La villa du Liégeaud et ses peintures
|Conclusion
Résumé
La peinture commémorative confirme que le propriétaire fait partie des notables lémovices et invite à s’interroger sur les relations entre son statut social et sa résidence rurale. Or à l’état 1, celle‑ci relève d’une conception modeste du plan (bâtiment rectangulaire aligné au fond d’une cour sans portique), comme du décor (peintures, placages en calcaire, matériaux en terre cuite), qui doit tenir à la date de sa construction, antérieure au développement du plan en U, à la diffusion du décor en pierre et à l’importation de marbres chez les Lémovices. En revanche, si l’état 2 voit la construction d’ailes et de galeries autour du corps du logis, il ne livre aucune trace de colonne ni de dallage révélant un niveau fort moyen par rapport à d’autres villes lémovices. Ces remarques seraient à compléter par les témoignages de la pars rustica et l’étude des formes de l’exploitation qui n’a pu être menée au Liégeaud.
Texte intégral
1Nous voici maintenant ramenés, par le détour de la fouille et des interrogations qu’elle suscite, à la personnalité du propriétaire de la villa que P. Delage se plaisait à évoquer lisant Virgile dans la senteur de ses foins parfumés.
2Si les hasards de la découverte d’une peinture commémorative nous livrent peut‑être son cognomen –ce doit être l’un des rares propriétaires de villas gallo‑romaines identifiés (Blanchard‑Lemée 1981)–, l’inscription confirme que son profil est conforme à ce que nous savons déjà de cette classe de notables pratiquant des évergésies financées par les revenus de leurs propriétés rurales.
3Nous bénéficions ici d’une des rares occasions où nous pouvons tenter de préciser, malgré les lacunes de l’information, la liaison existant entre le statut social du propriétaire et le plan de sa résidence (Leveau 1984 : 108). Or, nous savons que celle‑ci se présente sous l’aspect d’un bâtiment rectangulaire, isolé au fond d’une cour protégée par un mur de clôture derrière lequel se trouve un bâtiment secondaire. S’il est possible que le bâtiment lui‑même ait disposé d’une galerie en façade, il est assuré qu’aucun portique ne doublait le mur d’enceinte. On peut s’étonner qu’un tel plan, dont la simplicité contraste avec l’ensemble de l’état 2 à corps de bâtiment central et ailes latérales derrière une galerie de façade, corresponde à la résidence rurale d’un notable lémovice, au milieu du iie s. Cette sobriété tient‑elle à la rareté des séjours du maître, sollicité par sa maison de ville ou par d’autres résidences ? Mais la peinture commémorative contredit l’idée d’une demeure peu fréquentée. Il faut plutôt se demander si la modestie du plan ne tient pas à la date de sa mise en place : le plan en U, représenté chez les Lémovices par les villas de La Chapelle‑Montbrandeix et de Saint‑Priest‑sous‑Aixe, n’apparaît en effet qu’assez tard au cours du iie s. Bâtie vers 140‑150 par un propriétaire peu soucieux de nouveauté, la villa du Liégeaud relèverait du modèle anciennement établi.
4Les décors apporteraient‑ils des éléments complémentaires d’appréciation ? Le choix de la peinture comme revêtement pariétal correspond évidemment à la pratique de loin la plus répandue, mais le thème, l’exécution de l’ensemble, l’utilisation de pigments « de luxe » (bleu, orpiment) dont certains sont importés d’Italie (vert), le classent très au‑dessus des seuls ensembles contemporains connus pour l’instant, ceux de La Chapelle‑Montbrandeix et de Rougnat‑Cujasseix dont les compositions relèvent des modèles habituels aux ier et iie s.
5Des matériaux de placage (calcaires et marbres) ont été recueillis au Liégeaud. Or, dans la gamme des décors muraux, ceux‑ci relèvent d’une catégorie supérieure à celle des peintures : la nécessité du transport les fait réserver à des habitats riches, surtout lorsque la région n’est pas productrice. C’est le cas du Limousin où n’a guère été exploitée dans l’Antiquité que la serpentine de La Roche‑l’Abeille (à 26 km au sud‑ouest de La Croisille) (Bedon 1984 : carte 9), alors que calcaire et marbres sont importés (Braemer 1982 : 58).
6Si de tels matériaux ont été identifiés dans les villas lémovices les plus importantes, il est difficile de préciser à quel moment ils sont utilisés et à quelles salles ils appartiennent. Au Liégeaud, on peut suggérer la chronologie suivante : les fragments de calcaire lisses, trouvés dans les remblais de l’état 2, ont dû être employés à l’état 1 –leur rattachera‑t‑on les encadrements d’ouvertures en calcaire, anciennement recueillis ?– tandis que les fragments de marbre ou de serpentine, ne figurant que dans la récolte clandestine, pourraient appartenir à l’ensemble thermal de l’état 2 ou 3.
