré des conditions de travail et de recueil difficiles, fournissent des données nouvelles sur l’occupation du massif jurassien.

Le relief est original : un val façonné par la glaciation quaternaire, parcouru par une rivière tranquille, le Drugeon, et encadré par des chaînons de faible altitude. Le climat continental est pluvieux et froid ; les orages, violents, éclatent en été. Les sols pauvres, la présence de tourbe n’autorisent pas les cultures, remplacées par un élevage bovin. Mais cette contrée est un important passage entre la région de Salins et le Jura neuchâtelois par le col des Verrières et la vallée de l’Areuse ou le col de Ste‑Croix, Covatannaz, Yverdon et Orbe. Malgré de nombreuses difficultés, cette voie fût fréquentée dès les temps les plus reculés.

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1.1 Introduction et historique des recherches

1.1.1 Au‑delà des méthodes et des théories

1Une vaste bibliothèque ne contiendrait pas les nombreux ouvrages et revues consacrés à la théorie et aux méthodes en archéologie. Cependant, au‑delà des raisonnements savants parfois abstrus et des querelles d’écoles, il ressort que cette très ancienne discipline n’est plus « la science auxiliaire de l’histoire » de nos vieux manuels. Elle prétend aujourd’hui à son autonomie, mais demeure aux confins de l’histoire, de l’anthropologie culturelle et physique, des sciences naturelles, voire à la limite de la chimie et de la physique.

2Cette complexité dans la recherche explique et justifie en partie, critiques, compliments, positions dogmatiques et affirmations péremptoires ; les discussions sur la New Archaeology fournissent un bon exemple en l’occurrence. Mais sans aller chercher si loin, on remarquera que les archéologues privilégient, suivant leur formation, la recherche érudite ou documentaire, le terrain, la vaste synthèse régionale, nationale ou internationale, les travaux d’analyses scientifiques. A la vérité, l’archéologie doit être comparée à un grand orgue, dont on ne tirera des airs agréables qu’en combinant des registres multiples. Pourquoi alors dauber méchamment sur tel catalogue de trouvailles, sur telle étude typologique, sur telle synthèse quelque peu fumeuse ?

3Les auteurs du présent ouvrage ne se posèrent pas de questions aussi embarrassantes. Parce qu’ils se trouvaient devant des urgences dont les aspects seront détaillés plus loin et qu’il fallait agir vite sous peine de voir des vestiges irremplaçables disparaître sans laisser de traces valables. La mise en protection de ces monuments funéraires et la création d’une sorte de parc protégé relevaient ici de l’utopie. Donc, une intervention de sauvetage à long terme, utilisant des moyens relativement modestes, devait être rapidement menée à bien par une direction des Antiquités préhistoriques naissante qui, pour la circonstance, outrepassait les limites chronologiques dans lesquelles la confinait un bizarre découpage administratif. Là n’était pas l’essentiel, mais plutôt d’établir une collaboration efficace entre un service de l’Etat à vocation administrative et scientifique et une équipe d’amateurs éclairés qui, sous la houlette de P. Bichet, se passionnaient pour la préhistoire de leur haute montagne frontalière. Au fil des ans, et compte tenu des nécessités, l’opération fut menée avec persévérance et des événements récents, des menaces de destruction signalées encore en 1988, démontrent que la tâche entreprise n’est point encore achevée.

4Cependant, malgré des notices et comptes rendus sommaires publiés dans Gallia, la nécessité de rassembler en un volume le résultat des fouilles menées depuis 25 ans dans la Chaux d’Arlier aux environs de Pontarlier s’impose d’une manière impérative. Mais comment procéder ? C’est alors que l’on achoppe sur les théories, les méthodes, les modes de pensée propres aux diverses écoles archéologiques. Dans une tradition germano‑suisse, certains inciteront à écrire un ouvrage documentaire ; d’autres, dans une perspective anglo‑saxonne, recommanderont de construire une brillante synthèse et de proposer des « modèles ». Notre ambition demeure plus modeste. Il s’agit d’abord de rédiger un ouvrage qui présente dans la mesure du possible les résultats objectifs des fouilles, sans trop dépasser les observations élémentaires qui en découlent. Ensuite, on tentera de replacer ces trouvailles dans un contexte plus large car, aux âges du Bronze et du Fer, les hommes ignorent les frontières politiques. Il est en tout cas certain que le Jura ne dressait pas alors une barrière entre les peuplades établies à l’ouest et à l’est de la chaîne.

5Cette entreprise n’est pas sans danger et les habituelles critiques ne manqueront pas. Comme le Meunier de la fable, nous essayons de bien faire et de laisser braire, sans écarter toutefois les remarques constructives. En définitive, cet ouvrage se voudrait à la fois utile, lisible et ouvert sur l’avenir. Cette monographie prétend aussi préciser les aspects culturels qui, dans le passé, unissaient deux Etats aujourd’hui séparés par une frontière politique, résultat de contingences historiques et dont le caractère artificiel ne saurait être mis en doute. Sans chercher à délivrer un message, les auteurs ne dissimulent pas les insuffisances de leur recherche et regrettent souvent de ne pouvoir tirer de leurs observations des conclusions plus péremptoires, comme par exemple au chapitre des rites funéraires, un sujet qui facilite les extrapolations hasardeuses. Ils regrettent aussi de n’avoir pu détecter et rencontrer des traces d’habitat valables et d’établir des liaisons entre ces implantations possibles et ces nécropoles. De même, la fragilité ou l’évanescence des vestiges osseux, leur état médiocre de conservation, leur fragmentation interdisaient toute diagnose dans la plupart des cas, ce qui est regrettable. Cette monographie n’est qu’une étape de la recherche. Elle doit être consultée en la replaçant chaque fois dans une perspective géographique plus vaste, en attendant des découvertes futures qui combleront des lacunes de l’information et confirmeront ou infirmeront des hypothèses de travail.

