4.1. Microtopographie et dynamique spatiale des dépôts céramiques

4.1.1. Introduction

1L’état du matériel céramique est conditionné par l’intensité ou la durée d’occupation d’un gisement. Il semble logique de penser qu’une occupation longue et continue augmente l’utilisation et le besoin en vases et accroît par conséquent leur bris, leur piétinement et l’évacuation de leurs fragments. La dispersion importante des tessons dans les niveaux d’habitat, le nombre réduit des remontages et la difficulté de restituer des formes complètes sont fréquemment attribués à ces facteurs, même si d’autres causes peuvent être invoquées.

2A l’inverse des villages très fréquentés, le secteur ouest révèle une assez bonne conservation du stock céramique. La destruction rapide du gisement clôturant une période d’occupation peu intensive a permis l’enfouissement et la fragmentation simultanés de nombreux vases dont nous retrouvons la plupart des tessons. Ces conditions permettent de restituer plusieurs formes complètes1. Mais des exceptions existent. Il s’agit de récipients brisés et éparpillés avant l’abandon des lieux. Il nous a semblé intéressant de soulever le problème de leur statut et de tenter de faire la part entre les vases complets et en position fonctionnelle au moment de la destruction du secteur ouest et ceux déjà brisés et mis au rebut. Pour faire cette distinction nous devions étudier les causes de leur fragmentation et de leur remaniement, ce qui nous a amené : à discuter des méthodes de remontage des vases ; à établir une méthode de restitution graphique des récipients incomplets basée sur un calcul de proportion ; à définir leur degré de conservation ; à préciser leur position et la dispersion de leurs tessons à partir des plans de liaison (microtopographie) ; à identifier les facteurs de remaniement (dynamique spatiale).

4.1.2. Estimation de la conservation du matériel céramique

4.1.2.1. Méthode de remontage des vases

3L’étape de tri des tessons permet de dissocier d’une manière empirique les différents vases. Les fragments sont comparés entre eux en fonction de leur situation (carré), de leur aspect général (forme, épaisseur, couleur) et de leur aspect technique (pâte, dégraissant, traitement des surfaces). En général, les tessons présentant un bord ou des décors sont plus faciles à identifier et à raccorder. Le tri favorise donc la reconstitution des parties hautes ainsi que les vases décorés. Les tessons ayant des aspects très voisins voire identiques sont dissociés avec beaucoup plus de difficulté. Au contraire, les remontages sont plus nombreux pour les récipients placés sur les zones les moins fissurées du substrat ou relativement isolés.

4L’état des vases conditionne également leur étude. Lorsque la fragmentation importante se double d’une dégradation des parois, les remontages et les reconstitutions deviennent impossibles. Ce dernier aspect concerne de nombreux fragments appartenant à des fonds, qui sont souvent écrasés et émiettés. En effet des vases –en particulier les plus petits dont les parois sont plus fragiles– ont pu être fortement dégradés au contact du substrat et leurs fragments éparpillés par les ruissellements et les infiltrations. On retrouve dans ce cas peu de tessons, souvent ceux des bords. Certains fragments sont isolés. C’est le cas de quelques fonds ou panneaux et de quelques tessons qui appartiennent à des vases incomplets, peut‑être en grande partie évacués une fois brisés.

5Ces méthodes de traitement vont donc favoriser le recollage des vases ou parties de vases isolés ou ceux dont les tessons sont peu fragmentés ou encore qui possèdent leur bord ou un décor. Une ou plusieurs de ces conditions étant fréquemment absentes, la moitié des récipients identifiés n’ont pu être reconstitués et leur restitution graphique est partielle. L’état du remontage n’est donc pas une indication satisfaisante de l’état de conservation.

4.1.2.2. Etat des remontages et des restitutions graphiques

6Les listes ci‑dessous donnent l’état des recollages et l’état des restitutions graphiques dans le secteur ouest. Les récipients sont désignés d’après leur numéro d’ordre suivi du code de leur unité (c = cabane, st = structure, l = locus) lui‑même suivi du numéro d’ordre de l’unité (c1 = cabane 1, l1 = locus l, st5 = structure 5). Pour une meilleure lisibilité, tout au long de l’étude, nous n’avons précisé que le numéro d’ordre des structures ; sauf indication contraire tous les vases se rapportent au secteur ouest (ensemble 1).

7Liste 1
Vases entièrement restitués graphiquement dont la forme totale (A) ou celle du profil (B) est connue :

8A) Vases entièrement remontés :
Cabane 1, n^os 3c, 20c, 21c
Locus 1, n^os 1l, 5l, 10l
Structure 5, n^os 1st

9B) Vases partiellement remontés :
Cabane 1, n^os 1c, 2c, 5c, 8c, 10c, 11c ,14c, 18c, 23c, 27c Locus 1, n^os 3l, 6l, 8l
Structure 5, n^os 2st, 3st

10Liste 2
Vases partiellement restitués graphiquement dont seule la forme du col est connue :
Cabane 1, n^os 6c, 7c, 12c, 15c, 17c, 19c, 24c, 26c, 25c, 29c, 32c, 33c, 34c
Locus 1, n^os 2l, 7l, 9l, 11l, 17l, 20l, 24l

11Liste 3
Panneaux ou fonds de vases isolés :
Cabane 1, n^os 4c, 13c, 28c
Locus 1, n^os 22 l
Structure 5 , n^os 4st, 5st

12C’est à partir de la première de ces listes que nous avons cherché à restituer, par une méthode d’approximation, la forme initiale des récipients de la liste 2 (forme théorique).

4.1.2.3. Restitution graphique

13Des vases de la liste 2, il n’est possible de restituer que le col et parfois le départ de la panse. A partir de ces données fragmentaires, un profil approximatif peut être dessiné mais ces restitutions graphiques sont très imprécises et ne répondent à aucune règle, sinon celle de la connaissance empirique de la céramique fontbuxienne. Il nous semble indispensable de formaliser les méthodes de restitution graphique. Nous admettons l’existence de proportions normalisées permettant de regrouper les récipients dans des classes morphologiques. Ces classes possèdent leurs caractéristiques propres qui sont des rapports de proportion. Les rapports entre les diamètres de la panse ou du col et la hauteur du vase nous paraissent de bons critères.

14L’étude typologique des vases du secteur ouest présentée dans un autre chapitre (cf. II § 2.1), sert de point de départ à cette analyse. Les formes céramiques se décomposent en 12 types. Nous les avons redistribuées en 10 classes qui donnent la priorité à l’aspect général du vase en tenant compte de ses proportions (rapport entre les diamètres du col ou de la panse et la hauteur du vase) :

15Classe A : les vases sphéroïdaux et ovoïdes à col convergent
Classe B : les vases sphéroïdaux et subcylindriques bas à col droit ou peu convergent
Classe C : les vases à panse renflée et à col convergent subcylindrique
Classe D : les vases à panse renflée et à col concave, fortement convergent
Classe E : les vases subcylindriques hauts (plus hauts que larges)
Classe F : les vases subcylindriques bas (plus larges que hauts)
Classe G : les vases cylindriques bas
Classe H : les vases à carène médiane
Classe l : les vases à carène basse
Classe J : les vases à col (à carène haute et col étroit ou à panse renflée et col étroit)

16Ces 10 classes morphologiques reflètent la relative standardisation de la production céramique. Chacune correspond à un équilibre de forme entre l’ouverture du col, le diamètre de la panse et la hauteur du vase. Ces trois caractéristiques, qui seront importantes dans les interprétations fonctionnelles, nous serviront à définir les proportions de chaque type de vase. Dans les lignes du tableau I (fig. 110) sont inscrits pour chaque classe : les récipients de référence qui sont des vases entièrement restitués ; les vases incomplets dont la forme se rapporte à celle des récipients de référence (même aspect du col ou du départ de la panse et du fond) ; les rapports – types de proportion. A partir des valeurs définies dans ce tableau on peut, à l’aide du rapport suivant :

17connaître la hauteur approchée d’un vase incomplet. Une restitution graphique est alors possible en tenant compte de la forme du vase de référence (formes A à J, ci‑dessus). Il est évident qu’une part d’incertitude demeure sur les proportions précises des vases restitués selon cette méthode. Pour cette raison nous avons recherché plusieurs restitutions graphiques possibles, en tenant compte du rétrécissement ou du bombement plus ou moins accentué de la panse et du fond. D’un rendu à l’autre nous avons calculé que le volume total varie de 10 à 20 %, ce qui est assez important et représente jusqu’à 8 litres pour un vase de 40 litres. Nous avons tenu compte de ces variations dans la suite de l’étude.