7En revanche, aucun élément de dallage ni aucune tesselle de mosaïque n’ont été découverts au Liégeaud, alors qu’on en signale sur plusieurs sites. Pas davantage de traces de base, de chapiteau ou de tambour de colonne en calcaire (sauf un fragment très abîmé de base en grès), alors que c’est le cas à La Chapelle‑Montbrandeix et à Saint‑Priest : on se souvient que la galerie‑façade de l’état 2 comprend des colonnettés en briques. Il semble donc que, si peintures et matériaux en terre cuite sont abondamment représentés ici, ce ne soit pas le cas du décor de pierre et l’on pourrait conclure que notre villa ne se classe pas dans le « haut de gamme » des villas lémovices.
8Cependant, dans l’appréciation du décor, il faut dissocier les deux états. Si l’état 1 frappe par l’iconographie de sa peinture, on peut s’étonner de l’absence de colonnes, de dallage ou de mosaïque. Mais il faudrait auparavant s’assurer que de tels décors existent déjà vers 140‑150 dans les villas lémovices. Peut‑être ne se répandent‑ils que dans la deuxième moitié du iie s. ? Dans ce cas, leur absence, à l’état 1, n’a aucune signification. En revanche, pour la période qui suit, nous avons suffisamment de témoignages d’un enrichissement du décor clans les autres villas pour constater la modestie du choix dans le répertoire décoratif disponible et conclure qu’à ce moment‑là la villa du Liégeaud se situe à un niveau fort moyen dans une série de villas dominées, en particulier, par celles de La Chapelle‑Montbrandeix, de Saint‑Paul‑d’Eyjeaux et de Saint‑Priest‑sous‑Aixe.
9Il faut donc constater qu’architecture et décor n’évoluent pas de la même façon d’un état à l’autre. Si à la sobriété du premier plan succèdent les amples développements du second, suivant en cela les exigences de la mode, le décor de l’état 2 paraît bien être en retrait sur ce qui se fait ailleurs. A quoi tient cette rupture de rythme qui contraste avec le développement linéaire que l’on pense lire habituellement dans les étapes successives d’un habitat, surtout lorsqu’il est de type résidentiel ? A la personnalité du propriétaire ? A Vaison, par exemple, à travers les modifications du plan de la Maison au Dauphin, C. Goudineau croit déceler la permanence de ses origines rurales et, même lors du passage de l’état 2 à l’état 3, il parie pour le maintien dans les lieux du même propriétaire qu’il imagine plus passionné par les produits de son jardin que par les nouveautés de la construction.
10Ici, les différences dans le traitement architectural et décoratif de la résidence, d’un état à l’autre, manifestent des variations, soit du goût, soit de la fortune du propriétaire, qui évoquent l’idée qu’il ne s’agit plus du même homme –ce que confirme la destruction de la peinture commémorative. On se souvient que l’arasement systématique des constructions antérieures pour la mise en place de l’état 1 avait déjà suggéré un changement de propriétaire. Nous verrions donc, entre le début et la fin du iie s., se succéder trois propriétaires. On peut d’ailleurs, surtout entre le deuxième et le troisième, ne pas évoquer un changement radical, mais seulement le passage du père au fils, comme l’indique la chronologie assez resserrée dont nous disposons : l’intervalle entre les états 1 et 2 n’est en effet, que de quelques dizaines d’années, l’espace d’une génération.
11Au‑delà du goût de chacun des propriétaires, les modifications qui interviennent dans la partie résidentielle devraient pouvoir être précisées, complétées par ce qui se passe dans la pars rustica. Seule la fouille de cette partie de la villa permettrait de réfléchir sur la nature de ses ressources, sur les variations de son économie d’un état à l’autre, sur les modes d’exploitation de la terre. On pourrait alors se demander si la reconstruction ex nibilo de l’état 1 s’est accompagnée d’un remodelage de l’exploitation agricole proprement dite, si les états 2 et 3 correspondent à des agrandissements ou à un simple entretien de ces bâtiments, si des signes de stagnation, de récession sont perceptibles. Mais ces questions restent sans réponse, soulignant à quel point une telle fouille est incomplète.
12Or il faut bien reconnaître que ce cas n’est pas isolé et avouer que les difficultés mêmes que nous avons éprouvées à mener à son terme un projet restreint sont le signe que le temps de la fouille par des équipes pauvres en moyens est révolu. Devant la médiocrité des résultats obtenus, depuis des décennies sur de trop nombreux sites de villa, certains pensent même que la fouille de ce type d’habitat aboutit à une impasse et que l’approche de la question rurale en Gaule romaine passe désormais par l’étude du territoire. Je ne serai pas aussi radicale et je reste persuadée de l’intérêt irremplaçable de certaines fouilles. Mais il est clair qu’en ce domaine le renouvellement viendra de la mise au point de projets régionaux, établissant une problématique d’ensemble, choisissant les sites susceptibles d’offrir le maximum de réponses aux questions posées et concentrant là des ressources trop dispersées jusqu’ici. C’est le souhait que je forme pour une meilleure connaissance des campagnes lémovices.
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