1.1.2 Les tumulus de l’Arlier et leur histoire

6Il est étrange que les auteurs les plus anciens qui se sont penchés sur le passé lointain de cette terre fassent état de trouvailles fortuites, de découvertes dues au hasard d’un labour ou de travaux de terrassement, s’interrogent quelquefois sur la toponymie des lieux et ne fassent que rarement état de la présence des nombreux tertres funéraires qui parsèment la Chaux d’Arlier (Clerc 1840‑1846). La seule construction signalée est la curieuse motte à enceinte circulaire sise en bordure du Drugeon, près de La Rivière‑Drugeon et bizarrement dénommée Fort Bachin. Cet important vestige archéologique n’a pas été fouillé et en conséquence ne peut être daté. Certains y voient une motte féodale. Un sondage en bordure d’un des fossés circulaires a livré une sépulture « burgonde » avec plaque‑boucle, épée et scramasax. Rien ne permet d’affirmer que cette construction n’est pas plus ancienne et que sa position stratégique en bordure d’un gué sur le Drugeon n’a pas été prétexte à une très longue réutilisation au cours des siècles.

7Toujours aux environs, des haches à bords du type de Neyruz, datées du Bronze ancien, proviennent de Doubs, lieu‑dit A Saugeon et de Courvières dans une carrière à proximité du cimetière communal. Au total quatre instruments (Millolte 1963 ; Clerc et Remond s.d.). La Rivière‑Drugeon a livré une petite cachette du Bronze final avec une hache à ailerons médians, une pointe de lance, une épingle et un fragment d’épingle à tête globuleuse, un fragment de jambière à spirale (fig. 5, no 4, 2, 3 et 7). Lors de la construction de la ligne de chemin de fer Frasne‑Vallorbe‑Lausanne, vers Vaux‑et‑Chantegrue, des ouvriers mirent au jour au début de ce siècle, une rapière en bronze du type de Rixheim (musée des Antiquités nationales ; fig. 2b). A signaler aussi une épingle à tête bulbeuse, recueillie dans des circonstances imprécises vers Houtaud (fig. 2a) et une épingle à tête discoïdale provenant sans doute des marais de Barmans (musée de Besançon ; fig. 5, no 1).

FIG. 2 – En haut : épingle à tête globuleuse de Houtaud

cliché : P. Bichet

En bas : épée de Vaux‑et‑Chantegrue

cliché : MAN

8Pourtant, les tertres funéraires dont la fouille fait l’objet de cette publication, sont présents par centaines et fort visibles à un œil exercé (fig. 3). L’enquête personnelle menée auprès des villageois voisins prouve qu’ils n’y prêtent guère attention et qu’au cas où ils sont groupés de façon ostentatoire, la croyance populaire y voit des cimetières de « Bossus », surnom local donné aux victimes des épidémies de peste aux xve, xvie, xviie s., les inhumations ayant lieu à l’écart des villages pour éviter une propagation de l’épidémie. Des fouilles et destructions anciennes aboutirent involontairement à la destruction de sépultures de l’âge du Fer comme en témoignent un tableau et les objets provenant d’un tumulus de Frasne (musée de Besançon : fig. 6).

FIG. 3 – Répartition des tumulus fouillés de la plaine de l’Arlier : 1 Les Bossus no 1 ; 2 Les Bossus no 2 ; 3 Planquecet no 1 ; 4 Planquecet no 2 ; 5 Planquecet no 3 ; 6 Planquecet no 4 ; 7 Cessay ; 8 Gd Communal no 1 ; 9 Gd Communal no 2 ; 10 Gd Communal no 3 ; 11 Gd Communal no 4 ; 12 « La Décharge no 1 » ; 13 « La Décharge no 2 » ; 14 « La Loge » ; 15 « Les Gentianes » ; 16 La Vierge ; 17 La Censure no 1 ; 18 La Censure no 2 ; 19 La Censure no 3 ; 20 La Censure no 4 ; 21 La Censure no 5 ; 22 La Censure no 6 ; 23 La Censure no 7 ; 24 Les Longs Champs ; 25 Mordeterre ; 26 La Carrière no 1 ; 27 La Carrière no 2 ; 28 Les Fourneaux ; 29 Granges Dessus ; 30 Cottaroz.

9S’y ajoute l’action insolite d’artilleurs en exercice de tir dans la vaste plaine de l’Arlier, qui servit durant le xixe s. et jusqu’à la guerre de 1914 de terrain de manœuvres. On y voit très clairement, quand on survole le site par avion, des emplacements de tir pour les batteries et des reliefs ayant servi de cibles, criblés d’entonnoirs et d’éclats de projectiles. Certains tumulus ont été ainsi l’objet de tirs sacrilèges involontaires ce qui, au cours de la fouille, ajoute au mobilier d’époque quelques kilos d’éclats d’obus, avatar final du tertre funéraire destiné à l’origine à un tout autre usage. Néanmoins, quelques officiers d’artillerie explorant avec attention le terrain avaient remarqué l’existence de ces tertres, souvent modestes. C’est l’un d’eux, le capitaine P. Besson qui eut précisément l’idée d’en fouiller un au lieu‑dit le Champ de Tir (Piroutet 1913) (fig. 7). Il mit au jour plusieurs sépultures hallstattiennes, puis le silence et l’oubli retombèrent sur l’Arlier.