4.1.2.4. Estimation du volume des vases incomplets

18Nous faisons figurer dans le tableau II (fig. 111), à partir de la méthode de calcul des volumes proposée par J. Coularou, les volumes réels des récipients dont la forme exacte est connue et les volumes théoriques des vases dont la forme n’est connue que par restitution graphique.

19Nous avons tenu compte pour les grands et moyens volumes des incertitudes liées à cette méthode et indiqué le volume théorique par une fourchette : le chiffre entre parenthèses correspond à la restitution graphique adoptée, le second à une autre restitution possible mais moins probable (voir chapitre précédent).

20Pour les vases de la liste 1 (cf. supra) dont l’aspect véritable est connu, nous avons repris les estimations données par J. Coularou.

4.1.3. Estimation du degré de conservation

4.1.3.1. Recherche d’un indicateur de conservation

21En établissant l’existence d’un rapport constant entre le volume et le poids des vases nous pouvons retrouver le poids initial des récipients dont nous ne possédons que le volume connu à partir de leur restitution graphique. Nous pouvons calculer ce rapport pour les vases complets, déjà reconstitués (tableau III : fig. 112). Ce rapport donne régulièrement la valeur de 0,25 pour les vases de plus de 6l et de 0,33 pour les vases de 51 et moins. Les 2 indices différents illustrent une propriété technique : l’épaisseur de la paroi ne varie pas proportionnellement au volume ; relativement à son poids la paroi d’un grand vase est plus fine que celle d’un petit.

22En multipliant le volume estimé des vases incomplets (tableau II : fig. 111) par l’un des deux rapports on obtient leur poids initial ou poids théorique. Dans le tableau IV (fig. 113), les chiffres entre parenthèses donnent le volume le plus probable et le pourcentage, dans la colonne de droite, exprime la fraction du poids initial (théorique) retrouvée à la fouille. La conservation varie de 100 % pour les récipients retrouvés complets, à 8 % pour ceux presque totalement détruits. Considérant la précision de cette méthode nous avons arrondi les pourcentages des vases gros ou moyens à 0,5 % près. Les poids de tessons correspondant aux vases du locus 1 en cours de séchage indiquent que le vase 14 avait une contenance d’au moins 20 l et le vase 12 d’au moins 12 l. Quant au vase 19 sa contenance était d’au moins 24 l.

4.1.3.2. Fragments de vases non restitués

23Ils ne fournissent aucun indice permettant de calculer leur diamètre et leur volume. Nous n’avons pu mettre aucun d’eux en rapport avec les récipients déjà reconstitués. Ce sont les fragments de 34 vases dont on ne retrouve parfois qu’un seul tesson. Deux groupes plus importants dans la cabane, en Al et AJ 28 ainsi qu’en AN 28, correspondent à des récipients à paroi épaisse, probablement incomplets, non étudiables.

4.1.3.3. Etude générale de l’état de conservation

24La majorité des vases intégralement remontés avaient leurs tessons groupés sur de petites surfaces. Cet aspect peut faire penser que seuls ces vases furent brisés en position fonctionnelle. En fait cette impression ne tiendrait pas compte des conditions de conservation très variables sur le site.

25D’après nos estimations les vases sont conservés de 8 à 100 % (infra). Au‑delà de 50 % il ne manque généralement que le fond des récipients. Nous savons que la destruction de ces parties au contact des eaux de ruissellement est quasi systématique au niveau des argiles comblant le karst (Damais, ce volume, II §2.5). C’est aussi la cause de la dégradation de certains bords tombés vers l’intérieur de la panse au moment de la fragmentation. Le petit vase 11c qui contenait des glands fut brisé en position fonctionnelle. En effet, ils ont été trouvés regroupés au centre d’une couronne de tessons de la panse et du bord. Ce récipient placé au contact de l’argile de comblement est incomplet : plus de la moitié est détruite. A partir de cet exemple nous avons estimé que la plupart des vases détruits jusqu’aux alentours de 50 % ont pu être initialement entiers. Certains récipients de fort volume mais à paroi fine sont particulièrement dégradés. C’est le cas du vase 17c qui n’est conservé qu’à environ 28 % mais dont nous possédons cependant le fond et trois languettes et que nous considérons comme initialement complet. La même remarque s’applique au vase 8l. Les autres récipients sont très incomplets ou correspondent à des fonds réutilisés ou à des panneaux utilisés comme couvercles (4c).

4.1.4. Étude de la répartition et de la dispersion du matériel céramique

4.1.4.1. Définitions des indicateurs de remaniement

26De nombreuses informations peuvent être tirées de la mesure des récipients. Outre celles que nous avons déjà déterminées (mesure du volume, restitution de la forme, estimation du poids initial et du degré de conservation), nous pouvons également mesurer : leur degré de restitution, leur fragmentation, leur encombrement, l’épaisseur de leur paroi. A partir de la vue planimétrique des liaisons entre tessons d’un même vase ou plan de liaison, on a des informations sur l’état ou la dynamique spatiale des dépôts céramiques. On peut connaître l’aire de répartition des tessons, leur dispersion et la position initiale des récipients.

27Ces mesures nécessitent des observations appropriées :

• mesures directes sur les panneaux remontés pour l’épaisseur, la fragmentation et le degré de restitution ;

• mesures indirectes, à partir des plans de liaison et des restitutions graphiques pour la répartition, l’étude des trajectoires et l’encombrement2.

28Les valeurs des différents indicateurs présentés ci‑dessous sont données dans les tableaux Va et Vb (fig. 114).

Degré de restitution

29En utilisant la même méthode que celle appliquée à la mesure du degré de conservation nous avons évalué la quantité remontée de chaque récipient en calculant le rapport entre le poids de tessons raccordés et le poids théorique du vase. Cet indicateur appelé degré de restitution, servira dans le calcul de l’étalement. Il rend compte de la fraction réelle du vase sur laquelle se porte les observations, représentée sur les plans de liaison.

Fragmentation et épaisseur des parois

30Le nombre et la dimension des tessons donnent des indications sur le degré de fragmentation d’un récipient. On analyse ces deux paramètres en comptabilisant le nombre de raccords entre les tessons, pour une unité de surface constante (1dm², 1/2 dm²). Nous avons réalisé ces mesures directement sur les vases. L’épaisseur est une valeur moyenne tenant compte des épaisseurs maximum et minimum des parois. Son étude permet de savoir que le degré de fragmentation est indépendant de l’épaisseur3.

Encombrement

31Nous n’étudierons que l’encombrement au sol (encombrement relatif). Il correspond à la valeur du plus grand diamètre d’un récipient. L’encombrement proprement dit est un cylindre dont la hauteur correspond à la hauteur du vase et le diamètre au diamètre maximum de la panse.

Aire de dispersion

32L’aire couverte par les tessons d’un vase est normalement supérieure à son encombrement relatif, sauf s’il n’est représenté que par quelques fragments. La fig. 115 montre sous forme de nuages la répartition, dans la cabane 1 et le locus, des aires de dispersion. La proximité ou le chevauchement de ces nuages délimitent des groupements de vases. La densité de ces ensembles correspond approximativement aux aires définies par l’étude de J. Balbure et J. Coularou (cf. III § 3.2).

