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La villa du Liégeaud et ses peintures

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Françoise Dumasy-Mathieu

Introduction

Résumé

Située dans la zone des schistes cristallins, la villa du Liégeaud relève de la haute vallée de la Briance, dont elle domine une des premières confluences. En l’absence de toute prospection, nous ne connaissons sur une zone de 600 km2 qu’une trentaine d’habitats ruraux et deux vici. La présence d’une mine d’or avec filon argentifère à 1 500 m de la villa invite à s’interroger sur les relations existant en Limousin entre les habitats ruraux et les secteurs miniers.

Texte intégral

Paysage actuel et environnement antique

Le paysage

  • 1 La commune est à cheval sur les quatre feuilles au 1/25 000 de Châteauneuf-la-Forêt.

1La commune de La Croisille‑sur‑Briance1 appartient à la zone des plateaux cristallophylliens de la Vienne et de ses affluents la Maulde, la Combade, la Briance qui ceinturent à l’ouest la Montagne granitique (le plateau de Millevaches). Ces plateaux présentent, dans la région de La Croisille, un relief assez accentué, avec des collines culminant entre 500 et 550 m, séparées par des vallées dont le fond se situe autour de 400 m, zone de prairies, de taillis et de châtaigniers qui s’oppose aux landes et aux bols de la Montagne (fig. 1).

FIG. 1 – Carte de la civitas des Lémovices.

  • 2 Références du site : coordonnées Lambert : X = 539 875 ; Y = 69 350. Cadastre dressé en 1834, mise (...)

2A l’est de la commune, la forêt de Châteauneuf, dont la ligne de crête se déroule aux alentours de 600 m, puis le mont Gargan qui culmine à 730 m séparent la vallée de la Combade de celle de la Briance. Situé à l’extrémité sud‑ouest de la commune, le site du Liégeaud relève de la haute vallée de la Briance dont il domine une des premières confluences, celle du Briansoulet. Ce n’est pas le point le plus élevé de l’éperon situé à 465 m à quelque 500 m à l’est (fig. 2) qui a attiré l’implantation antique, mais la dernière étendue plane, suffisamment large avant la pente, ménagée entre les courbes 430 et 4402. Un tel choix est tout à fait conforme au schéma d’occupation du sol en Limousin qui s’est perpétué de l’époque antique à nos jours. Le site est souvent installé « à l’articulation inférieure du replat pour ménager la plus grande place aux cultures permanentes : le profil topographique y favorise en effet l’accumulation des sédiments et en exclut l’érosion provoquée par le ruissellement. Les meilleures terres sont donc localisées sur les replats » (Desbordes 1977a).

FIG. 2 –Implantation topographique du site antique.

3G. Lintz, étudiant l’habitat rural en Corrèze, dégage les règles de l’implantation préférentielle : » sur de petits plateaux orientés au sud ou au sud‑est, souvent à l’intersection de deux ruisseaux ou, au moins, près d’un ruisseau qu’il domine de quelques mètres ». Il illustre son propos par des croquis topographiques (sur lesquels il manque cependant l’orientation de la villa), identiques à celui du Liégeaud et propose une description de l’environnement immédiat de la villa que l’on peut appliquer, mot pour mot, à notre site : « La présence de l’eau est une nécessité impérieuse pour la vie de la villa, tant pour le besoin des personnes que pour celui des animaux. La position des habitats que nous connaissons permet de capter des sources en amont et d’amener l’eau jusqu’à l’habitation au moyen de canalisations » (« souvent en bois » précise‑t‑il en note ; ce pourrait être le cas au Liégeaud, où nous avons retrouvé deux frettes métalliques dans le matériel issu des fouilles clandestines). « Cette position de l’exploitation agricole permet d’avoir des sols variés à proximité : les vallons humides sont exploités en prairies naturelles, faciles à irriguer. Les plateaux en arrière de la villa fournissent des terres cultivables, les pentes restent boisées ou en terrain de parcours pour les animaux domestiques » (Lintz 1979a : 151, 155).

