1Définir la garrigue à partir des seules formations végétales qui la caractérisent serait sans doute en donner une image appauvrie. C’est pourtant une approche tout à fait justifiée quand on sait les relations étroites qu’entretient le couvert végétal tant avec la nature et les formes du substrat géologique qu’avec le climat. De plus, ce couvert végétal n’a rien de naturel ; il est plutôt le résultat d’une évolution totalement marquée par l’intervention incessante de l’homme (cf. l § 3), Dans leur « Guide du Naturaliste dans le Midi de la France », H. Harant et D. Jarry en donnaient la définition suivante : « La garrigue est une formation végétale xérique, sur sol calcaire pauvre en humus et avec rocher affleurant, provenant de la dégradation anthropogène de la forêt primitive de Chênes verts » (Harant, Jarry 1982 : 5).

2En effet, l’aspect le plus marquant du paysage de garrigue est bien cette omniprésence du calcaire à la surface déchiquetée et ciselée par la dissolution et la gélifraction, aggravées par les effets d’une tectonique ancienne. Sur ce substrat, point de hautes futaies mais un fourré d’arbustes difficilement pénétrable entrecoupé de clairières caillouteuses. Seuls les bassins et vallées tranchent singulièrement avec la masse plane ou tourmentée des plateaux et collines. Ces deux mondes sont étroitement complémentaires et ont favorisé très tôt la bipartition entre les deux principaux volets de l’économie rurale : l’agriculture, d’abord céréalière puis viticole, et l’élevage ovin.

3La superficie totale de la garrigue languedocienne est évaluée à 360 000 ha. Elle occupe le bas Languedoc, des Pyrénées au Rhône et des Cévennes à la plaine (Harant, Jarry 1982). La garrigue montpelliéraine, couvre, dans cet ensemble, une surface d’environ 480 km². Elle est limitée au nord par les gorges de l’Hérault et la montagne d’Hortus et au sud par le pli de Montpellier. A l’est, la limite est fixée par le sillon du Lez, à l’ouest, par le bassin d’Aniane.

4On ne peut comprendre l’évolution des paysages de garrigue depuis les débuts de l’Holocène sans tenir compte de l’impact décisif de l’anthropisation.

5Dès le Néolithique moyen, la chênaie caducifoliée, mise en place à partir de 8000 BP, amorce un net recul au profit de la chênaie d’yeuses et de la buxaie (Vernet 1973,1981). Cette évolution se précisera jusqu’aux premiers siècles de notre ère à partir desquels la dégradation forestière ne fera que s’accentuer. Cette première rupture d’origine anthropique traduit la conquête agricole de l’arrière‑pays par les paysans néolithiques. La grande majorité des sites du Néolithique final et du Chalcolithique sur lesquels la faune a été étudiée laisse entrevoir la prépondérance des ovi‑capridés, suivis du bœuf et plus modestement du porc. L’agriculture céréalière est également bien attestée.

6Il est difficile d’évaluer l’importance relative de chacun de ces deux volets de l’économie chalcolithique. Si l’on considère l’étendue actuellement disponible des terres arables, on est amené à constater qu’elle est bien modeste eu égard à la densité de l’habitat chalcolithique. Pourtant, la lecture des photographies aériennes et l’étude du cadastre napoléonien montrent qu’il y a à peine quelques siècles, des parcelles cultivées existaient sur les plateaux aujourd’hui érodés. Les observations d’ordre géomorphologique et écologique tendent à confirmer l’importance de l’érosion des sols depuis le Chalcolithique. Cette érosion n’a pas cessé depuis lors.

7Les ressources de base des agro‑pasteurs préhistoriques le plus souvent évoquées ne doivent pas occulter les apports complémentaires de la chasse au gros et petit gibier ainsi que la cueillette de fruits sauvages et plantes comestibles. Des témoignages nombreux existent dans divers gisements. C’est le cas pour la glandée qui occupait une place notoire à Boussargues, comme l’indiquent les macrorestes végétaux et le matériel de mouture approprié. Cette recherche de ressources d’appoint est soulignée par tous les auteurs qui se sont intéressés à diverses phases de l’histoire de la garrigue. On a souligné notamment pour les xviii^e et xix^e s. l’existence de cultures de diverses espèces de salades aujourd’hui retournées à l’état sauvage.