Dispersion

33En additionnant la longueur de toutes les liaisons d’un vase on obtient sa distance de dispersion. Il s’agit d’une mesure du remaniement qui donne une idée de la plus ou moins grande dispersion des fragments. Peu dispersés, ils se raccorderont sur de faibles distances et la distance de dispersion sera peu élevée. Cependant la quantité des liaisons recensées dépend de la recherche plus ou moins avancée des collages. Nous en avons tenu compte en divisant la valeur de cette longueur par le nombre de liaisons recensées. Nous obtenons ainsi une longueur moyenne appelée rapport de dispersion (ld).

Etalement

34L’indice élémentaire d’étalement (le) est donné par :

35Il permet de comparer la surface occupée par les tessons et la surface occupée au sol par le vase. C’est un indicateur de surface et non plus de distance, comme la dispersion. A la différence de cette dernière il prend en compte la taille initiale du vase à travers son encombrement. Cet indice doit être relativisé. Comme nous l’avons indiqué, nos observations sur les plans de liaison ne portent que sur la partie remonté des vases. On doit alors préciser la quantité du vase que nous étudions. Compte tenu des difficultés du remontage, cette quantité est souvent très inférieure à la quantité totale de tessons. L’indice d’étalement, proprement dit, (le’) est donné par :

36le’ permet donc de mesurer l’aire de dispersion en fonction de l’encombrement initial et de la fraction étudiée.

4.1.4.2. Dynamique spatiale des dépôts céramiques

Comparaisons entre les différents indicateurs (cf. annexe et fig. 116)

37Les valeurs des différents indicateurs sont réunies dans les tableaux Va et Vb (fig. 114) et ordonnées par ordre croissant, autour d’une valeur centrale dans les tableaux de l’annexe. Nous y renvoyons le lecteur. D’une manière générale on se rend compte en comparant la valeur des indicateurs (dernier tableau de l’annexe) que presque toutes les combinaisons sont possibles. Des vases très dispersés et très étalés peuvent être indifféremment bien ou mal conservés. Des vases très dispersés sont peu ou fortement fragmentés, etc. Cependant quelques tendances se dessinent. Ainsi la diminution de la dispersion et la diminution de l’étalement sont liées à une augmentation du degré de conservation. Il s’agit d’une combinaison logique puisque des vases peu remaniés sont bien conservés. Mais contre toute attente ces mêmes facteurs sont associés à une augmentation de la fragmentation.

38Pour tenter d’expliquer ces relations ambivalentes nous avons étudié la variation de ces indicateurs en fonction de leur distribution dans le secteur ouest. Y at‑il par exemple une relation entre le degré de conservation et l’emplacement des vases ?

39Dans certaines zones du secteur ouest (fig. 115) les tessons semblent avoir subi un plus grand remaniement qui se manifeste par un étalement parfois important. Ces zones sont en relation avec certaines particularités du sol naturel. Nous avons introduit dans l’analyse le facteur « aspect du substrat ». Le secteur ouest peut se diviser en trois zones principales. La première à l’arrière de la cabane 1, profonde, ne comporte pas de diaclases importantes et présente un faible pendage. La seconde à l’avant et au centre, est profondément fissurée et propice à d’importants soutirages ayant aspiré une fraction des terres archéologiques ; caractéristiques que l’on retrouve dans la plus grande partie du locus qui constitue la troisième zone.

40Il apparaît que les degrés de conservation et de restitution les plus élevés ainsi que la fragmentation et la dispersion la moins importante sont propres à la zone 1 (voir annexe). Les vases y sont peu dégradés et peu remaniés dans un secteur ou le substrat est peu fissuré. A l’inverse l’étalement y est important. Dans le locus ce dernier paramètre ainsi que la fragmentation sont beaucoup moins élevés qu’ailleurs et la dispersion est équivalente à celle de la zone 2. On remarquera que l’étalement est important là où les tessons ont moins de risque d’être piégés par des diaclases. D’autre part la combinaison étalement important, dispersion et fragmentation réduites montre le caractère non anthropique du remaniement. Enfin la dispersion des fragments s’accroît dans les zones les plus fissurées. Il s’agit d’un autre indice en faveur d’un remaniement naturel. Nous avons tenté de le vérifier par l’étude spatiale des trajectoires de liaison.

Etude du déplacement et positionnement

41Une analyse des projections verticales des tessons permettrait de mieux visualiser leur dispersion. Nous avons choisi une méthode plus rapide nous permettant de mettre en rapport l’aspect actuel du substrat avec le pendage :

42– des liaisons périphériques de chaque vase ;
– des liaisons les plus longues.

43Les altitudes des tessons en relation avec le lapiaz donnent une idée de la position initiale de chaque récipient (particulièrement en relevant la position des fonds et des bords). Cette méthode permet de passer du plan de liaison superposé au substrat à l’analyse du mécanisme de dispersion en tenant compte de la position des bords du vase (B) (fig. 117). Notre attention s’est portée sur la partie centrale de la cabane 1 et sur la partie avant du locus ; ce sont les zones où le matériel céramique est le plus dispersé et où la confrontation des différents indicateurs pose un problème.

Cabane 1 (fig. 118)

44– Les vases 3c, 2c et 17c étaient initialement placés contre le mur est et leurs fragments ont suivi le pendage naturel d’une grande diaclase perpendiculaire à l’axe de l’habitation.
– Le vase 7c placé à l’écart a suivi le pendage d’une autre diaclase.
– Le panneau de vase 6c était placé sur un replat du substratum, en position haute.
– Le vase 11c s’est enfoncé, en position fonctionnelle en glissant le long de la paroi d’une diaclase ; il devait être initialement posé sur un replat du substrat.
– Le vase 12c a subi un déplacement similaire, soutiré et piégé très bas dans une diaclase.
– Les vases 13c et 14c ainsi que le panneau de vase 28c étaient isolés sur un replat ; leurs tessons ont glissé dans une diaclase.

Locus 1 (fig. 118)

45– Les vases 4l et 12l se trouvaient sur le replat piqueté du substratum ; leurs tessons ont suivi le sens du pendage d’une diaclase, perpendiculairement à l’axe du locus.
– Le vase 14l se trouvait vraisemblablement à proximité du vase 12l dont les fragments disposés sur un faible relief se sont peu dispersés.
– Le panneau de vase 9l était en position haute sur un replat ; les tessons ont glissé vers le centre du locus.

46Ces descriptions renforcent l’hypothèse formulée. En effet les tessons ne sont pas étalés selon les voies de passage supposées (selon les axes longitudinaux des unités d’habitat et dans les axes de communication locus‑cabane, cabane‑structure 5) mais selon le pendage du sol en direction des zones de soutirage (selon les axes transversaux du locus et de la cabane 1). Ces analyses confirment donc que le remaniement des vases étudiés est dû à des phénomènes naturels. Ces conclusions s’appliquent aux seuls vases pris en compte dans cette étude4.

4.1.5. État du matériel céramique lors de la destruction

47A partir de la connaissance du degré, de l’origine et des conditions de cette dégradation nous avons établi la liste des vases entiers et en place avant la destruction du site : cabane 1 : 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 29, 30, 33, 34 ; locus l : 1, 2, 3, 5, 6, 10, 12, 14, 17, 20, 24. Ces vases appartiennent à différents ensembles de vases désignés par des lettres de A à G. La liste ci‑dessous et la fig. 121 permettent de les localiser dans le secteur ouest. La position précise de ces groupes est décrite dans la note sur l’étude du sol d’habitat (Balbure, Coularou, III § 3.3.).

48Cabane 1
– Groupe A : au moins 12 vases à proximité du foyer 1 (18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 29, 33, 34).
– Groupe B : au moins 10 à proximité du foyer 2 (2, 3, 7, 8, 11, 12, 14, 15, 17, 27).
– Groupe C : 4 vases (1,5, 10, 30).

49Structure 5
– Groupe D : 3 vases (1,2, 3), 2 vases dont un panneau sont brisés dans l’entrée.

