Les chasseurs d’Aurochs de La Borde
| , , ,Chapitre 2. Le remplissage de l’aven : caractéristiques et signification
Texte intégral
2.1 Introduction
1Le gisement paléolithique de La Borde est localisé dans l’une de ces nombreuses formes d’érosion karstique qui s’ouvrent dans les calcaires jurassiques du Causse de Gramat et qui sont connues, en Quercy, sous le nom d’igue.
2Ici, comme en de nombreux autres secteurs, l’altération et l’érosion superficielles des assises calcaires au cours du Pléistocène ont alimenté une sédimentation particulièrement active qui a conduit au comblement de l’aven. Seule la partie supérieure du remplissage nous est connue. Les dépôts correspondants ont été portés à l’affleurement par des travaux de terrassement sur une épaisseur de 2,50 m environ. Un important niveau d’occupation du Paléolithique moyen se place à la base de la séquence.
3Avant les travaux qui ont conduit à la mise au jour du gisement, aucune particularité morphologique ne laissait supposer la présence d’une quelconque cavité dans ce secteur. Seuls quelques affleurements rocheux de forme arrondie, plus particulièrement localisés à l’ouest de la future excavation, interrompaient la pente d’un petit pré, à proximité de la ferme de La Borde.
4Lors de notre intervention, le gisement consistait en une fosse subcirculaire de 6 m de diamètre sur 2,50 m de profondeur environ. Cette fosse était limitée au nord et à l’est par un front rocheux légèrement concave, fortement érodé, correspondant aux parois naturelles de l’ancien puits. Les côtés sud et ouest recoupaient un épais remplissage de cailloutis calcaires (fig. 19).
2.2 Stratigraphie et caractéristiques des dépôts
5Les dépôts dégagés sur les parois sud et ouest de la fosse ont fait l’objet de notre part d’observations stratigraphiques et d’analyses de laboratoire. Compte tenu des impératifs des travaux d’aménagement, nous n’avons pu procéder au levé stratigraphique de la coupe sud ; on en trouvera une illustration photographique (fig. 13).
6Sur la paroi sud, six unités stratigraphiques principales, correspondant à autant d’accumulations de cailloutis calcaires, ont été reconnues. Ces dépôts, pratiquement horizontaux sur la plus grande partie de la coupe, s’appuyaient à l’est sur la paroi naturelle de la cavité. Ils s’épaississaient ensuite progressivement et présentaient une inclinaison de plus en plus accusée dans la partie ouest de la coupe.
7Sur la paroi ouest, les mêmes dépôts, faiblement inclinés vers le nord, apparaissaient interrompus, dans la partie médiane de la coupe, par une intrusion « argileuse » en forme de poche, attribuable au résultat d’une aspiration karstique postérieure à l’édification de la plus grande partie de la séquence (fig. 20).
2.2.1 Couche I
8epaisseur 35 cm
9Cette unité est représentée sur tout le front de la coupe sud et sur la plus grande partie de la coupe ouest. Elle atteint son épaisseur maximale sur la coupe sud où elle forme un dépôt continu dans lequel les fragments de roche calcaire forment près de 60 % des sédiments. Ce sont exclusivement des éléments polyédriques, très hétérométriques, mais comportant une majorité de petits blocs voisins de 100 mm émoussés : ces éléments ne présentent aucune disposition préférentielle. Ils sont dispersés dans une argile limoneuse faiblement sableuse, contenant 10 % seulement de carbonates. Ce matériel est peu cohérent et présente une structure grenue fine.
10Sur la portion est de la coupe sud, la couche I repose en discordance sur la couche V ; vers l’ouest, elle en est séparée par une formation de petits cailloutis calcaires, la couche IV.
11Cette unité est également visible sur tout le front de la coupe ouest. Elle apparaît de même composition que sur la coupe sud, les seules différences notables consistant en une moindre proportion des petits blocs calcaires, une moindre épaisseur et une disposition plus irrégulière du dépôt.
12Sur la plus grande partie de la coupe, elle se trouve immédiatement sus‑jacente à l’intrusion « argileuse » qui forme poche dans ce secteur (couche II) ; dans la portion sud de la même coupe, elle repose sur une formation non identifiée sur la coupe sud, numérotée couche III.