4Ce sont les mêmes terres de replat qui sont aujourd’hui cultivées et on peut penser à une certaine permanence dans l’utilisation des terres. L’habitat dont dépendent ces champs et ces prés a en revanche changé : il a en effet déserté ces lieux et s’est installé au hameau de Ribière qui regroupe quelques fermes (fig. 3). Ce déplacement de l’habitat a modifié le paysage environnant et longtemps faussé la perception des structures antiques. La villa n’est plus accessible aujourd’hui que par un chemin qui part de Ribière, et mène, en desservant prés et champs riverains, jusqu’au vallon où se réunissent la Briance et le Briansoulet (fig. 4). Le regard attiré par la pente douce des prés du vallon, bordé d’un horizon de bois, les promeneurs, comme F. Delage, se sont longtemps laissés prendre au charme des lieux et n’ont pas imaginé pour la villa d’autre orientation que les perspectives fraîches et lumineuses du vallon (fig. 5). En réalité, celle‑ci n’alignait sur ce « point de vue » que l’arrière d’un corps de bâtiment latéral. C’est à l’est, vers le déroulement des champs et des prés sur le plateau, que s’ouvrait la façade principale.

FIG. 3 – La villa et son environnement moderne.

FIG. 4 – Plan cadastral du Liégeaud.

FIG. 5 – Vallon du Briansoulet (à gauche) et chemin d’accès actuel à la villa (au fond). La flèche indique l’emplacement de la villa.

5Or rien ne suivit des lignes de force antiques : le chemin moderne, établi à mi‑côteau, est nettement en contrebas du plateau qu’il contourne et s’arrête au vallon, alors que l’orientation de la villa suppose un accès par le sommet du plateau, diveiticulum qui devait se détacher d’un chemin plus important. Les vestiges eux‑mêmes, répartis entre trois parcelles, n’imprègnent guère le paysage : le corps de bâtiment principal est dans la parcelle 839, plantée d’un bois de chênes, tandis que la partie thermale qui prolonge l’aile sud, correspond à la parcelle 846 recouverte actuellement d’un taillis. Un renflement topographique dans la parcelle 847, occupée par une prairie, peut indiquer l’existence d’une aile nord.

  • 3 Cadastre dressé en 1834, section C, feuille no 4, parcelle 831. La mention de la bruyère en 1834 co (...)
  • 4 Ce qui n’a pas empêché la parcelle d’être transformée récemment en pré, à cause des difficultés de (...)

6Faut‑il parler d’inversion du paysage ? En dehors des bouleversements apportés par les travaux clandestins, l’ensemble ne présente guère l’aspect d’un habitat recouvert peu à peu par la forêt, selon le processus décrit par J.‑M Desbordes (1978). Les structures sont en fait arasées régulièrement selon la pente du terrain et se trouvent à quelques dizaines de centimètres sous la terre végétale, ce qui semble indiquer qu’elles ont été écrétées par les travaux agricoles. La grande parcelle occupée par de la bruyère, qui comprenait la totalité de la villa au début du xixe s.3 , a été découpée en trois par la suite (fig. 4). Au dire du propriétaire, ce sont les difficultés qu’éprouvait son aïeul à passer la charrue dans un terrain encombré de vestiges qui l’ont conduit à planter ce bois. Il est possible que ce soit les mêmes raisons qui ont poussé à isoler dans une parcelle indépendante le bâtiment thermal au sous‑sol trop bien conservé pour permettre une exploitation agricole normale. En revanche, la zone cultivée se maintenait au nord, vers l’est, où les constructions devaient être moins denses4.

  • 5 Cf. infra, p. 70.