50Locus
– Groupe E : 2 ou 3 vases au fond (19, 8).
– Groupe F : un groupe de 6 vases face à la communication avec la cabane 1 (2, 3, 10, 11, 17, 20, 24).
– Groupe G : au moins 4 vases (1, 4, 5, 6) et deux en cours de séchage (14 et 12).

51Nous nous référons à cette liste et à ces distributions dans la suite de l’étude.

4.2. Approche « socio‑économique »

4.2.1. Introduction

52Certaines observations dans les chapitres antérieurs se rapportent à l’analyse « socio‑économique » du secteur ouest. C’est le cas de la description de six ensembles de vases et particulièrement de ceux de la cabane 1 qui présentent des analogies quantitatives (Balbure, Coularou, III § 3.3). Leur répartition témoignerait d’une double activité domestique dont on retrouve les traces dans la distribution des meules. En outre l’existence de réserves de glands et l’importance numérique du matériel de broyage suggèrent un travail très spécialisé (II § 2.3). L’étude fonctionnelle de ce matériel permet d’envisager une différenciation des activités entre deux groupes humains et entre les deux unités de l’habitat (Marchesi, II § 2.3).

53Ces propositions ont servi de point de départ à une analyse dont les principales étapes concernent d’une part l’étude fonctionnelle et morphologique des vases de la cabane 1 qui permet d’identifier deux stocks de récipients de composition voisine et de caractéristiques stylistiques différentes et d’autre part la comparaison des informations concernant la poterie avec celles issues de la distribution d’autres vestiges.

54Plusieurs études ont guidé notre approche théorique. En particulier celle de l’habitat du Bronze final à la grotte des Planches (Arbois, Jura) (Petrequin 1985), celle d’A. Gallay sur les Dogons du Sarnyere (Gallay 1981) et les travaux de G.‑A, Möberg à qui nous empruntons la notion de « phénomène pivot » et la méthode d’analyse des distributions numérique et spatiale des vestiges archéologiques (Möberg 1977). Nous renvoyons à des études d’économistes (entre autres, Dowidar 1982 : 15‑97 ; Chonchol et alii 1982), d’ethnologues (entre autres, Laplantine 1987 ; Sahlins 1972 ; Testart 1982) et de préhistoriens (Gallay 1986 ; Petrequin 1983 ; Holl 1986) pour les définitions et les discussions relatives aux notions de mode de production domestique ou de division du travail qui dépassent le cadre de cet article.

4.2.2. Distribution spatiale des caractéristiques fonctionnelles et morphologiques des vases

4.2.2.1. Rapports entre forme et fonction

55De nombreux archéologues accordent à certaines formes un usage quasi universel. Les grandes jarres sont considérées comme des récipients destinés au stockage de l’eau (vases‑citernes) ou remplissant la fonction de silos (vases à provisions). Les récipients à col étroit seraient, à l’image des amphores, destinés à conserver les liquides. Cette dernière utilisation est proposée par exemple par P. Petrequin (Petrequin 1974 : 504) pour les amphores à col du niveau néolithique ancien de la grotte de Gonvillard (Doubs), qui ne présentent aucune trace de recuisson. Cependant le rapport entre l’usage et la forme n’est pas seulement le fait d’une convention mais se trouve fondé par des observations ethnographiques. C’est le cas dans l’étude d’A. Gallay (Gallay 1981) portant sur un isolat dogon du Mali, qui donne des indications sur les relations entre la forme et l’usage. Il nous paraît intéressant d’appliquer ces données (issues de l’observation d’un usage réel) à l’étude comparative des récipients de Boussargues. Et ceci d’autant plus que les catégories de la céramique dogon et préhistorique sont presque totalement superposables. Les catégories des Dogons sont les suivantes :

56– récipient largement ouvert (récipient à eau à usage quotidien) ;
– récipient sphérique à col court (récipient à tout faire et en particulier à usage culinaire) ;
– récipient sphérique à col fermé (conservation des liquides) ;
– récipient cylindrique (stockage de l’eau et stockage divers par extension).

57Le volume est aussi pris en compte et peut modifier ce classement : les récipients de grande taille, quelle que soit leur catégorie, peuvent servir au stockage (ainsi les récipients sphériques remplissent souvent les mêmes fonctions que des vases de forme cylindrique) ; les récipients de petite taille, en particulier ceux de forme sphérique, sont en général réservés au portage.

58L’ensemble de ces usages est lié au cycle de l’eau dont l’importance est vitale dans cette région de l’Afrique. L’intérêt essentiel de ce type de classification est de révéler la frontière typologique qui permet de distinguer l’usage des vases. Dans un autre cycle, celui de la cueillette par exemple, la fonction d’une de ces classes peut être différente. Ainsi, au Néolithique final, à la station 3 de Clairvaux‑les‑Lacs (Jura) les grandes jarres subsphériques ou subcylindriques à fond rond portent des traces de chocs thermiques et parfois des résidus de cuisson carbonisés qui indiquent une possible utilisation comme récipient de cuisson (Petrequin 1986).

59Nous retrouvons ces divisions dans l’étude des vases de la Grotte des Planches (Petrequin 1985). Sur ce site intervient le calcul des volumes qui sert à définir les contenances moyennes des catégories typologiques. Parmi 12 catégories trois grands types peuvent être dégagés :

60– les petits pots ou cruches, coupes, godets, bols de 5 1 et moins ;
– les jarres, grands pots et cruches jusqu’à 15 l ;
– les jarres destinées au stockage de 25 l et plus.

61Ces différents exemples nous ont aidé à distinguer à Boussargues les catégories chalcolithiques suivantes :

62– classe 1 : les récipients de stockage possible, cylindriques et sphériques de plus de 30 l ;
– classe 2 : les récipients de conservation des liquides ou aliments, à ouverture rétrécie ; cette classe présente des formes intermédiaires avec la suivante ;
– classe 3 : les récipients à usage culinaire, sphériques, entre 8 et 15 l, eux aussi transportables ;
– classe 4 : « les récipients à eau » , à ouverture large de forme basse ;
– classe 5 : « les récipients à eau » , à ouverture large de forme haute.

4.2.2.2 Comparaisons fonctionnelles (fig. 121)

Cabane 1

63Les tableaux VIa et VIb (fig. 119 et 120) représentent le nombre de vases de chaque classe par structure d’habitat et par groupes de récipients. A partir de l’approximation des volumes nous avons comparé la contenance totale représentée par chaque groupe de récipient de la cabane 1 et la répartition des volumes de chaque classe fonctionnelle de vases. Entre parenthèses sont données les contenances moyennes pour chaque groupe.

64Classe 1
Groupe A (19c, 21c, 24c)….150 l (50 l)
Groupe B (17c, 7c)….93 l (46, 5l)

65Classe 2
Groupe A (26c, 22c)…. 25 l (8,3 l)
Groupe B (14c,15c, 8c)….29 l (9,6 l)

66Classe 3
Groupe A (32c, 34c)….20,0 l (10 l)
Groupe B (2c, 12c)….24,5 l (12,25 l)

67Classe 4
Groupe A (20c, 29c)....2,60 l (1,3 l)
Groupe B (7c)…. 0,25 l (0,25 l)

68Classe 5
Groupe A (23c, 18c)….23,0 l (12,5 l)
Groupe B (3c, 11c)….21,4 l (12,2 l)

69Ce qui représente un volume de 220 litres pour le groupe A et de 168 litres pour le groupe B ; soit une cinquantaine de litres de différence5. La somme des volumes des récipients de chaque classe est très proche d’un groupe à l’autre. Les variations deviennent négligeables si l’on tient compte de l’approximation des contenances. Une seule différence importante existe au niveau de la représentation des vases de stockage (classe 1).