2.2.2 Couche II
13epaisseur 250 cm
14Il s’agit de l’intrusion « argileuse » qui interrompt la continuité des autres dépôts sur l’ensemble de la coupe ouest. Elle se présente sous la forme d’une poche de 2,50 m d’épaisseur sur 2,20 m de diamètre environ dans sa plus grande largeur. Sa paroi sud est pratiquement verticale et s’incurve rapidement vers la base. Au nord, en revanche, le contact avec les autres dépôts apparaît plus irrégulier, le dépôt argileux s’insinuant, au sommet, entre la couche I et les cailloutis sous‑jacents et étant encombré de quelques débris calcaires. Les déblais de l’excavation nous ont empêché d’accéder à la base de la poche ; le resserrement rapide des parois permet cependant d’estimer à quelques décimètres seulement le prolongement de l’intrusion en profondeur.
15Exception faite de la portion nord de la poche, où l’on note quelques débris calcaires de fort diamètre, le sédiment est un limon argileux faiblement sableux, de couleur brun‑rouge, non carbonaté. Il est très plastique à l’état humide ; à l’état sec, il se dissocie en unités structurales polyédriques de fort diamètre.
2.2.3 Couche III
16epaisseur maximum 50 cm
17Elle est absente sur la coupe sud et n’a été conservée que dans la portion sud de la coupe ouest.
18Au sommet, sur une épaisseur voisine de 30 cm environ, les fragments de roche calcaire forment près de 80 % du sédiment. Ce sont, pour l’essentiel, des éléments de diamètre supérieur à 10 mm, pouvant atteindre, pour quelques‑uns, 100 mm. Les formes émoussées y sont rares, la plus grande partie de la fraction grossière, supérieure à 10 mm, étant composée de plaquettes ou d’éléments plats faiblement façonnés par dissolution.
19Progressivement, ce dépôt se charge vers le bas en formes plus globuleuses, qui forment la plus grande partie des fractions grossières à la base. Leur proportion diminue pour ne représenter que 30 % environ du matériel analysé au contact du dépôt sous‑jacent. Le sédiment interstitiel est une argile limoneuse faiblement sableuse de couleur brun‑rouge, de structure grumeleuse. Les carbonates, exclusivement localisés dans les particules sableuses, forment 13 % du sédiment inférieur à 2 mm.
20La couche III, bien développée sur la portion sud de la coupe, est brutalement interrompue au contact de la couche II. La limite entre les deux formations est brutale ; elle est soulignée par une inclinaison de plus en plus accusée des débris calcaires que contient la couche III.
2.2.4 Couche IV
21epaisseur 30 cm
22Dans le secteur est de la coupe sud, la couche III repose en discordance sur la couche V. Vers l’ouest, ces deux dépôts sont séparés par un épandage de granules et graviers calcaires, la couche IV. La plus grande partie du sédiment (85 % environ) est composée de cailloutis de faible diamètre, très bien calibrés, dépassant rarement 30 mm de diamètre. Ce sont des éléments globuleux, très émoussés, parfois totalement arrondis. Le sédiment fin ne présente pas de différence fondamentale par rapport à la couche III ; les argiles et les limons représentent respectivement 60 et 30 % de la fraction inférieure à 2 mm. Les sables sont, comme précédemment, composés en majorité de particules de roche calcaire fortement corrodées. Les carbonates sont seulement présents dans sa fraction sableuse et forment 15 % du sédiment analysé.
23La couche IV est absente dans la plus grande partie de la coupe ouest et, comme la couche III, n’a été épargnée par l’érosion que sur la portion sud de la coupe. Elle apparaît également tronquée dans son prolongement nord par la couche II. Le contact entre ces deux formations est, là aussi, brutal, l’enfoncement des dépôts par aspiration se matérialisant par l’entraînement en profondeur des graviers calcaires arrachés à la couche V et leur localisation le long des parois de la poche « argileuse » plusieurs décimètres plus bas.
