Chapitre 1. Le complexe de Sallèles et son paysage
p. 13‑30
Résumés
La mise à jour de la carte archéologique dévoile la richesse du tissu d’occupation du territoire qui donne naissance à l’atelier de potiers. Comprendre le site tel qu’il nous est livré à la fin du xxe s. nécessite de suivre son histoire, depuis l’Antiquité, au travers des documents d’archives qui jalonnent le devenir de ce terroir rural. L’économie de la fouille s’organise autour des prospections de surface (électrique, magnétique, cartographie des objets apparents) qui fournissent au préalable et dans d’excellentes conditions ici, une vision globale de l’architecture du site : un atelier important (2,5 ha), fortement structuré, où se juxtaposent et s’articulent un habitat, un centre artisanal (11 fours) et une carrière d’argile. Ce premier volume est consacré au quartier artisanal.
Updating of the sites and monuments record has revealed just how rich has been the occupation of the site on which the production centre was built. Understanding the site as it appears to us now at the end of the XXth century implies tracing its history back to Antiquity through the archives marking the different stages in the development of this rural area. The work of excavation is organized around surface prospections (electric and magnetic surveys and mapping of visible objects) for which conditions here are excellent and which provide from the outset an overall view of the architecture of the site : a large workshop area (2.5 hectares), clearly structured, including and associating a settlement, a workshop (11 kilns) and a claypit. This first volume concentrates on a study of the production complex.
Texte intégral
1.1 Introduction
1A 12 km au nord de Narbonne (fig. 2), le site du Clots de Raynaud à Sallèles‑d’Aude (canton de Ginestas, Aude) s’inscrit dans une aire d’occupation humaine et d’échanges intenses depuis la lointaine Préhistoire (Guilaine 1973). Les premiers témoignages chasséens1, du milieu du IVe millénaire, sont repérés dans la commune d’Ouveillan, voisine de celle de Sallèles, aux lieux‑dits La Sompe et Bonne‑Terre. La culture vérazienne, bien connue de l’Hérault à la Catalogne, est représentée ici par une série d’habitats implantés sur les collines à la fin du IIIe millénaire et au début du IIe (Roquevaquières, Le Colombier, Le Mouret, Bonne‑Terre, Les Corondes, Les Valentines...). Certains de ces établissements seulement perdurent à l’âge du Bronze, où l’occupation paraît moins développée. Au premier âge du Fer s’affirme localement une mutation nette, marquée par une série d’habitats de plaine (Taillesang, Chambard, Les Corondes...). Au reste, la Protohistoire régionale demeure florissante avec notamment, dans un rayon de 10 km, les oppida de Mailhac dès le Bronze final, d’Ensérune et de Montlaurès qui paraissent remonter au début du vie s. (Solier, Giry 1973 : 92). Ces sites témoignent de la profonde vitalité, sur les deux âges du Fer, d’une culture celtibérique, au travers des vicissitudes d’une histoire multiséculaire assez heurtée. Epoque capitale où s’accentue l’essor démographique et se précipite la mise en valeur de ce riche terroir. L’emprise romaine vient à son tour inscrire très fortement son cadre de développement urbain et rural, en plusieurs étapes, au lendemain de la conquête de la Province.

Fig. 2 – Localisation du Clots de Raynaud, carte IGN 1/25 000, Béziers 5‑6 ; coordonnées Lambert III, zone sud, X = 647,8, Y = 107,9.
1.2 Le site dans son contexte
2Le complexe de potiers du Clots de Raynaud est implanté sur la rive gauche d’un affluent de l’Aude, la Cesse, à 750 m de la rivière, sur une très légère butte, à environ 25 m d’altitude. La vallée, ici très largement ouverte, est composée d’alluvions anciennes, charriées par la Cesse (carte géologique de la France 1/50 000, Béziers 2545), qui recèlent d’importantes couches d’argile. La vigne, l’olivier, les céréales, les cultures fruitières, la garrigue et les bois y ont connu des développements divers suivant les époques. Aujourd’hui, prédominent largement la vigne et les fruitiers.
3Les fabriques de céramique ne sont pas rares dès l’Antiquité : deux officines gallo‑romaines sont reconnues à l’ouest du Clots de Raynaud, sur la rive droite de la Cesse, à Sainte‑Foi et à La Teulière, à moins de 2 km ; une autre au sud‑est, aux Jasses ; une quatrième enfin à l’est, à la Joncasse (fig. 3).