70Si par contre on calcule les volumes moyens de chaque classe (chiffres ci‑dessus entre parenthèses) et le volume moyen total de chaque groupe qui vaut 16,42 litres pour le groupe A et 16,16 litres pour le groupe B, on s’aperçoit que les classes sont beaucoup plus proches deux à deux et que les groupes A et B sont symétriques.

71Si le volume total accuse des différences parfois importantes, le volume moyen que l’on pourrait qualifier « d’usage » est équivalent. La fig. 124 illustre la répartition quasi symétrique du nombre et de la contenance des vases pour chaque classe des groupes A et B. Les deux groupes correspondent à deux batteries de vases, constituées selon un standard commun.

72Nous avons rassemblé dans un autre groupe (C) les vases positionnés à l’avant de la cabane 1. Les vases 5c, 10c et 30c semblent regroupés au contact d’une réserve de glands. Le vase 1c plus isolé est vraisemblablement lié à une zone de broyage. Leurs caractéristiques décoratives ne permettent pas de les rattacher avec certitude à un des groupes de la cabane 1. Leur volume total est d’environ 19 litres.

Locus

73Seules les classes 1 et 2 sont bien représentées mais très inégalement selon les groupes : les vases de la classe 1, en majorité dans le groupe E, représentent environ 212 litres contre seulement 35 litres pour chaque autre groupe alors que les vases de classe 2 sont deux fois plus représentés dans le groupe E que dans le groupe F (respectivement 16 et 8 litres). Ces chiffres attestent de la disparité fonctionnelle et quantitative entre les différents groupes du locus.

74Par ailleurs les valeurs volumétriques totales accentuent les différences entre les mêmes classes de récipients du locus et de la cabane 1 et renforcent l’hypothèse d’une complémentarité des activités des unités de l’habitat.

4.2.2.3. Comparaisons morpho‑techniques entre les groupes A et B de la cabane 1

Formes

75La distribution des classes morphologiques (cf. Il § 2.1.) entre les groupes A et B de la cabane 1 sont données dans le tableau VII (fig. 122).

76Ce tableau illustre une différence dans la répartition des classes typologiques entre le groupe A dans lequel une majorité de vases sont de forme cylindrique ou à panse renflée et col convergent et le groupe B qui comporte plus de formes aplaties, sphériques, ovoïdes et cylindriques.

Décors

77Une autre différence existe dans la répartition des décors, illustrée dans le tableau VIII (fig. 123), qui reprend la distribution des procédés décoratifs ainsi que les caractéristiques stylistiques des groupes A et B (en nombre de vases). Nous n’avons retenu dans ce tableau que les aspects les plus discriminants. Les différences entre les deux groupes résident à la fois dans les types et les combinaisons des décors (fig. 124).

78Ce qui frappe c’est la disparité entre la relative exubérance décorative du groupe A et la sobriété du groupe B. Dans ce groupe les décors ne sont représentés, à une exception près, que par des cordons unissant les préhensions. Par contre dans le groupe A les registres décoratifs sont variés : motifs disposés en métopes, en arceaux, en guirlandes ainsi que cordons multiples. Certains décors placés symétriquement de part et d’autre des moyens de préhension donnent un rythme aux compositions que l’on retrouve sur au moins 5 vases (fig. 124).

4.2.2.4. Comparaisons morpho‑techniques entre les groupes E, F et G du locus

79Comme le montrent les tableaux IXa, b et c (fig. 125) aucune disparité n’a pu être mise en évidence dans le locus où les formes et décors différents s’associent et se répartissent uniformément. Seul le groupe G présente un polymorphisme et une variété de décors qui rappellent les caractéristiques du groupe A. Quant aux trois autres ensembles, ils ne comportent pas assez de vases pour pouvoir juger de leur éventuelle individualité typologique.

4.2.2.5. Conclusion

80L’étude de la distribution des groupes de poteries de la cabane 1 révèle l’existence, à proximité des deux aires de combustion, de deux batteries de récipients qui se composent dans les mêmes proportions, des mêmes classes de vases aux fonctions et aux volumes moyens voisins.

81Si cette organisation binaire rappelle celle du couple four/foyer (Guilaine, Coularou 1987 ; Passard 1983), l’équivalence fonctionnelle des vases liés à ces structures atteste plutôt le déroulement d’activités symétriques autour de deux foyers culinaires.

82Même si, sur le plan des volumes, une disparité existe qui joue surtout sur l’absence problématique d’un récipient de forte contenance (vase 6c), ces caractéristiques correspondent probablement au standard céramique de deux unités domestiques élémentaires.

83Cet attirail domestique standardisé comparé sur le plan de la morphologie, révèle deux oppositions essentielles : une opposition entre la variété des formes du groupe A et l’unité typologique du groupe B ; une autre entre la variété des compositions décoratives du groupe A et la sobriété des décors du groupe B. Dans le locus par contre, une importante disparité quantitative existe entre les groupes alors que l’on constate une homogénéité dans la répartition des décors.

84Cependant la typologie décorative n’est pas totalement exclusive et des formes se retrouvent d’un groupe à l’autre : dans la cabane 1, les vases sphéroïdaux ou à panse renflée et à décor plastique (cordons), les coupes en calotte, les vases à carène basse, les vases non décorés constituent en quelque sorte un « fond commun » .

4.2.3. Vers la description de « l’ espace social »

4.2.3.1. Objectif et méthode appliquée

85Nous désirons savoir si l’ensemble du secteur ouest présente une partition des aires domestiques analogue à celle des vases de la cabane 1. Idéalement nous devrions aboutir à la description de différentes activités exécutées par différents groupes. Nous prendrons en compte non seulement l’organisation de l’espace domestique, révélée par la répartition des objets mais aussi le mode d’action auquel elle se rapporte.

86Les questions abordées et les tentatives d’interprétation conduisent à la recherche de constantes et de particularismes (corrélations) qui peuvent être la conséquence d’une hiérarchisation des groupes humains ou de tout autre phénomène à partir duquel s’ordonne le mobilier archéologique.

87Cette recherche est résumée d’une manière très simple par C. Möberg, en trois interrogations (Möberg 1977 : 187) : qu’ont‑ils possédé ? qu’ont‑ils fait ? de quels signes ou symboles se sont‑ils servis ?

4.2.3.2. Eléments de comparaison

88La distribution des vases de la cabane 1 rappelle celle décelée à la grotte des Planches‑près‑Arbois (Petrequin 1985). L’étude de ce gisement a permis aux fouilleurs de mettre en évidence la répartition sélective du matériel céramique de deux groupes humains contemporains de l’horizon D2. Ces deux groupes (subdivisés en trois ou quatres unités familiales regroupées par foyer) auraient été contraints de travailler ensemble tout en conservant durant quelques années leurs traditions et leur propre dynamique. C’est sur le plan des modes d’acquisition et de transformation que sont définies des relations d’interdépendance et des attitudes particulières :

89– au niveau de chaque cellule élémentaire (poterie, tissage, chasse) ;
– au niveau de chaque groupe de trois ou quatre cellules familiales (agriculture) ;
– au niveau de l’ensemble de la population (une partie de l’élevage).

90Le phénomène le plus visible attestant d’une division de « l’espace social » est l’existence de deux groupes de céramiques contemporains (Bronze final IIIa) mais dont l’un présente une forte affinité Bronze final II. Pour reprendre les termes des auteurs : « Ces distinctions stylistiques, bien qu’elles reposent sur des méthodes peu scientifiques d’historien de l’art, refléteraient pourtant des tendances en accord avec la symétrie des aménagements de l’habitat ».

91Cette étude qui met en avant le rôle important de la céramique comme indice d’une division de l’espace social, rappelle ce que C. Möberg nomme un « phénomène ou une hypothèse pivot ».

