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Boussargues (Argelliers, Hérault)

 | 
Albert Colomer
, 
Jacques Coularou
, 
Xavier Gutherz

Conclusion. Bilan de l’étude et perspectives

Abstract

Le bilan de cette étude qui sera suivie d’autres publications permet d’exposer de façon synthétique les principaux acquis et de définir les questions qui restent en suspens.

Sont tour à tour évoqués ; l’architecture de l’habitat ceinturé (étapes et techniques de construction), la culture matérielle (étude typologique d’une importante série céramique), les espaces domestiques et leur apport dans l’analyse sociale, le territoire communautaire et le statut du site.

Testo integrale

1Cet ouvrage constitue une première approche des problèmes posés par l’étude de l’habitat ceinturé de Boussargues. D’autres suivront qui prendront en compte les résultats acquis sur de nouveaux secteurs fouillés. Nous avons précisé dans l’introduction les raisons qui nous ont conduit à ne pas différer plus longuement la publication d’un secteur du gisement, le secteur ouest, et de lui seul. Ce faisant, nous avons jugé nécessaire de présenter, en préambule à cette étude sectorielle et aux prochaines, le cadre général, mésologique et archéologique, dans lequel s’inscrit le gisement.

2Dans cette réflexion qui met en jeu des disciplines très diverses, bien des points restent à explorer ou à préciser. C’est le cas notamment de l’évolution géomorphologique du Montpelliérais au cours de l’Holocène ; c’est aussi le cas de l’évolution des paysages végétaux, domaine étroitement lié au précédent. Et dans les deux cas, cette évolution ne saura être comprise sans tenir largement compte du facteur anthropique.

3En reprenant l’un après l’autre les points forts de la problématique qui nous a guidés, nous allons tenter de dresser ici un premier bilan et évoquer les questions qui restent en suspens.

L ’architecture de l’habitat ceinturé

Les étapes de construction

4Les observations d’ordre architectural recueillies sur le site, soit à partir du dégagement superficiel, soit à partir des fouilles du secteur ouest et des structures rondes, ont permis de préciser les étapes de construction. Ces étapes sont d’ordre technique pour ce qui concerne la ceinture : implantation des six structures rondes selon une disposition préétablie puis fermeture de l’espace ainsi jalonné en assurant la jonction entre les structures.

5Il n’est guère possible d’apprécier le temps qui sépare la construction de l’enceinte et celle des bâtiments absidiaux. S’agit‑il d’un ensemble conçu dans son entier ? Si oui, les cabanes ont été bâties immédiatement après les constructions précédentes. S’agit‑il d’un aménagement de l’espace clos réalisé a posteriori ? Si tel est le cas, il faut imaginer que l’enclos a d’abord été utilisé pour lui‑même (pour abriter les troupeaux ?) avec pour seuls abris les constructions circulaires. Le changement du mode d’utilisation aurait entraîné la construction de maisons (en une fois ou par étapes) pour aboutir à la constitution du village ceinturé. L’analyse des données archéologiques nous conduit actuellement à favoriser la première hypothèse.

Les techniques de construction

6L’étude du secteur ouest et d’autres secteurs partiellement fouillés a permis de définir quelques grands principes appliqués à l’architecture de l’habitat. Comme dans l’ensemble des villages du groupe de Fontbouisse de l’Hérault oriental, les murs ont été construits à sec avec la technique du double parement enserrant une fourrure interne de blocaille. L’épaisseur des murs de toutes les constructions est de 1 m, sauf dans quelques secteurs très limités où des raisons pratiques et éventuellement symboliques (porte de l’enceinte) ont conduit les constructeurs à amincir ou à renforcer les murs.

7La comparaison des modules de pierres utilisées dans la construction des différentes structures et l’analyse des couches d’éboulis ont fait apparaître clairement les différences existantes. Les structures rondes sont des constructions originales qui se distinguent à la fois par leur plan et leur mode de couvrement (encorbellement). On ne pourra donc retenir à leur sujet la notion de « tours » , comme cela avait été jusqu’ici écrit et admis dans plusieurs travaux consacrés à ce type d’architecture (Arnal 1973a et b ; Arnal, Gilles 1981 ; Courtin 1975).

