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La villa du Liégeaud et ses peintures

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Françoise Dumasy-Mathieu

Chapitre 3. Etude technique et restauration

Catherine Kelbérine

Résumé

Les observations techniques menées lors du traitement des fragments de peinture permettent d’évoquer le contexte du chantier de construction. L’absence de production locale de chaux a incité à économiser ce matériau dans le mortier de support qui apparaît aujourd’hui particulièrement friable. En revanche, la chaux a été abondamment utilisée pour la couche picturale bien conservée malgré les dommages subis. Quant au savoir‑faire de l’atelier, il se révèle dans le recours systématique au polissage des fonds et dans l’usage très vraisemblable –il n’en existe jamais de preuve décisive– de la technique a fresco. Très peu de tracés préparatoires ont été repérés ; il faut sans doute évoquer une grande habitude du découpage de la paroi, précisé peut‑être par des repères peints. Enfin, l’importation de certains pigments –d’Italie en particulier– confirme le caractère quelque peu exceptionnel de cette commande originale.

Le principe retenu pour la présentation muséographique a été la réalisation, pour chacune des deux séries, d’un panneau rouge flanqué de deux interpanneaux noirs. Vu l’aspect lacunaire des ensembles, nous avons privilégié la restitution des motifs en recourant aux ressources du trateggio pour les rendre perceptibles à un œil peu expérimenté.

Texte intégral

  • 1 Il s’agit d’un compte rendu de travail d’où la recherche bibliographique a été volontairement exclu (...)

1Il nous a paru logique de regrouper dans ce dernier chapitre1 tout ce qui touche aux aspects techniques, c’est‑à‑dire nos observations sur la technique picturale et un exposé des opérations de restauration.

2Malgré la destruction volontaire des peintures, des conditions de conservation défavorables (fig. 118) et un mortier de qualité très médiocre, la couche picturale nous est parvenue dans un état excellent ; c’est sa qualité qui a permis l’étude de cet ensemble dont les fragments recueillis représentent à peine 10 à 30 % de la totalité du décor d’origine.

FIG. 118 – Remblai de peintures dans la galerie 43.

3Une telle importance des lacunes, alliée au désordre et au morcellement des fragments a posé des problèmes particuliers, tant pour la compréhension de l’iconographie et de l’organisation générale du décor que pour la fabrication proprement dite des panneaux ; ceci nous a amenés à mettre au point une technique adaptée à ces conditions.

  • 2 D’où les nombreux renvois à l’ouvrage de M. Frizot (1975) et l’adoption de sa terminologie descript (...)

4Un autre intérêt de cette campagne de restauration a consisté dans l’étude du matériau clans des conditions de laboratoire ; elle a montré qu’il est moins nécessaire de disposer de procédés sophistiqués que de savoir tirer les conséquences d’observations et d’expériences réalisées par des moyens simples. A défaut d’avoir toujours pu en tirer le meilleur parti, cela nous a permis de poser une série de questions sur le matériau, sur les méthodes d’étude de la technique picturale2 et sur certains points de restauration.

3.1 Technique picturale caractères généraux et problèmes d’identification

  • 3 Trop élaborées car elles demandaient de préciser, pour chaque composant, aussi bien son pourcentage (...)

5Pour l’observation et la description de la technique picturale, nous avions adopté, au début de la fouille, des fiches standardisées. Mais elles se sont révélées à la fois trop élaborées3 et trop générales quant à la nature des informations à consigner : elles ne permettaient pas de mettre en valeur les traits remarquables ou constants du cas particulier que représente tout ensemble de peintures ; aussi les avons‑nous abandonnées et, pour comprendre la fabrication du mortier, nous avons surtout profité de l’opération de désépaississement en nous laissant guider par sa stratification « naturelle », puis en étendant systématiquement l’examen aux fragments destinés à l’interpanneau des tiges entrecroisées (série 2).

6Quant à la couche picturale et à ses relations avec le mortier, nous n’en avons saisi la structure qu’avec le recours à une loupe binoculaire à forts grossissements.

3.1.1 Description générale de la stratification des peintures

  • 4 L’intanaco est une mince couche de chaux pure ou chargée d’un produit pulvérulent ; il correspond d (...)
  • 5 D’après le rapport de M. Delamare et de M. Odin (respectivement de l’Ecole des Mines de Paris, CEME (...)
  • 6 M. Frizot note que c’est le cas d’un tiers des peintures qu’il a examinées dans son ouvrage (1975 : (...)

7On distingue toujours dans une coupe de peinture une succession de strates, témoignage souvent malaisé à déchiffrer de la technique employée. On cherche notamment à vérifier s’il y a association « arriccio‑intonaco »4, ce que nous n’avons pas manqué de faire ; toutefois, nous éviterons ici de faire appel à ces termes, car l’absence d’un intonaco bien apparent dans nos peintures5 ne signifie pas qu’il n’ait pas été passé à l’époque et aussi parce que l’on connaît de nombreux cas d’enduits peints dépourvus de cette pellicule de surface6.

8Les peintures de la villa du Liégeaud sont caractérisées par un mortier (fig. 119) très épais, de 3 à 8 cm (le plus souvent de 6 cm), grossier, assez friable et fragile (suffisamment pour qu’il ait constamment fallu être prudent lors de la manipulation des fragments), et par une couche picturale bien conservée, souvent concrétionnée, aux teintes vives.

FIG. 119 – Coupe schématique de la peinture :
1 couche picturale ; surface de séparation bien plane ; à 1,5‑2 cm de la cp, on a trouvé, au cours de la destruction du mortier la silhouette du motif, claire se détachant sur fond plus sombre (en pointillés) ; l’examen à la loupe binoculaire (G x 96) de coupes de la couche picturale montre successivement : une véritable pellicule de peinture, de la teinte que l’œil perçoit dure et cassante ; au‑dessous, c’est la zone de « migration « du pigment, qui est comme de la chaux fortement chargée en pigment ; son épaisseur varie de 1/10 à 1/20 de mm, est‑ce l’intonaco ?
2 couche blanche de 4‑5 mm, fortement chargée en chaux ; bon état de conservation (sauf sous les couches picturales rouges) ; agrégat grossier et hétérogène, affleurant à la surface de la cp (micas et quartz repérables à l’œil nu) ; présence d’une zone de « migration » des pigments de fonds ;
3 couche « médiane » 3‑6 cm, peu chargée en chaux, plus ou moins friable (sauf pour les fragments rouges), jaune‑brun ; agrégat mal malaxé, hétérogène, comprenant de petits cailloux et du tuileau de plusieurs mm, ainsi que des éléments végétaux ; pas de stratification interne régulière ;
4 couche de quelques mm ; agrégat différent de celui de la couche 3 plus claire que cette dernière ; souvent presque blanche, pas de caractéristiques permanentes car souvent absente.
4 et 5 pourraient correspondre à l’égalisation des murs.

  • 7 Etant donné la complexité des analyses quantitatives et qualitatives d’un mortier et la difficulté (...)

9Bien que l’on ne puisse pas se prononcer sur l’état du mortier au moment de sa mise en œuvre et durant les quelques décennies suivantes7, il semble qu’il lui ait manqué l’essentiel pour être durable, c’est‑à‑dire une proportion suffisante de chaux de bonne qualité (Prizot 1975).

  • 8 Dans un rayon de 20 km, il n’y a qu’un seul gisement de pierre à chaux, et de qualité médiocre ; c’ (...)
  • 9 Un terrain acide, au sens géologique du terme, ne contient pas de calcaire ; les eaux qui le traver (...)
  • 10 D’un côté, un degré d’humidité élevé avec des lessivages fréquents du fait que la villa est située (...)

10La chaux, dont les possibilités de production locales sont pauvres8, semble avoir été utilisée à l’économie puisque la couche 3 du mortier n’en contient actuellement guère plus de 10‑15 % ; cette faible teneur aurait favorisé les cycles de dissolution et de cristallisation du carbonate de calcium, et ce d’autant mieux que l’environnement géologique est exclusivement acide9. Ce défaut aura peut‑être été partiellement compensé par les conditions locales de conservation qui, bien que défavorables, ont été assez stables, grâce à la protection du sol de l’état 2 de la villa10.

  • 11 Agrégat : ensemble du matériau granuleux qui entre en mélange avec la chaux en pâte pour former un (...)
  • 12 Sable : roche sédimentaire, siliceuse ou non, souvent définie par la taille de ses grains (entre 10 (...)
  • 13 Rien d’étonnant à cela puisque toutes les roches des environs sont crystallophylliennes ou granitiq (...)

11La grossièreté et l’hétérogénéité de l’agrégat11 ont aussi joué un rôle dans la fragilisation du mortier : mal mélangé, étalé sur le mur en passes successives irrégulières plutôt qu’en couches véritables (ceci concerne la couche 3), il a été fabriqué avec des sables et des graviers locaux12 contenant beaucoup de quartz impur, de l’argile et du mica blanc et noir13.