92D’autres gisements ont fourni des données analogues. A la grotte de Gonvillars (Haute‑Saône), les fouilles de P. Petrequin ont montré l’existence de deux aires rubéfiées associées à deux foyers culinaires, à deux zones à ossements brisés et à une panoplie d’outils (2 vases à eau, 2 groupes de faucilles en silex, 2 meules et molettes). Là aussi la partition des occupants est traduite dans la répartition du matériel correspondant à des tâches spécifiques (Petrequin 1974 : 528‑529)

4.2.3.3. Rappel des hypothèses en présence

93Nous avons déjà évoqué différentes hypothèses formulées à l’occasion des études du sol d’habitat et du matériel de broyage : au sein du secteur ouest, division spatiale des activités (stockage, broyage, cuisson) ; dans le locus, doublement des activités de broyage et aires de stockage communes ; dans la cabane 1, doublement des activités domestiques dans les zones foyères ; division inégale des réserves entre locus et cabane 1.

94Nous constatons en première analyse : un doublement de certaines aires et activités (broyage dans le locus et cuisson dans la cabane 1) ; la mise en commun d’autres (réserves de glands communes et stockage commun des vases dans le locus).

95L’étude de la distribution des récipients de la cabane 1 montre que les deux ensembles forment deux unités, techniquement indépendantes définies par : leur isolement (distribution spatiale) ; leur nombre et leur volume analogue (distributions numériques) ; le parallélisme de leur distribution fonctionnelle ; leurs différences morphologiques (distribution typologique).

96Ces quatre types d’information (spatiale, numérique, fonctionnelle, typologique), servent à caractériser l’hypothèse pivot. La distribution des pièces de broyage, des réserves de glands et des vases du locus seront confrontées dans cet ordre avec celles des vases des groupes A et B de la cabane 1.

4.2.4. Partition du matériel de broyage

97L’étude du matériel de broyage réalisée par H. Marchesi porte essentiellement sur la répartition des pièces entre le locus et la cabane 1. Sans rien changer aux déterminations nous avons cette fois appliqué la comparaison entre les aires de travail. Le tableau X (fig. 126), donne pour chaque ensemble, le nombre de pièces et leur poids total maximum (en kg).

4.2.4.1. Meules

98Parmi les outils disposés à l’avant de la cabane 1 nous avons distingué deux sous‑ensembles : un groupe près de l’entrée, un autre entre le foyer B et le mur nord. Les ensembles comparés entre eux au sein de chacune des unités d’habitat présentent des analogies numériques. Par contre leurs poids totaux sont différents (différence de 38 % dans les deux cas). Ces différences sont peut‑être imputables à leur dégradation. D’un point de vue fonctionnel, seules les meules disposées à l’avant présentent des stigmates de percussion lancée (3 dans le locus, 1 dans la cabane 1). Les meules concaves et convexes sont absentes de la cabane 1. C’est la seule division typologique remarquable.

4.2.4.2. Percutants

99La distribution spatiale des percutants n’est symétrique à celle des meules que dans la cabane 1. Le nombre des pièces varie du simple au double entre le fond et l’avant du locus alors qu’il est symétrique dans les deux parties de la cabane 1. Les groupes de pièces actives ont des poids différents. Mais certaines sont très fragmentées et incomplètes. Leur état rend les comparaisons de poids peu significatives. De plus, ces outils sont aisés à transporter et parfois interchangeables. D’un point de vue fonctionnel, c’est seulement à l’avant du locus que l’on trouve à la fois des meules et des molettes ayant servi au concassage.

100Par ailleurs, il est précisé (Marchesi, II § 2.3) que les pièces actives de percussion lancée sont seulement absentes à l’avant de la cabane 1. Enfin la distribution typologique des percutants présente des analogies entre cabane 1 et locus puisque des broyeurs se retrouvent dans leurs moitiés postérieures alors que les molettes sont situées dans les zones antérieures.

4.2.5. Partition des autres vestiges

101Les glands sont abondants à l’avant et au centre des unités d’habitat. Les réserves ne sont pas numériquement équivalentes. Il est impossible de distinguer une bipartition nette dans le locus et la cabane 1. Les groupes de vases du locus présentent une hétérogénéité statistique (nombre et volume) et fonctionnelle mais une homogénéité typologique. Leur distribution spatiale ne révèle aucune symétrie. Les foyers de la cabane 1 sont supposés présenter une identité fonctionnelle, leur aspect et leur position relèvent d’une conception différente (présence et absence de sole, foyer central et foyer d’angle) (cf. Coularou, Balbure, III § 3.1). Nous avons écarté de cette analyse les galets présents dans la structure 5, l’outillage en silex et la faune rares dans le secteur ouest ainsi que les galets ne portant pas de traces d’utilisation.

4.2.6. Qu’ont‑ils possédé ?

102Pour tenter de répondre à la première des trois questions il est nécessaire de comparer l’ensemble de ces distributions avec celle du phénomène pivot. Les corrélations (positives ou négatives) entre la distribution des groupes de poterie A et B et les réserves de glands ou les outils de broyage sont données dans le tableau XI (fig. 127). Ce tableau montre que la corrélation est : négative entre le phénomène pivot, la distribution des glands et des autres groupes de vases ; partielle entre le phénomène pivot et la distribution des pièces de broyage ; positive entre le phénomène pivot et les foyers.

103Les groupes de vases de la cabane se différencient par leur typologie. Aucune caractéristique comparable n’a été décelée pour les meules. Par contre à l’unité fonctionnelle des deux ensembles céramiques semble correspondre l’identité fonctionnelle des meules proches des entrées. A l’inverse les pièces actives de broyage montrent une division fonctionnelle et typologique entre l’avant et le fond de la cabane 1, numérique et typologique entre le fond et l’avant du locus.

104Nous retrouvons des caractéristiques déjà observées dans la distribution des vases.

105Tout se passe comme si chaque unité de l’habitat se divisait en deux sous‑unités techniquement équivalentes représentées par un doublement des outils de transformation (2 stocks de meules, 2 x 2 aires de moutures, 2 x 2 batteries de pièces de broyage, 2 batteries de récipients) alors que le doublement des stocks et réserves n’existe pas. Cette symétrie évoque l’action de deux groupes humains partageant dans le secteur ouest des activités analogues. Si les activités sont partagées, les outils de broyage n’en sont pas moins individualisés comme l’indique la division spatiale des aires de travail et des zones foyères. Par contre les réserves de glands semblent communes dans chaque unité de l’habitat. Notons qu’une légère différence numérique se manifeste à la fois entre les deux groupes de vases de la cabane 1 et les deux groupes de meules du locus.

106Il se peut également que des activités différentes et complémentaires se soient déroulées séparément dans le locus et la cabane 1. La division technique des deux unités de l’habitat s’intègre dans une chaîne opératoire, un mode d’action, vraisemblablement spécialisé. Sa connaissance est nécessaire pour comprendre une partie des relations établies entre les occupants du secteur ouest. Cette étude nous renvoie à la seconde question.

4.2.7. Qu’ont‑ils fait ?

4.2.7.1. Le secteur ouest comme expression d’une chaîne opératoire spécialisée ?

107L’approvisionnement et la transformation à des fins d’utilisation ou de consommation de différents produits issus du milieu naturel détermine la forme du travail au sein de l’unité domestique : argile pour les vases, matériaux de construction, glands pour la farine, grès pour les meules, bois pour la construction et les foyers, etc. Parmi ces différentes activités il en est une qui apparaît tout particulièrement à l’analyse du sol d’habitat : la production de farine de glands.

108Le tableau XII (fig. 128) rend compte des différentes interactions qu’il est possible d’envisager au sein de la chaîne technique. Certaines opérations (mouture, stockage) sont révélées par l’étude du sol d’habitat, ou en sont le corollaire (tri, préparation) ; d’autres, au contraire, ne sont envisagées que d’après les relations ethnographiques et l’expérimentation (cuisson avant de stocker ou d’écaler les glands, consommation directe de glands, conservation...)6.

4.2.7.2. Le secteur ouest comme expression d’une partition des activités ?

109La disposition des aires de travail permet‑elle d’identifier les différentes étapes de cette activité ? Les données archéographiques relatives aux outils de broyages et aux aires foyères donnent plusieurs indications.

