6.1 Introduction

1Malgré la pauvreté de la série en silex, l’industrie de La Borde, tous matériaux confondus, est suffisamment représentative pour tenter une attribution chronoculturelle. L’interprétation fonctionnelle, faute d’être débattue à partir de résultats concrets, n’apparaîtra qu’en filigrane.

2La présence du débitage Levallois, bien attesté et parfaitement maîtrisé, exclut un âge antérieur à la seconde moitié du Pléistocène moyen. Par ailleurs, l’absence d’outils caractéristiques des différents stades de l’Acheuléen semble interdit tout rapprochement avec les cultures du Paléolithique ancien à bifaces.

3Les techniques de débitage avec plusieurs types de schémas opératoires (Levallois, discoïde et indifférencié pour le silex ; discoïde uniface, discoïde biface, prismatique, multidirectionnel et indifférencié pour le quartz), de même que la bonne proportion du petit outillage sur éclat, permettent d’intégrer La Borde aux cultures du Paléolithique moyen. Le faible degré de standardisation atteint par les outils façonnés est essentiellement expliqué par l’utilisation de matériaux de qualité variable mais très souvent médiocre, et un débitage difficile à maîtriser.

4Rappelons que cette industrie a déjà été décrite comme un « Prémoustérien » par les inventeurs (Lorblanchet, Genot 1972), appellation reprise dans un article de synthèse sur « Les civilisations du Paléolithique moyen dans les Causses et le Lot » (Le Tensorer 1976). Cette dénomination nous paraît incorrecte dans la mesure où elle introduit une notion d’antériorité et de chronologie entre un « Prémoustérien » rissien ou risso‑würmien qui précéderait un Moustérien würmien. C’est probablement dans ce sens qu’il fallait comprendre l’attribution initiale : utilisation massive du quartz accentuant une impression d’archaïsme qui s’attache parfois à certains faciès à denticulés, médiocre représentation des racloirs et outils de type Moustérien, ainsi que des produits de débitage Levallois, présence de quelques galets taillés, etc.

6.2 Datation du Paléolithique moyen

5Ces dernières années, les découvertes de Paléolithique moyen clairement datées de périodes antérieures au Dernier Interglaciaire (stade isotopique 5^e / Eémien s.s. / « Riss‑Würm », soit environ 115‑128 ka) se sont généralisées sur une grande partie du continent européen.

6Parmi les plus significatives, citons pour le nord de la France : Biache‑Saint‑Vaast, âgé d’environ 175 ka (Tuffreau 1986), Champvoisy, Beaumetz‑les‑Loges, série lustrée (Tuffreau 1976, 1982) ; en Rhénanie, le site de Rheindahlen, niveau B3 (Bosinski 1986) ; en Belgique, Mesvin IV (Cahen 1984) ; et dans les îles anglo‑normandes, La Cotte de Saint‑Brelade à Jersey, essentiellement les couches G, F et D (Callow, Cornford 1986).

7Bien avant que ce courant ne s’affirme définitivement, et à la suite de travaux précurseurs comme ceux de H. Breuil dans les années 1930, des auteurs comme E. Bonifay avaient soulevé cette question en attribuant sans ambiguïté à un « Prémoustérien » l’industrie rissienne de la couche X de Rigabe, Var (Bonifay 1965), avec la réserve déjà mentionnée à propos de la notion de distinction chronologique et culturelle par rapport au Moustérien du Würm ancien. Dans le Sud‑Ouest, F. Bordes (1968) a été conduit aux mêmes observations pour plusieurs niveaux rissiens de La Micoque qui sont sous‑jacents à l’Acheuléen de la couche 5, et a fortiori au Micoquien du début Würm. Ce « Moustérien primitif » des couches 3 et 4 a été rapporté, en terminologie alpine, aux « Riss I et II » (Laville 1973).

8Cette tendance transparaît également à travers les attributions d’industries rissicnnes de sites provençaux comme La Baume des Peyrards (Vaucluse) ou La Baume Bonne (Alpes‑de‑Haute‑Provence). H. de Lumley, notamment pour ce dernier site, a préféré reprendre, en la redéfinissant, une appellation créée par ailleurs (« Tayacien ») ou en proposer de nouvelles : « Proto‑charentien », » Charentien de type proto‑Ferrassie », etc. (Lumley 1969, 1976).