12Les constructeurs étaient peut‑être conscients du problème posé par la chaux car ils ont soigné la couche 2 (devant recevoir la peinture ?) en utilisant pour elle une proportion de chaux nettement plus importante (25‑40 % actuellement), ce qui a assuré la sauvegarde de la couche picturale.

13Dans le même ordre d’idées, on peut se demander si le décor n’a pas commencé à subir des remontées capillaires sitôt achevé ; les fragments beige‑rosé de la sous‑plinthe ont perdu toute cohésion, comme s’ils avaient particulièrement souffert.

14Parmi les causes à l’origine de la destruction du décor, on peut donc supposer un processus de dégradation précoce dû à la mauvaise tenue du mortier (les autres raisons pouvant être liées à des réaménagements ou à des considérations d’ordre esthétique).

3.1.2 Préparation du support

15Les traces au revers des mortiers n’apparaissent que sur un nombre limité de fragments (quelques dizaines) car peu d’entre eux ont gardé la totalité de leur épaisseur.

16Une première série, représentée essentiellement par des fragments rouges, où le concrétionnement a permis la conservation totale du mortier, offre des traces de moellons avec les aplats, les aspérités, les irrégularités typiques des blocs de schiste employés dans les murs de la villa.

17Une deuxième série, qui comprend seulement cinq fragments de la plinthe à thyrses, présente des traces de joints au fer (fig. 120, 1) (longueur supérieure à 17 cm, hauteur 9 cm), alors que rien de tel n’apparaît dans les zones supérieures. On peut supposer que les joints assurant une fonction d’étanchéité étaient réservés au bas de murs humides. Mais il faut noter que la plinthe de la série 2 ne présente aucune empreinte de ce type.

FIG. 120 – Traces au revers du mortier : 1 joints au fer ; 2 traces aux doigts.

18Une troisième série, repérée seulement sur certains fragments de l’entablement à cygnes (série 1) (fig. 120, 2) correspond à ce que H. Eristov a décrit comme « des empreintes en relief légèrement convexes » (les largeurs de 0,8 à 1,2 cm et les épaisseurs de 0,2 à 0,5 cm sont identiques) (Eristov, de Vaugiraud 1985 : 38‑40). Là, elles suivent des tracés curvilignes qui semblent bien être faits au doigt. H. Eristov considère que ces empreintes sont caractéristiques des murs en pisé. On peut se demander si c’est bien le cas à la villa du Liégeaud où la fouille n’a repéré aucune trace de cette pratique constructive. La découverte de telles aspérités entre les couches 2 et 3 fait supposer qu’elles servaient à renforcer l’adhérence entre ces couches (Prizot 1975 : 193). Reste à se demander pourquoi on ne retrouve ces empreintes que sur l’entablement à cygnes.

19Une quatrième série se compose d’empreintes de matériaux en terre cuite : imbrex, tegula, briques à traces faites au doigt, dont certains morceaux adhèrent encore au revers d’enduits peints. Mais il s’agit de morceaux blancs unis qui devaient border des ouvertures (Prizot 1975 : 197).

3.1.3 Exécution de la peinture

  • 14 Notamment des lames minces exécutées perpendiculairement à la couche picturale, des photos microsco (...)

20La question se pose de l’existence d’une couche d’intonaco. En l’absence d’examens scientifiques approfondis14, nous nous trouvons devant le tableau suivant : on ne décèle pas de couche de chaux pure sous la couche picturale, mais on imagine mal le peintre passant un intonaco aussi grossier et épais que la couche 2 immédiatement avant de peindre. Donc, s’il y a eu un intonaco, sa matière aura pu pénétrer dans la couche 2 sous la pression du polissage consécutif (ou des polissages, puisque les fonds sont aussi polis), y provoquant la diffusion des pigments de fonds.

  • 15 L’examen en diffraction X permet de voir une orientation des parcelles de mica parallèlement à la c (...)
  • 16 La nature du pigment (argileux ou non), la fluidité de la peinture, le type d’instrument, l’état du (...)

21Le polissage est en effet partout bien visible. Les fonds noirs portent un réseau de stries, orientées toujours à peu près horizontalement, plus ou moins ramifiées et si bien visibles à l’œil nu qu’elles ont servi de guide dans la recherche des collages. Quant aux fonds rouges, leurs stries sont rigoureusement parallèles et droites, espacées et presque invisibles à l’œil nu15. Ces différences s’expliquent par les conditions de polissage16, dictées sans‑doute elles‑mêmes par les diverses destinations de ces fonds : seuls les fonds noirs devaient recevoir un décor peint abondant et complexe.

  • 17 A ce propos, nous avons remarqué que l’examen en lumière rasante des lignes de jonction entre deux (...)

22On note par ailleurs l’adoption d’un ordre bien précis et toujours respecté dans l’exécution des fonds ; les surfaces rouges sont peintes les premières, puis viennent les champs noirs, puis les bordures jaunes des extrémités des parois. La jonction de deux champs de couleurs différentes est masquée verticalement par des filets blancs et horizontalement par des bandes et des entablements qui portent parfois la trace d’un écrasement par l’instrument de polissage17. Mais il n’a pas été possible de retrouver l’ordre d’exécution des divers motifs, c’est‑à‑dire de distinguer des pontale et des giornate.

  • 18 Vitruve disait : « Lorsque les couleurs auront été appliquées avec les politiones, les parois jette (...)

23Le résultat recherché pour les fonds est bien l’effet des expolitiones, tel qu’en parle Vitruve18, mais au Liégeaud, comme dans de très nombreux cas, il ne s’étend pas aux détails des décors figurés. Parmi les motifs sur fond noir, certains, faits de deux couches pigmentaires superposées, se trouvent aplatis au point que leur surface se fond dans celle du champ noir (lion) ; mais la majorité, de deux couches ou plus, montre de beaux empâtements et des traces très expressives de coups de pinceaux (fig. 121). Il n’y a aucune homogénéité au sein d’un motif donné : ainsi les cygnes sur les acrotères et les petits cadres centraux de cet entablement, à la peinture épaisse et empâtée, se trouvent‑ils situés de part et d’autre de feuillages aériens, plats, presque transparents.

FIG. 121 – Tiges entrecroisées : 1 fragment du motif ; 2 détail : opposition entre le fond noir et le relief des motifs ; 3 détail : traces au pinceau et tendances à l’écaillage.

  • 19 Il se situe toujours entre le fond noir et les couches de pigment déposées dessus.

24Certaines couches picturales sont le siège d’une légère tendance à l’écaillage19 (fig. 121) ; c’est le cas des centres des tiges croisées, des pommes du petit cadre et d’un des venatores, signes que les peintures ont été terminées dans des conditions qui ne pouvaient pas assurer une adhérence suffisante de toutes les couches picturales entre elles ; on considère ordinairement, que ces touches étaient posées sur un fond déjà sec, mais il peut y avoir d’autres causes.

  • 20 Soumis à la flamme d’un chalumeau, les pigments réagissent de la manière suivante :
    – le noir dispar (...)
  • 21 Sur quelques fragments, on a trouvé une petite marque de cordelette ou un arc de cercle incisé, mai (...)

25Par une observation attentive des peintures, doublée d’une analyse grossière des pigments20, on peut parvenir à comprendre l’ordre de pose des différentes touches et l’obtention des différentes teintes ainsi que la façon de mettre en place un motif dans l’espace qui lui est réservé. Ici, il n’y a presque pas de tracés préparatoires (à l’exception d’un bourrelet dans l’axe vertical des candélabres et de la trace d’une cordelette dans l’axe de la colonne blanche sous un des entablements à cygnes)21.

26Nous avons cherché ces tracés préparatoires pour essayer de comprendre la géométrie des tiges entrecroisées, mais en vain ; il se peut que des points marquant le centre de « cercles » ou des croisements des brins soient masqués par la peinture et qu’un grattage à la binoculaire les ait dévoilés. Le peintre a peut‑être mis en place les tiges à main levée : les « cercles » qu’ils forment sont tantôt ronds, tantôt ellipsoïdaux ou encore en amande, et leurs centres peuvent dévier de l’axe médian d’un à deux centimètres. En se servant pour cette opération d’un rose soutenu (passé avec un pinceau qui pouvait avoir 2 cm de large), le peintre imposait le ton dominant de ces interpanneaux. Ensuite, il passait, sans la lisser, la couleur des plages comprises entre les deux brins de la torsade, puis dessinait les ombres brunes ou grises et finissait par les fleurons et autres détails blancs (touches de lumière). Il a donc opposé les centres extrêmement vifs, unis et plats, pour lesquels il a fait alterner toutes les couleurs « pures » à sa disposition, au volume rosé des tiges fleuries (pl. IV). Cela demande de jouer sur les nuances, but que l’artiste atteignait par mélange des pigments et en superposant des « jus » plus ou moins transparents.