10Après 1950, un médecin pontissalien, le docteur Marguet, passionné par l’étude des voies anciennes transjurassiennes et parcourant inlassablement le secteur à la recherche de vestiges de pistes permettant d’en dresser la carte, remarquait à son tour la présence de plusieurs de ces tertres dont certains étaient mutilés, ayant servi de carrières de pierre. Il en signalait l’existence dans un article du Jura Français de janvier‑mars 1961 dans lequel il reprenait certains extraits de la publication d’E. Clerc. Le docteur Marguet devait rester jusqu’à sa disparition un fidèle participant aux fouilles, prodiguant de judicieuses remarques sur la situation géographique des sépultures et sur d’hypothétiques voies pré‑ et protohistoriques traversant l’Arlier.

11Dès 1960 débutait une lente mais fructueuse prospection en vue de dresser, avec quelques naïvetés, une carte exhaustive de tous les tertres susceptibles d’être des monuments funéraires ! Leur nombre parut vite très élevé, aussi ne figuraient sur les premiers relevés que les tertres importants dont la hauteur dépassait le mètre, et le diamètre la dizaine de mètres. Le profil hémisphérique jouait également un rôle dans l’identification du tertre. Ne furent pas mentionnés les tertres mutilés, les tertres trop modestes ou ceux dépourvus de couverture de terre végétale, dans la crainte de les confondre avec les très nombreux « murgers », pierres de défrichement patiemment ramassées et entassées en bordure des champs cultivés ou des pâturages bien entretenus. C’était commettre là erreurs de jugement, car les fouilles postérieures apprirent qu’un tout petit tertre, presque indiscernable par la modestie de son volume, peut receler une sépulture de qualité (épée de Dompierre‑les‑Tilleuls) ; que certains « murgers » quoique entièrement pierreux, peuvent recouvrir un tumulus sur lequel il était aisé d’empiler la laborieuse collecte des grosses pierres ramassées après labour. Enfin, les levées très allongées peuvent être des cordons d’épierrement, mais aussi une limite de parcelles ou d’un enclos ancien (fig. 4).

FIG. 4 – Vue aérienne des tumulus de la Chaux d’Arlier (la Censure à Chaffois)

cliché : P. Bichet

12Toutefois, dans la généralité des cas, un tumulus est un tertre en forme de calotte sphérique aplatie recouvert de la même végétation que le sol environnant et pouvant passer totalement inaperçu suivant la saison, l’épaisseur de l’herbe, l’heure et l’orientation de la lumière. Les nombreuses prospections aériennes faites en avion, à l’automne, après foins et regains, au soleil couchant quand la lumière rasante accentue les moindres reliefs, permirent d’en repérer qui eussent été indiscernables autrement. La « fraîcheur » et la forme d’un tumulus peut varier suivant le matériau qui le compose. Un vigoureux noyau de pierres ou « galgal » se déformera moins au cours des millénaires qu’un simple tertre de terre ou de petits cailloux. Le sous‑sol plus ou moins rocailleux ou spongieux le soutient ou le rend plus aplati et discret. Une pierre plus grosse ou même plusieurs peuvent émerger de sa surface, sans constituer pour autant un signe volontairement prévu lors de l’érection du tertre.

13La plupart des tertres repérés sont intacts, mais s’imposaient alors des fouilles de sauvetage sur des éminences « cratérisées », c’est‑à‑dire entamées pour diverses raisons dont la principale est la recherche de pierres et de graviers pour différents usages. Les tumulus constitués uniquement de terre sont rares, peut‑être parce que beaucoup ont été jadis arasés. Dès que l’on quitte le fond marécageux de la cuvette de l’Arlier, où serpente le Drugeon, on parcourt des prairies à la terre d’une richesse parcimonieuse permettant à peine la culture. La majeure partie des autres buttes occupe presque exclusivement des pâturages pour la plus grande part communaux. C’est dans ces vastes prairies que sont encore visibles la plupart des tumulus. Ils n’ont survécu à la destruction et à l’arasement que parce qu’ils se situent dans des zones de sol maigre, à la roche calcaire affleurante, et que leur présence ne nuit en rien à l’alimentation des troupeaux qui pâturent là à la belle saison. Depuis des siècles, l’élevage constitue l’essentiel de l’activité paysanne de l’Arlier. Aussi, les nombreux tertres n’ont jamais constitué une gêne à cette exploitation et ont subsisté jusqu’à aujourd’hui, indifféremment piétinés par des troupeaux qui y broutent paisiblement.

14Des tumulus ont néanmoins disparu dont on perçoit très bien l’emplacement. Certains ont été nivelés pour l’entretien des pâturages, d’autres ont été rasés, le matériau devant être utilisé à combler des dolines, cuvettes abruptes dues à l’érosion chimique dans un sol calcaire et pouvant à l’occasion constituer un piège pour le bétail. En apparence, aucun n’a été détruit dans un but de pillage archéologique, la difficulté de la fouille étant suffisamment rebutante pour tout amateur. Des sépultures disparurent sans doute au cours des travaux de terrassement dus aux nouveaux et inévitables lotissements qui affectent les villages de l’Arlier. D’autres tertres ont été arasés par les « rotavators », machines à nettoyer les pâturages qui concassent et nivellent tout sur leur passage, mais les cas sont rares. Enfin, au chapitre de l’anecdote, on retiendra les avatars d’un tumulus de La Rivière‑Drugeon, dit de la « Décharge », modeste tas de cailloux, peu élevé. Une pierre à sel destinée aux troupeaux de bovins, déposée au sommet du monument, avait été consciencieusement léchée par les vaches qui, après une saison pluvieuse imprégnant le sol de sel, n’hésitèrent pas à goûter au gazon peu épais jusqu’à l’apparition des objets en bronze déposés jadis là. En 1986, des circonstances identiques entraînaient la fouille d’urgence du tertre de Chaffois/la Carrière.

