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Boussargues (Argelliers, Hérault)

 | 
Albert Colomer
, 
Jacques Coularou
, 
Xavier Gutherz

Première partie. Le milieu naturel et le contexte culturel

1. Cadre et évolution géomorphologiques du site de boussargues

Martine AmbertLaboratoire de géomorphologie, Institut de géographie, université Paul Valéry, Montpellier III, route de Mende et 34000 Montpellier

Résumé

Le milieu physique est celui des garrigues de l’ouest Montpelliérais, vaste zone plissée et fracturée. Boussargues est implanté dans une zone de contact topographique entre plateau et bassin, classique dans le secteur étudié. L’évolution géomorphologique et les paysages actuels traduisent une lente dégradation des surfaces calcaires par le cycle lapiés‑clapiers. La morphologie des lapiés constituant le substratum du gisement prouve que ceux‑ci ont évolué sous couverture pédologique du moins jusqu’au Chalcolithique. La perte de sol est donc un processus majeur qui est vraisemblablement en rapport avec l’emprise de l’homme. En conséquence, on peut considérer que l’utilisation pastorale et agricole du plateau karstique de Boussargues était possible au Chalcolithique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Texte intégral

1.1. L ’environnement de Boussargues

1L’habitat ceinturé de Boussargues est situé dans la commune d’Argelliers, au sein des basses garrigues, à l’extrémité d’une lanière de plateau calcaire caillouteux, d’altitude modeste (256 m), mais dominant très abruptement à l’ouest le vallon sec du Saut des Aigles, encaissé de plus de 70 m et, au sud, le bassin de Cantagrils‑Saugras, vaste dépression subcirculaire aux sols marneux arables et plus humides.

2Il s’agit donc d’une situation de contact topographique, classique dans le secteur, opposant plateaux et bassins, répondant à un contact structural. Cette situation est riche de conséquences à la fois pour l’évolution géomorphologique et les possibilités offertes à la mise en valeur humaine.

1.2. Une situation de contact au sein des basses garrigues

1.2.1. Notion de basses garrigues

3La limite entre hautes et basses garrigues a été définie dans ce secteur par E. Coulet (1978) non sans quelques difficultés et réserves, la transition y étant ménagée. Les points retenus sont d’est en ouest, l’arête du Pic Saint‑Loup, les écailles du mas de Bouis, le rebord sud du synclinal de La Selette et au nord de Puechabon, la bordure taillée qui domine le bassin d’Aniane, du Pont du Diable à Arboras. Les arguments de l’analyse sont avant tout écologiques, en relation avec l’altitude et la continentalité croissantes vers le nord. Alors que sur les calcaires massifs jurassiques des basses garrigues, la forêt ou les taillis d’yeuses dominent, à terroir égal, le Chêne pubescent tend à s’imposer avec le Buis dans les parties plus élevées et plus septentrionales.

4Certes ce critère, traditionnellement admis, est aujourd’hui discuté, nuancé (cf. Vernet, infra I § 3) : la répartition actuelle semble largement tributaire de l’anthropisation. Mais des critères structuraux et géomorphologiques s’ajoutent à l’écologie pour accentuer l’originalité des deux milieux. Les basses garrigues présentent une architecture plus serrée (plis plus courts, accidents tectoniques plus nombreux) synonyme de fracturation très importante, particulièrement visible sur le site étudié.

1.2.2. Une situation de contact structural

1.2.2.1. Le cadre général

5L’ouest Montpelliérais (à l’ouest de la faille des Matelles) peut se schématiser (fig. 8) en deux unités tectoniques d’âge, de direction et de signification différents : –un axe ouest‑est « pyrénéen » de compression, générateur de plis fécondés dans un matériel jurassique essentiellement calcaire ; ce sont les plis de Viols‑le‑Fort/Pic Saint‑Loup au nord et le pli de Montpellier au sud de Saint‑Paul‑et‑Valmalle, mis en place à l’Eocène supérieur dans le cadre d’une vaste chaîne de montagne des Pyrénées à la Provence ;

● Fig. 8  Schéma structural de la région montpelliéraine (en partie d’après R, Dugrand,1964). 1 : série jurassique, calcaires massifs souvent coraligènes. 2 : série jurassique, faciès calcaires plus variés, en bancs plus minces. 3 : sédiments tertiaires, essentiellement éocènes et oligocènes. 4 : combes liasiques. 5 : axe anticlinal. 6 : chevauchement. 7 : failles à jeu majeur oligocène moyen. 8 : site de Boussargues.