24L’ensemble de la séquence à laquelle appartiennent les couches V, VI et VII est visible dans sa totalité sur la coupe sud. Sur la coupe ouest, en revanche, la disposition primitive de ces dépôts a été profondément perturbée par les processus d’aspiration karstique que nous avons déjà évoqués et qui ont favorisé la formation postérieure de la couche II. Sur la paroi sud de la dépression, le glissement des sédiments en profondeur a conduit à des phénomènes de fracturation locaux, qui se marquent ici par une discordance des dépôts qui se trouvent décalés de plusieurs dizaines de centimètres de part et d’autre d’une faille emplie de matériel argileux de 10 cm d’épaisseur environ. Sur la paroi nord de la poche, les mêmes phénomènes ont conduit à un agencement secondaire beaucoup plus anarchique, interdisant tout raccord stratigraphique précis avec la séquence représentée dans la portion sud de la coupe.
2.2.5 Couche V
25epaisseur 45 cm
26La couche V est représentée dans sa totalité sur la coupe sud où elle apparaît composée par la superposition de quatre unités.
27Le niveau Va prend son épaisseur maximale dans le secteur ouest de la coupe. Il tend à s’amenuiser progressivement vers l’est et disparaît dans la partie médiane. Il est essentiellement formé (80 % environ) de fragments de roche calcaire de fort diamètre, hétérométriques, devenant progressivement plus grossiers dans le secteur ouest de la coupe. Comme les rares graviers qui les accompagnent, ce sont des formes globuleuses très émoussées.
28Le niveau Vb se différencie du niveau sus‑jacent par une réduction de la dimension des éléments calcaires. Ceux‑ci forment un épandage continu à la base du niveau Va dans la portion ouest de la coupe ; le dépôt correspondant se développe progressivement vers l’est où il apparaît immédiatement surmonté par la couche I. Sur toute la longueur de la coupe, les cailloutis ne dépassent pas 3 cm de diamètre, ont une forme globuleuse, très émoussée.
29Le niveau Vc n’a été identifié que dans le secteur est de la coupe sud, où il est représenté par un alignement discontinu de débris calcaires émoussés, atteignant, pour quelques‑uns, 15 cm de diamètre.
30Niveau Vd : comme le niveau Vb, il s’agit d’un épandage de petits cailloutis calcaires très bien calibrés, comportant seulement de rares éléments plus grossiers, surtout localisés à l’extrémité est de la coupe. C’est dans ce secteur que le niveau Vd prend son épaisseur maximale. Il s’amenuise ensuite progressivement jusqu’à disparaître à l’ouest, où le niveau Vc et la couche VI se trouvent superposés.
31Par rapport aux couches III et IV, le sédiment fin qui accompagne les cailloutis calcaires sur toute l’épaisseur de la couche V se singularise par une composante argileuse mieux fournie, une moindre proportion de sables et une faible teneur du sédiment en carbonates.
32Sur la coupe ouest, seuls les niveaux Va et Vb sont représentés. Ils ne sont différenciables, avec des caractéristiques en tous points identiques à celles de leurs homologues sur la coupe sud, qu’à l’extrémité sud de la coupe. Un peu plus au nord, ils sont interrompus par la faille que nous avons décrite clans ce secteur, aux abords de la poche que forme la couche II.
2.2.6 Couche VI
33epaisseur 55 cm
34Ce dépôt se caractérise par l’abondance de débris calcaires parmi lesquels les éléments de diamètre compris entre 10 mm et 100 mm forment plus de 80 % du matériel analysé en laboratoire. In situ, ces éléments sont accompagnés, dans la partie ouest de la coupe sud, de blocs de plus fort diamètre pouvant atteindre 30 cm de longueur. Là encore, les formes globuleuses ou polyédriques très émoussées prédominent. Dans la partie sommitale du dépôt, le sédiment fin est une argile limoneuse de même composition que dans le terme inférieur de la couche V. Les carbonates présentent également des proportions voisines de 20 %. Vers la base, le matériel acquiert progressivement une texture plus sableuse, cette évolution coïncidant avec un enrichissement en carbonates (14 puis 30 %), qui sont concentrés dans la fraction sableuse sous la forme de petits agrégats concrétionnés de plus en plus nombreux et grossiers vers la base.