15Dans l’avenir, des mesures de protection devront être prises pour sauvegarder les tumulus repérés, soit par prospection au sol, soit par prospection aérienne. En effet, des reconnaissances encores partielles révèlent l’existence de nombreux vestiges : ceux‑ci ne dépassent pas la zone des côtes vers Arçon/Maison‑du‑Bois, mais vers le sud‑ouest en direction de Champagnole et de la vallée de l’Ain, et vers l’ouest en direction de Salins, la présence de tertres souvent peu visibles assurerait une liaison avec les grands ensembles voisins, les nécropoles du premier âge du Fer de la forêt des Moidons et la combe d’Ain.

1.2 Les implications : milieu et histoire

1.2.1 Le relief

16En allant vers l’est, le Jura constitue l’ultime cime du relief français. La chaîne jurassienne est le dernier obstacle dans cette direction avant la plaine suisse qui précède le formidable chaos des Alpes. Malgré la modeste altitude de ses sommets, l’arc central du Jura dresse une barrière naturelle qui culmine entre 1 000 et 1 700 m d’altitude. Les plis parallèles qui la composent ne présentent aucune faiblesse et seuls quelques rares accidents géologiques en ont interrompu la continuité. L’érosion glaciaire du Quaternaire a puissamment érodé, égalisé et défiguré le Jura originel. La poussée de l’énorme glacier du Rhône, nourri du glacier alpin et écrasant tout le Plateau suisse par 1 000 m d’épaisseur de glace, n’a guère été ralentie par la chaîne jurassienne, totalement submergée à la glaciation du Riss. Cette masse entraîna vers l’ouest sur plus de 100 km, de puissantes moraines constituées de roches alpines, granit, gneiss, schistes, etc. dont la présence sur le sol essentiellement calcaire du Jura témoigne, outre l’exotisme de l’origine de ces dépôts, de la puissance et de la violence des glaciations successives. Les derniers phénomènes glaciaires du Würm final ont maintenu très longtemps encore d’importants glaciers locaux n’affectant plus que le relief calcaire, mais qui, rabotant les sommets, comblant les vallées, élargissant les failles, poussant leurs cordons morainiques sur les récentes plaines alluviales, ont contribué puissamment au modelé que présente aujourd’hui cette partie centrale du relief jurassien.

17Depuis les plaines de Saône à l’ouest ou les larges vallons de la combe d’Ain au sud, le Jura s’élève en larges marches successives constituées par les sillons et plis parallèles pour culminer à la haute chaîne où soudainement se fige cette houle géologique. Des sommets, tout au long de l’arc jurassien, se succèdent sans très nettement s’individualiser. Les plus élevés atteignent entre 1 600 et 1 780 m et les « cols » qui les séparent ne méritent guère ce nom car ils ne sont que légère inflexion dans la rectitude du mur jurassien. Le Jura est un faisceau de plis parallèles obstinément continu. De distance en distance, ce système élémentaire est tranché par des dislocations transversales qui barrent les vallées, interrompent les chaînes et creusent des cols étroits appelés ici « cluses » dont l’importance sera grande dans la destinée historique de ces montagnes,

18Dans son ensemble le Jura est constitué de terrains sédimentaires, anciens dépôts marins durcis qui, malgré leur grande épaisseur, sont demeurés malléables et ont pu se déformer avec une certaine souplesse, ce qui explique l’absence d’accidents morphologiques remarquables. La roche calcaire, homogène dans son ensemble, peut néanmoins alterner avec des marnes intercalées entre les couches ou se colorer de jaune par la présence d’hydroxydes de fer. La présence de limonite dans le niveau du Valanginien présentera un intérêt économique et contribuera à la naissance d’une métallurgie locale.

19Toute cette chaîne est émoussée, l’eau jouant ici un rôle érosif puissant tant chimique que mécanique. Dans les vallées, elle a creusé le cours des rivières ; ailleurs, incapable de s’ouvrir une voie en surface, elle s’est enfouie par des entonnoirs et, par dissolution chimique, a creusé un réseau complexe souterrain encore mal exploré qui explique la fréquence des résurgences quelquefois très importantes telles celles de la Loue ou du Lison. Un accident géologique qui jouera un rôle important pour la circulation humaine transjurassienne s’est produit dans cette partie de la chaîne, le décrochement de Vallorbe‑Pontarlier : « Il résulterait d’un cisaillement transversal de la chaîne jurassienne. De part et d’autre de la dislocation les plis ne se trouvent plus dans le prolongement les uns des autres, ce qui n’a pu qu’aiguiller l’érosion et lui faciliter le travail. Une sorte de coup de couteau gigantesque entaille ainsi le Jura. Visible dans la région du col de Jougne, cette coupure se prolonge jusqu’au demi‑amphithéâtre de la Cluse de Mijoux et à la bordure du plateau de Pontarlier » (Aubert 1971).