7Il faut ajouter que la découverte, à quelques dizaines de centimètres au‑dessus des vestiges antiques, d’une structure dont l’orientation est en rupture complète avec le plan de la villa5 et qui n’a pu s’implanter que sur un lieu découvert, à une époque impossible à préciser mais qui peut être récente, confirme que le bois n’est pas de plantation très ancienne. D’autre part, la plus vieille mention du site (Lecler 1873) fait allusion à des champs et la première reconnaissance archéologique est due à des travaux agricoles (Delage 1913). Tout cela indique que l’emplacement de la villa a été longtemps cultivé. Il semble bien que ce soient les exigences de l’agriculture moderne qui aient contraint à en abandonner l’exploitation.

  • 6 Carte géologique de la France au 1/80 000 ; feuille de Limoges.
  • 7 Plusieurs anciennes carrières se trouvent sur le territoire de la commune, dont deux à proximité du (...)
  • 8 Cf. en particulier p. 166.

8Du point de vue géologique, le territoire de La Croisille, situé dans la vaste zone des schistes cristallins, est dans le contexte du gneiss à deux micas ou biotite. Le site du Liégeaud lui‑même se trouve à l’extrémité d’une fine bande d’amphibolites « de teinte vert, foncé, à texture schisteuse ou fibreuse »6. A plusieurs reprises, nous avons atteint cette couche rocheuse qui affleure parfois sous le sol naturel. Celui‑ci est une arène schisteuse, argile provenant de la décomposition du schiste, à la teinte rouge très caractéristique. C’est elle qui, mêlée à des débris divers, a fourni l’essentiel des couches de remblai. La pierre des constructions antiques, comme celle des fermes actuelles, est le schiste, parfois mêlé de quartz, d’extraction locale7. Sa taille irrégulière et le grain de sa surface confèrent aux habitats traditionnels quelque chose de rugueux, de montagnard, que camouflaient soigneusement, dans l’Antiquité, enduits et joints au fer. Impossible, en revanche, d’échapper à l’abondance du mica. Sa présence dans tous les matériaux (pierre, tuile, brique, mortier, peinture) constitue une caractéristique locale très frappante8.

L’environnement

  • 9 Le dépouillement des photos aériennes de l’IGN couvrant l’environnement de la villa n’a pas apporté (...)

9Dans ce paysage que nous avons sous les yeux et qui est le fruit d’un long modelage par l’homme, reste‑t‑il des traits de l’époque gallo‑romaine ? Certes, l’erreur de lecture faite sur l’orientation de la villa suggère à quel point les aménagements anciens ont pu s’effacer, mais ils peuvent encore subsister sous la forme de traces qu’il faut savoir recueillir. Or, en l’absence de tout programme scientifique portant sur le paléo‑environnement et de toute forme de prospection systématique au sol ou aérienne9, ne restent à notre disposition que les moyens de la recherche traditionnelle, dont on connaît la portée très limitée pour avancer des réponses.

  • 10 Il s’agit de sites antiques, récemment repérés par tes agriculteurs qui nous ont transmis les infor (...)

10Ce sont en général les voies qui marquent le plus durablement le paysage. Or, dans la zone sud‑est de la cité des Lémovices, les travaux anciens n’ont repéré aucune trace de voie romaine (Ducourtieux 1906, 1907, 1908). Cependant, les recherches menées actuellement par la direction des Antiquités historiques du Limousin sur les itinéraires anciens (Desbordes 1985) ont noté l’existence, autour de La Croisille, de vieux chemins jalonnés de structures archéologiques (enclos quadrangulaires, fanum, bornes‑fontaines…) ou rythmés de toponymes intéressants (La Pouge). A ce réseau ancien, pourrait appartenir un chemin qui passe au nord du site (fig. 3) et dont le profil correspond assez aux critères définis : il n’appartient pas au réseau en étoile qui part du bourg mais se déroule parallèlement au lit de la Briance sur l’interfluve. En même temps que la villa, il pouvait desservir par des diverticula d’autres sites, comme celui de Bagengette, situé à 1 500 m en amont de la Briance, ou Le Chatenet, à quelque 1 800 m en aval10.