27Le peintre disposait sur sa palette de sept couleurs de base : blanc (de chaux), noir (de carbone), un tout petit peu d’orangé très vif (orpiment ?), du rouge, du jaune et du vert (sous forme de terres), et du bleu égyptien (verre pilé et réduit en poudre, dont les particules sont très visibles à la binoculaire).

  • 22 L’analyse du pigment par diffraction X montre qu’il contient de l’hématite en assez forte proportio (...)
  • 23 Le Limousin, caractérisé par l’abondance des zones argilisées sur une grande profondeur (30 m envir (...)
  • 24 Le pigment vert est un mélange naturel de deux terres vertes : une céladonite et une chlorite ; cel (...)
  • 25 Ceci est tout particulièrement vrai pour des pigments tels que l’orpiment et le réalgar pour lesque (...)

28Si les terres rouges22 et jaunes sont très certainement d’origine locale23 , celle‑ci est moins probable pour les autres pigments. A ce stade de réflexion, il peut être intéressant de pratiquer des analyses plus poussées des pigments pour essayer d’en découvrir l’origine. Elles révèlent que bien que les « terres vertes » soient aussi abondantes dans la nature, celle du Liégeaud a de fortes chances d’avoir été importée d’Italie24. On entrevoit ainsi tout l’intérêt qu’il y aurait à approfondir cet aspect de l’origine des pigments d’un même site archéologique et, au‑delà, à répertorier les « gisements de pigments » par types géologiques ou à rapprocher les résultats d’analyse de pigments de sites différents mais de couleur identique, etc. On pourrait se demander, par exemple, quelle est l’origine de l’orpiment ? S’agit‑il uniquement d’orpiment ou non ? Une analyse chimique a été effectuée sur un échantillon mais n’a pas été suffisante pour permettre une réponse25.

  • 26 L’examen et le grattage de couches picturales vertes à la loupe binoculaire ont montré l’existence (...)

29Quant au pigment bleu, il pose une fois de plus toutes les questions habituelles à son sujet. La fréquence de son utilisation en mélange avec du pigment vert et l’absence de couches pigmentaires franchement bleues ont fait souvent supposer des difficultés d’emploi inhérentes à ce pigment, en liaison avec sa nature vitreuse, mais on ne parvient pas à les cerner. Il est considéré comme un pigment cher et, pour le Liégeaud, on pourrait suggérer que son emploi est dû à la nécessité d’obtenir une grande variété de tons verts ; le peintre travaillait tout en nuances de couleurs et l’on imagine l’importance du bleu dans le rendu de la colonne de feuillage aux oiseaux26. Pourtant certains éléments apparaissent plus bleus que verts, comme la tunique du Venator no 1 ou la chemise de l’aurige ; ceci nous amène à dire pour finir un mot sur le liant.

  • 27 Une goutte d’acide chlorhydrique dilué versée sur la couche picturale disparaissait instantanément, (...)

30Dans nos peintures, le liant était de l’eau, de l’eau de chaux ou du lait de chaux ; étant donné la rareté de la pierre à chaux, ne peut‑on pas supposer que l’on extrayait une chaux maigre (contenant des impuretés argileuses) qui faisait légèrement « virer » le bleu dilué au vert ? Ou encore, ce phénomène est‑il attribuable à l’adjonction d’un liant organique destiné à améliorer la mise en suspension des grains du pigment ou leur adhésion à la paroi ? Des expériences d’attaque des couches pigmentaires par de l’acide chlorhydrique27 ont montré que cette hypothèse n’est pas à écarter, mais il faudrait, là aussi, pouvoir disposer d’analyses avec des moyens plus puissants.

3.1.4 Conclusions générales

  • 28 Même quand il est appliqué sur un fond sec, le pigment est fixé par la chaux du fond, pas encore en (...)

31L’addition d’un liant de détrempe, la présence d’empâtements ou d’écailles (tant que leurs rebords ne se recourbent pas nettement) n’excluent pas la fresque ; inversement, l’absence de liant organique, la « migration » des pigments dans le mortier, la fixation des pigments par du carbonate de calcium28 ne permettent pas d’affirmer l’usage de la fresque,

  • 29 On ne connaît d’ailleurs pas un procédé scientifique qui permette de diagnostiquer la fresque en to (...)

32Mais l’alliance d’une organisation du travail dans le temps et du polissage des fonds (et sans doute de certains motifs) confirme l’exécution des fonds sur enduit frais29 ; ces fonds presque brillants faisaient ressortir l’expressivité des décors figurés, traités en nuances et » en relief », d’une façon tantôt impressionniste et réaliste (petits spectateurs, pommes et oiseaux), tantôt avec un réalisme plus symbolique (tiges croisées, colonnes de feuillage).

3.2 Restauration

33Nous nous proposons de passer d’abord en revue les différentes étapes de ce travail, en les étendant ensuite au cas général des peintures trouvées en remblai.

3.2.1 De la fouille à la compréhension du décor

3.2.1.1 La fouille et la question du relevé

34La couche d’enduits peints, épaisse de 40 à 60 cm, occupait la galerie 43 où elle était recouverte d’un hérisson de sol, la salle 35 et la moitié est de l’espace 37 (correspondant à la salle 5 de l’état 1), c’est‑à‑dire une superficie de 55 m2 environ.

35Les fragments dégagés individuellement étaient retirés à la main lorsqu’il devenait possible de le faire sans provoquer de déplacements parmi les fragments voisins. Vu l’importance de cette couche, la densité des enduits peints et les délais impartis, le relevé des fragments fut rapidement abandonné. Il est largement remplacé par la conservation de la localisation des fragments dans un quadrillage de l’ordre du m2, que l’on inscrit sur les cageots, information dont on ne peut se passer dans la recherche des collages.

3.2.1.2 Consolidation sur la fouille

  • 30 Nom commercial d’une résine fabriquée par « Rohm and Haas » et qui est chimiquement un copolymère d (...)
  • 31 Du fait que le Paraloïd est dissout dans des solvants non aqueux, il adhère d’autant plus mal que l (...)
  • 32 La résine renforce l’adhésion des saletés et des concrétions et rend toujours le nettoyage ultérieu (...)

36Malgré la friabilité du mortier, presque tous les fragments ont été retirés sans peine, l’humidité retenue dans le mortier renforçant leur cohésion. Dans quelques cas (< 0,5 % comprenant les morceaux défoncés, écrasés, au mortier pulvérulent), pour garantir la sauvegarde de la couche picturale, nous avons jugé nécessaire de prendre des mesures de précaution. Après avoir soigneusement nettoyé la couche picturale, nous l’encollions d’une gaze de coton avec du Paraloïd B 7230 à 5 ou 10 %, selon l’humidité31. Avec l’expérience, nous avons vu que nous pouvions nous passer de l’encollage de la gaze plus souvent que nous l’avions cru ; en effet, à partir du moment où nous pouvions prendre un morceau, sa couche picturale résistait ensuite au transport et au séchage. Pour les fragments partant en morceaux, il était préférable de les recueillir tels quels et de les recoller ensuite à l’atelier, en relevant au besoin le décor sur du plastique transparent. En un mot, il vaut mieux toucher le moins possible à la couche picturale, car ce traitement d’encollage présente plusieurs inconvénients32. Nous n’avons pas eu à intervenir d’une autre manière sur le chantier car la couche picturale s’est avérée en bon état, solide et entière. C’est en revanche le mauvais état du mortier qui aura été la source de tous les problèmes de conservation, tant sur la fouille qu’à l’atelier.

3.2.1.3 Nettoyage

37Les enduits récoltés dans un cageot, marqué de la localisation et de la date, étaient stockés à l’atelier où le cageot recevait un numéro d’ordre (pour simplifier l’identification des centaines de cageots et en faciliter le rangement et la manipulation).

38Suivait un premier nettoyage de tous les fragments avec la recherche des collages « intra‑cageot » ; les fragments unis demeuraient dans leur cageot d’origine, tandis que les « décorés » rejoignaient éventuellement des bacs où ils étaient regroupés par thèmes identiques ou proches. Ils recevaient à cette occasion leur propre numéro en même temps qu’ils étaient inscrits dans l’inventaire et calqués.

39La technique de nettoyage se détermine par des essais (résistance mécanique de la couche picturale et sensibilité à l’action de l’eau, avant et après séchage des enduits peints) et par l’expérience. Pour notre part, nous utilisions des coton‑tiges humectés (pas d’eau distillée qui favorise la dissolution des sels et leur va‑et‑vient) qui, tapotés ou roulés, pompaient la terre déjà sèche, technique applicable grâce à l’absence d’écaillage et de pulvérulence et qui présente l’avantage de sauvegarder le relief et les traces de pinceaux.

  • 33 Non seulement les mortiers des fragments rouges conservent tous une bonne cohésion, mais ils sont d (...)