20Cette voie de passage, une des seules qui permettent de franchir le relief jurassien sans trop de difficultés, facilitera sans doute les premiers passages et les premiers peuplements. Elle servira de support aux premiers sentiers préhistoriques conduisant de la plaine et des rives des lacs suisses voisins à la plaine de Pontarlier dite « Chaux d’Arlier ».

1.2.2 La Chaux d’Arlier

21Au débouché ouest de cet important passage se trouve la ville de Pontarlier, traversée par la rivière le Doubs qui coule perpendiculairement au décrochement et a creusé une vallée permettant un passage aisé en direction nord‑sud. La conjonction de ces deux axes explique l’implantation de la cité à cet endroit. Installée au pied du Larmont qui culmine à 1 320 m et à l’extrémité du Laveron, haut, lui, d’un peu plus de 1 000 m, la ville est en bordure d’une vaste plaine qui au sud et à l’ouest constitue la Chaux d’Arlier.

22Cette plaine d’une dizaine de kilomètres de diamètre se trouve bordée au sud par la haute chaîne, sur laquelle s’appuient les ultimes moraines glaciaires du Würm final. Elle s’élève en pente très douce vers le nord‑ouest, s’ouvre largement au sud vers les reliefs qui précèdent la combe d’Ain et se resserre au nord où elle se termine par la confluence de deux rivières : le Doubs, qui vient de déboucher de la vallée de la haute chaîne qui l’a vu naître au sud près de Mouthe, et le Drugeon, petite rivière née au pied d’une ancienne cluse (Vaux‑et‑Chantegrue) qui suit un cours capricieux dans l’Arlier avant de se jeter dans le Doubs (Brassard 1977).

23L’Arlier est constitué exclusivement de formations quaternaires : « A la différence de la combe d’Ain, les formations quaternaires de bassin de Frasne‑Pontarlier n’ont pas subi une érosion importante depuis leur dépôt [...] et nous pensons que le système actuel est récent (postglaciaire). Il est probable que le système; du haut Doubs s’écoulait initialement vers l’Ain. » La dépression synclinale de Frasne et la combe d’Ain sont des cuvettes préglaciaires qui possèdent des caractères communs (Campy 1982).

24L’archéologue pourra remarquer que ces deux cuvettes semblent avoir parallèlement servi de lieux de peuplement dans la protohistoire. L’Arlier ressemble à une sorte de pénéplaine où serpente le Drugeon et où se lisent encore clairement les ultimes résidus morainiques descendus des reliefs. L’ensemble est constitué d’alluvions glaciaires calcaires recouvertes d’une mince couche de terre végétale et occupé en grande partie par des tourbières, héritages glaciaires conservés encore par la rigueur du climat. Cernée de forêts sur tout le relief, l’Arlier est une des rares grandes aires non boisées ! La vue y est dégagée en toutes directions, l’eau y est abondante, la circulation aisée à l’exclusion des zones basses, tourbeuses. Sans doute est‑ce la raison qui a poussé les premiers habitants du lieu à tracer les sentiers de communication en bordure de cette plaine et à créer les premiers villages autour de ce vaste enclos naturel.

1.2.3 Le climat

25Le climat continental, déjà rude à cette latitude, s’aggrave à une altitude moyenne supérieure à 800 m et au voisinage de la haute chaîne qui fait barrage aux vents d’ouest venus jusque‑là sans obstacles notoires. D’où l’abondance des précipitations et la rigueur des températures. La moyenne annuelle des précipitations est de 1 400 mm et elles ont lieu un jour sur deux. Quant aux températures, elles peuvent certaines années atteindre des extrêmes : été 1971 = + 34 °C, hiver 1984‑1985 = ‑ 28 °C, soit une amplitude pouvant approcher 60 °C. Le manteau neigeux en hiver est d’importance variable, mais toujours assez important pour interdire toute activité agricole ou tout déplacement hors chemins de novembre à avril. La fréquence et la violence des vents d’ouest qui balaient la Chaux d’Arlier donnent à certains endroits où la glace, congères de neige, givre, et giboulées se conjuguent, un aspect quasi sibérien. L’été, plus chaud, est un peu plus paisible, mais secoué de violents orages, et quelquefois de tornades dévastatrices appelées ici « renversées » en raison des dégâts provoqués aux forêts et quelquefois aux habitations.

26Il serait utile de connaître l’évolution du climat en ces lieux et durant l’âge du Fer. Il en sera question par la suite, en ne dissimulant pas le manque d’indices sur d’éventuelles variations et sur le danger de transposer ici des observations recueillies ailleurs et concernant des microclimats (Harding 1982 ; Magny 1978).

1.2.4 Ecologie et sociologie

27Une dizaine de villages cernent la Chaux d’Arlier et Pontarlier en constitue le prolongement urbain. Jusqu’à la fin du siècle dernier, ces hameaux et petites agglomérations n’avaient pour unique vocation que l’agriculture, en grande part sous forme d’élevage bovin ou chevalin et accessoirement les cultures surtout vivrières. L’exploitation de la tourbe assurait un combustible rudimentaire mais économique. Les traces d’exploitation de ces tourbières sont encore très visibles. Le complément de ressources nécessaires à la survie de ces populations rurales était fourni par les forêts épaisses couvrant les hauteurs bordant la plaine de l’Arlier. En raison de la pauvreté de son sol, de la rudesse du climat, le développement des villages de l’Arlier a été très lent et la population stable et limitée jusqu’au xxe s.