2.2.7 Couche VII
35Elle contient une proportion voisine d’éléments supérieurs à 10 mm (85 % environ). On notera cependant, par rapport à la couche VI, une réduction sensible de leur diamètre, l’absence de petits blocs (y compris à l’extrémité ouest de la coupe) et surtout le remplacement de formes globuleuses par des formes plus plates. Ces éléments, dont la longueur atteint fréquemment 15 cm, ne présentent qu’un faible degré d’émoussé, le façonnement secondaire par dissolution n’ayant porté que sur les arêtes. Le léger concrétionnement, seulement perceptible dans le niveau Va par la présence d’agrégats carbonatés, se manifeste ici par une induration de l’ensemble du dépôt. L’analyse de deux échantillons de sédiment fin prélevés dans un secteur non induré caractérise un matériel plus grossier que précédemment, dans lequel la fraction sableuse est surtout composée de petits agrégats cimentés. Les carbonates localisés dans la même fraction forment 30 % du sédiment inférieur à 2 mm sur la coupe sud.
36Les couches VI et VII sont également visibles à l’extrémité sud de la coupe ouest. Comme les dépôts susjacents, ils ont été affectés par les processus d’aspiration karstiques et se présentent sous la forme de deux compartiments légèrement décalés de part et d’autre de la faille signalée dans ce secteur.
2.2.2 Couche VIII
37epaisseur connue 60 cm
38C’est le dépôt le plus profond atteint par les travaux de terrassement. Sur la coupe sud, il s’agit d’une formation homogène de débris calcaires bien calibrés, dont les dimensions oscillent entre 4 et 8 cm. Ces éléments sont généralement polyédriques et présentent des arêtes anguleuses. La partie supérieure est fortement indurée par un concrétionnement de même nature que celui qui a été décrit à la base de la couche VII. Dans la partie inférieure, seuls quelques agrégats sont visibles au pourtour et entre les cailloutis calcaires. Ils sont abondants dans la fraction sableuse du sédiment fin qui contient, par ailleurs, plus de 30 % de carbonates. Seule la partie supérieure concrétionnée est visible à l’extrémité sud de la coupe ouest. Elle présente les mêmes caractéristiques que son homologue sur la coupe sud.
2.3 Précisions sur la composition et l’origine du sédiment fin
39Si l’on fait exception de la couche II, qui présente quelques particularités sur lesquelles nous reviendrons, le sédiment fin (inférieur à 2 mm) que contiennent les différents niveaux de la séquence peut être défini, du point de vue textural, comme une argile limoneuse faiblement sableuse. Son mauvais classement est à mettre en relation avec des processus de colluvionnement que traduit aussi le caractère très hétérométrique de la fraction grossière dans la plupart des dépôts.
40Concernant la fraction sableuse, on remarquera que, par rapport aux valeurs enregistrées pour les couches III et V plus particulièrement (10 % environ du matériel inférieur à 2 mm), celles qui ont été obtenues pour les couches IV d’une part, et VI à VIII d’autre part, sont beaucoup plus élevées : 12 % dans la couche IV, 15 % au sommet de la couche VI, 25 % dans la couche VIII. Si, dans les couches III et V, le matériel correspondant associe exclusivement des grains de quartz et des particules de roche calcaire, dans la couche IV les mêmes éléments sont accompagnés de petits agrégats concrétionnés qui peuvent être mis en relation avec une légère augmentation de la proportion de carbonates à ce niveau. La même relation peut être établie au niveau des couches VI, VII et VIII où le concrétionnement qui affecte ces dépôts se marque également par une plus grande abondance des agrégats dans la fraction sableuse et, par voie de conséquence, par une augmentation considérable de la proportion des carbonates dans le sédiment inférieur à 2 mm pris globalement.
41Les comparaisons établies entre les caractéristiques granulométriques du résidu insoluble de plusieurs échantillons de roche calcaire prélevés aux abords de l’aven et celles du sédiment fin des différents niveaux du remplissage, traité par Hcl, permettent de situer l’origine de la plus grande partie de ce matériel dans le remaniement des produits d’altération des assises jurassiques. La présence d’une quantité notable de grains de quartz colorés et de rares particules ferrugineuses dans les échantillons provenant du remplissage, indique cependant l’adjonction de matériel allochtone vraisemblablement arraché à des placages de Sidérolithique.