8Pour ce qui est du mode de couvrement des cabanes à abside et du (ou des) locus, l’utilisation de petites lauzes en matériau non local, déjà observée sur d’autres sites fontbuxiens, a été confirmée à Boussargues. L’utilisation de ces lauzes n’est pas exclusive. Des matières végétales (chaume ou roseaux) ont également contribué à assurer l’étanchéité des toits. L’analyse de la répartition spatiale des lauzes a fait apparaître de nettes différences entre le locus et la cabane 1. On s’attachera donc à l’avenir à confronter ces données avec celles qui seront apportées par la fouille des autres cabanes.

La culture matérielle

9La fouille du secteur ouest n’a apporté qu’une documentation partielle dans le domaine de l’équipement matériel. La catégorie d’objets la mieux représentée est de loin la céramique. Vient ensuite le matériel de broyage.

10En revanche l’industrie lithique est quasiment absente (un nucleus, un racloir, quelques éclats débités et non retouchés). Il n’y a pas d’industrie osseuse ni de parure.

11Cet état de fait est tout à fait inhabituel dans un tel contexte culturel. En effet, tous les habitats fontbuxiens fouillés ont livré de l’industrie lithique (objets façonnés et déchets de taille), mais aussi de l’industrie osseuse et, en moindre quantité, des éléments de parure. S’agit‑il donc ici d’un phénomène ponctuel lié au type d’activités pratiquées dans ce secteur de l’habitat ou bien cette carence est‑elle générale sur l’ensemble du site ? Pour l’instant, les structures fouillées en dehors du secteur ouest semblent confirmer que ces industries sont faiblement représentées.

12La série céramique provenant du secteur ouest est riche d’une cinquantaine de vases entièrement ou partiellement reconstituables, ce qui représente un échantillonnage exceptionnel pour une surface d’habitat aussi modeste. L’abandon brutal de l’habitat a favorisé cette conservation. Les documents céramiques provenant d’autres secteurs ne pourront que conforter cet ensemble et permettront des analyses comparatives.

13La série étudiée permet déjà d’avoir une bonne image du faciès micro‑régional. Des comparaisons stylistiques avec d’autres ensembles fontbuxiens proches (Cambous, Conquette) ou plus éloignés seront tentées. L’accent sera porté –entre autres– sur les aspects technologiques peu abordés dans cette première étude. Une démarche identique sera entreprise pour le matériel de broyage.

Les espaces domestiques, de l’archéologie spatiale à l’archéologie sociale

14L’étude de la répartition des différentes catégories de vestiges dans les unités domestiques du secteur ouest a permis de délimiter les aires d’activité. La disposition des vases très fragmentés est d’abord étudiée grâce à la méthode de calcul des densités. Cette méthode permet de mettre en évidence, grâce aux diagrammes de pourcentage des classes de densité, et par comparaison avec un autre site, la faible durée d’occupation de Boussargues. Cette méthode s’accorde avec l’étude détaillée des plans de répartition de chaque vase. Nous avons donc sur le site la démonstration de la fiabilité de la technique de calcul des densités mise au point par Philippe Marsac, Précisons toutefois que les conditions dans lesquelles s’inscrit cette observation sont le bon état de conservation des vestiges et la courte durée d’occupation. Les méthodes de calcul des volumes des récipients et les analyses qui en découlent sont un des acquis importants de cette première approche de « l’habité » de Boussargues. La connaissance de la contenance des vases permet d’envisager une étude fonctionnelle de l’habitat :

  • à la fois sur le plan de la division technique entre cabane 1 et locus, puisque ce dernier a dû servir essentiellement au stockage de provisions ;

  • et à la fois sur le plan de l’étude des groupes de récipients à l’intérieur de chacune des cellules de l’habitat puisque les vases de la Cabane 1 sont divisés en deux groupes analogues sur le plan des volumes.

15L’étude de la division statistique et spatiale des vases a permis en outre de constater qu’autour des deux aires foyères les vases présentaient d’autres caractéristiques communes comme la distribution équivalente des classes fonctionnelles (obtenues par une méthode de comparaison ethnographique) et des différences d’ordre morphologique (formes et décors). L’étude détaillée des ensembles céramiques a nécessité la mise au point d’une méthode permettant de restituer la forme de certains récipients incomplets, d’estimer leur volume et les conditions de leur dégradation. Ce dernier point à permis de révéler que la destruction des vases identifiés était due non pas à un remaniement anthropique mais aux accidents locaux du substratum et à la dynamique du remplissage (soutirage).

