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Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire)

 | 
Micheline Rouvier-Jeanlin
, 
Martine Joly
, 
Jean-Claude Notet

Conclusion

Jean‑Claude Notet

Résumé

Un quartier des Aquae Bormonis vient de livrer une tranche de son histoire. Les vestiges archéologiques permettent d’imaginer la vie quotidienne et son évolution au cours des deux premiers siècles de n.è.

L’acquis essentiel de ces découvertes concerne incontestablement la céramologie gallo‑romaine : productions extraordinaires de moules et de figurines, et plus modestes de céramique plombifère, de lampes et de sigillée. Acquis chronologique également, puisque c’est la première fois que des archétypes, moules et figurines sont fouillés en stratigraphie à proximité d’un atelier, avec de solides arguments. Le débat sur l’origine des Vénus à gaine se trouve lui aussi relancé.

Ces données nouvelles placent dorénavant les Aquae Bormonis au premier rang du palmarès des cités thermales gallo‑romaines et des centres producteurs de figurines, surtout si l’on tient compte du fait que l’emplacement précis de l’atelier reste encore à découvrir et que par conséquent la plupart des richesses se trouvent toujours enfouies quelque part dans le sous‑sol de la ville.

Texte intégral

1Ainsi que le laissait sous‑entendre le titre de cet ouvrage, d’aucuns auront pu constater, au fil des chapitres, la relative ambiguïté de son propos. Il présente, d’une part, les observations archéologiques qui permettent de retracer l’évolution historique d’un quartier périphérique de la ville venant de livrer une tranche de son lointain passé, d’autre part, l’étude détaillée du mobilier, et en particulier celle des figurines, dont l’ampleur du développement n’égale que l’intérêt.

2Tentons tout d’abord de faire le point sur cette évolution. Si les débuts de l’occupation antique à Bourbon semblent remonter au iie  s. av. J.‑C., l’activité dans ce secteur ne semble apparaître qu’à l’aube de notre ère. Tout commence sans doute par la création d’un atelier de potiers, à quelques centaines de mètres en amont –là où, dit‑on, des fours auraient été détruits autrefois –dans une ville déjà bien fréquentée pour les vertus de ses eaux thermales, et de ce fait à la potentialité commerciale déjà bien affirmée. On pratique alors surtout le moulage des vases plombifères –dont la glaçure est mal maîtrisée– mais aussi des figurines et des lampes. De nouveaux potiers s’installent et, en authentiques créateurs, enrichissent la production locale de sujets et de types inédits.

3Parallèlement, d’autres coroplathes pratiquent une politique commerciale d’ouverture en direction des ateliers voisins, attestée par les signatures comparables que portent certains moules. Les motifs de cette implantation ne nous sont pas actuellement connus. Il faut penser à une facilité d’approvisionnement en matières premières, argile surtout –malheureusement un peu trop ferrugineuse pour être employée pure– et en eau. Il faut penser aussi aux facilités d’écoulement des produits finis : outre les possibilités d’expéditions terrestres ou fluviales (par la Loire), une clientèle potentielle importante a été à coup sûr drainée par le thermalisme. L’exportation des productions jusqu’en Helvétie ou en Rhétie laisse entrevoir l’efficience commerciale des Aquae Bormonis au ier s. de n. è.

4Mais l’activité ne se résume pas seulement à celle des potiers. Les vestiges domestiques retrouvés permettent d’imaginer la vie quotidienne dans ce quartier. Les moutons broutent dans les pâtures des environs et les porcs sont engraissés, abattus, dépecés et parfois cuisinés sur place. Le protocole de présentation des plats nécessitant l’utilisation de vaisselle sigillée, celle‑ci est achetée au ier s. en Italie ou en Gaule du Sud, puisque l’on ne sait pas encore la fabriquer sur place, On consomme un peu de vin de la région, après transport et stockage dans des amphores gauloises. A l’aube du iie s., les structures de bâtiments aux murs épais témoignent d’une certaine aisance matérielle. L’élevage porcin est progressivement abandonné au profit, semble‑t‑il, d’un Bovidé de petite taille. La Graufesenque ayant fermé ses portes, Lezoux devient le fournisseur principal de sigillée. Les bains et l’éclairage des thermes consomment une importante quantité d’huile espagnole. Timidement, les potiers bourbonnais s’essayent à la production de sigillée...

5C’est à cette époque que survient un incendie qui ravage les constructions, et met une fin brutale à toute activité locale. Mais l’histoire d’Aquis Bormonis n’a pas cessé à cet instant : la Table de Peutinger est là pour nous rappeler la notoriété que possédait encore la cité thermale sous Théodose. Voilà schématiquement retracée, telle qu’elle semble apparaître à la lumière des documents archéologiques en notre possession, l’histoire de ce quartier.

6Cependant, l’acquis essentiel de nos découvertes concerne bien entendu la céramologie gallo‑romaine, grâce à la production extraordinaire de moules et de figurines en terre blanche, et plus accessoirement celle des lampes au ier s., ainsi que celle, moins assurée, de la sigillée au iie s. En ce qui concerne les figurines, jamais une découverte de cette importance n’avait encore été réalisée. A titre de comparaison –et quelle comparaison !–, constatons que notre fouille de Bourbon‑Lancy a livré plus de moules et d’archétypes que tous ceux conservés au MAN et trouvés dans les centres producteurs de Toulon‑sur‑Allier, Saint‑Pourçain‑sur‑Besbre et Vichy réunis,

7Et il ne s’agit pas même de l’emplacement de l’atelier ! On peut alors rêver à l’éventualité de sa localisation future ! Importance typologique également : cette publication suscitera probablement des déterminations, impossibles à réaliser jusqu’à présent. N’oublions pas non plus les précieuses découvertes des Vénus à gaine, qui relancent le débat sur leurs lieux de fabrication. Enfin, importance chronologique exceptionnelle, puisque c’est la première fois que des productions massives d’archétypes, de moules et de figurines sont trouvées et fouillées en stratigraphie (du ier s.), près d’un atelier.

8La place tenue dans le monde gallo‑romain par les Aquae Bormonis est à reconsidérer à la hausse ; nos fouilles récentes –les premières scientifiquement conduites sur le site– n’en constituent pas la seule raison. Il faut évoquer aussi l’existence des aqueducs romains, toujours utilisés dans le sous‑sol du quartier thermal, alors que les Aquae Calidae, pourtant plus connues, n’ont jusqu’à présent livré aucune structure identique ; il est vrai cependant que les travaux d’urbanisme dans les deux villes n’ont jamais été comparables.

9L’ensemble du mobilier recueilli sera conservé et exposé au musée Saint‑Nazaire à Bourbon‑Lancy ; au bord du lac, sera érigé un abri présentant quelques documents sur les fouilles et quelques moulages des pièces les plus belles. Ville au passé riche, cette opération de sauvetage a permis de sensibiliser une grande partie de sa population et ses élus locaux, à la valeur archéologique des vestiges qu’elle recèle. L’attitude de tous s’en est trouvée modifiée positivement, et il est probable que d’autres trouvailles seront faites grâce à un meilleur suivi des travaux. Puisse le cas de Bourbon‑Lancy servir d’exemple. Si ces fouilles du Breuil nous ont semblé malheureusement trop limitées, les horizons qu’elles ouvrent incitent à l’optimisme : des richesses archéologiques sont à coup sûr encore enfouies dans le sol bourbonnais, et nous sommes convaincus qu’elles feront l’objet un jour ou l’autre de nouvelles découvertes importantes.

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