42Quelques particularités peuvent être signalées dans la composition du sédiment qui forme la couche II. Le matériel est totalement décarbonaté. Il s’agit ici d’un limon argileux légèrement sableux, très voisin, dans sa composition, du sédiment provenant des autres niveaux de la séquence, traité par Hcl. La fraction sableuse contient, ici aussi, des grains de quartz émoussé luisants, parfois caverneux, accompagnés cependant de rares spécimens ronds mats. Cette dernière particularité, ainsi que le bon classement de la fraction limoneuse, pourraient indiquer des influences éoliennes dans la mise en place de ce dépôt. Cette interprétation mériterait cependant vérification, aucune différence significative n’ayant pu être établie entre la composition granulométrique du sédiment correspondant et celle du résidu insoluble du matériel inférieur à 2 mm provenant des autres niveaux du remplissage.
43Le report du pourcentage des trois fractions considérées (sables, limons, argiles) sur des diagrammes granulométriques globaux fait apparaître une augmentation progressive de la fraction argileuse dans l’ensemble de la couche V et au sommet de la couche VI, tant sur sédiment décarbonaté que sur sédiment brut, et sa répartition sous la forme d’un gradient. Cette particularité s’accompagnant, sur les deux coupes étudiées, d’un déficit des carbonates au même niveau et d’un important concrétionnement des dépôts sous‑jacents, nous devons y voir le résultat de processus de lessivage et d’illuviation postérieurs à l’édification de la couche V. Il pourrait en être de même à l’extrême sommet de la séquence, où une légère augmentation de la teneur du sédiment fin en fractions colloïdales dans la couche III (coupe ouest) coïncide avec un déficit des carbonates au même niveau et la présence de particules concrétionnées dans la couche IV sous‑jacente (fig. 21 et 22).

Fig. 21 – Paroi ouest. 1 – Granulométrie du sédiment inf. 2 mm. a : sables ; b : limons ; c : argiles. 2 – Calcimétrie sur la fraction inf. 2 mm.

Fig. 22 – Paroi sud. 1 – Granulométrie du sédiment inf. 2 mm. a : sables ; b : limons ; c : argiles. 2 – Calcimétrie sur la fraction inf. 2 mm.
2.4 Interprétation
44Les observations de terrain nous ont permis d’attribuer le front rocheux, qui a été dégagé par les travaux de terrassement, aux parois naturelles d’un aven. De ce point de vue, la disposition en arc de cercle de ces parois ainsi que leur caractère fortement émoussé sont significatifs d’un façonnement d’origine karstique.
45Aucun élément ne permet de connaître avec certitude la dimension de l’ouverture de la cavité. La forte inclinaison des différents dépôts du remplissage vers l’ouest et la présence sur le mur ouest de l’excavation des témoins d’une importante aspiration karstique permettent cependant d’envisager une extension du débouché de la cavité dans cette direction ; les affleurements rocheux qui se placent à quelques mètres de là pourraient correspondre aux limites de l’aven dans ce secteur. La profondeur de la cavité nous est également inconnue, le creusement de la fosse par les engins mécaniques n’ayant entamé que la partie supérieure du remplissage. La situation du niveau archéologique atteint par l’excavation à 2,50 m environ sous le sommet du remplissage, indique que c’est dans une cavité en cours de comblement que les porteurs d’une industrie du Paléolithique moyen sont venus s’installer.
46Les différences enregistrées dans la nature et la composition des différentes unités stratigraphiques que nous avons inventoriées sont le résultat d’importantes variations climatiques : des épisodes d’érosion cryoclastique et des épisodes de colluvionnement ont alterné avec des arrêts momentanés de la sédimentation et des épisodes de lessivage.