1.2.4.1 Des sols pauvres

28La faible valeur du terrain doit être une des raisons pour lesquelles l’armée française avait créé, dans cette vaste plaine, un terrain de manoeuvres et un polygone de tir qui chaque été, à la fin du xixe s. et jusqu’à 1918, fut utilisé comme « Ecole à Feu » par des régiments d’artillerie. Les traces d’emplacements de batteries et les impacts des projectiles sont encore très lisibles et n’ont pas contribué à enrichir la valeur de ce pauvre sol. Une récente opération de redressement du cours du Drugeon entreprise dans les années 1960 n’a, malgré l’effort considérable et les sommes dépensées, nullement amélioré les terrains, le creusement de drains révélant la fréquence des niveaux de tourbe et la mauvaise qualité de l’humus en matière agricole. Le Drugeon, petite rivière au cours irrégulier, draine toute cette plaine. Il est enjambé par des ponts dans les villages situés sur son cours : Vuillecin, Dommartin, Houtaud, Bannans, La Rivière, Bouverans. Les autres villages de l’Arlier : Frasne, Dompierre‑les‑Tilleuls, Bulle, Chaffois, Les Granges‑Narboz et Ste‑Colombe, sont situés sur le pourtour. L’ensemble est délimité et encadré par les routes D. 72 au nord, D. 471 à l’ouest, D. 47 au sud. En outre, la ligne de chemin de fer Paris‑Berne traverse la Chaux d’Arlier de Frasne à Pontarlier. A part les marais et tourbières laissés en l’état et servant de réservoir à gibier et de relais aux oiseaux migrateurs, la majeure partie de l’Arlier est constituée de vastes pâturages souvent communaux où paissent dès les beaux jours d’importants troupeaux de bovins ou de chevaux, ces derniers spécialement au village de Chaffois. Sauf l’aspect et la modernisation des villages, le visage de la Chaux d’Arlier n’a dû guère changer durant les derniers millénaires. Le Drugeon tend à recreuser ses méandres ; pins à crochets et bouleaux nains colonisent les tourbières, et les moraines glaciaires qui bordent la partie sud laissent encore émerger leurs blocs chaotiques. L’eau, omniprésente, sourd en maints endroits prouvant la présence à quelques mètres de profondeur d’une vaste nappe phréatique enfouie, vestige du vaste lac glaciaire qui occupait l’Arlier lors des ultimes péripéties de la fin de la glaciation du Würm.

1.2.4.2 Un important passage

29Cette modeste plaine ne présenterait guère d’intérêt géographique si elle ne se situait d’une part sur le cours supérieur du Doubs, vallée naturelle de communication dans l’axe N.‑E./S.‑O. de la haute chaîne, et d’autre part au débouché du décrochement de la faille dite de Pontarlier. Cet unique passage, transversal au plissement jurassien dans la partie centrale du massif, va jouer un rôle extrêmement important dans l’histoire humaine de l’Europe. Le relief, la rigueur du climat, la densité du boisement rendent tout autre passage aléatoire, difficile, voire périlleux. De la vaste plaine suisse, c’est la seule route sûre et praticable permettant la traversée transjurassienne. De Vallorbe, la route s’élève vers le col de Jougne entre Suchet (1 588 m) et Mont d’Or (1 460 m), s’insinue dans l’élargissement de la faille qui constitue la combe des Hôpitaux et franchit la barrière du Larmont par la pittoresque échancrure de la Cluse, lieu de passage obligé à tout voyageur, suivi de la petite cluse du Fer à Cheval pour déboucher enfin sur le cours du Doubs et la vaste plaine de l’Arlier qui lui fait suite.

30En outre, c’est la première étape possible depuis la plaine suisse ; le voyageur qui a cheminé entre rochers, forêts, défilés, peut enfin s’arrêter là. L’eau et le pâturage y sont abondants et poursuivant son voyage il peut, de là, emprunter plusieurs directions. On séjourne ici à la belle saison avec montures et troupeaux alors que viennent d’être franchis les obstacles entre les deux versants jurassiens. C’est grâce à ces atouts géographiques que la Chaux d’Arlier va jouer son rôle dans l’histoire encore si mystérieuse des migrations humaines. Que ce soit dans un sens avant d’affronter la traversée du relief ou dans l’autre sens après l’avoir accomplie, la plaine de l’Arlier est un relais, à l’aller comme au retour, où il est nécessaire de faire étape. C’est là que s’ouvre sans doute la première sente inlassablement parcourue par des civilisations qui se succéderont de part et d’autre. C’est la route préhistorique, gauloise, romaine, helvète, bourguignonne, suisse, française, qui servira de passage‑clef à tous les mouvements de population qui affecteront cette partie de l’Europe.

31L’importance de ce passage‑clef, incontournable sans d’énormes difficultés, sera au cours des siècles illustrée par l’histoire : par là défileront les Helvètes pour tenter de s’installer en Gaule après avoir brûlé leurs villages pour ne pas être tentés de faire demi‑tour. Les liaisons gallo‑romaines s’établiront sur cette même voie comme le prouve la borne romaine dite de « Trajan » mise au jour à quelques lieues de cette cluse sur le chemin menant au col de Jougne et en Suisse. Ce sera la route des commerçants et voyageurs, mais bien souvent aussi celle des envahisseurs, Vandales, Barbares, Bernois, bandes armées de toutes origines qui tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, franchiront l’étroit défilé rocheux de la Cluse pour saccager Pontarlier et sa région et se répandre dans la plaine avec les rares villages qui la parsèment, au débouché de la noire combe boisée qui leur imposait cet unique accès.