9Dans le même sens, l’interprétation d’A. Adam et A. Tuffreau (1973), pour l’industrie d’âge saalien du Rissori, Hainault (Belgique), oscillait entre un Acheuléen supérieur pauvre en bifaces et un Prémoustérien. Depuis, la notion d’Epi‑Acheuléen s’est, imposée pour les industries antéweichséliennes, à outillage sur éclat diversifié, typologiquement variées et très pauvres en bifaces comme Les Osiers à Bapaume (Tuffreau 1981, 1982).

10S’appuyant sur une série datée du « Riss III » provenant du gisement de plein air des Tares (Dordogne), J.‑P. Rigaud et J.‑P. Texier (1981), ont également évoqué une origine rissienne pour le Charentien du Sud‑Ouest.

11A l’heure actuelle, il semblerait que l’émergence du Paléolithique moyen ne concerne pas seulement la fin de l’Avant‑Dernier Glaciaire (stade 6), mais également des interstades ou interglaciaires antérieurs. La couche VIII de la grotte Vaufrey (Dordogne) a livré un Moustérien typique daté soit de l’interglaciaire contemporain du stade 7 (vers 200 ka = « Riss II‑II »), soit du début du stade 6 (vers 180‑160 ka = début du « Riss III ») (Rigaud 1982, Rigaud et alii, à paraître). Avant les études paléontologiques et les premières datations radiométriques, il est opportun de rappeler que cette industrie avait été provisoirement attribuée au Würm ancien (Rigaud 1976).

12Ce dernier exemple, émanant d’une région classique, est devenu célèbre : l’attribution d’une série au Paléolithique moyen ne permet donc plus une datation aveugle. Mais si les limites chronologiques ont nettement dépassé l’ancien cadre fixé au seul Würm ancien + « Riss‑Würm », il semble cependant possible de hiérarchiser certains caractères liés aux modes de débitage des industries lithiques.

6.3 Argumentation pour une attribution au Paléolithique moyen ancien

13Sur les Causses, les industries moustériennes d’âge plus récent (Würm ancien) sont en général plus diversifiées au niveau de leur approvisionnement et de leurs supports pétrographiques. Il est exceptionnel qu’un seul matériau, surtout quand il est de mauvaise qualité comme le quartz, domine de façon écrasante.

14La plupart des niveaux moustériens des Fieux (Lot) donnent des pourcentages oscillant entre 30 et 65 % (Jaubert 1984). Au Mas‑Viel, gisement géographiquement très proche de La Borde, également dans le Lot, ce matériau atteint 70 % pour une industrie attribuable au Moustérien de type Quina (Turq, sous presse). A La Pronquière (Lot‑et‑Garonne), cette proportion est de 48 % (Turq, inédit).

15Les sites des Grands Causses semblent plus pauvres en séries taillées sur quartz : à l’abri des Canalettes sur le Causse du Larzac, le quartz ne figure que pour 7 % d’un Moustérien daté de 73,5 ± 6 ka (Meignen 1985). Enfin au Rescoundudou sur le Causse Comtal, le quartz ne dépasse jamais 25 % des industries attribuées à un Moustérien antérieur à 75 ka, vraisemblablement contemporain de Saint‑Germain 1 (stade 5c, environ 95‑105 ka).

16A l’opposé, les ensembles datés du Pléistocène moyen comme le remplissage de Coudoulous I (Lot), n’ont livré que des industries dominées par les matériaux locaux. La couche 4 de ce gisement (fouille J. Clottes, E. Bonifay), datée d’une période assez tempérée du Riss (« Riss I‑II », vraisemblablement le stade 7 ou un interstade du 6), a livré une industrie où le quartz représente 95,7 % du total (Jaubert 1984). Cette série est en cours d’étude et sa position culturelle est encore difficile à cerner : Paléolithique moyen (?) à nombreux choppers en quartz, outillage sur éclat pauvre et peu diversifié mais connaissant le débitage Levallois. L’igue des Rameaux (Tarn‑et‑Garonne) actuellement en cours de fouille sous la direction de F. Rouzaud, semble devoir être rattachée à ce même ensemble : la faune comprend des espèces caractéristiques du Pléistocène moyen, associées, semble‑t‑il, à une industrie uniquement taillée sur quartz (outils sur galets).