11Sur l’occupation rurale elle‑même, seules des découvertes de hasard faites à l’occasion de travaux agricoles, livrent des informations (Perrier 1964). Celles‑ci sont essentiellement de trois sortes :
– les sites d’habitat, repérés par des débris de construction en surface (sites à tuiles) ; très peu ont fait l’objet de fouilles, encore celles‑ci ne sont‑elles la plupart du temps qu’une reconnaissance portant sur quelques salles ;
– les coffres funéraires en pierre (granit, gneiss, schiste), contenant, lorsqu’elle n’a pas été brisée ou volée, une urne cinéraire souvent en verre, parfois en céramique ; la plupart du temps isolés, mais parfois groupés (six au plus), ils correspondent aux sépultures rurales les plus fréquentes dans cette région du Limousin (Mennessier 1973) et attestent l’existence proche d’un habitat ; il arrive d’ailleurs que des vestiges soient signalés à proximité ; en l’absence fréquente de fouilles, ces coffres permettent d’avancer le IIe s. comme période d’occupation (rite de l’incinération, typologie des urnes et présence, parfois, d’une monnaie) (Delage, Perrier 1954) ;
– enfin, les découvertes isolées, essentiellement des monnaies.

  • 11 Pour la bibliographie des sites, voir Perrier (1964) auquel il faut ajouter les références suivante (...)

12Le report des vestiges sur un fond de carte au 1/100 000 n’offre qu’une quarantaine de points11 sur une zone de 20 km nord‑sud et 30 km est‑ouest (fig. 6), correspondant aux vallées de la Combade et de la Briance, séparées par la forêt de Châteauneuf. Il est évident qu’un tel chiffre n’est nullement signifiant par rapport au tissu de l’occupation rurale dans l’Antiquité.

FIG. 6 – Carte de l’environnement antique de la villa.

13Ce qui est plus intéressant, c’est la nature et la répartition des sites. En dehors de la dizaine d’entre eux qui correspond à des découvertes isolées, on remarque que 17 lieux ont livré un ou plusieurs coffres funéraires, dont cinq sûrement associés à un site à tuiles. A ces découvertes, habituellement considérées comme révélatrices d’un habitat, il faut ajouter douze sites à tuiles, sur lesquels on ne possède pas d’autre information. Seuls les sites de Châteauneuf‑la‑Forêt et de Souffas à Vicq‑sur‑Breuilh, qui ont fait l’objet de fouilles, peuvent être regardés comme des villas.

  • 12 Nous avons pu voir et photographier les coffres funéraires du Barnagaud et de Peyroux, ainsi que l’ (...)
  • 13 Très souvent exploités, en particulier par G. Fouet (1963).

14Ces sites se répartissent, comme habituellement en Limousin, le long des vallées sur les coteaux qui dominent la rivière. On note, en particulier de part et d’autre de la forêt de Châteauneuf et à une altitude moyenne de 4 à 500 m, les sites de la vallée de la Combade et ceux de la haute vallée de la Briance. Le nombre plus élevé de sites dans cette dernière zone, dû sans doute à la présence d’une équipe de fouilles sur les lieux12, suggère en tout cas une certaine densité de l’occupation rurale autour de la villa du Liégeaud. En l’absence de toute reconnaissance systématique, il est impossible d’estimer l’importance de notre villa relativement aux autres sites, ni d’avancer une évaluation quelconque de la superficie du domaine. Le repérage beaucoup trop lâche ôte toute vraisemblance à une division de la surface globale par le nombre d’habitats (Perdière 1985 : 124‑125). Restent les traditionnels arguments topographiques13 : la courbe des deux rivières, à l’ouest et au sud, ainsi que le vieux chemin au nord peuvent‑ils constituer des limites du domaine ? Mais quelle certitude avons‑nous, après tout, d’un tel découpage ?