6– entre ces deux anticlinaux susnommés, les calcaires du Jurassique supérieur sont conservés en panneaux souvent subhorizontaux ou à pendage très modéré, entrecoupés de fossés subméridiens, tels ceux de la Boissière ou Montarnaud, ayant conservé un matériel sédimentaire plus récent (calcaires lacustres et marnes du Crétacé supérieur et de l’Eocène).

7Très fréquemment les brèches syntectoniques d’âge oligocène moyen se trouvent au voisinage des failles. Ce secteur médian s’individualise donc par son organisation en horsts et fossés témoignant d’une distension de direction et d’âge cévenols.

1.2.2.2. La région de Boussargues

8Cette région se situe précisément au contact du flanc méridional du pli de Viols‑le‑Fort et du prolongement septentrional du fossé Montarnaud/Vailhauquès, matérialisé par son appendice de Saugras/Cantagrils. Ce fossé, de taille réduite par rapport à ses voisins, est cependant structuralement plus complexe. Comme le montre la coupe (fig. 9), des failles le limitent de tous côtés alors que la dissymétrie est le caractère général des autres structures de même type. C’est que la faille bordière, celle qui engendre plus au sud le fossé de Montarnaud/Vailhauquès, est un accident majeur régional que l’on peut suivre depuis le Bois de Monnier, au nord de Ferrières‑les‑Verreries/Viols‑le‑Fort, jusqu’à Bouzigues.

● Fig. 9 – Coupe du bassin de Saugras au sud‑ouest du bassin de Saint‑Martin‑de‑Londres, à travers le Causse de Viols‑le‑Fort, à hauteur du château de Cambous, d’après E. Coulet, partiellement modifié (feuille de Montpellier et de Saint‑Martin‑de‑Londres au 50 000). 1 : haute surface. 2 : surface fondamentale. 3 : retouche récente. 4 : discordance infra lutétienne. 5 : surface exhumée de l’OIigocène reprise dans la surface fondamentale.

9Cet accident qui décroche le pli de Viols‑le‑Fort, non loin de Boussargues et dénivelle, au sud, le pli de Montpellier en deux panneaux d’altitude nettement différente, semble avoir joué à plusieurs reprises, non seulement verticalement, à l’OIigocène, mais antérieurement, au moment même de la phase de plissement pyrénéo‑provençale, l’architecture du pli de Viols‑le‑Fort étant différente de part et d’autre du décrochement. Il s’agit donc d’un vieil accident qui a fonctionné lors de chaque phase de tension tectonique et dont la proximité rend compte de la fracturation très marquée du secteur de Boussargues/ Cantagrils. Le relevé sommaire des pendages dans l’enceinte de l’habitat (fig. 10) illustre ce phénomène, largement exploité par l’érosion karstique et la gélifraction.

● Fig.10 – Relevé sommaire des pendages et failles visibles sur le site de Boussargues

M. Ambert 1986

1.3. L’évolution géomorphologique et les paysages

10La pierraille déchiquetée est en effet omniprésente à la surface du plateau de Boussargues. Outre les diaclases et fractures, l’évolution géomorphologique ancienne par l’intermédiaire d’une surface d’aplanissement rend compte de cette garrigue caillouteuse. Elle en est le point de départ.

1.3.1. La surface d’aplanissement du plateau de boussargues

11Comme le montre la coupe et les travaux d’E. Coulet (Coulet 1978), cette topographie, remarquable par la constance des altitudes dans le secteur étudié autour des cotes 255‑260 m, nivelle tous les accidents, plis et failles, de la partie est du pli de Viols, à l’est de la grande faille de Montarnaud‑Vailhauquès. Ce faisant elle multiplie les affleurements des joints de stratification, points supplémentaires d’infiltration des eaux de pluie aux côtés des multiples fractures évoquées. C’est à ce titre qu’elle est capitale vis‑à‑vis de l’importance de la karstification et de la gélifraction.