17Sans accorder à la présence du quartz dans ces gisements régionaux une valeur chronologique trop importante, il paraît actuellement possible de distinguer :
– un premier groupe de séries, d’âge anté‑würmien, où le quartz ne serait relayé que par une infime proportion de silex (< 5 %) (Coudoulous, La Borde, sous réserve Les Rameaux) ; cet ensemble pourrait être rattaché à un Paléolithique moyen ancien ; la spécialisation des deux principaux sites constitue cependant un sérieux obstacle à un classement définitif ;
– un second groupe serait représenté par les cultures du Palcolihique moyen récent où le quartz n’interviendrait qu’en tant que matière complémentaire ou à égalité avec le silex ;
– enfin avec le Paléolithique supérieur, dès l’Aurignacien, la chute du quartz va être brutale avec des proportions équivalentes à celles du silex clans les séries anté‑würmiennes (< 5 %).

18Ces observations ne peuvent bien entendu être pertinentes que dans la mesure où les problèmes méthodologiques ont été écartés : conservation différentielle au profit du quartz, position des sites par rapport aux gîtes de silex et aux affleurements alluviaux où le quartz est largement représenté, etc.

19L’analyse des différents débitages Levallois liés à chaque ensemble devrait constituer une excellente voie de recherche (travaux de E. Boëda ou J.‑M. Geneste pour d’autres régions) afin de valider ce schéma qui n’est pour l’instant qu’une hypothèse. Cependant ce travail nécessite des séries assez abondantes qui pour l’instant font défaut tant en Quercy qu’à La Borde. Pour ce site, notons toutefois que les types d’enlèvements Levallois sont peu variés et essentiellement obtenus selon les méthodes Levallois récurrentes centripètes. Celles‑ci sont le plus fréquemment utilisées par les Moustériens würmiens, en Quercy au Mas‑Viel, et dans les divers gisements du haut Agenais, notamment à La Plane (Turq, inédit).

20Cette succession chronologique n’est de toute façon vraisemblablement pas aussi simple que nous l’indiquons ici et il sera nécessaire de la pondérer par l’interprétation palethnologique de chaque site.

6.4 La Borde et les cultures du Paléolithique moyen à denticulés

21L’attribution de La Borde à un faciès culturel du Paléolithique moyen respecte les cadres traditionnellement admis et ne se heurte pas à un obstacle majeur. Malgré l’archaïsme dû à une matière première médiocre, la proportion des différents groupes typologiques est caractéristique d’une industrie où les coches et denticulés sont dominants. La présence d’outils comme les pointes de Tayac de même que le style des denticulés confirment ce déséquilibre typologique en faveur du groupe IVél. Ces éléments nous conduisent à rapporter La Borde à un Moustérien à denticulés, connaissant le débitage Levallois. La pauvreté du groupe des silex nous empêche d’être plus précis sur ce dernier point (notion de faciès levalloisien).

22On notera que les conclusions concernant les deux groupes de matériaux sont concordantes, à quelques détails près. Les différences respectives sont la présence d’outils Levallois en silex et de quelques galets taillés en quartz.

23Le Paléolithique moyen ancien riche en outils denticulés est désormais bien connu. Malgré des contextes défavorables, A. Tuffreau l’a signalé pour la série H de Biache, mais aussi à Salouel (fouille C. Dupuis), tous deux de débitage Levallois et d’âge saalien (Tuffreau 1986).

24A La Cotte de Saint‑Brelade (Jersey), un Moustérien à denticulés (couche G), de débitage non Levallois, succède à un assemblage qui rappelle le Clactonien anglais (couche H) et précède plusieurs niveaux de Moustérien typique (couches F à D), lui‑même coiffé d’industries à bifaces (couches B à 5). L’Epi‑Acheuléen de cet ensemble supérieur est rapporté au stade isotopique 6 alors que les niveaux antérieurs attribuables au Paléolithique moyen ancien, dont la couche G, sont rapportés à l’Interglaciaire du stade 7, soit environ 200‑250 ka (Callow 1986 ; Callow, Cornford 1986).

25Dans la région voisine du nord Cotentin, un Paléolithique moyen à denticulés, de débitage Levallois, est également présent : à Port‑Racine (Saint‑Germain‑des‑Vaux), dans un contexte fini‑Eémien (Fosse et alii 1986). A notre connaissance, aucun Paléolithique moyen anté‑würmien du Midi de la France n’a été attribué au Moustérien à denticulés. La série de Livemon est donc pour cette raison importante.

6.5 Le Paléolithique moyen et l’outillage lourd

26L’originalité de La Borde par rapport à ces séries est la présence d’un outillage lourd (choppers, chopping‑tools, polyèdres) dont la proportion est équivalente à celle des racloirs. D’autres gisements, parfois d’âge encore plus récent que La Borde (dont la limite supérieure ne peut, en aucun cas dépasser le stade 5), ont livré, associées à un fond commun moustérien, des séries de galets taillés de type choppers ou chopping‑tools.