Hypothèse 1 : partition fonctionnelle du secteur ouest

110La répartition des pièces actives révèle dans la cabane 1 une activité liée à l’alimentation quotidienne plutôt orientée vers un travail de percussion lancée oblique. Alors que le locus, lieu de broyage intensif, est orienté vers un travail de concassage. Le secteur ouest est ainsi partagé en deux unités fonctionnelles orientées vers des objectifs différents. (cf. H. Marchesi, II § 2.3).

Hypothèse 2 : partition fonctionnelle des unités d’habitat

111Une autre hypothèse peut être formulée en tenant compte cette fois de l’aspect des meules des zones avant du locus et de la cabane 1, La face active de certaines (3 dans le locus, 1 dans la cabane 1) porte des stigmates de percussion lancée qui montrent qu’elles furent en partie utilisées pour écaler les glands. Cette étape et son corollaire, le tri entre les écorces et la matière comestible, préliminaire au broyage proprement dit, se déroulerait dans les deux unités de l’habitat. A la division spatiale des activités et des occupants s’ajouterait celle d’une division de leur travail :

112– premier groupe, spécialisé dans le travail de percussion et de tri, placé près des entrées, possédant sa propre zone foyère ;
– second groupe spécialisé dans un travail de mouture fine et possédant sa propre zone foyère.

Hypothèse 3 : partition fonctionnelle relative des unités d’habitat

113En fait les différentes étapes du broyage ne prennent pas le même temps. A un moment donné des activités identiques ont pu se dérouler sur toutes les aires de mouture. C’est ce qu’indique l’inversion des répartitions fonctionnelles de meules et de percutants : si des activités liées à la percussion ont surtout eu lieu près des entrées, d’autres opérations s’y sont déroulées (présence de meules ne portant pas de stigmates de percussion). L’inverse est vrai au fond du locus ou les meules ne cadrent pas tout à fait avec les pièces actives. Le travail de percussion était sans doute réalisé en priorité près des réserves de glands, à la lumière du jour ou même à l’extérieur de l’habitat, devant les cabanes comme cela est attesté sur le site de Cambous7. Cette division relative des activités n’est donc pas très marquée. En fait l’autonomie du travail semble être la caractéristique de chaque unité sociale. Il se peut seulement que les lieux conditionnent certains types de travaux comme le concassage des glands.

4.2.8. La céramique comme marqueur ethnique ?

114Plusieurs études font de la poterie préhistorique une sorte de « fossile directeur » de la division sociale du travail. Sa fabrication ou son utilisation sont généralement attribuées aux femmes selon une convention admise depuis très longtemps par les archéologues et parfois contredite par les observations ethnographiques. Cette approche permet malgré tout, lorsqu’elle est intégrée à l’étude de la distribution de plusieurs classes de vestiges, de révéler une organisation sociale de base (Guilaine 1979 ; Holl 1986).

115Les études ethnologiques donnent de précieuses indications d’ordre technique et fonctionnel sur la poterie. Par contre elles auraient plutôt tendance à souligner la diversité des valeurs et des fonctions sociales, magiques ou religieuses attribuées au potier, à la potière, à la poterie et à sa fabrication (Bedaux, Lange 1983 ; David 1983 ; Gallay 1971, 1981). D’une manière globale il est cependant troublant de constater que nombre de mythes et de contraintes rituelles se rattachent à la poterie. Claude Levi‑Strauss a montré la puissance des traditions et des mythes au centre desquels se trouvent en Amérique du Sud et du Nord la poterie et l’artisan (Levi‑Strauss 1985), Dans les sociétés méditerranéennes les croyances sont nombreuses et le savoir du potier dépasse là aussi le cadre technique (Martinez 1966). Le couple potier(ière)‑poterie a dans de nombreuses sociétés un rôle important et le façonnage peut être conditionné par un conservatisme qui fige aussi bien la technique de réalisation que la morphologie ou la décoration8. Ce conservatisme se retrouve dans de nombreuses sociétés dites traditionnelles. Mais l’inverse est également vrai : chez les Dogons du Sarnyere, A. Gallay a montré qu’aucune différence visible n’affecte la poterie d’un village à l’autre et peu de chose distingue la poterie des Dogons de celle de leurs voisins. Seules les techniques de réalisation des fonds varient dans le groupe ethnique d’une région à l’autre et des marques personnelles de fabrication individualisent les pots.

116Les exemples où la décoration de la poterie change au fil des modes existent également (Dupuis, Echard 1971). Cependant ces changements peuvent intervenir à la suite de bouleversements d’ordre socio‑économique : isolat culturel et hypothèse de la disparition de la classe des potières chez les Dogons, demande touristique sur les marchés, influences extérieures comme dans le cas des potières Hopi imitant des poteries exhumées par des archéologues (Levi‑Strauss 1985 : 237). Bien entendu ces exemples sont sans prétention transculturelle. Ils rendent compte de l’état d’esprit dans lequel nous avons envisagé l’étude de la céramique. A priori le travail de l’argile oppose peu de contraintes plastiques au potier. Celles‑ci interviennent plutôt dans le choix et la préparation de la pâte et dans l’ensemble des opérations de cuisson9. Théoriquement l’artisan devrait être capable de produire toutes les formes que lui permet la technique du modelage au colombin « et le jeu principal se déroule entre la fonction pure et le style » (Leroi‑Gourhan 1965 : 122‑133). Ce style est assez fort pour défier le temps et permettre à l’archéologue de définir la chronologie des cultures matérielles. La liberté de l’artisan ne s’exerce pas à travers la fantaisie de la réalisation. Dans le cas de la poterie fontbuxienne ‑ qui se distingue par la diversité des formes et la variété des techniques et des compositions décoratives ‑ si une marge de création personnelle existe, elle a dû être très étroite. Pour maintenir des traditions de fabrication et de style sur plusieurs siècles et sur un vaste territoire, la liberté de l’artisan a dû nécessairement être entravée. Derrière son travail se profile une forme de contrainte rituelle dont nous croyons retrouver la trace dans la distribution des formes et des décors du secteur ouest.

117Faire la part entre ce qui relève de l’esthétique fonctionnelle et de l’origine phylétique des décors ne sera pas toujours possible. Certains éléments peuvent manquer, comme les tressages de vannerie que l’on trouve encore autour de certaines jarres africaines ou des décors en matière périssable (écorce). D’ailleurs la morphologie n’est peut‑être que l’un des aspects de cette différenciation. D’autres facteurs comme les techniques de réalisation, la gestuelle qui l’accompagne, la reconnaissance implicite d’une poterie, ne sont pas pris en compte. A l’inverse l’adéquation de la forme à la fonction peut amener à confondre esthétique fonctionnelle et marques phylétiques (c’est le cas par exemple des grandes jarres subcylindriques chalcolithiques portant une série de cordons parallèles souvent considérés comme une technique de consolidation des parois autant que comme une ornementation des vases).

118Plutôt que l’identification de marques personnelles c’est la symbolique adoptée par des groupes d’utilisateurs (tribal, familial, clanique, sexuel, etc.) qui nous intéresse. Nous pensons qu’à Boussargues les variations de style affectant la poterie sont significatives. Dans la cabane 1 les deux ensembles de céramiques étudiés appartiennent à deux unités sociales. Les vases qu’elles utilisent, tout en se référant à une tradition commune, se distinguent par des décors et des formes qui leur sont particuliers, L’identité fonctionnelle des deux groupes de poterie renforce cette hypothèse en écartant la possibilité de propriétés esthétiques uniquement attachées à leur fonction. On peut se demander si la cohabitation des deux cellules sociales, dans un lieu relativement confiné, n’est pas à l’origine d’une séparation aussi nette des décors céramiques. Rappelons que des observations comparables, que nous avons citées, ont été faites sur des habitats en grotte : grotte des Planches et grotte de Gonvillars. La nécessité d’occuper des aires peu séparées pourrait en quelque sorte renforcer la cohésion au sein des cellules sociales et maintenir une division marquée des poteries à usage culinaire ainsi que la séparation nette des stocks de meules. H. Marchesi rappelle à ce propos que dans certaines conditions le matériel de broyage peut révéler une division de l’espace social (cf. travaux de V. Roux, 1985).