12Cet aplanissement, particulièrement bien conservé dans la région de Boussargues, remonte quant à son façonnement à l’Oligo‑Miocène (Coulet 1978). Il s’intégre en effet à la surface dite fondamentale largement dominante dans le Montpelliérais, dans les compartiments affaissés des grandes failles oligocènes, alors que les horsts portent la trace d’aplanissements plus anciens (Oligocène ancien) bien visible depuis Boussargues en direction du sud‑ouest au lieu‑dit Les Espinouses et en direction du nord‑ouest sur le flanc méridional du pli de Viols (cote voisine de 300‑320 m dans ce secteur). L’excellente conservation de la forme est à mettre en relation avec la dureté et la pureté des calcaires du Jurassique supérieur, privilégiant l’infiltration au détriment du ruissellement. Non que ce dernier ait été totalement inopérant dans la région comme le montre, à l’évidence, le vallon du Saut des Aigles à l’aplomb de Boussargues. Mais précisément, ce ravin prolonge à l’amont le bassin de Saugras/Cantagrils, déblayé facilement au cours du Quaternaire à partir des strates marneuses crétacées et éocènes que la surface d’aplanissement avait portées à l’affleurement. La proximité de ce niveau de base local et ses liens avec la Mosson, l’une des principales artères régionales, expliquent la vigueur de l’encaissement ici‑vigueur qui détone par rapport aux autres vallons qui s’inscrivent sur le plateau. C’est dire par là même que le plateau n’a été que modestement et lentement dégradé depuis l’aplanissement initial.

1.3.2. La dégradation lente par le cycle lapiés‑clapiers

13Ce cycle est bien connu depuis les travaux de J. Nicod en basse Provence calcaire (Nicod 1967) et d’E. Goulet en Languedoc (Coulet 1978)

1.3.2.1. L’évolution des lapiés

14Les lapiés nus, les plus sensibles à l’œil et aux pieds, qui évoluent à l’air libre sous l’action des eaux de ruissellement pluvial, présentent systématiquement un aspect aiguisé, déchiqueté, d’autant plus important que les plans d’infiltration sont plus nombreux, la dissolution agissant alors le long de multiples cannelures. Mais, par voie de conséquence, ce modelé les rend très sensibles au gel qui les écrête, les lapiés devenant alors des clapiers ou « clapas » sur les surfaces tabulaires ou peu déclives, des éboulis de pentes. Il ne s’agit là pourtant que de la fin du cycle, comme l’a très bien démontré J. Nicod en basse Provence (fig. 11) et comme nous avons pu l’observer à plusieurs reprises en Languedoc (Causse d’Aumelas, secteur du relais des Chênes). Les lapiés aiguisés dérivent pour la plupart de lapiés couverts, ayant évolué au préalable sous une couverture pédologique à l’origine de leur aspect arrondi – la corrosion s’exerçant de façon plus lente et plus homogène sous ce « pansement humide ». Le cycle total se résume donc en trois termes (J. Nicod) : cryptolapiés — —> lapiés exhumés et ciselés > clapiers.

● Fig. 11 – Evolution fréquente des lapiés en Provence et Languedoc, de l’amont vers l’aval, a : lapiés couverts, arrondis, b : lapiés aiguisés par exportation de sols et terra rossa, c : clapiers résultant du démantèlement par le gel des lapiés aiguisés, (d’après Nicod 1967).

15Cette interaction des processus karstiques et périglaciaires a joué durant tout le Quaternaire avec des combinaisons variables : dissolution plus importante qu’à l’heure actuelle durant les phases tièdes et humides sous couverture ou à l’air libre après une phase de ruissellement, alors que la gélifraction devait prendre le pas en climat froid ‑ en particulier après une phase de ruissellement. Mais dans les conditions actuelles, en raison de la discontinuité de la couverture végétale, le phénomène perdure aussi bien en Provence qu’en Languedoc (Coulet 1978). C’est accorder à l’homme un rôle important dans la morphogenèse par l’intermédiaire de la dégradation du tapis végétal et des sols à laquelle il contribue depuis le Néolithique. En corollaire, les Fontbuxiens qui se placent somme toute au début de cette dégradation ont‑ils vécu dans ce paysage de « clapas » ? Quelques indices plaident pour le contraire.