16Quelques‑uns des différents caractères de distribution des vases de la cabane 1 ont été retrouvés avec le matériel de broyage. La méthode de corrélation permet de montrer que la double distribution des vestiges et des activités qui leur sont liés reflète une division de l’espace social entre deux groupes humains. Dans le cadre d’une activité spécialisée (broyage des glands) ces deux unités sociales s’isolent pour réaliser le même type de travail. Ces hypothèses sont proposées à travers différents points de vue (spatial, économique, esthétique) qui permettent de construire une trame ou méthodologie issue essentiellement des données du terrain. Dans cette trame, définie pour une partie du site, seront insérées à la fois les futures études relatives au secteur ouest (autres études pétrographiques, analyse technique de la poterie...) et les données nouvelles issues des fouilles en cours. Cet aspect socio‑archéologique constitue l’un des volets de la problématique de Boussargues : définition d’une méthode d’approche « socio‑économique » et mise au point d’un modèle d’échantillonnage d’un site archéologique.

Le territoire communautaire et le statut du site

17L’étude de la distribution des vestiges dans le secteur étudié et l’analyse catégorielle de ces différents documents ont permis de préciser la nature des activités productives. Certaines pratiques agricoles comme la céréaliculture et l’élevage ont laissé peu de traces archéologiques dans le secteur ouest. On ne peut donc évaluer leur importance dans le processus économique. Par contre, la recherche des sources d’approvisionnement, aussi bien en produits consommables qu’en matériaux utilisables (construction de l’habitat, fabrication d’outils et ustensiles), bien que s’appuyant sur une documentation limitée à un seul secteur du site, a fourni de nombreuses informations pour la connaissance du territoire parcouru et exploité. Le recensement des habitats contemporains dans un rayon de 5 km a permis de poser le problème des interrelations entre communautés voisines. Si l’on s’en tient à la superficie actuelle des terrains cultivables, on est forcé d’admettre que les différents groupes humains installés dans cette contrée entraient en concurrence pour le contrôle et l’exploitation de l’ager. Mais cela laisserait supposer que toutes les communautés villageoises pratiquaient l’ensemble des activités de subsistance. Le caractère particulier du secteur ouest de Boussargues (stockage des glands et fabrication de farine) laisse entrevoir un autre modèle de division du travail dans lequel on aurait affaire soit à un groupe spécialisé et autonome, soit à une activité saisonnière partagée par plusieurs communautés agraires occupant les villages des environs. Les observations d’ordre géomorphologique laissent transparaître le rôle fondamental de l’érosion dans la disparition des sols qui couvraient les plateaux. Or, ce processus de dégradation, et cela est confirmé par l’anthracoanalyse, a débuté dès le Chalcolithique. C’est essentiellement l’action de l’homme défricheur et éleveur d’ovins qui a déclenché ce processus destructeur de l’écosystème. Il est à peu près certain que les plateaux, comme celui de Boussargues, étaient localement cultivables à l’époque de l’occupation du site. Ils portaient alors des sols plus légers et mieux draînés que ceux des bassins. L’agrosystème ne fonctionnait pas dans les mêmes conditions mésologiques qu’aujourd’hui. C’est donc à une révision des modèles admis jusqu’ici que nous invitent de telles constatations.

18L’ensemble des données rassemblées dans cette étude nous montre que le statut économique, social et politique de l’habitat ceinturé de Boussargues ne peut être compris à partir de la seule présence d’un mur d’enceinte. C’est pourtant sur cette unique base que nos prédécesseurs ont fondé leur interprétation des habitats ceinturés. Focaliser le regard sur un appareil défensif –dont l’étude architecturale détaillée nous a d’ailleurs montré qu’il présentait bien des faiblesses– serait se priver de la richesse et de la diversité des informations qu’apporte ce site, pour peu qu’on aborde son étude sur la base d’une problématique élargie.

19Montpellier, le 20 avril 1988.

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