27C’est le cas à Fonscigner (Dordogne), pour plusieurs niveaux appartenant à des faciès différents : Moustérien typique (couches D moyen et E, 52,8 ± 5,5 ka et 56,4 ± 6,8 ka) et Moustérien de tradition acheuléenne (couche D sup., 50,2 ± 5,3 ka) (Geneste 1985, Valladas et alii 1987). Il semblerait que la présence de galets taillés (ou bruts : manuports) soit bien en liaison avec une activité spécialisée quelconque ou une fonction domestique qui reste à définir.

28En haut Agenais (Lot‑et‑Garonne) sur ou à proximité des terrasses du Lot, les industries à outillage sur galet sont bien représentées. En grotte, à Cassegros (Le Tensorer 1981) mais surtout à La Pronquière (Coulonges, Lansac 1954), elle a été interprétée non comme le témoignage d’une activité spécialisée d’un groupe classique (en l’occurrence Quina), mais comme la manifestation d’une tradition culturelle. L’ensemble, rapporté aux premiers stades du « Würm I », est décrit comme un « Moustérien de tradition clactonienne » (Le Tensorer 1981).

29En plein air, la station de Las Planes (Turq 1979) a livré une industrie avec 80 % de galets aménagés dont 50 % de choppers, 14 % de chopping‑tools et un outillage sur éclat composé de racloirs et de denticulés. Il existe dans la série trois petits bifaces qui rappellent ce que l’on trouve généralement dans le MTA de type B. La différence fondamentale entre cette série et Livemon vient du fait qu’à Las Planes les galets d’alluvions sont considérés comme des supports d’outils, alors qu’à La Borde, ils sont traités comme des blocs de matière première destinés à la production de supports (Turq, sous presse, b).

30La partie supérieure du remplissage » rissien » du Lazaret à Nice fournit des industries que H. de Lumley attribue à l’Acheuléen final. Ces assemblages pourraient en fait représenter l’équivalent d’un Paléolithique moyen ancien (ou Epi‑Acheuléen) avec outils sur galet en bonne proportion.

31Pour terminer ce rapide tour d’horizon des sites moustériens à galets taillés, il faut mentionner deux sites des Pré‑Pyrénées : Mauran et la grotte du Coupc‑Gorge à Montmaurin (Haute‑Garonne).

32Pour cette dernière localité, l’industrie rassemblée sous l’appellation « 3 base » (Gaillard 1982) correspond en fait à un complexe stratigraphique de près de 2,50 m d’épaisseur (!) regroupant les niveaux 3s à 3y, datés de la fin du Riss au début du Würm (Girard, Renault‑Miskovsky 1979). Une vingtaine de galets taillés (plus cinq coups‑de‑poing) sont associés à un fonds commun assez classique composé essentiellement de coches et de denticulés.

33Pour Mauran, d’âge vraisemblablement contemporain, l’industrie est nettement partagée en deux groupes typologiques : coches‑denticulés (essentiellement en silex) et outils sur galets (choppers, chopping‑tools, percuteurs en quartzite, schiste à andalousite, granité, etc.). La spécialisation de l’ensemble des occupations paraît assez évidente et la présence d’un matériel lourd associé à une faune dominée par les grands bovidés renforce cette hypothèse (Girard et alii 1975).

6.6 Comparaisons avec l’Acheuléen et le Paléolithique moyen d’Aquitaine orientale

34La question des rapports entre les deux grands courants contemporains de l’Avant‑Dernier Glaciaire (et au‑delà), l’un Acheuléen, l’autre Paléolithique moyen, a fait l’objet de nombreux débats que nous n’évoquerons pas ici. Seules, quelques stations régionales seront mentionnées pour préciser la position de La Borde.

35En ce qui concerne le débitage et le façonnage du « petit outillage », des points communs existent parfois. Au Prône (Tarn), le matériel attribué à un Acheuléen évolué (Servelle 1981)1 ne se différencie pas fondamentalement de notre série en quartz, surtout si l’on pondère les pressions technologiques qu’exercent les matériaux respectifs (quartz + quartzite + roches métamorphiques diverses au Prône). Les grandes différences demeurent la production de quelques coups‑de‑poing dans l’Acheuléen du Prône et un débitage Levallois sur silex à La Borde. La description de l’outillage du fond commun, dans son immense majorité, imprime aux deux séries des similitudes qui ne sont pas uniquement explicables par leur relative contemporanéité.