1.3.2.2. Les témoignages de l’environnement fontbuxien

16Ces témoignages sont ténus mais variés et de signification convergente. Le décapage de la fouille a porté à l’affleurement au sud‑est de la cabane 1 un lambeau plurimétrique de lapiés arrondis typique formant une sorte de table, de couleur brune, tant le décapage est récent (fig. 12). De même, tout le long de la ceinture de murs, entre les structures 5 et 3 notamment, quelques témoins de lapiés arrondis sont visibles. Par ailleurs, l’incendie qui a entraîné l’abandon du site a laissé des traces sous forme de coloration dans la cabane 1 et le locus 1, uniquement sur les têtes de lapiaz, la base étant manifestement protégée par des sédiments. Enfin, compte tenu du site choisi, en particulier pour la ceinture occidentale et la cabane 5, construites au sommet du versant très abrupt du vallon du Saut des Aigles, il est difficile d’imaginer cette construction dans le contexte actuel. La base des murettes était sans doute enterrée à l’époque, sinon elles auraient été emportées.

17Il nous semble donc qu’une perte de sol est manifeste depuis la période d’occupation sans que l’on puisse préciser davantage le rôle de l’anthropisation néolithique. Mais a joué également le soutirage par l’intermédiaire du karst hypogée (grotte de l’enceinte et perte du vallon des Aigles), comme le montre l’affaissement du mur d’entrée du locus 1 et l’enfoncement du mobilier dans les argiles karstiques.

18Cette transformation du paysage suggère des modifications hydrologiques. La présence de sols, en favorisant l’infiltration, alimente de façon plus pondérée les sources karstiques, alors que généralement, sur karst nu, une part plus importante des eaux pluviales s’évapore. Peut‑être faut‑il donc imaginer des sources ‑ et le bassin de Cantagrils en est riche, en liaison avec des failles déterminant de multiples karsts barrés ‑ plus importantes, voire même un écoulement plus régulier dans le vallon du Saut des Aigles, dont la véritable toponymie est du reste Saut des Aigues, c’est‑à‑dire cascade. Reste à déterminer à quand remonte ce toponyme…

19En tout état de cause, sols et terra rossa étaient largement plus développés qu’à l’heure actuelle et par voie de fait, l’utilisation pastorale et même agricole était possible sur le plateau karstique de Boussargues au Chalcolithique.

● Fig. 12 – Lapiés arrondis dégagés par la fouille devant la cabane 1 

cliché Gutherz

Table des illustrations

Légende ● Fig. 8  Schéma structural de la région montpelliéraine (en partie d’après R, Dugrand,1964). 1 : série jurassique, calcaires massifs souvent coraligènes. 2 : série jurassique, faciès calcaires plus variés, en bancs plus minces. 3 : sédiments tertiaires, essentiellement éocènes et oligocènes. 4 : combes liasiques. 5 : axe anticlinal. 6 : chevauchement. 7 : failles à jeu majeur oligocène moyen. 8 : site de Boussargues.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35470/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 153k
Légende ● Fig. 9 – Coupe du bassin de Saugras au sud‑ouest du bassin de Saint‑Martin‑de‑Londres, à travers le Causse de Viols‑le‑Fort, à hauteur du château de Cambous, d’après E. Coulet, partiellement modifié (feuille de Montpellier et de Saint‑Martin‑de‑Londres au 50 000). 1 : haute surface. 2 : surface fondamentale. 3 : retouche récente. 4 : discordance infra lutétienne. 5 : surface exhumée de l’OIigocène reprise dans la surface fondamentale.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35470/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 44k
Légende ● Fig.10 – Relevé sommaire des pendages et failles visibles sur le site de Boussargues
Crédits M. Ambert 1986
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35470/img-3.jpg
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Légende ● Fig. 11 – Evolution fréquente des lapiés en Provence et Languedoc, de l’amont vers l’aval, a : lapiés couverts, arrondis, b : lapiés aiguisés par exportation de sols et terra rossa, c : clapiers résultant du démantèlement par le gel des lapiés aiguisés, (d’après Nicod 1967).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35470/img-4.jpg
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Légende ● Fig. 12 – Lapiés arrondis dégagés par la fouille devant la cabane 1 
Crédits cliché Gutherz
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35470/img-5.jpg
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© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1990

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