Fig. 3 – Les sites d’époque romaine dans le secteur est du canton de Ginestas. ● = habitat ; ★ = atelier de potiers ; ▲ = nécropole.
4Plus récemment, dans le compoix de Truilhas de 1692, une tuilerie est signalée à Truilhas, sans doute la même qui figure, en 1775, sur la « carte du canal projeté de Narbonne depuis l’aqueduc de la Cesse jusqu’à l’écluse de Moussoulens » (fig. 4). Au début du xxe siècle, à la sortie nord de Sallèles, en direction d’Ouveillan, au lieudit Bellevue, une tuilerie s’établit et s’approvisionne en argile sur place2. Les conditions matérielles nécessaires à l’implantation d’une officine de potiers : argile, eau, bois, somme toute assez banales, sont réunies ici, sans jouer toutefois un rôle déterminant. C’est bien entendu à la demande, au besoin de produits céramiques qu’est liée avant tout la naissance de l’officine du Clots de Raynaud.

Fig. 4 – Carte du canal projeté de Narbonne depuis l’aqueduc de la Cesse jusqu’à l’écluse de Moussoulens, 1775. En haut, une tuilerie correspond sans doute à celle qui est signalée dans le compoix de 1692 ; celle du bas est située à l’emplacement d’une tuilerie romaine.
5Le site est particulièrement bien desservi par les voies de communication nécessaires à la distribution des produits. L’importance du carrefour de Sallèles, véritable patte‑d’oie où la voie héracléenne franchissait l’Aude, est remarquable (Guy 1973). La liaison avec Montlaurès, puis Narbonne a été ainsi très tôt établie. Avec l’abaissement du niveau de la mer et l’assèchement progressif des étangs littoraux, de nouvelles grandes voies de passage se construisent : c’est d’abord la première voie domitienne, passant par Cuxac, à 5 km au sud‑est de l’officine, puis la seconde, parallèle à la première, à 3 km au‑delà, édifiée pendant la période augustéenne selon toute vraisemblance. Vers le nord, la voie de Béziers à Carcassonne franchit la Cesse à Bize (Griffe 1974 : 34‑36 ; Gayraud 1981 : 498‑500, 521‑522 et fig. 62). Plus localement, les recherches de M. Guy (1973) et celles de P. Bouisset (fig. 5) mettent en évidence un chevelu de chemins antiques ou anciens qui assuraient une circulation aisée dans un territoire largement occupé. J’y ajouterai l’indication complémentaire d’une voie dallée qui, à 2 km à l’ouest du site, traverse le domaine de Truilhas et la Cesse par un gué construit, en direction du Sommail (comm. H. de Saint‑Exupéry). Sa construction, comme son orientation, signalent un tracé antique. L’hypothèse d’un chemin d’exploitation desservant, sur la rive droite de la Cesse, une zone vide de sites archéologiques et que l’on suppose autrefois boisée peut être avancée. Un document des archives départementales de l’Aude (H 606) localise un bois dans ce secteur précis, beaucoup plus tard dans le temps, en 1339…