32Le château de Joux et son vis‑à‑vis, le fort du Larmont, placés à l’endroit imposé du passage sont les derniers témoins des inévitables attaques, péages, détroussements de voyageurs isolés, comme du déferlement des hordes, armées victorieuses ou en déroute, cohortes souvent sanguinaires et indisciplinées dont l’histoire locale ne parle qu’avec effroi ou commisération lorsqu’il s’agit d’événements encore récents, ou de vaincus pitoyables comme ceux de l’armée de l’Est en janvier 1871 abandonnant leurs morts, leurs blessés, leur matériel, tristes témoins du point final d’une guerre perdue.

33L’histoire consacrera le rôle du passage de la Cluse comme du col de Jougne. L’importance des péages, donc du commerce utilisant cette voie, fera objet de convoitises seigneuriales où se mêlent petits potentats locaux, ordres religieux, bourgeoisie naissante. Des Flandres en Italie, des plaines de Saône en Suisse, les voies se croisent là dans le dédale montagneux jurassien, Et, aujourd’hui encore, c’est par cette même voie que passe le sentier de grande randonnée pédestre dit G.R.5 Hollande‑Méditerranée.

34A l’époque protohistorique, la fréquentation des passages est sans doute moins importante, mais la voie des échanges est là. Après le Néolithique, si riche sur les rivages des lacs suisses, les civilisations voisines se sont établies sur le piémont du Jura comme le prouve la présence de tumulus du Bronze à Coffrane, dans la forêt de l’Eter au val de Ruz et jusque dans les gorges de l’Areuse. A vol d’oiseau c’est très près, n’était‑ce ce rude pli montagneux à franchir ! Passé l’inévitable défilé de la Cluse, deux variantes sont possibles au voyageur descendant le versant suisse : le passage vers le col des Etroits au pied du Chasseron donnant accès au lac de Neuchâtel et ses rivages hospitaliers ou, plus au sud, le passage du col de Jougne et, sous les hautes falaises du Mont d’Or, l’accès à la voie menant au lac Léman. Les plus anciens manuscrits témoignant du trafic par cette voie font état de l’important transport du sel qui transite par là et il est vraisemblable qu’il s’agit d’un négoce très ancien existant déjà à l’âge du Fer pour s’épanouir aux siècles suivants. S’y ajoutent diverses marchandises dont les moins périssables ont laissé quelques vestiges dans les sites fouillés en Franche‑Comté : céramique de Cortaillod, céramique grecque, ambre venu de la Baltique ou de l’Adriatique, bijoux d’or, etc.

35La profonde transformation du passage‑clef de la Cluse pour l’agrandissement de la route internationale et la création d’une ligne de chemin de fer franco‑suisse à la fin du xixe s. n’a malheureusement été accompagnée d’aucune fouille sérieuse, et n’ont été alors signalées seulement quelques trouvailles fortuites : fragments d’armes de bronze ou débris de fer trop modestes pour illustrer l’importance du site. Néanmoins, les ornières de cette voie antique sont encore très visibles à l’entrée du cirque du « Fer à Cheval » et une fouille transversale à la voie pourrait donner de précieux renseignements complémentaires.

1.2.4.3 Une plaine curieuse

36Passé l’ultime étroit entre Fauconnière et Larmont par lequel se faufile le Doubs, encore modeste rivière, la voie s’élargit pour atteindre le vaste cône fluvio‑glaciaire sur lequel s’est construite la ville de Pontarlier et où durent s’installer les premiers habitats. L’important passage et la rivière, la vaste plaine, mi‑marais mi‑prairie, qui se situent au débouché de vals profonds et de forêts épaisses ne pouvaient que servir de halte indispensable et confortable. Pour les gens comme pour les bêtes, l’endroit constitue une sorte d’oasis paisible sinon bucolique, après les épreuves de la traversée jurassienne. La rivière, peu profonde, devait permettre de faciles franchissements à gué, la grande plaine offrait de vastes pâturages et le voisinage de la forêt un matériau et un combustible inépuisables.

37L’Arlier, tel est le nom que tous les historiens ont donné à cette plaine, constitue le premier endroit « habitable » de la haute chaîne. L’altitude y est encore élevée entre 800 et 850 m, mais l’espace y est dégagé et en conséquence l’ensoleillement maximum. Psychologiquement, on tourne le dos au mur jurassien et la vue s’ouvre largement vers l’ouest et le sud. La rivière le Doubs, qui accompagne le voyageur dans le dernier défilé, serpente ensuite dans le cône fluvio‑glaciaire où elle s’est taillé un lit et prend résolument la direction nord où elle occupe une vallée moyenne s’ouvrant largement sur l’Arlier.

38De basses collines boisées cernent l’Arlier vers le nord sans faire obstacle à la voie qui file en direction de Besançon (N.67). Cette route franchit une petite rivière, le Drugeon, à quelques centaines de mètres de son confluent avec le Doubs dont elle est un affluent. Le Drugeon prend sa source à Vaux‑et‑Chantegrue à 18 km au sud‑est de Pontarlier. Il utilise au début de son parcours, une cluse profonde entaillant la chaîne du Laveron et qui fut sans aucun doute l’ancien cours du Doubs à la fin du Würm. Le Drugeon se dirige alors résolument vers l’ouest jusqu’au village de Bonnevaux où il bifurque vers le nord. Il traverse alors complètement la plaine de l’Arlier avec une paresseuse lenteur, multipliant ses méandres et ses circonvolutions. Tantôt il sert de drain aux marécages qui occupent les parties les plus basses, tantôt, surtout à la fonte des neiges hivernales, il déborde et inonde momentanément ces mêmes marais. Ces pérégrinations du Drugeon ont coupé l’Arlier en deux parties et les villages qui s’y sont installés se sont situés de part et d’autre.