4.2.9. De l’espace domestique à l’espace social

4.2.9.1. Répartition des ressources ?

119L’étude de la contenance totale des vases par unité d’habitat (cf. III § 3.3) révèle que le locus est un lieu de stockage. La distribution des réserves de glands et des récipients du locus permet de supposer que ceux‑ci (ou leurs aires de stockage) étaient communs à tous les occupants. Dans ce cas ce sont les activités et les aires de transformation qui sont individualisées alors que sont communs les zones de stockage et peut‑être les produits stockés. Dans notre proposition le travail est effectué en deux étapes (écalage, broyage) par chacun des deux groupes (individuellement ou alternativement). La répartition de la cueillette et d’une partie de la production entre les deux groupes est donc indispensable. Elle s’effectuerait alors dans un premier temps avant les activités de transformation et dans un second temps avant consommation.

4.2.9.2. Organisation des activités

120Ces tâches ne reflètent qu’un des aspects des activités quotidiennes que l’on suppose nécessaires à la survie d’une communauté agro‑pastorale. Le secteur ouest n’est donc pas à proprement parler une unité domestique et ne reflète qu’une partie ou qu’une courte étape d’un mode de production domestique (activité saisonnière en cours). Quelle que soit l’explication retenue, l’étude témoigne d’une forme de segmentation des activités et de la population. Quelques membres, isolés de la communauté villageoise, ou peut‑être territoriale, se regroupent dans une unité d’habitat. Ce regroupement concerne une tranche de temps nécessaire à des activités spécialisées, il peut avoir pour origine une division sociale du travail (selon le sexe, les classes d’âge, l’origine phylétique, etc.). Activités saisonnières, spatialisation des activités ou spatialisation de certains membres de la communauté se manifestent peut‑être à travers le secteur ouest. Il est pour l’instant impossible de le préciser du fait de l’absence de mise au jour d’activités complémentaires (existant peut‑être ailleurs sur le village ?).

4.2.9.3. Vers un modèle d’organisation de l’espace social

121Les observations sur la poterie montrent l’existence d’une indépendance entre les deux unités sociales, qui dépasse le cadre de la répartition des tâches. La division phylétique des deux groupes humains permet d’entrevoir la dimension symbolique des divisions de l’espace domestique. Ainsi les trois termes de la division (spatiale, fonctionnelle et symbolique) se trouvent‑ils réunis pour former un ensemble qui trouve sa cohérence au sein du mode de production domestique tel qu’on le définit parfois10. Des observations plus poussées, en suivant la voie tracée, permettraient sans doute de retrouver ce type de relation pour d’autres activités, révélées par la fouille. Des indices, en ce sens, montrent que la division typologique du matériel céramique pourrait se retrouver ailleurs sur le sol d’habitat, en particulier autour des zones de mouture. On peut s’attendre à identifier sur des récipients associés à ces zones (vases contenant la mouture), les caractéristiques typologiques liées au groupe des utilisateurs. Ces études en cours seront développées ultérieurement.

4.2.10. Conclusion

122En conclusion de cette seconde partie, une remarque essentielle s’impose. Ce que nous essayons de découvrir, à partir de la position des objets et de leur fonction supposée, ce sont des relations entre quelques individus, isolés de la communauté dans le cadre matériel de leur activité. Cette approche est simplificatrice. Les activités domestiques, les contraintes rituelles, les liens de parenté, les biens de prestige, l’importance des mythes, etc., sont autant de paramètres, difficiles à saisir par la pensée, qui s’imbriquent et se répondent les uns aux autres. Tout mode d’action intègre donc en partie ces différents aspects dont seul le contour matériel reste visible11.

4.3. Conclusion générale

123Du point de vue de la méthode proposée nous avons insisté sur les exigences nécessaires à la formulation des hypothèses :

124– les données utilisées répondent aux objectifs de l’étude (dans le cas présent les vases étudiés sont ceux qui étaient entiers au moment de la destruction du site ; les autres récipients ne sont alors pas pris en compte) ;
– les comparaisons sont réalisées entre groupes d’objets considérés comme des « individus d’association » ;
– ces comparaisons tiennent compte de plusieurs niveaux de corrélations (distributions numériques, volumétriques, fonctionnelles et morphologiques) entre plusieurs types de vestiges (macrorestes végétaux, pièces de broyage actives et dormantes, poterie) ;
– observations archéologiques et réalités ethnologiques sont rarement superposables ; aussi les paramètres à valeur universelle et transculturelle (supposant un ordre des choses) sont‑ils clairement désignés, ce que nous avons fait dans le chapitre traitant de la fonction des récipients ;
– de plus ces observations nécessitent à notre avis la confirmation de l’archéologie ; nous avons préféré écarter les observations ethnographiques qui ne pouvaient être doublées (partiellement en fait) d’observations du même ordre issues de contextes archéologiques ; ceux‑ci offrent, à cause des contraintes inhérentes à leur pratique, des informations et des méthodes plus utiles à la mise en ordre des données, même si elles se rapportent à une époque et à un milieu différent ; c’est ce que nous avons fait en nous aidant des hypothèses issues de l’étude archéologique d’autres sites (grottes des Planches et de Gonvillars).

125Nous avons considéré le secteur ouest comme un ensemble indivisible (c’est à notre sens ce que révèle l’étude de l’espace domestique) mais il est clair qu’il était en relation avec les autres parties de l’habitat. Les conclusions portant sur la céramique de ce secteur serviront à l’étude de la distribution des vases des autres unités en cours de fouille. Nous considérons en fait le seul secteur ouest comme un échantillon de l’habitat. Le type de travail qu’il reflète, le type de relations sociales qu’il suppose, constituent à notre avis une grande part de ce que nous retrouverons sur l’ensemble du site. Nous pensons ainsi tester la valeur d’une méthode d’analyse qui devra être reproduite à chaque stade de la fouille et cet aspect expérimental est l’un des plus important, à nos yeux.

126Les hypothèses que nous avons émises sont donc des directions de recherche. Nous avons tenté de montrer le pouvoir discriminant de la typologie décorative et proposé une méthode d’étude, une trame dans laquelle nous souhaitons inclure les futures observations, de manière à participer à la compréhension des relations qui existèrent entre les membres de la petite communauté de Boussargues.

4.4. Annexe

127Les valeurs des différents indicateurs (dispersion, étalement, fragmentation, conservation) sont ordonnées et présentées sous forme de tableaux. Chaque tableau représente pour le locus ou la cabane 1 ces valeurs et les vases qui leur correspondent, classés par ordre croissant.

128Les valeurs moyennes sont indiquées (moy) ainsi que les moyennes des classes supérieures et inférieures (sup et inf).

129Sous chaque paire de tableaux, sont portées les valeurs moyennes des indicateurs, selon différentes distributions (locus, avant et centre de la cabane 1, arrière de la cabane 1).

130Le dernier tableau reprend ces valeurs en donnant, pour chaque indicateur, sous forme de symboles (+, ++, ‑, ‑‑), le classement des vases par rapport aux valeurs moyennes.

131Les récipients ont été ordonnés en fonction des différentes permutations possibles. L’interprétation de ces informations est présentée dans le § 4.1.4. (p. 177 et suivantes).

Indices de dispersion

Locus 1, tableau 1

Cabane 1, tableau 2

Indices d’étalement

Locus 1, tableau 3

Cabane 1, tableau 4

Indices de fragmentation

Locus 1, tableau 5

Cabane 1, tableau 6

Degrés de conservation et de restitution

Locus 1, tableau 7

Cabane 1, tableau 8

Mise en ordre des données

Tableau 9