40La seule difficulté rencontrée résidait dans la présence de concrétions calcaires, abondantes, dures, opaques et adhérentes à la couche picturale dont elles empêchaient parfois la lecture. Le concrétionnement s’étendait aussi dans certains cas aux tranches en les déformant, mais ce phénomène ne concernait que les fragments rouges ; leur pigment semble en effet avoir créé des conditions particulièrement propices à la cristallisation et à la croissance de CaCo333. Pour éliminer les concrétions, nous les avons usées mécaniquement, en les amincissant avec des lames de bistouri et en les fendillant pour les faire sauter en éclats minuscules, méthodes efficaces mais toujours très lentes.

  • 34 Du toluène, ou mieux encore du paraxylène, mais tous les deux sont très toxiques ; pour le choix et (...)
  • 35 Quand il s’agit de constituer des pellicules collantes (sans imprégnation), les émulsions sont préf (...)

41Au cours de ce premier nettoyage, il faudrait dans l’idéal éviter le « paraloïdage », tant que l’on n’est pas sûr de ne pas avoir à revenir au nettoyage, sauf si l’état de la couche picturale le demande ; dans ce cas, il est préférable de choisir un solvant lourd34 ; encore faut‑il fixer les écailles et traiter les soulèvements avec un autre produit afin d’éviter de défaire ces consolidations avec le solvant du Paraloïd (puisque celui‑ci sert aussi à la fixation finale des panneaux), c’est‑à‑dire avec une résine vinylique en émulsion35. Le besoin d’une lecture plus précise du décor, ou la décision d’inclure tel fragment dans un panneau nous ont poussés à effectuer un nettoyage fin pour lequel, à part les procédés déjà cités, nous avons fait appel à la chimie.

42A défaut d’avoir pu essayer et adapter le produit mis au point par P. et L. Mora et P. Philippot (1977 : 400) pour l’attaque des concrétions, nous avons employé un autre complexant, l’hexa‑métaphosphate de sodium (sous la forme du « Calgon » du commerce), très dilué et suivi immédiatement d’un rinçage, idée inspirée par les techniques de nettoyage des vitraux (Bettembourg 1978 : 107) ; cette solution, passée à l’aide d’un coton‑tige (le coton possède une action mécanique) a donné des résultats très satisfaisants pour toutes les peintures à relief marqué, comme les tiges croisées où le travail au bistouri aurait rasé les crêtes des traces des coups de pinceau.

43La difficulté du nettoyage poussé réside dans le fait qu’il ne doit pas se faire aux dépens de l’expressivité de la matière picturale. Dans notre cas, il aurait fallu préférer garder des plages de concrétions plutôt qu’essayer de récupérer le maximum de fond rouge par nettoyage ; nous avons en effet perdu des parcelles assez importantes, tandis que sur les fonds noirs, nous laissions inévitablement des traces infimes du travail au bistouri. En fait, une peinture ne gagne pas obligatoirement en authenticité à force de nettoyage : elle le reste peut‑être plus en conservant les marques du temps qu’en portant celles d’un « ravalement » moderne.

44Pour nous, ce travail excessivement long aura néanmoins permis de rendre lisibles les feuillages de l’interpanneau, de comprendre que les oiseaux picorent des fruits, pour citer l’exemple le plus frappant. Enfin, il a mis en lumière la question de l’enseignement à tirer de l’examen « scientifique » préalable ; celui‑ci nous avait appris que les concrétions risquaient d’être inséparables de la couche picturale, ou le seraient en tout cas très difficilement ; il aurait donc fallu peser le risque de ce nettoyage en se demandant dans quels cas il faut faire sauter les concrétions, quand on a intérêt à ne pas y toucher et, aussi, si le temps consacré à cela n’est pas excessif par rapport aux besoins des autres opérations.

3.2.1.4 La question de l’inventaire

  • 36 Mais celui‑ci s’est avéré superflu ; il peut être utile de disposer d’une liste de fragments par th (...)

45Au départ, la mise en place d’un inventaire s’est imposée comme celle de tout inventaire archéologique. Il a pris une double forme de présentation ; un premier document comprenait une simple liste par ordre croissant des numéros, dressée au fur et à mesure de leur attribution aux fragments « isolés » (sortis des cageots), chacun d’eux étant suivi d’une brève description du décor et de son numéro de cageot ; le second cahier établi parallèlement reprenait un classement par thèmes iconographiques36.

46Cependant, un inventaire ne sert que de témoin statistique si les fragments inscrits ne sont pas aussitôt décalqués. Pour dessiner des calques exploitables lorsqu’on n’a pas les fragments à sa portée, il faut une certaine expérience d’observation et de lecture ; il faut commencer par rapporter le motif sur du plastique maniable (un peu rigide) et très transparent et attendre de mieux connaître les peintures avant de mettre au propre sur papier calque (au besoin par des traits de grosseurs différentes). Le calque n’est pas une fiche descriptive mais un relevé iconographique ; il faut donc en exclure (ou réduire au maximum) les lacunes, les usures, etc. et compléter les contours toutes les fois que c’est faisable sans risque d’erreur d’interprétation.

3.2.1.5 Consolidations en atelier

47Le premier passage en revue des fragments était l’occasion d’assembler définitivement certains d’entre eux à la colle vinylique.

  • 37 Il s’agit d’une mousse rigide à deux composants : Mixuranne 15723 et Beckadur 16000 à mélanger, à p (...)

48Nous avons aussi pratiqué des consolidations temporaires à la mousse de polyuréthane37 ; préparée en fonction des besoins, cette résine est très utile pour maintenir côte à côte des fragments qui forment un angle rentrant où peut venir se loger un autre fragment, des fragments au mortier irrégulier ou d’épaisseur inégale et pour constituer des « socles » à ceux qu’il est trop dangereux de manipuler. Cette mousse est préférable au « mortier synthétique » à base de colle blanche et de sable qui devient excessivement dur et pénible à enlever.

  • 38 Pour améliorer l’imprégnation, il conviendrait de disposer d’une pompe à vide et de faire des essai (...)

49Enfin il nous est arrivé de plonger les fragments au mortier déliquescent dans un bain de Paraloïd pendant deux à trois jours avec l’idée de faire une imprégnation, mais ce traitement ne permet de déposer qu’un film superficiel38 ; ceci dit, il crée une sorte de gangue qui consolide le fragment.

3.2.1.6 Fixation de la couche picturale

50Nous avons utilisé le Paraloïd B 72, qui nous a aussi servi pour la fixation finale, Cette opération donne l’occasion de poser l’un des principaux problèmes techniques de la restauration : comment s’arranger pour que chaque opération faisant appel à des produits chimiques n’ait aucune action sur les autres ?

3.2.1.7 Recherche des collages

51Après les rapprochements entre fragments d’un même cageot, de quelques cageots voisins ou d’un même bac, nous avons élargi le champ d’investigation à l’aide de l’inventaire ; à partir de 2 fragments, il est possible de rapprocher leurs 2 cageots d’origine, puis plusieurs autres cageots proches des précédents et ainsi de suite. On peut aussi dresser des cartes de répartition des divers thèmes dans le sol, car cela peut fournir des renseignements ou des suggestions sur l’organisation générale du décor (accumulation de tels fragments unis dans un coin, juxtaposition systématique de 2 thèmes …). On voit toute l’importance de l’inventaire dont les calques permettent de poursuivre la réflexion sur les diverses reconstitutions possibles en dehors des campagnes de fouille.

52Les formes et les couleurs des enduits ne sont pas les seuls éléments guidant la recherche des collages. Rappelons que certains ont été révélés par l’emboîtement des mortiers ; c’est le cas du petit cadre aux poires et de la liaison candélabre‑entablement de la série 1.

  • 39 Nous avions espéré tirer des indications de l’examen de la couche picturale à la binoculaire car un (...)

53Etant donné l’importance des lacunes, tous les autres indices étaient précieux ; les traces d’accrochage, trop peu nombreuses, ne nous ont pas servi mais les coups de pinceau et les traces du polissage39 ont donné parfois des résultats très satisfaisants, tel cet oiseau de la colonne de feuillage qui a pu être identifié après une orientation correcte des traces du polissage du fond.

3.2.2 La mise sur panneaux une reconstitution possible destinée au public

  • 40 Celle qu’A. Barbet a contribué largement à faire connaître en France.

54Le caractère lacunaire des peintures a eu pour conséquence que toute l’organisation du décor est suggérée par une très petite proportion de fragments (moins de 5 % de la surface totale des parois reconstituées sous forme de panneaux) et que la technique classique de mise sur panneaux40 a été abandonnée, tant elle est apparue mal adaptée à nos conditions.

3.2.2.1 Conception d’ensemble

● Agencement des thèmes

55L’ensemble des panneaux se veut la reconstitution de deux portions de paroi correspondant chacune à un panneau rouge entouré d’interpanneaux.

56L’articulation est basée sur quelques collages qui sont venus appuyer l’hypothèse iconographique (fig. 122) ; la solution choisie pour les panneaux constitue donc une solution satisfaisante sur le plan archéologique et muséal à la fois.