47C’est à un épisode de climat rigoureux que peuvent être attribuées les caractéristiques sédimentologiques de la couche VIII qui constitue le terme le plus profond de la séquence connue. La présence quasi exclusive de débris calcaires anguleux est en effet significative d’une importante dégradation cryoclastique des parois de la cavité, Aucun argument ne permet d’attribuer l’absence de sédiment interstitiel à la base du dépôt au résultat d’un lessivage postérieur plutôt qu’à des modalités particulières de la gélivation. Il est de même impossible d’interpréter la présence de sédiment fin de texture argilo‑limoneuse au sommet de la même unité comme le produit de faibles colluvionnements contemporains ou d’y reconnaître une accumulation secondaire.
48Il est vraisemblable que les mêmes conditions rigoureuses ont présidé à l’édification de la couche VII. A ce niveau, les débris calcaires polyédriques font place à des plaquettes anguleuses dont la morphologie peut être davantage liée à l’érosion cryoclastique d’un autre faciès lithologique de la roche, qu’à un changement dans les modalités de la gélivation. Des processus de colluvionnement, vraisemblablement liés à une augmentation épisodique de l’humidité, semblent cependant s’être manifestés à ce niveau, ainsi que l’atteste la présence de rares éléments calcaires émoussés.
49La faible inclinaison de l’alignement de plaquettes qui constituent la couche VII, vers l’ouest, pourrait indiquer que les phénomènes d’aspiration karstique qui, plus tard, ont abouti à la formation de la dépression que remplit la couche II, se sont manifestés dès ce stade de la séquence.
50C’est en effet sur un sol faiblement incliné vers l’ouest que les Paléolithiques ont aménagé leur habitat, lors d’un épisode tempéré et très humide. Un changement radical dans la composition du remplissage internent dès la mise en place de la couche VI. Les débris calcaires anguleux sont remplacés ici par des éléments fortement émoussés, qui constituent ensuite l’essentiel des dépôts jusqu’à la couche IV. Le granoclassement, que marque la présence d’éléments calcaires de plus en plus grossiers dans le prolongement ouest de l’unité VIa, confirme que la mise en place du dépôt correspondant par colluvionnement a succédé à un affaissement des dépôts sous‑jacents.
51Les mêmes conditions tempérées et humides se sont ensuite maintenues pendant la mise en place des quatre unités de la couche V. La mobilisation de produits d’altération des assises calcaires et de matériel arraché à des formations sidérolithiques a alimenté le remplissage de la cavité sous la forme d’épandage de cailloutis calcaires façonnés par dissolution et de matériel argilo‑limoneux légèrement sableux. Des processus de lessivage, immédiatement postérieurs à la mise en place de la couche V, ont conduit à une illuviation du matériel argileux sur toute l’épaisseur de ce dépôt et au concrétionnement des dépôts plus profonds.
52La couche IV, que nous avons décrite comme un nouvel épandage de petits éléments calcaires arrondis dans un contexte argilo‑limono‑sableux, constitue un terme de transition entre deux épisodes climatiques. C’est en effet une nouvelle dégradation cryoclastique des parois de l’aven que marque la présence de quelques débris calcaires anguleux dès la base de la couche III. Les conditions climatiques rigoureuses contemporaines se sont ensuite affirmées, entraînant la sédimentation locale des plaquettes qui forment l’essentiel de la couche III sur la portion sud de la coupe ouest.
53Ainsi que nous l’avons souligné, l’ensemble de la séquence correspondant aux couches VIII à III a été profondément perturbé vers le centre de l’aven par une aspiration karstique de grande ampleur. Cet événement s’est manifesté par l’entraînement en profondeur de l’ensemble des dépôts et un nouvel agencement des différents niveaux sur les bords de la dépression. L’absence quasi totale de débris calcaires dans les dépôts qui constituent la couche II indique que le comblement de la dépression est intervenu postérieurement à l’aspiration karstique. Le matériel correspondant est exclusivement composé de limon légèrement sableux, totalement décarbonaté, vraisemblablement hérité de l’altération des assises jurassiques, lors de l’épisode tempéré auquel nous avons attribué l’édification des couches VI à IV. La présence de quelques grains de quartz façonnés par le vent ne permet pas de conclure à l’action exclusive de processus éoliens dans la mise en place de ce dépôt, le faciès granulométrique du sédiment étant en tous points comparable à celui du résidu insoluble de la roche calcaire. En l’absence d’autres arguments, la signification climatique de la couche II ne peut donc être appréciée.