Fig. 5 – Voies et chemins anciens dans le paysage du Clots de Raynaud (d’après P. Bouisset). 1 Ancienne voie héracléenne, de Sallèles à l’étang salé ; 2 Sallèles‑Ouveillan ; 3 Sallèles‑Truilhas ; 4 Sallèles‑St‑Marcel ; 5 Chemin grènetier d’Empare ; 6 Sallèles‑voie Domitienne ; 7 Argeliers‑Cuxac ; 8 Sallèles‑Cuxac ; 9 Ancien chemin de Sallèles à Narbonne ; 10 Ancien chemin de la Barque ; 11 Sallèles‑Argeliers ; 12 Sallèles‑St‑Marcel ; 13 Chemin du Sel ; 14 Ancien chemin de Sallèles à Cruzy par le tènement des Estrades.
6L’Aude, enfin, qui reçoit la Cesse à 1 km en aval du site, n’est guère navigable en amont ; elle l’était en revanche jusqu’à la mer (Strabon IV, 1, 4), constituant ainsi un accès aisé au port de Narbonne, pour des marchandises lourdes, comme les amphores vinaires. D’autres traces de l’occupation romaine, cadastres et habitats, nombreuses dans l’environnement de l’atelier, marquent aussi une exploitation intense de la campagne.
7Dans la zone du Clots de Raynaud, qui de fait se place entre Béziers et Narbonne, on reconnaît la trace d’au moins quatre cadastrations entre la fondation de Narbonne et la période augustéenne : Narbonne A, B, C et Béziers B (Chouquer et al. 1983 : 102). Il est encore difficile de comprendre leur fonctionnement dans les zones charnières. Par exemple les constructions du début du ier s. dans l’atelier de Sallèles s’inscrivent, comme le tracé de l’aqueduc du iie s., dans le vieux cadastre biterrois daté de ‑100, au mépris des nouvelles organisations du monde rural.
8La carte archéologique de la partie est du canton de Ginestas (fig. 3), dressée avec la collaboration des chercheurs locaux, nous a permis de repérer en prospection de surface 46 sites d’époque romaine. Ils ne sont pas fouillés, mais l’analyse du matériel offre déjà, avec les incertitudes inhérentes à ce type de données, un schéma d’évolution chronologique. 16 sites montrent la trace d’une occupation au ier s. av. J.‑C. Celle‑ci se prolonge, dans la très grande majorité des cas, au ier s. ap. J.‑C. La densité de l’occupation rurale fait alors un bond en avant avec 37 sites, soit la quasi‑totalité de ceux qui ont été datés. Leur activité se poursuit pour la plupart au iie s. (25 sites). 12 seulement restent occupés (avec des interruptions ? ) jusqu’au Bas Empire. Des villas sont caractérisées par la présence de mosaïques, de placages de marbre ou de colonnes. On reconnaît quelques celliers équipés de dolia, notamment aux Jasses et à Lande‑longue, où A. Grenier (1959 ; 152) signale « une rangée de dolia de grande taille, intacts ». Il apparaît clairement que chaque villa n’est pas équipée pour produire sa propre céramique. En dehors du Clots de Raynaud, quatre ateliers, ou simples fours de potiers seulement, sont localisés. A Sainte‑Foi, une officine contemporaine, et produisant les mêmes objets, est quatre à cinq fois plus petite. L’atelier de La Teulière, peu étendu, ne fabriquait que des tuiles, semble‑t‑il. Un four lié à un ensemble de bâtiments a été installé aux Jasses et un autre à La Joncasse : on ne sait rien de leur production.
9L’atelier du Clots de Raynaud occupe donc une place exceptionnellement développée dans un milieu rural très exploité. Comparé aux autres officines qui ont produit des amphores en Narbonnaise (Laubenheimer 1985 : 210), il se classe parmi les plus importants, tant par sa surface que par le nombre de ses fours.
1.3 Le site dans l’histoire
10Depuis son abandon en tant qu’atelier, le site est resté intact en quelque sorte, ne subissant pendant des siècles aucune agression grave. Simple constatation, car nous manquons totalement de documents sur l’histoire de ce tènement jusqu’à la fin du xviie s. Le Clots de Raynaud d’aujourd’hui est installé dans un secteur nommé « Les Garrigues », des terres de qualité très moyenne, mises en culture il y a plusieurs siècles. Le compoix de Truilhas de 1692 (AD Aude 73C 475 et 16369 [4E]) décrit, en effet, pour cette zone précise désignée par le terme « als Clots », Les Clots, des cultures arbustives, vignes, oliviers et mûriers. Il mentionne aussi une série de vignes juxtaposées avec « une muraille au milieu », dans laquelle nous reconnaissons l’aqueduc du IIe s. dont nous avons suivi le tracé rectiligne dans toute la plaine. A la même époque, une famille Raynaud est installée à Sallèles, où Claude Raynaud se marie le 17 novembre 1669 (état civil de Sallèles). Il possède des terres, notamment à « La Garrigue ». S’agit‑il du Clots de Raynaud ? La précision du compoix de 1692, localisant la terre par rapport aux terres voisines désignées par le nom de leur propriétaire, ne suffit pas aujourd’hui pour le dire. En revanche, nous identifions parfaitement le site en 1786, dans le Projet de rénovation du territoire de Truilhas, au no 210 (AC Sallèles). Il s’agit d’une vigne, à La Garrigue ou Clots, jouxtant le chemin de Sallèles à Argeliers, achetée le 16 août 1750 par Antoine Raynaud à Claude Foumes de la Brosse, seigneur de Truilhas. Lui‑même avait acquis ce terrain le 13 septembre 1692 à Antoine Bailhade ; il comportait alors un champ de vignes avec oliviers et mûriers (Compoix de Truilhas, 9 mai 1692, fol. 33). En l’état de la documentation, nous ne pouvons établir de parenté entre Claude et Antoine Raynaud. Le premier n’a sans doute jamais possédé le site, propriété de Bailhade en 1692. Tout porte à croire, en revanche, qu’Antoine fut le premier des Raynaud à acquérir le « Clots » qui par la suite prendra tout naturellement son nom3.
11Plus tard, en 1774, nous savons par les cartes du Canal du Midi, que le site est cultivé en céréales et en vigne (fig. 6). Au xixe s., lors du grand boom de la viticulture languedocienne, les cultures céréalières s’effacent devant la vigne, qui occupe encore la totalité du Clots de Raynaud lorsque nous intervenons.