FIG. 122 – Points de l’articulation du décor déduits par collage : 1 liaison tiges entrecroisées‑chasseurs ; 2 seul motif sur fond rouge ; 3 liaison hampe végétale‑spectateurs ; 4 liaison inscription‑gladiateurs ; 5 liaison tiges entrecroisées‑inscription ; 6 liaison candélabre‑entablement ; 7 liaison corniche inférieure‑consoles ; 8 liaison thyrses‑touffe de feuillage.

57L’ordre de grandeur des panneaux a été dicté par les possibilités offertes par le nombre et la qualité des fragments. La base fut le panneau rouge de 1,20 m de large sur 1,80 m de haut. Ces dimensions créaient des proportions harmonieuses et tenaient compte des considérations suivantes :
– le pied romain de 296 mm se retrouve à quelques millimètres près dans la largeur des interpanneaux (preuve par collage), la hauteur de la frise des consoles –bande jaune incluse–, la taille des grands personnages, la hauteur du motif à thyrses ;
– la largeur des panneaux rouges (1,20 m) : tous les entablements comportent une bande jaune vif qui vire au vert à 18 cm des deux extrémités de l’entablement ; entre les deux zones vertes, la bande jaune est ornée de « virgules », grands coups de pinceaux inclinés, soulignant les motifs de la frise. Les collages montrent que la zone verte et la moitié de la bande jaune font au minimum 40 cm ; qu’un chasseur et un animal occupent une cinquantaine de centimètres. Or, 1 m ne suffit pas tout‑à‑fait pour placer deux paires de venatores, ni pour organiser l’entablement à cygnes et petits cadres, ni enfin pour disposer les consoles (compte tenu de la courbe des rubans qui les relient). D’où 1,20 m, grandeur qui répond à toutes ces exigences, en représentant par ailleurs quatre pieds. Enfin cette largeur est la seule qui règle d’une manière acceptable la question des thyrses, en respectant leur inclinaison par rapport à l’horizontale ;
– la hauteur des panneaux rouges (1,80 m) a été choisie de façon à représenter aussi un multiple du pied romain. Si l’on admet que la partie inférieure de la série 1 (corniche comprise) fait quelque 80 cm de haut, le mur présente une hauteur globale de près de 3 m.

● Choix des fragments

58Nous l’avons fait de manière à mettre en relief les grandes lignes de l’organisation du décor et les différents thèmes, tout en jouant sur la mise en valeur des « beaux » fragments et sur une répartition équilibrée des vides et des plages de couleur. Nous avons volontairement réduit leur nombre dans le but d’éviter l’impression de décor artificiellement refabriqué, mais, malgré ces précautions, cet effet persiste et pour cause. A regarder d’autres panneaux, on s’aperçoit qu’aucune « retouche » (compléments peints par le restaurateur) ne réussit à atténuer cet effet, tant que la proportion des lacunes est supérieure à la moitié de la superficie des panneaux, à moins d’exécuter une retouche plus consistante, moins graphique.

3.2.2.2 Réalisation des panneaux

59Son principe consiste habituellement à caler les fragments sur une planche avec du sable, dans leurs positions respectives définitives, à encoller l’ensemble de plusieurs épaisseurs de gaze ou de toile en espérant qu’ils ne subiront pas le moindre déplacement ; puis à retourner l’ensemble pour travailler le revers et remplacer le mortier antique par un support synthétique ; enfin à retourner une seconde fois l’ensemble, décoller les toiles et faire le travail de finition de l’endroit.

  • 41 Le Paraloïd est exclu car en le dissolvant on détruit aussi la protection de la couche picturale. U (...)

60Cette technique présentait plusieurs inconvénients, et de taille : comme les fragments formaient de petits îlots éparpillés, leur calage et le maintien des couches picturales dans un même plan horizontal demandaient du sable en grande quantité et fortement humidifié. Les retournements devenaient pénibles à cause du poids (sable, taille des panneaux et épaisseur des planches) estimé à plus de 150 kg pour un panneau de 2 m2. Pour parer les déplacements de fragments, le facing nécessite trois épaisseurs de textile, ce qui pose le problème du choix de la colle41.

61Le poids des planches à manier, le risque d’obtenir des alignements médiocres pour les motifs rectilignes (entablement, thyrses…), alors que leur réussite est d’autant plus importante que les panneaux sont lacunaires, enfin l’exiguïté des locaux et les difficultés de chauffage représentaient autant de contraintes qui nous ont fait chercher une autre solution.

62L’important était de substituer au système basé sur les retournements successifs, un traitement individuel des fragments, d’où la mise au point d’une technique simple et agréable, en conservant les produits habituels (Mowilith, colle blanche, sable, jute, nid d’abeille en carton, tissu de verre et Araldite).

63Parallèlement à la préparation des fragments (destruction du mortier antique remplacé par un petit socle égalisateur), nous avons fabriqué les supports‑sandwich à leurs dimensions définitives, sur lesquels nous traçions ensuite les droites assurant des alignements d’autant plus faciles à réaliser que les fragments étaient réduits à l’état de galettes épaisses de moins d’1 cm.

3.2.3 Conclusions

64La restauration d’un ensemble de peintures murales est une suite d’opérations, nombreuses et variées, pour laquelle il ne peut y avoir de recette toute prête ; à part les précautions habituelles propres à toute restauration (protection des enduits pendant le séchage au sortir de la fouille, nettoyage correct des tranches...), chacune des étapes demande une dose d’expérience et d’expérimentation (dont il faut s’accorder le temps) et il est indispensable d’en définir le contenu de façon à ce que ces diverses étapes soient exécutées dans un ordre logique.

65Un examen « scientifique » du matériau est de ce point de vue très profitable ; il est bon de le réaliser tissez tôt pour en tirer le maximum d’indications pour la mise au point d’une technique de restauration adéquate, pour chaque opération séparément comme pour l’essai de toute la séquence des opérations, depuis le nettoyage jusqu’à la retouche.

66Plus délicate encore que les problèmes techniques, apparaît la conception proprement dite des panneaux qui consiste à choisir les fragments et à les disposer et, lorsque la peinture est très lacunaire, à savoir ce que l’on a le droit de reconstituer et à fixer les limites (et la forme) de la retouche (compléments peints par le restaurateur).

67Les discussions axées sur ce sujet aboutissent parfois à nier l’utilité de la mise sur panneau en soi. Ce genre de polémique reflète les divergences entre les intérêts de la rigueur scientifique, haut placée dans l’échelle des valeurs de notre époque, et ayant tendance à trop envahir l’approche muséale, encore que celle‑ci se contente de plus en plus difficilement d’une simple présentation des objets archéologiques pour essayer de recréer aussi leur cadre de vie originel. Il en résulte, pour les peintures archéologiques, diverses solutions de restauration possibles.

68On peut se contenter d’un stockage organisé et d’une publication, avec quelques fragments en vitrine, accompagnés d’une restitution graphique. On peut aussi réaliser des panneaux, même avec très peu de fragments, pourvu que l’on arrive à un équilibre entre ces fragments et l’idée que l’on veut suggérer ; cet équilibre, qui concerne aussi bien l’esthétique, une certaine vraisemblance de la reconstitution proposée et une appréhension immédiate du décor par l’observateur, est d’autant plus difficile à atteindre que la part des lacunes est importante (cas très fréquent pour des peintures en remblai). Or, dans la plupart des reconstitutions en panneaux, le défaut majeur réside dans l’absence d’un tel équilibre. Comment l’expliquer ?

  • 42 Par exemple, la courbe des tiges croisées n’autorisait pas à disposer les fragments dans n’importe (...)

69Si l’on finit par connaître l’organisation du décor, bien des points d’interrogation demeurent sur le détail de l’agencement et le contenu des différents thèmes, d’où la difficulté à choisir les fragments à inclure dans les panneaux. Ils doivent être suffisamment expressifs par eux‑mêmes, mais il y a souvent des incompatibilités entre eux42, ce qui implique de faire beaucoup d’essais avant de trouver l’ordonnance la plus heureuse. Ici, seuls 5 % des fragments se sont placés d’eux‑mêmes (angles de panneaux rouges, jonction bande d’inscription et colonne de feuillage...).

70Le restaurateur qui porte toute son attention sur la reconstitution des motifs (d’autant plus volontiers qu’il n’a aucune chance de reconstituer des fonds unis par collages) finit par réfléchir exclusivement en terme de motifs, en oubliant un peu que ces peintures constituent des frises sur fond noir encadrant de grands espaces rouges.

71Cet exercice prolongé a pour résultat la disparition du rôle joué par les fonds. A l’étape suivante, celle de la retouche, il continue toujours à penser » motifs ; il trace des éléments linéaires, effectue du tratteggio (pl. VIII). L’effet produit est rarement celui d’une paroi peinte.