39L’instabilité du sol marécageux qui borde le Drugeon a dû constituer de tous temps une gêne considérable pour toute voie de communication suivant son cours. Les gués permettant de le traverser durent se situer dès l’origine aux endroits où se sont implantés les premiers villages et où se sont construits, bien plus tard, les ponts actuels : Vuillecin, Dommartin, Houtaud, La Rivière, Bouverans, Bonnevaux. Les premières sentes ou chemins de trafic sont les prémices des routes ultérieures et des routes nationales qui, aujourd’hui, évitent le coeur de l’Arlier où coule le Drugeon et où abondent les marais. Elles contournent la cuvette par les versants nord ou sud, légèrement plus élevés donc plus secs. Ainsi le cœur même de l’Arlier, avec le Drugeon serpentant au milieu des marais, présente encore un visage sans doute très proche de celui qu’il offrait dans le millénaire précédant notre ère. S’ajoute à la curiosité du lieu le voisinage de phénomènes originaux comme le petit lac de Bouverans, dit « l’Entonnoir », qui est un regard sur une énigmatique circulation hydrogéologique souterraine en communication avec la résurgence de la Loue à plusieurs dizaines de kilomètres de là, ce qui lui vaut d’être le plus souvent étale, mais quelquefois, au gré des sécheresses saisonnières, de disparaître presque complètement.

40La bordure du sud de l’Arlier, des Granges‑Narboz à Bonnevaux, est constituée des ultimes moraines des derniers glaciers locaux du Würm. Derniers vestiges de ce colossal événement climatique, ces moraines ont conservé une morphologie jeune et très lisible, recouverte d’une mince couche de terre végétale d’où émergent des blocs erratiques pour la plupart constitués de calcaire, quoiqu’il existe dans l’Arlier en plusieurs endroits d’autres blocs erratiques glaciaires de gneiss ou de granit, témoins, eux, des précédentes glaciations du Riss.

41Un des caractères de l’Arlier, c’est l’absence d’arbres et de forêts. Alors que le haut Doubs est terre d’élection de forêts épaisses, l’Arlier constitue une vaste clairière qui va en se prolongeant vers le sud. Les tourbières se détachent en larges taches sur fond de marais. Elles fournissent les arbres caractéristiques de l’Arlier et la végétation de tourbières : pins à crochets, bouleaux nains, résultats d’une émigration vers le sud d’espèces boréales auxquelles s’associent des vestiges de flore arctique : canneberge, camrine, andromélie et le rare saxifrage œil‑de‑bouc. Les quelques autres arbres qui ponctuent cette platitude sont de rares plantations humaines : quelques épicéas, frênes, tilleuls, trembles. En dehors des tourbières elles‑mêmes, domaine des sphaignes, le sol est constitué de grandes épaisseurs de cailloutis morainiques, mêlés d’argiles et de limons. Riches en calcaire ils sont appelés « sols bruns calcaires » et portent des prairies.

42L’essentiel des terres agricoles est constitué de pâturages. Néanmoins, il est aisé de discerner des terrasses de culture aux endroits favorables qui ont été cultivés avec application au cours des siècles précédents : cultures vivrières et fourragères aujourd’hui en déclin. La rigueur du climat, indulgente pour la fenaison, rend toute autre culture plus aléatoire. Prairies de fauche et pâtures occupent la plus grande partie de la Chaux d’Arlier où le cheptel est abondant, bovin dans sa grande majorité, chevalin accessoirement. Les vastes herbages sont ici souvent collectifs et communaux et leur entretien sommaire, la surface compensant la moyenne qualité du terrain. Le sol de ces communaux est donc resté à peu près en son état primitif, ce qui a constitué une chance exceptionnelle de préservation des tertres funéraires qui s’y trouvaient, nul ne percevant le moindre intérêt à faire disparaître ces monticules herbeux sur lesquels les troupeaux broutent depuis des temps immémoriaux.

Índice de ilustraciones

Leyenda FIG. 2 – En haut : épingle à tête globuleuse de Houtaud
Créditos cliché : P. Bichet
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Leyenda FIG. 3 – Répartition des tumulus fouillés de la plaine de l’Arlier : 1 Les Bossus no 1 ; 2 Les Bossus no 2 ; 3 Planquecet no 1 ; 4 Planquecet no 2 ; 5 Planquecet no 3 ; 6 Planquecet no 4 ; 7 Cessay ; 8 Gd Communal no 1 ; 9 Gd Communal no 2 ; 10 Gd Communal no 3 ; 11 Gd Communal no 4 ; 12 « La Décharge no 1 » ; 13 « La Décharge no 2 » ; 14 « La Loge » ; 15 « Les Gentianes » ; 16 La Vierge ; 17 La Censure no 1 ; 18 La Censure no 2 ; 19 La Censure no 3 ; 20 La Censure no 4 ; 21 La Censure no 5 ; 22 La Censure no 6 ; 23 La Censure no 7 ; 24 Les Longs Champs ; 25 Mordeterre ; 26 La Carrière no 1 ; 27 La Carrière no 2 ; 28 Les Fourneaux ; 29 Granges Dessus ; 30 Cottaroz.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37080/img-2.jpg
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Leyenda FIG. 4 – Vue aérienne des tumulus de la Chaux d’Arlier (la Censure à Chaffois)
Créditos cliché : P. Bichet
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/37080/img-3.jpg
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