Fig. 6 – Carte d’ensemble du Canal du Midi, 3e partie, no 12, Carigny et Chalmandrier, 1774 : le secteur du Clots de Raynaud, dans le cercle, comprend des vignes et des céréales surtout.
12Ainsi nous pouvons conclure que, depuis la fin du xviie s. et sans doute avant, le site a été labouré et voué à des cultures arbustives surtout, la vigne étant toujours présente.
1.4 L’organisation de l’atelier à travers les prospections
13Les prospections préalables à la fouille pouvaient seules donner une première vision globale du site et de son organisation, vision indispensable à la compréhension de l’ensemble et au choix des premiers sondages dans un terrain cultivé. Les charruages et les défoncements n’ont guère dépassé 0,40 à 0,50 m de profondeur en moyenne, à cause de la résistance des murs de pierres sous‑jacents et d’un solide aqueduc romain dont la maçonnerie affleure à ce niveau. La couche archéologique la plus récente a été labourée de façon homogène sur toutes les parcelles, laissant apparaître, dans une lisibilité exceptionnelle, quantité de tessons avec des fréquences variables suivant les zones. La transparence du site est accusée encore par la facilité de mise en œuvre des prospections magnétique et électrique auxquelles aucun obstacle majeur ne s’oppose ; en particulier, les vignes ne sont pas montées sur fils de fer. Au reste, les traces archéologiques apparaissent rarement sur les photos aériennes dans ce contexte viticole.
1.4.1 Le repérage des fours
14La prospection magnétique (fig. 7) a été menée en trois étapes, suivant l’autorisation d’accès aux parcelles. Elle couvre au total un peu plus de deux hectares. Une première intervention a été réalisée en 1976 et 1977 dans les parcelles 151, 146 sud et 150 nord par l’équipe du Laboratoire de géophysique de l’université des Sciences et Techniques du Languedoc à Montpellier, sous la direction de M. Daignères, avec la participation de M. Figeac4. Les deux relevés suivants concernent successivement les parcelles 146 nord et 147, puis 152. Ils ont été faits par notre équipe avec le magnétomètre différentiel Scintrex MP2 du GANOS. Le module du champ magnétique a été mesuré sur chaque nœud d’un réseau à mailles carrées de 1,75 m de côté, matérialisé sur le terrain par l’implantation des vignes. Le tracé des courbes a été réalisé automatiquement par programme (traceur BENSON), au Centre de calcul du CIRCE (CNRS), à Orsay. La quasi‑totalité de la surface a été prospectée, mais une petite zone, au centre, occupée par un puits, quelques arbres et un tas de pierres rejetées là par les cultivateurs, a dû être réservée. Sur la carte magnétique globale apparaissent plusieurs anomalies importantes et bien localisées (fig. 7 a, b, c et nos 1 à 11), qui sont de deux sortes. D’abord trois anomalies (a, b, c) assez étalées, d’une cinquantaine de gammas, qui correspondent vraisemblablement à des décharges de tessons, comme la fouille l’a montré pour l’une d’entre elles (b) : vaste fosse remplie sur plus de 2,5 m d’épaisseur de céramiques brisées et de déchets de cuisson. Les onze autres anomalies (nos 1 à 11), beaucoup plus fortes – une centaine de gammas –avec une forme caractéristique– une zone positive accompagnée au nord d’une zone négative légèrement enveloppante ‑ et une étendue plus développée (5 à 10 m), correspondent tout à fait au signal de structures en terre cuite en place, enfouies à faible profondeur, de la dimension d’un four de potiers. La fouille des anomalies 7, 8, 9, 10 et 11 l’a parfaitement confirmé (fig. 8). Les fours sont généralement bien conservés et enfouis de 0,40 à 0,80 m sous la couche arable. Il apparaît donc que onze fours sont encore en place, groupés au centre et au sud du terrain.