72La rigueur scientifique qui accompagne la recherche des collages est abandonnée tout naturellement quand on décide de faire des panneaux puisqu’il faut bien attribuer une place arbitraire aux fragments ; fréquemment, le restaurateur s’attache à laisser un espace entre les fragments qui ne « recollent » pas, alors qu’un observateur non averti ne pourra plus distinguer les collages des rapprochements. Puis le restaurateur complète volontiers un motif au tratteggio (une lacune dans un fragment par exemple) en justifiant ce travail par la certitude qu’il a du contenu de cette lacune ; mais il n’ose pas en faire autant pour lier deux fragments unis qu’il a pourtant placés non loin l’un de l’autre dans le but d’accentuer l’importance du fond, sous prétexte qu’il n’y a pas de collage véritable.

  • 43 Si l’on tient à rester plus près de la vérité archéologique, Il faut adopter un mode de retouche pl (...)

73Il ne concrétise donc pas sa pensée jusqu’au bout, car il veut garder un juste milieu entre les données scientifiques et le rendu d’une peinture murale43. Quant à moi, il me semble que cette contradiction est néfaste et, ayant à présent du recul par rapport à la restauration des peintures de la villa du Liégeaud, je donnerais ma préférence à une reconstitution plus élaborée afin de s’approcher davantage d’un mur peint.

  • 44 Toute retouche est valable à condition qu’elle n’étouffe pas l’original et qu’elle s’en distingue n (...)

74Pour cela, je proposerais de placer les morceaux importants (grands, beaux et significatifs) non pas assez loin les uns des autres, mais au contraire le plus près possible pour donner l’impression d’un mur où restent quelques plages de peinture (fig. 123). Il est en effet primordial d’accorder aux fonds la place qui leur revient et d’exécuter les retouches au tratteggio ou par toute autre technique différenciable de l’original44, avec l’usure, les lacunes et les autres détails caractéristiques de l’état des fragments. Quant à la manière de traiter les surfaces lacunaires non reconstituées, je verrais un mortier rugueux, au niveau de la couche 3 (c’est‑à‑dire avec un retrait de 5 mm environ par rapport au plan de la couche picturale), ou bien dans le même plan que la couche picturale avec des compléments pleins (non linéaires) en aplats clairs. Enfin, j’aurais évité de laisser un « cadre » pour faire sentir que le mur continue.

FIG. 123 – Deux versions du panneau des thyrses : 1 tel qu’il a été réalisé ; fragments noyés dans un mortier très clair sur lequel ont été tracés les compléments des motifs ; 2 tel qu’on peut le concevoir ; reconstitution d’un fond uni (à l’aide de fragments juxtaposés ou d’un mortier de couleur).

75A partir du moment où l’on envisage une mise sur panneau, il faut laisser une grande liberté à l’imagination pour compléter ce que l’étude archéologique n’a pu résoudre ; il va de soi que celle‑ci fournit la trame des solutions et que la retouche ne doit pas « manger » l’original.

76Autant de variantes de reconstitution que de restaurateurs et autant de manières d’en concevoir la réalisation. A La Croisille, la restauration a été faite par une équipe de trois personnes : cela explique en partie que les panneaux soient une sorte de compromis entre plusieurs tendances.

FIG. 124 – Coupe schématique de couches picturales à la jonction des champs rouge et noir : 1 surface de la peinture ; 2 filet blanc ; 3 couche picturale noire ; 4 couche picturale rouge ; 5 couche 2 du mortier.

Notes

1 Il s’agit d’un compte rendu de travail d’où la recherche bibliographique a été volontairement exclue. Pour notre réflexion, nous nous sommes appuyées sur quelques articles et ouvrages cités dans la bibliographie. Il faut ajouter que ces pages ont été rédigées en 1984 et que, depuis ce chantier de La Crois11le, d’autres expériences sont venues enrichir, voire modifier notre technique et nos réflexions sur la restauration des peintures. Cf. en particulier C. Kelbérine, Les Enduits peints in : Conservation‑restauration du mobilier archéologique, Paris, 1987 p. 33‑38.

2 D’où les nombreux renvois à l’ouvrage de M. Frizot (1975) et l’adoption de sa terminologie descriptive.

3 Trop élaborées car elles demandaient de préciser, pour chaque composant, aussi bien son pourcentage que sa granulométrie, toutes mesures impossibles à réaliser dès qu’il ne s’agit pas d’évidences (Frizot 1975).

4 L’intanaco est une mince couche de chaux pure ou chargée d’un produit pulvérulent ; il correspond donc à la couche « 1 » (Frizot 1975) (souvent chargée de marbre, mais qui peut aussi contenir du sable).

5 D’après le rapport de M. Delamare et de M. Odin (respectivement de l’Ecole des Mines de Paris, CEMEF, et de l’université P. et M. Curie, département de Géologie dynamique, Paris), « la couche picturale est posée presque directement sur une couche riche en quartz et en mica » ; cette observation confirme nos doutes quant à l’intonaco et elle est d’autant plus frappante que ce dernier est par contre très bien repérable dans les fragments provenant de la partie S de la salle 37 (second ensemble de peintures contemporain du nôtre). Nous remercions ici M. Delamare et M. Odin pour leurs analyses.

6 M. Frizot note que c’est le cas d’un tiers des peintures qu’il a examinées dans son ouvrage (1975 : 305).

7 Etant donné la complexité des analyses quantitatives et qualitatives d’un mortier et la difficulté de l’interprétation des résultats (Frizot 1975), nous nous sommes contentés d’une observation à l’œil nu. Les essais d’attaque à l’acide chlorhydrique ont donné des pourcentages de chaux + autres éléments solubles très dispersés ; par contre, ils ont fourni un renseignement inattendu : sur la cinquantaine d’échantillons examinés, l’un présentait dans sa couche « 2 » des grains de quartz bien blancs et dénués d’impuretés, donc apparemment choisis pour la dernière couche de mortier.

8 Dans un rayon de 20 km, il n’y a qu’un seul gisement de pierre à chaux, et de qualité médiocre ; c’est celui de Sussac et, au‑delà, il n’y a plus de ressources de pierre à chaux sur plusieurs dizaines de kilomètres,

9 Un terrain acide, au sens géologique du terme, ne contient pas de calcaire ; les eaux qui le traversent en sont donc aussi dépourvues et arrivent dans la couche d’enduits peints avec toute leur capacité de dissolution du calcaire.

10 D’un côté, un degré d’humidité élevé avec des lessivages fréquents du fait que la villa est située en début de pente ; la couche d’enduits peints prise entre deux murs et installée sur une couche d’argile ; enfin, la présence d’une forêt et d’un épais taillis (racines, mycellium, humidité). De l’autre côté, une profondeur d’enfouissement assez importante, puisque le niveau supérieur de la couche se trouvait en moyenne à 50 cm sous le niveau actuel du sol (les enduits peints ont été ainsi protégés du gel).

11 Agrégat : ensemble du matériau granuleux qui entre en mélange avec la chaux en pâte pour former un mortier.

12 Sable : roche sédimentaire, siliceuse ou non, souvent définie par la taille de ses grains (entre 100µ et 2 ou 5 mm) ; le terme de gravier ou gravillon s’applique à la catégorie de grains d’une taille au‑dessus.

13 Rien d’étonnant à cela puisque toutes les roches des environs sont crystallophylliennes ou granitiques et comportent du mica et du quartz en tant que minéraux principaux ; de même, les alluvions récentes qui occupent les élargissements de la vallée de la Grande Briance (qui coule au pied de la colline de la villa) sont naturellement formées à partir des roches locales. Nous avons pu constater nous‑mêmes l’identité du sable de la Briance et de l’agrégat de nos mortiers par un examen à la loupe binoculaire. Quant au rôle de l’agrégat dans la tenue du mortier, il faut signaler plusieurs aspects :
– il n’est jamais chimiquement neutre et il subit l’action de la chaux ;
– l’action du mica, quand il se trouve en proportion suffisante, est une action mécanique désintégrante du fait qu’il subit une évolution en se clivant peu à peu lui‑même ;
– enfin, l’argile s’érode mécaniquement aussi, sous l’action de l’eau. Malgré tout, un agrégat de ce type pourrait être valable pour faire un mortier, à condition que soit respectée une proportion adéquate de chaux de bonne qualité et que le mortier soit appliqué de manière à assurer une carbonisation de la chaux dans toute son épaisseur.

14 Notamment des lames minces exécutées perpendiculairement à la couche picturale, des photos microscopiques de diffraction des rayons X qui révèlent les liens entre agrégat et liant et permettent de repérer la présence de marbre.

15 L’examen en diffraction X permet de voir une orientation des parcelles de mica parallèlement à la couche picturale, résultat d’une déformation plastique provenant du polissage (rapport de M. Delamare et M. Odin).

16 La nature du pigment (argileux ou non), la fluidité de la peinture, le type d’instrument, l’état du mortier sousjacent, le coup de main… sont autant de conditions pouvant subir des variations importantes.