54La couche I scelle l’ensemble de la séquence sédimentaire du remplissage de l’aven. Il s’agit à nouveau d’un dépôt d’origine colluviale associant de nombreux débris calcaires émoussés à une argile limono‑sableuse. La plus forte proportion des fractions argileuses à mi‑hauteur et à la base de ce dépôt est probablement consécutive à de faibles processus d’illuviation ; on peut rapprocher de cette particularité un léger déficit des carbonates au même niveau et la présence d’un léger concrétionnement dans la couche III sous‑jacente.
55En l’absence d’analyses radiométriques et palynologiques, les seules données susceptibles d’être prises en considération pour situer dans le temps les dépôts de l’aven de La Borde et la séquence paléoclimatique qu’ils représentent, sont celles que fournissent l’étude du matériel archéologique et celle de la faune que contient la couche VI.
56Les caractéristiques de l’industrie ne peuvent malheureusement constituer un argument chronologique décisif, des travaux récents ayant définitivement démontré la présence de Paléolithique moyen aussi bien dans des dépôts d’âge rissien que dans des dépôts du Würm ancien.
57Les données de la paléontologie apportent des informations plus précises et tendent à situer la couche VI clans une phase de réchauffement antérieure au Würm et postérieure au début du Riss, soit dans un interstade rissien ou dans le dernier interglaciaire (cf. infra, chapitre 3).
58La signification climatique que nous avons accordée à la couche VI est conforme aux conclusions de la paléontologie et permet d’attribuer le dépôt correspondant au début d’un épisode tempéré et humide. Si l’on replace cet événement clans la succession climatique que représente l’ensemble de la séquence, on pourrait plus précisément y voir une manifestation du dernier interglaciaire. En effet, bien que cette interprétation ne soit présentée ici qu’à titre d’hypothèse, la comparaison de la séquence de La Borde avec celle qui a été décrite dans les grottes et abris du Périgord (Laville 1975 ; Laville et alii 1986) permettrait de rapporter les couches VIII et VII, significatives de conditions rigoureuses, à la fin du troisième stade rissien et la couche III au pléniglaciaire du Würm ancien.
59Aucun argument ne peut cependant être retenu pour attribuer les couches V et IV et l’altération qu’elles portent aux épisodes tempérés du début du Würm. Leur attribution et celle de la couche VI au seul interglaciaire (stade isotopique 5e) supposerait une lacune stratigraphique importante correspondant aux phases II à VII du Würm ancien du système chronologique régional, soit, en termes de chronologie isotopique, aux stades 5d à 5a.
60Aucune hypothèse ne peut être proposée quant à la position chronologique de l’aspiration d’origine karstique qui est intervenue après l’édification de la couche III. On rappellera seulement que des processus d’érosion de grande ampleur, probablement liés à un phénomène de même nature, ont été décrits dans la grotte des Fieux, également située sur le Causse de Gramat, et attribués à une manifestation de l’interstade würmien (Belounis 1987). Les dépôts limono‑argileux qui, dans ce gisement, comblent le chenal d’érosion, ont été datés du Würm récent ; leurs caractéristiques sont en tous points identiques à celles de la couche II de l’aven de La Borde.
Table des illustrations
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Légende | Fig. 19 – Plan de la fosse et localisation des coupes étudiées. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36113/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 31k |
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Légende | FIG. 20 – Paroi ouest : coupe stratigraphique semi‑schématique |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36113/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 309k |
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Légende | Fig. 21 – Paroi ouest. 1 – Granulométrie du sédiment inf. 2 mm. a : sables ; b : limons ; c : argiles. 2 – Calcimétrie sur la fraction inf. 2 mm. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36113/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 80k |
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Légende | Fig. 22 – Paroi sud. 1 – Granulométrie du sédiment inf. 2 mm. a : sables ; b : limons ; c : argiles. 2 – Calcimétrie sur la fraction inf. 2 mm. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/36113/img-4.jpg |
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