36Comme A. Tavoso (1986) l’a déjà indiqué, il est hors de question d’utiliser à la lettre les résultats de l’étude de C. Gaillard sur Montmaurin (Coupe‑Gorge) : le mélange de vestiges issus de niveaux aussi éloignés dans le temps rend caduques certaines données de ce travail. Par contre la supeiposition au premier ensemble (3 base) d’un niveau homogène, la couche 3z’, datée du début Würm (« Würm I », épisode froid et sec, Girard et alii 1975, vraisemblablement l’un des deux sous‑stades 5b ou 5d), et ayant livré un assemblage lithique bien caractérisé, est intéressant. Le diagramme des outils nucléiformes, à quelques détails près, présente le même profil que celui de La Borde. Le « détail » est par contre significatif puisqu’il s’agit du groupe des » coups‑de‑poing », essentiellement représentés par de petits bifaces à pointe, lancéolés ou micoquiens, associés à un hachereau sur éclat. L’outillage sur éclat et le mode de débitage des deux séries ont également de nombreux points communs.

37Par une classification hiérarchique, A. Tavoso a pu démontrer un rapprochement entre les modes de débitage pratiqués au Coupe‑Gorge 3z’ et celui observé à partir des séries du Moustérien de tradition acheuléenne (MTA) de l’Argile à graviers (Tarn). Par la même méthode, mais s’appuyant cette fois sur les pourcentages des outils nucléiformes, le même auteur place le Coupe‑Gorge 3z’ entre le MTA du Tarn et l’Acheuléen final de La Baraque à Vaquiers (Haute‑Garonne).

38Nous sommes en accord avec cette proposition et on peut également rapprocher l’industrie pyrénéenne du Paléolithique moyen ancien de La Borde : au Coupe‑Gorge, les petits bifaces évolués attestant une dernière influence acheuléenne. A Livernon, les matériaux utilisés oblitéreraient tout rappel à une quelconque influence, d’ailleurs jamais clairement attestée en Quercy, hormis quelques vestiges isolés et périphériques.

39Une comparaison avec l’ensemble des industries recueillies en surface des stations du haut Languedoc permet de mieux situer La Borde dans le contexte régional est‑aquitain (fig. 78), d’autant que cette région a fait récemment l’objet d’une synthèse mise à jour (Tavoso 1986).

40L’analyse a été limitée aux seules séries taillées sur quartz, car il est impensable de se livrer à ce jeu pour des matières premières différentes. De ce fait, la comparaison ne concerne malheureusement que le Paléolithique moyen récent, plus exactement le Moustérien de tradition acheuléenne (MTA : quartz non patinés –QNP– et Moustérien de la moyenne terrasse) dont l’homogénéité et les caractéristiques sont bien définies.

41Les diagrammes de générations d’éclats (fig. 79a) démontrent que le débitage a sensiblement suivi les mêmes procédés d’exploitation à Livernon que sur les rives du Tarn ou de l’Agout : surproduction d’éclats à talon seul en cortex et pourcentage moyen d’éclats entièrement décortiqués. Les nuances, mineures, apparaissent au niveau de la première partie du diagramme (phases de décorticage, dos en cortex).

42Le même exercice, répété avec les diagrammes d’outils nucléiformes (fig. 79b) amène à peine à nuancer cette relative identité technique. Les courbes suivent des profils similaires, très éloignés de celles de l’Acheuléen (profils convexes). Les nucléus dépassent 50 % du total ; puis, viennent les galets taillés (choppers, chopping‑tools, polyèdres), enfin les coups‑de‑poing, essentiellement des bifaces. A La Borde, ils sont absents, alors que dans le MTA du Tarn, ils oscillent autour de 10 %. Cette différence majeure impose aux deux ensembles une attribution culturelle distincte.

43Le MTA du haut Languedoc, d’âge wurmien, et le Mouslérien à denticulés de Livernon, vraisemblablement rissien, procèdent donc de traditions communes, notamment technologiques pour la production d’outils en quartz. Les éléments qui les distinguent (composition typologique) peuvent être rapportés à des différences d’ordre culturel (MTA/Moustérien à denticulés au sens de F. Bordes) ou fonctionnel : stations de plein air dont la fonction nous est inconnue par opposition à un site spécialisé dans l’exploitation des grands bovidés.