Château‑Chervix

1

Châteauneuf

2

non localisé

3

bourg

4

Lavergne

La Croisille

5

Bagengette

6

Barnagaud

7

Bois‑Barat

8

bourg

9

Branlette

10

Le Liégeaud

11

Nouaillat

12

Peyrout

13

Le Pont

14

Puyfaut

15

La Valade

Glanges

16

bourg

17

Embessac

18

Villevarlange

Linards

19

Nouhaud

Magnac‑Bourg

20

non localisé

21

Duris

Neuvic‑Entier

22

Golas 1

23

Golas 2

Pierre‑Buffière

24

Ville d’Antone

La Porcherie

25

Champvert

26

Cirat

27

La Perrière

St‑Bonnet‑Briance

28

Neuvillars

St‑Germain

29

La Boissière

30

La Grillère

St‑Gilles

31

Mont Gargan

32

Puy Château

St‑Méard

33

non localisé

36

Chatenet

37

La Vergne

Sussac

38

champ 1

39

champ 2

40

Puy‑de‑Soulier

41

Rebeyrolles

Vicq‑sur‑Breuilh

42

Bourg

43

Buin

44

Masconnière

45

Souffas

  • 14 D’après l’un des habitants de La Croisille, deux de ces coffres seraient chez lui, deux autres dans (...)
  • 15 A la villa de Newel, près de Trèves, la nécropole familiale est à proximité de la résidence (Cupper (...)

15De la même façon, peut‑on proposer de rattacher au domaine la découverte, à quelque 600 m à l’est de la villa, de six coffres funéraires (Delage 1906), dont les urnes avaient disparu14 ? Certes, le nombre des sépultures évoque une nécropole familiale, tandis que la présence à leurs côtés d’une sépulture par inhumation dans un coffrage de six grandes tuiles à rebords renvoie à une pratique romaine peu fréquente dans la région, à moins qu’il ne s’agisse d’une sépulture nettement plus récente que les autres. Mais la pauvreté de nos connaissances sur la localisation des sépultures dans les domaines ruraux –à proximité de la demeure ? en limite de propriété15 ?– ne permet pas de répondre.

16Un site dans les environs de la villa devait se détacher du réseau des habitats isolés : sur le point culminant de la région, le mont Gargan, deux sites ont été découverts, l’un sur un replat au nord‑ouest, l’autre au sud‑est, un peu en contrebas du sommet où fut édifié en 1870 à la suite d’un vœu, une chapelle aujourd’hui en ruines, mais qui est toujours l’occasion d’une fête annuelle. Y a‑t‑il là survivance d’une ancienne tradition et peut‑on supposer que ce lieu était déjà sacré à l’époque antique ? A ces découvertes bien imprécises, l’exploitation de photos aériennes qui ont été prises par un groupe d’amateurs pourrait apporter des compléments d’information.

17Sur cette vaste superficie, un site de vicus a été identifié : celui de Château‑Chervix, auquel il semble qu’on puisse ajouter celui de la villa d’Antone à Pierre‑Buffière, interprété jusqu’à maintenant comme une grande villa mais qui serait plutôt le centre d’une agglomération (Desbordes 1985). Ces deux vici seraient à mettre en relation avec l’exploitation de gisements miniers : mines d’or pour Château‑Chervix, mines de plomb argentifère pour Pierre‑Buffière.

  • 16 Depuis la rédaction de ces lignes, B. Cauet a signalé la présence à Champvert d’une « faille minéra (...)