Fig. 7 – Carte magnétique du Clots de Raynaud onze anomalies (nos 1 à 11) indiquent l’emplacement de 11 fours de potiers ; les autres (a, b, c) correspondent plutôt à des décharges de tessons. (Courbes de 10 en 10 γ).

Fig. 8 – Anomalies magnétiques et fours de potiers sous‑jacents sont en parfaite correspondance.
1.4.2 Des quartiers spécialisés d’après la distribution des objets en surface
15Les très nombreux tessons visibles à la surface des labours suivent‑ils une distribution organisée et pourquoi ? Dans quelle mesure est‑elle corrélée aux couches archéologiques sous‑jacentes ? Nous avons vérifié par sondages que le labour des vignes, qui se fait dans un sens, puis dans l’autre, déplace peu les objets (par exemple, Laubenheimer 1985 : 113). Ainsi, le comptage, puis la cartographie du matériel s’imposaient. Nous avons été amenée à dresser cinq cartes de répartition (fig. 9 à 13) : 1, les déchets de cuisson et/ou morceaux de fours vitrifiés pouvant se rapporter aux zones de cuisson ; 2, les amphores G.4 ; 3, les céramiques communes ; 4, les matériaux de construction, briques, tuiles, carreaux, qui semblent constituer les grandes séries de la production artisanale. La cinquième catégorie regroupe un matériel diversifié et moins abondant, caractéristique d’un habitat : enduit peint, sigillée sud‑gauloise, sigillée claire, dolium, amphores importées. Les comptages ont été réalisés suivant un carroyage adapté à la plantation des vignes, en période de faible végétation.
16La zone d’épandage globale des tessons sur les cinq cartes permet de circonscrire une surface occupée de l’ordre de 2 à 2,5 ha (la parcelle 148, inaccessible à l’époque, étant incluse), dont les limites sont fluctuantes à l’est, au sud et à l’ouest, suivant le matériel considéré, tandis qu’au nord, la distribution s’interrompt brusquement et dans tous les cas, suivant un axe N.‑O./S.‑E. La fouille montrera ici le passage d’un fossé, doublé plus tard d’un aqueduc, alignés dans une direction qui s’inscrit précisément dans le tracé du cadastre B de Béziers, très bien repéré, au reste, dans tout le secteur. Il s’agit de toute évidence d’une limite de propriété, rigoureusement respectée. Les déchets de cuisson et/ou rebuts de fours, répartis de façon homogène autour des fours signalés par des anomalies magnétiques, en confirment la position (fig. 9). Les amphores G.4 sont localisées dans le secteur nord de l’atelier ‑ moitié sud de la parcelle 142 et nord de 152 (fig. 10). La distribution des céramiques communes (fig. 11) se superpose à celle des amphores avec une extension plus large à l’est et à l’ouest, mais on remarque un vide dans la zone sud, comme pour les amphores. Les matériaux de construction, plus diffus (fig. 12), couvrent la quasi‑totalité de la surface, avec, en revanche, une concentration à l’est et au sud du territoire, où ils sont seuls présents autour des anomalies magnétiques 1 à 4. Le matériel lié à l’habitat (fig. 13) fait apparaître une concentration très nette de toutes les catégories à la fois au N.‑O. du site, à l’extérieur de la zone occupée par les fours et leurs productions. Une série d’enduits peints, dans le sud de la parcelle 152, tend à montrer que les bâtiments liés aux fours 1 à 4 étaient vraisemblablement enduits comme les maisons.

Fig. 9 – Distribution en surface des déchets de cuisson et morceaux de fours. * = anomalie magnétique.

Fig. 10 – Distribution en surface des amphores = anomalie magnétique. G.4. ★

Fig. 11 – Distribution en surface des céramiques communes. ★ = anomalie magnétique.

Fig. 12 – Distribution en surface des matériaux de : anomalie magnétique. construction. ★

Fig. 13 – Distribution en surface du matériel lié à l’habitat : courbes= céramique sigillée ; ■ = enduit peint ; □ = sigillée claire ; ⯋ = amphores importées ; ▲ = dolium * = anomalie magnétique.
17Ainsi, le secteur de production est lui‑même structuré en quartiers spécialisés : l’un pour une production dominante d’amphores G. 4 et de céramiques communes, l’autre uniquement pour celle des matériaux de construction.
1.4.3 Les structures
18Nous avons tenté de repérer les structures par prospections électriques, bien que le terrain, caillouteux en surface avec un substrat naturel de poudingue très résistant, à faible profondeur, fût peu favorable à ce type d’investigation.
19Dans un premier temps, quatre profils nord‑sud ont été relevés dans la parcelle 146, perpendiculairement au tracé supposé de l’aqueduc et de la limite de propriété nord (Bouisset et al. 1979). Un relevé plus développé de la partie nord du site a été effectué sous la direction de Michel Pasquier pendant les premières campagnes de fouille5. Douze anomalies dont l’origine archéologique est vraisemblable6 sont comprises entre 200 et 400 Q/m (fig. 14). Elles se classent en trois catégories :