8L’analyse pollinique de sédiments prélevés sur la rive nord de l’étang de Mauguio (Planchais 1982) révèle l’apparition de la culture du noyer et de l’olivier dès le premier âge du Fer. Mais on ne sait rien de leur place dans l’économie de la garrigue. La colonisation romaine ne semble pas avoir transformé de façon aussi radicale que dans la plaine l’agriculture de l’arrière‑pays calcaire. Peu de sites témoignent de l’impact de la colonisation. Les rares établissements découverts dans la zone des garrigues sont de petite taille et ne peuvent être comparés aux villae de la plaine.

9Il ressort de l’ensemble des études consacrées à la garrigue que l’économie agricole de la région s’est maintenue dans ses grands principes tout au long de l’Histoire (Dugrand 1964 ; Long 1973). Mais cette économie a connu toute une série d’oscillations. La longue durée agro‑pastorale a été marquée par une série de phases critiques conséquentes à l’essor ou à la récession démographiques. Le modèle cyclique a été clairement exposé par E. Le Roy Ladurie (Le Roy Ladurie 1969). Toute l’histoire économique de la garrigue s’articule autour des multiples variations successives du tryptique « silva‑saltus‑ager » (Long 1973). Les ressources fondamentales ont été depuis l’époque romaine « la culture des céréales et de l’olivier dans l’ager, l’élevage du mouton, grâce au parcours dans le saltus, à la transhumance estivale et l’exploitation de la forêt >> (Dugrand 1964 : 206).

10Les phases d’expansion démographique ont eu pour conséquence l’extension de l’ager au détriment du saltus et celle du saltus au détriment de la forêt. Les phases de régression ont vu l’abandon de l’ager reconquis par la végétation post‑culturale et la réduction du saltus reconquis par la forêt.

11Du ix^e au xiii^e s., la garrigue est intensément défrichée à partir du point fort de l’abbaye d’Aniane. Les vestiges de cette phase d’essor démographique qui entraîne la remise en valeur des terroirs abandonnés depuis le Chalcolithique sont nombreux. Manses et bastides qui mériteraient un recensement archéologique et des programmes de fouille sont aussi nombreux que les villages fontbuxiens. Du xv^e au début du xviii^e s., après une phase régressive, l’économie de subsistance se reconstitue mais elle est largement relayée par une économie de marché liée à l’essor des villes. C’est le premier développement important du vignoble. La fin du xviii^e et le début du xix^es. sont marqués par un accroissement considérable de la population et de grands défrichements. Céréales, oliviers et vignes font reculer le saltus. A la fin du xix^e et au xx^e s., activités traditionnelles et élevage sont en crise. L’émigration vers la plaine est irréversible. La forêt d’yeuses tend à regagner les landes et pelouses.

12La reconquête forestière qui aurait dû logiquement découler de chaque phase de régression ne s’est en fait réellement manifestée qu’en cette deuxième moitié du xx^e s, En effet, l’abus des cycles culturaux prolongés, l’abus des feux répétés, l’exploitation excessive du bois sont les véritables causes d’une dégradation du couvert végétal et d’un appauvrissement des sols. Le retour vers la forêt climacique, que d’aucuns prévoyaient encore il y a peu, est loin d’être général. La reconquête forestière ne concerne qu’une faible partie de l’espace rural.

13Cette deuxième moitié du xx^e s. voit s’achever sans rémission le cycle traditionnel qui avait débuté au cours du Néolithique, Les derniers bastions de l’économie de garrigue –élevage ovin et viticulture– sont en pleine crise et résistent mal à la restructuration du marché européen qui les pénalisent gravement. Une profonde mutation se produit. La garrigue devient à la fois une banlieue verte de la métropole régionale avec ses villages‑dortoirs où le citadin remplace le paysan et le lieu d’un nouvel enjeu économique, celui des grands espaces touristiques et de loisir.