18Or des mines d’or existent à proximité immédiate de la villa du Liégeaud (1 500 m pour les aurières les plus proches), dans le secteur de La Porcherie, Champvert et Le Raineix (Laporte 1965). La question se pose évidemment de savoir si elles ont été exploitées à l’époque romaine. Un article récent a démontré l’ancienneté de l’exploitation de l’or dans le Limousin, qui remonterait à l’époque gauloise (Tamain, Ratz 1982). On sait les espoirs que les Romains avaient fondés sur la richesse en métaux de la Gaule et l’on peut penser qu’ils ont eu soin de repérer tous les filons aurifères et d’en poursuivre, voire d’en étendre l’exploitation (Cauet 1987), Il est donc vraisemblable que les gisements proches du site ont fonctionné à l’époque romaine. Peut‑on établir une relation entre ces travaux et la villa du Liégeaud ? Sans doute faudrait‑il connaître le mode d’exploitation de ces gisements : de façon intensive, pour le compte de l’empereur ? de la Caisse des Gaules ? ou à une échelle plus modeste, laissée à la discrétion des propriétaires de domaines vu, peut‑être, les difficultés d’extraction ou la faible teneur des filons ? Il ne s’agit, dans le cas de la villa du Liégeaud, que d’une hypothèse16, mais elle n’est pas à rejeter a priori, avant que ne soit menée une recherche d’ensemble établissant les relations existant chez les Lémovices entre les secteurs miniers et les habitats.

Historique du site archéologique

Les témoignages anciens

19La plus ancienne indication sur le site remonte à 1873 (Lecler 1873). Dans la liste des « villages » composant La Croisille, il est noté ceci, à Ribière : « on trouve, dans les champs, le reste d’un château qui pourrait être gallo‑romain ». Quel crédit accorder aux termes utilisés ? Faut‑il voir clans le mot « champs » la confirmation de l’exploitation agricole des terres avant la conversion en bois ? Pourquoi le terme » château » : les vestiges étaient‑ils encore visibles ? En tout cas, la précocité de l’identification du site peut être un bon gage de son importance.

  • 17 Je pense que c’est ainsi qu’il faut identifier tes « fragments de ciment […] constitué de plâtre et (...)
  • 18 Nous avons trouvé, sur le mur M 52 de l’égout, la suite de son élévation, fort bien montée en pierr (...)

20La première mention archéologique date de 1913. F. Delage signale « dans la terre dite Champ du Liégeaud », après les labours, la présence de fragments de tuiles à rebords, de briques avec traces au peigne, de stuc et mortier de sol17. Il note, à côté d’un » puits maçonné, comblé » des « tas de cendres et deux blocs de pierre dont un côté paraît avoir été appareillé Les briques de revêtement, le sol « très résistant » qui fait penser à une suspensura, suggèrent que ce labour eut lieu dans les thermes. Quant à l’ouverture d’un puits maçonné, il pourrait s’agir de l’aménagement circulaire de l’égout, situé entre les thermes et le bâtiment A18.

L’exploration clandestine

  • 19 L’intervention a surtout concerné les thermes et la partie ouest du bâtiment A. Si aucun cahier de (...)

21Il n’y a pas d’autre information sur le site jusqu’en 1960, date à laquelle commence une exploration de la villa sans autorisation de fouilles19. La Société archéologique du Limousin et en particulier son président, Jean Perrier, interviendront pour que cesse une telle activité. Conscients des dangers qui menacent le site laissé sans aucune protection, alors qu’il est désormais signalé à la curiosité publique, en même temps que soucieux d’exploiter scientifiquement un site qui paraît intéressant, ils réclameront avec insistance l’ouverture d’une fouille programmée.

La fouille programmée

22C’est un site abîmé qui nous attendait : abîmé, il l’était doublement, par l’intervention clandestine et par l’implantation forestière.

23L’intervention clandestine ne se marquait pas seulement sur le terrain par des destructions stratigraphiques, mais aussi par des murs éboulés et des amoncellements de déblais envahis par les ronces. Quant à l’implantation forestière, si l’on a procédé au début de la fouille à l’abattage des arbres, il est resté les souches qui, profondément enfoncées dans le sol, n’ont pû être dégagées qu’au fur et à mesure des travaux.