Fig. 14 – Carte de résistivités électriques.
20– des anomalies circulaires ponctuelles, nos 4, 6 et 12 ; le no 6, incomplètement prospecté, se superpose à une anomalie magnétique (fig. 7, c) qui pourrait correspondre à une décharge de céramiques des anomalies en forme de plateaux : le no 2 peut correspondre à des structures (ici à celles de l’habitat), mais aussi, comme le no 7, ou le no 11, à la remontée du sol naturel très résistant, dans le nord du terrain ; le no 8 s’inscrit dans la zone d’une anomalie magnétique (fig. 7, b) provoquée par une importante décharge de céramique ;
21‑ des anomalies de forme linéaire correspondant vraisemblablement à des murs : les nos 1 (sur 13 m de long), 5 et 10 semblent s’organiser perpendiculairement au tracé de l’aqueduc dans une orientation dictée par le cadastre biterrois (Béziers B) ; l’anomalie 3 paraît combiner à celle‑ci une autre orientation, contiguë ou juxtaposée.
22Moins lisible que la carte magnétique et plus difficile à interpréter, la carte des résistivités offre l’avantage de montrer une orientation majoritaire et privilégiée dans laquelle s’organisent à la fois le tracé de l’aqueduc et une série de murs ; elle fait également pressentir une seconde orientation, deux points qui seront confirmés par la fouille.
1.5 Conclusion
23Les diverses prospections mettent en évidence un ensemble complet de plus de 2,5 ha, fortement organisé, où se juxtaposent et s’articulent un habitat, un centre artisanal et, au sud du site, une carrière d’argile (parcelle 175 jouxtant les parcelles 151‑152), comme nous l’avons contrôlé par un sondage. Chronologiquement, les céramiques de surface, très homogènes, témoignent d’une occupation continue et unique au ier s. et au début du IIe (Laubenheimer 1985 : 112).
24En réalité, la fourchette est plus large d’un siècle au moins, comme l’indique la fouille. La lecture superficielle d’un sol, si riche soit‑elle, a ses limites. Insuffisante sur le plan chronologique, elle ne donne pas non plus l’image d’un atelier qui se transforme dans le temps, tant par la nature de ses productions que par la capacité de ses fours et l’organisation de son espace. Les données structurantes des observations de surface permettent d’orienter une fouille, au demeurant nécessaire pour connaître et comprendre l’officine.
Notes de bas de page
1 L’occupation ancienne de ce territoire est particulièrement bien connue dans la commune d’Ouveillan grâce aux travaux de prospection sur le terrain menés par P. Bouisset à laquelle nous devons la totalité des renseignements consignés ici.
2 Je remercie M. Maurel, maire de Sallèles‑d’Aude, pour ce renseignement. C’est par erreur que A. Grenier (1959 : 154, no 31) situe Le Clots de Raynaud à l’emplacement des tuileries modernes où il n’y a pas de vestiges anciens.
3 Les recherches d’archives ont été menées par Hélène Chaudoreille et Hélène Servant, élèves à l’Ecole des chartes, et Véronique Lallemand, je les remercie chaleureusement.
4 Un magnétomètre à proton Littelmore a été utilisé. Sur les détails de cette prospection voir Bouisset et al. 1979.
5 Ces mesures ont été effectuées suivant deux configurations Wenner (AMNB) et dipôle‑dipôle (ABMN), avec un espacement des électrodes de 2 m qui donne une profondeur d’investigation de 1,5 m à 2 m. Les résistivités observées sont comprises entre 100 et 700 Ω /m Les valeurs les plus basses reflètent sans doute les couches d’alluvions et d’autres sédiments légers, alors que les résistivités élevées sont dues au poudingue en voie de consolidation (sol naturel), dont le niveau remonte du sud vers le nord à tel point que certaines anomalies d’origine archéologique ont pu être masquées.
6 Ecartons toutefois la zone 9 perturbée par d’anciens sondages rebouchés.
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