17 A ce propos, nous avons remarqué que l’examen en lumière rasante des lignes de jonction entre deux champs de couleurs différentes n’est pas suffisant pour comprendre l’ordre de leur exécution, car le relief observé peut être trompeur. A ces endroits, le rouge surplombe le noir ; or, en grattant la couche pigmentaire, nous nous sommes aperçus que le noir passe toujours sur le rouge et que les filets sont souvent aplatis et épousent la dénivellation entre les deux champs ; cela peut être attribué au fait qu’en cet endroit, le bord du champ rouge a subi l’action du polissage du champ noir en plus de la sienne (fig, 124).

18 Vitruve disait : « Lorsque les couleurs auront été appliquées avec les politiones, les parois jetteront un éclat brillant. »

19 Il se situe toujours entre le fond noir et les couches de pigment déposées dessus.

20 Soumis à la flamme d’un chalumeau, les pigments réagissent de la manière suivante :
– le noir disparaît à la combustion ; il y a donc de grandes chances pour que ce soit du noir de carbone ;
– le blanc se craquèle sans changer de couleur ; aspergé d’eau, il donne une solution très basique et sa nature est confirmée par la réaction à l’acide ; c’est de la chaux ;
– le jaune rougit puis prend une teinte brun violacé, celle d’un Fe2O3 impur ;
– le rouge s’assombrit, brunit aussi par suite de l’oxydation du fer ; c’est donc aussi un oxyde de fer, une terre ;
– le vert vire au rose clair ou brun‑rosé, couleurs signalant toujours la présence de fer ; c’est encore une terre ;
– le bleu reste bleu, ce qui à la température de l’expérience (1 200° C environ) pourrait être la réaction du lapislazuli ; mais si l’on pousse le chauffage, les grains anguleux bleus s’émoussent par suite d’un début de fusion (bien visible à G x 96).
L’analyse chimique visant à identifier la nature des ions dominants est relativement simple mais décevante, car elle aboutit très souvent à constater la présence de fer, élément gênant dans toute analyse plus élaborée ; elle n’a donc de sens que si elle est précédée d’une observation au microscope minéralogique.

21 Sur quelques fragments, on a trouvé une petite marque de cordelette ou un arc de cercle incisé, mais sans avoir pu les rattacher à quoi que ce soit. Au cours de la destruction du mortier antique des fragments aux pommes, la présence d’une zone d’écaillage a laissé voir sur le mortier des traits brunâtres qui nous ont fait penser à une esquisse préparatoire.

22 L’analyse du pigment par diffraction X montre qu’il contient de l’hématite en assez forte proportion, du quartz et de la kaolinite, des traces de muscovite et de plagioclase, ainsi que de divers éléments tels que Si, Al, K, Ti en tous arrangements possibles. Nous remercions M. Bouladon, enseignant à l’Ecole des Mines de Paris, pour les résultats de cette analyse.

23 Le Limousin, caractérisé par l’abondance des zones argilisées sur une grande profondeur (30 m environ), offre des terres pratiquement prêtes à l’emploi.

24 Le pigment vert est un mélange naturel de deux terres vertes : une céladonite et une chlorite ; celle‑ci est une argile qui ne pousse pas en filon seule mais toujours en association avec autre chose ; d’autre part, les céladonites sont rares dans la nature et elles sont très proches des glauconies (celles‑ci, au contraire, très abondantes), mais dont elles se distinguent par une meilleure cristallisation. La comparaison du pigment vert du Liégeaud avec des échantillons géologiques fournis par le British Muséum (éch. BM 1400) indique comme provenance très probable de notre pigment vert un site italien, Val di Passa, qui possède l’un des rares gisements de ce mélange, d’accès et d’exploitation faciles (Delamare, Odin 1986).

25 Ceci est tout particulièrement vrai pour des pigments tels que l’orpiment et le réalgar pour lesquels l’analyse chimique doit être doublée d’un examen microscopique et cristallographique. Le pigment orangé de nos peintures a été identifié comme étant de l’orpiment par M. Petit, Directeur de recherches au CNRS de Thiais (organisation macromoléculaire) auquel nous adressons ici nos remerciements.

26 L’examen et le grattage de couches picturales vertes à la loupe binoculaire ont montré l’existence de plusieurs moyens d’obtenir du vert : « lavis » jaune superposé à une couche pigmentaire bleue, mélange de pigments jaune et bleu dans diverses proportions, présence de bleu dans de la terre verte.

27 Une goutte d’acide chlorhydrique dilué versée sur la couche picturale disparaissait instantanément, à l’exception de quelques échantillons de peinture verte sur lesquels la goutte s’attardait quelques secondes ; en faisant goutter l’acide plusieurs fois de suite en un même point, le CO2 qui se dégageait mettait en évidence l’existence d’une pellicule transparente et plastique qui prenait peu à peu la forme d’une bulle, puis, perdant sa plasticité, éclatait conservant dans les débris de ses parois des grains de pigment bleu.

28 Même quand il est appliqué sur un fond sec, le pigment est fixé par la chaux du fond, pas encore entièrement carbonatée et qui se dissout dans l’eau apportée par le liant de la peinture. Par ailleurs, la présence de CaCOs autour des grains de pigment peut provenir de l’eau de chaux et n’implique donc pas systématiquement un procédé à fresque.

29 On ne connaît d’ailleurs pas un procédé scientifique qui permette de diagnostiquer la fresque en toute certitude.

30 Nom commercial d’une résine fabriquée par « Rohm and Haas » et qui est chimiquement un copolymère d’acrylate et de métacrylate d’éthyle et de méthyle. Employée en restauration depuis une trentaine d’années, elle semble donner pour le moment toute satisfaction (bon vieillissement du point de vue des qualités optiques et de la réversibilité). Toutefois, étant donné la rapidité de l’évolution de l’industrie chimique, il serait intéressant de tester d’autres résines acryliques.

31 Du fait que le Paraloïd est dissout dans des solvants non aqueux, il adhère d’autant plus mal que l’humidité est élevée ; il existe un autre Paraloïd, désigné par B 82, qui devrait résoudre les cas où l’humidité empêche l’adhésion du B 72. Pour coller en milieu humide, il faut faire appel à une résine qui soit hydrophile ; ainsi, une dépose d’enduits peints découverts dans une villa située en pleine forêt, et effectuée en hiver avec l’une des résines de la série des Mowilith (fabriquée par Hoescht) a donné toute satisfaction ; de plus, l’expérience a montré qu’elle restait aisément réversible deux ans après. Nous remercions M. Zuber, auteur de cette dépose, pour les renseignements qu’il nous a communiqués (Villa au lieu‑dit Les Mesnuls, Yvelines). En milieu sec, il est possible que le Paraloïd puisse être remplacé par de l’alcool polyvinylique qui demande agitation et chauffage pour sa mise en solution, mais qui devrait se redissoudre très facilement. Enfin, on pourrait faire des essais avec de l’acétate de polyvinyle, soluble dans l’alcool.

32 La résine renforce l’adhésion des saletés et des concrétions et rend toujours le nettoyage ultérieur plus délicat. Les conditions rudimentaires de travail, fréquentes sur les chantiers de restauration de peintures archéologiques, obligent à économiser au maximum les dépenses de produits, ce qui limite le choix ; pour manipuler le Paraloïd, on prend du chlorothène NU (trichloro‑éthane 1‑1‑1) ou, à défaut, de l’acétone ; la violence d’action de ces solvants est partiellement compensée par leur grande volatilité ; mais une usure de la couche picturale a été remarquée quand les opérations d’enduction‑dissolution se répètent plusieurs fois ; il faut donc en limiter le nombre. Une remarque s’impose : un solvant n’est pas « violent » ou « fort » en soi ; ces adjectifs peuvent qualifier son pouvoir de dissolution ; mais s’il est volatile, son action est douce vis‑à‑vis des peintures parce qu’il n’y séjourne pas longtemps (ou inversement, ce qui est le cas du toluène par exemple) ; pour détruire un mortier synthétique mal réussi, le toluène sera donc préférable, mais pour alléger un excès de Paraloïd sur un fragment de peinture à proximité immédiate d’un mortier que l’on veut conserver, un solvant volatile est préférable.