24La fouille a été organisée par étapes en s’adaptant au contexte forestier et aux contraintes climatiques du Limousin (périodes de pluies, forte humidité). En 1974, avaient été ouverts pour les sondages de reconnaissance deux carrés de 4 m sur 4. Immédiatement confrontés aux difficultés de la fouille de peintures en remblai dans un milieu forestier, nous avons décidé de poursuivre la fouille de ces carrés jusqu’au sol naturel. Ensuite, en 1977, nous avons pu mettre au point un programme convenant mieux au site :
– pour la fouille des peintures, nous avons ouvert chaque année une surface restreinte (10 m), dont une équipe de 5 à 6 fouilleurs‑restaurateurs pouvait venir à bout en un mois : 
– pour la fouille des structures, nous avons décidé de procéder par salle ; si la salle 34 avait été en grande partie vidée, les salles 6, 32, 33, 37 (dans sa moitié nord), 48, 51 et le caniveau dans sa branche sud (le long de la galerie 43) étaient en majorité intacts ; pour des raisons de temps, nous n’avons mené, en 6 et 32, qu’une tranchée stratigraphique ; d’autre part, accordant la priorité à l’ensemble de peintures de la galerie 43, nous avons renoncé à fouiller un autre ensemble de peintures murales sur fond blanc jetées en remblai dans 48 ;
– la moitié ouest de A (salles 1 et 27) était envahie de déblais et de ronciers : nous n’y avons pas touché ; dans les salles 48, 49, 50 en grande partie vidées, nous avons pu implanter des sondages et relever des coupes stratigraphiques dans des secteurs préservés, retrouvant ainsi une grande partie de l’histoire du bâtiment A ;
– en 1982, dans un contexte de fermeture de fouilles, nous n’avons pu mener qu’un seul sondage stratigraphique à travers le bâtiment B, planté de grands arbres et parsemé de tas de déblais ; nous y avons recueilli des informations complétant parfaitement celles du bâtiment A (Kisch 1975 ; Desbordes 1977b, 1979, 1981, 1983).

25Le plan des structures (fig. 7‑8) reflète les dommages causés au site et la manière dont a été conduite la fouille : le relevé pierre à pierre des murs n’a pu être mené que dans les salles totalement fouillées ou dans les sondages. Ailleurs, les murs disparaissaient sous les déblais ou la végétation forestière. Les souches encore visibles sur certains murs –le plus souvent aux angles– sont là pour témoigner de l’état dans lequel se trouvait le site.

FIG. 7 – Plan des fouilles anciennes.

FIG. 8 – Plan des structures fouillées (1974‑81).

26A la demande expresse du propriétaire des lieux, toute la zone de fouilles a été remblayée : le site est désormais protégé, mais il est difficile d’y déceler la présence d’un habitat antique.

Notes

1 La commune est à cheval sur les quatre feuilles au 1/25 000 de Châteauneuf-la-Forêt.

2 Références du site : coordonnées Lambert : X = 539 875 ; Y = 69 350. Cadastre dressé en 1834, mise à jour en 1961, section C, feuille no 4, parcelles 839, 846, 846.

3 Cadastre dressé en 1834, section C, feuille no 4, parcelle 831. La mention de la bruyère en 1834 confirme que le bois est de plantation relativement récente.

4 Ce qui n’a pas empêché la parcelle d’être transformée récemment en pré, à cause des difficultés de culture, m’a confié le propriétaire.

5 Cf. infra, p. 70.

6 Carte géologique de la France au 1/80 000 ; feuille de Limoges.

7 Plusieurs anciennes carrières se trouvent sur le territoire de la commune, dont deux à proximité du site.

8 Cf. en particulier p. 166.

9 Le dépouillement des photos aériennes de l’IGN couvrant l’environnement de la villa n’a pas apporté d’informations nouvelles. Précisons qu’un projet de prospection systématique, portant sur le territoire communal et qui se voulait une expérimentation sur ce type de paysages, a été présenté à l’appel d’offres ATP 1980. Il n’a malheureusement pas été retenu et l’arrêt des activités archéologiques à La Croisille nous a empêchée de le reprendre comme nous le souhaitions.

10 Il s’agit de sites antiques, récemment repérés par tes agriculteurs qui nous ont transmis les informations.

11 Pour la bibliographie des sites, voir Perrier (1964) auquel il faut ajouter les références suivantes : site no 3, Châteauneuf (Kisch 1975 : 448) ; sites 5, 7, 8, 15, La Croisille, informations orales ; site no 14, La Croisille (Kisch 1975 : 451-452) ; site no 36, Saint-Méard (Allain 1971 : 321) ; site no 38, Saint-Vitte, information orale.

12 Nous avons pu voir et photographier les coffres funéraires du Barnagaud et de Peyroux, ainsi que l’urne en sigillée (Delage 1931), soigneusement conservés dans la famille des inventeurs. Coffre et couvercle de coffre sont également très visibles au Moulin-du-Pont, où ils sont en remploi à un des angles de la maison (Perrier 1964 : 36) (sites nos 6,12 et 13).

13 Très souvent exploités, en particulier par G. Fouet (1963).

14 D’après l’un des habitants de La Croisille, deux de ces coffres seraient chez lui, deux autres dans une propriété voisine et un cinquième à la ferme de Gardenet. Nous avons bien vu ces coffres, mais les propriétaires ne pouvaient en confirmer l’origine (site no 9).

15 A la villa de Newel, près de Trèves, la nécropole familiale est à proximité de la résidence (Cuppers, Neyses 1971). Pour les relations entre le domaine et le mausolée familial, voir en particulier Y. Burnand (1975). G. Lintz (1981) propose des informations plus précises : il remarque que « dans les campagnes, le cimetière se trouve à proximité de l’habitat, dans un rayon qui varie généralement de 100 à 600 m ». Le chiffre que nous avons au Liégeaud correspond bien à ceux-ci.

16 Depuis la rédaction de ces lignes, B. Cauet a signalé la présence à Champvert d’une « faille minéralisée par de la galène argentifère » ; elle pourrait être mise en relation avec les traces du travail de l’argent révélées par la découverte de deux creusets dans le contexte de la villa.

17 Je pense que c’est ainsi qu’il faut identifier tes « fragments de ciment […] constitué de plâtre et de menus fragments de brique et de pierre qui est extrêmement dur ».

18 Nous avons trouvé, sur le mur M 52 de l’égout, la suite de son élévation, fort bien montée en pierres sèches. Ce ne peut être le fait du fouilleur clandestin qui se contentait de faire des tas ; je pense plutôt que cette construction date de cette première période de découvertes.

19 L’intervention a surtout concerné les thermes et la partie ouest du bâtiment A. Si aucun cahier de fouilles n’a été tenu, un plan –comportant de nombreuses erreurs– a cependant été levé (fig. 7) et une partie du matériel a été ramassé –en particulier la céramique–, mais avec des indications fort vagues sur les provenances (Perrier 1964 : 36).

Table des illustrations

Légende FIG. 1 – Carte de la civitas des Lémovices.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36618/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 40k
Légende FIG. 2 –Implantation topographique du site antique.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36618/img-2.jpg
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Légende FIG. 3 – La villa et son environnement moderne.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36618/img-3.jpg
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Légende FIG. 4 – Plan cadastral du Liégeaud.
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Légende FIG. 5 – Vallon du Briansoulet (à gauche) et chemin d’accès actuel à la villa (au fond). La flèche indique l’emplacement de la villa.
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Légende FIG. 6 – Carte de l’environnement antique de la villa.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36618/img-6.jpg
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Légende FIG. 7 – Plan des fouilles anciennes.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36618/img-7.jpg
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Légende FIG. 8 – Plan des structures fouillées (1974‑81).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36618/img-8.jpg
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