33 Non seulement les mortiers des fragments rouges conservent tous une bonne cohésion, mais ils sont durs au point qu’il est impossible de les casser à la main. Cet effet de « cimentation » atteint parfois la terre avoisinante dans la couche des enduits peints. Le désépaississement a montré que la couche 2 est par contre souvent friable, avec des vides immédiatement sous la couche picturale. Tout se passe comme si la chaux du mortier avait été pompée et redéposée de l’autre côté de la peinture sous forme de concrétions. Ces concrétions sont souvent mécaniquement inséparables de la couche pigmentaire. M. Petit a émis l’hypothèse d’un phénomène d’épitaxie (qui est une orientation mutuelle de cristaux de substances différentes due à des analogies dans l’arrangement des atomes sur leur face de contact) ; cette hypothèse a trouvé l’approbation de M Bouladon, enseignant à l’Ecole des Mines de Paris. L’épitaxie aurait joué entre les cristaux d’hématite du pigment et les cristaux de calcite qui cristallisent tous deux dans le système rhomboédrique, de même que la sidérose (carbonate de fer) très probablement présente dans les concrétions. Ce phénomène aurait été favorisé par plusieurs facteurs :
– l’importance de la surface de contact pigment/carbonate de calcium, compte tenu de l’épaisseur de mortier où a « migré » le pigment ;
– une proportion de chaux plus importante dans les fragments rouges que dans les fragments noirs ou jaunes ;
– dans la nature, la réaction de recristallisation du carbonate de calcium a lieu sous influence oxydante, laquelle pourrait être assurée par les ions Fe III de l’hématite.

34 Du toluène, ou mieux encore du paraxylène, mais tous les deux sont très toxiques ; pour le choix et l’emploi des solvants (Masschelein‑Klelner 1981).

35 Quand il s’agit de constituer des pellicules collantes (sans imprégnation), les émulsions sont préférables aux solutions. Un problème fréquent au moment de la fixation finale des peintures est la présence de petites zones trop brillantes du fait de l’excès de Paraloïd (il se répartit d’une manière hétérogène à cause de la volatilité des solvants et des grandes variations de porosité des enduits peints). Il est alors important de pouvoir alléger ce vernis sans risquer de défaire les éventuelles consolidations de la couche picturale ; si celles‑ci ont été effectuées avec une résine vinylique (colle blanche diluée par exemple), ce risque est écarté.

36 Mais celui‑ci s’est avéré superflu ; il peut être utile de disposer d’une liste de fragments par thèmes, mais il est plus pratique de regrouper toutes les informations en un seul document ;il suffit d’ajouter deux colonnes au premier, l’une pour inscrire l’origine du cageot, l’autre pour l’identification du motif ou d’autres indications sur la place du fragment dans la paroi (mais seulement à mesure qu’aucun doute ne subsiste sur ces informations), et laisser de la place pour des notes complémentaires éventuelles.

37 Il s’agit d’une mousse rigide à deux composants : Mixuranne 15723 et Beckadur 16000 à mélanger, à parts égales, dans des conditions de température comprise entre 18 et 25°C (par expérience, nous savons qu’il est préférable de se situer entre 21 et 23°C) ; l’idée nous a été suggérée par M. Zuber que nous remercions ici.

38 Pour améliorer l’imprégnation, il conviendrait de disposer d’une pompe à vide et de faire des essais. On peut imaginer d’avance la difficulté à ramollir le Paraloïd, au moment de la destruction du mortier, à l’aide d’un solvant sans que celui‑ci atteigne la pellicule de vernis passée sur la couche picturale avant l’encollage du facing.

39 Nous avions espéré tirer des indications de l’examen de la couche picturale à la binoculaire car une première étude avait montré une grande variété de facture des fonds noirs ; nous nous étions demandé si elle ne changeait pas d’un panneau à l’autre ou s’il y avait des limites nettes entre différentes factures, en un mot si nous ne tenions pas là un autre indice exploitable. Mais le passage de l’idée de la méthode à la pratique aurait demandé au préalable :
– d’apprendre à lire l’image donnée par la binoculaire ;
–de trouver un système de consignation rapide et utilisable (croquis ? photo ?…) ;
– de procéder à un essai sur un ensemble de fragments qui « recollent » pour s’assurer du bien‑fondé de la méthode et estimer son apport ;
– d’acquérir un appareillage adéquat, c’est‑à‑dire un appareil monté sur un bras articulé ou sur des rails, pour ne pas être gêné par la taille de certains fragments.

40 Celle qu’A. Barbet a contribué largement à faire connaître en France.

41 Le Paraloïd est exclu car en le dissolvant on détruit aussi la protection de la couche picturale. Une colle blanche a été utilisée avec succès par M. et R. Sabrié qui ont effectué la restauration des peintures murales de Narbonne ; cela leur a demandé une mise au point très rigoureuse des opérations dans le temps, pour toute la séquence encollage‑coulage du mortier synthétique/décollage du facing, en tenant compte du fait impératif qu’à cette dernière étape la colle blanche doit être encore humide ; pour cela, on compte sur l’eau apportée par la première couche de mortier synthétique ; ce système demande des conditions climatiques stables et une température d’au moins 18°C. Enfin, la colle de peau demande d’être étalée à une température très élevée (brûlante au toucher) et, bien que l’on puisse là aussi compter sur l’eau du mortier pour la ramollir, il faut de l’eau bouillante pour en éliminer les restes sur la couche picturale.

42 Par exemple, la courbe des tiges croisées n’autorisait pas à disposer les fragments dans n’importe quel ordre et celui qui a été retenu permettait de reconstituer graphiquement des courbes vraisemblables.

43 Si l’on tient à rester plus près de la vérité archéologique, Il faut adopter un mode de retouche plus « abstrait », sous forme d’une trame légère, linéaire et de teinte uniforme, qui indiquera à l’observateur la place présumée des fragments ; celui‑ci s’attachera alors plus aux détails, à comprendre l’organisation du décor, mais il ne se rendra peut‑être pas compte de l’effet produit par une pièce aux murs sombres et vifs, portant un décor bariolé sur fond noir. On peut aussi faire une série de petits panneaux à hauteur d’homme, mettant en valeur les plus beaux morceaux, avec une restitution d’ensemble des couleurs à côté. Pour les peintures du Liégeaud, une telle restitution a été effectuée par A. Féton.

44 Toute retouche est valable à condition qu’elle n’étouffe pas l’original et qu’elle s’en distingue nettement.

Table des illustrations

Légende FIG. 118 – Remblai de peintures dans la galerie 43.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36633/img-1.jpg
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Légende FIG. 119 – Coupe schématique de la peinture : 1 couche picturale ; surface de séparation bien plane ; à 1,5‑2 cm de la cp, on a trouvé, au cours de la destruction du mortier la silhouette du motif, claire se détachant sur fond plus sombre (en pointillés) ; l’examen à la loupe binoculaire (G x 96) de coupes de la couche picturale montre successivement : une véritable pellicule de peinture, de la teinte que l’œil perçoit dure et cassante ; au‑dessous, c’est la zone de « migration « du pigment, qui est comme de la chaux fortement chargée en pigment ; son épaisseur varie de 1/10 à 1/20 de mm, est‑ce l’intonaco ? 2 couche blanche de 4‑5 mm, fortement chargée en chaux ; bon état de conservation (sauf sous les couches picturales rouges) ; agrégat grossier et hétérogène, affleurant à la surface de la cp (micas et quartz repérables à l’œil nu) ; présence d’une zone de « migration » des pigments de fonds ; 3 couche « médiane » 3‑6 cm, peu chargée en chaux, plus ou moins friable (sauf pour les fragments rouges), jaune‑brun ; agrégat mal malaxé, hétérogène, comprenant de petits cailloux et du tuileau de plusieurs mm, ainsi que des éléments végétaux ; pas de stratification interne régulière ; 4 couche de quelques mm ; agrégat différent de celui de la couche 3 plus claire que cette dernière ; souvent presque blanche, pas de caractéristiques permanentes car souvent absente. 4 et 5 pourraient correspondre à l’égalisation des murs.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36633/img-2.jpg
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Légende FIG. 120 – Traces au revers du mortier : 1 joints au fer ; 2 traces aux doigts.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36633/img-3.jpg
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Légende FIG. 121 – Tiges entrecroisées : 1 fragment du motif ; 2 détail : opposition entre le fond noir et le relief des motifs ; 3 détail : traces au pinceau et tendances à l’écaillage.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36633/img-4.jpg
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Légende FIG. 122 – Points de l’articulation du décor déduits par collage : 1 liaison tiges entrecroisées‑chasseurs ; 2 seul motif sur fond rouge ; 3 liaison hampe végétale‑spectateurs ; 4 liaison inscription‑gladiateurs ; 5 liaison tiges entrecroisées‑inscription ; 6 liaison candélabre‑entablement ; 7 liaison corniche inférieure‑consoles ; 8 liaison thyrses‑touffe de feuillage.
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Légende FIG. 123 – Deux versions du panneau des thyrses : 1 tel qu’il a été réalisé ; fragments noyés dans un mortier très clair sur lequel ont été tracés les compléments des motifs ; 2 tel qu’on peut le concevoir ; reconstitution d’un fond uni (à l’aide de fragments juxtaposés ou d’un mortier de couleur).
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Légende FIG. 124 – Coupe schématique de couches picturales à la jonction des champs rouge et noir : 1 surface de la peinture ; 2 filet blanc ; 3 couche picturale noire ; 4 couche picturale rouge ; 5 couche 2 du mortier.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36633/img-7.jpg
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© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1991

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