Genèse de l’étude

1Les fouilles programmées sur l’habitat chalcolithique de Boussargues ont commencé en 1976 après une intervention d’urgence de courte durée réalisée en 1975 (Balbure et alii 1982‑86). Les fouilles se poursuivent actuellement sous notre direction. Deux collaborateurs bénévoles, Jean Balbure et Luc Jallot ont rejoint en cours de route cette équipe de base. En outre, l’inventeur du site, Jacques Vallon, archéologue montpelliérain, fut dès l’origine associé à la direction des travaux. Son décès, au mois de février 1988, a été pour nous une perte cruellement ressentie. C’est à lui que nous dédions cet ouvrage.

2Les objectifs de cette opération ont été définis collectivement au sein de l’équipe scientifique et l’évolution des méthodes de travail y est régulièrement discutée. D’autres personnes, issues d’horizons divers, ont à titre temporaire contribué à cette recherche, non seulement en tant que fouilleurs mais aussi en participant à la réflexion archéologique et à l’étude du site. Il nous est agréable de citer tout particulièrement Marie‑Pascale Venard et Sylvain Henaff.

3Peu de temps après les premiers travaux sur le terrain, la configuration des lieux et la nature du sol nous ont permis de connaître dans ses grandes lignes la disposition de l’ensemble des structures d’habitat conservées sur le site. En effet, ces structures en pierre sèche sont recouvertes d’un manteau peu épais de cailloutis de gélifraction de formation subactuelle et actuelle. L’enlèvement manuel de ce cailloutis permet une première lecture des alignements de pierres correspondant aux parements des murs.

4Cette situation particulière, qui n’est pas une exception sur ces terrains calcaires où les sols ont disparu, présente des avantages certains. Elle facilite en premier lieu la localisation des sites, l’évaluation de leur étendue et permet de connaître dans ses grandes lignes la nature et la disposition des structures. C’est essentiellement la présence d’un mur de ceinture et de structures circulaires qui a orienté notre choix, alors que d’autres ensembles bâtis chalcolithiques appartenant‑comme Boussargues – à la culture de Fontbouisse et se trouvant dans le même secteur, auraient pu justifier une intervention de longue durée.

5Dans le cas présent, l’évaluation précise de l’étendue du gisement et de l’agencement des structures nous a permis de programmer les travaux selon un plan définissant des secteurs successifs d’intervention. Ces secteurs d’intervention correspondent à des ensembles formés de plusieurs structures juxtaposées et communicantes. Ces ensembles sont délimités sur un ou deux côtés par un ou deux tronçons du mur de ceinture qui ferme l’habitat et sur les autres côtés par des espaces libres qui les séparent les uns des autres (fig. 1 et 2).

6Nous avons pu définir trois secteurs principaux. Le secteur ouest ou ensemble 1 fait l’objet de la présente étude. Le secteur nord ou ensemble 2 est actuellement en cours de fouille. Le secteur sud, le moins lisible actuellement, fera l’objet des prochains travaux ; il sera éventuellement subdivisé en deux sous‑ensembles. Au centre de l’habitat, un espace non construit constitue le secteur centre. C’est là que s’ouvre une petite cavité naturelle. Enfin, à l’ouest, mais à l’extérieur de l’espace clos, se trouve une cabane à double abside. C’est le secteur extérieur qui sera fouillé en dernier lieu.

7Cette division de l’espace archéologique en secteurs permet d’établir un calendrier de l’opération que l’on s’efforce de respecter. Compte tenu de la longue durée d’une telle fouille programmée –plus de quinze ans à raison d’un à deux mois par an– il aurait été regrettable et sans doute non rentable au plan du bénéfice scientifique d’attendre la fin des travaux de fouille pour publier les résultats définitifs. Une attente aussi longue aurait d’ailleurs eu pour corollaire l’accumulation de données archéographiques difficilement exploitables en fin de parcours. C’est pourquoi la publication des données issues d’un secteur entièrement fouillé nous est vite apparue comme une étape incontournable. A défaut de fournir la totalité des éléments d’analyse archéologique que contient le site, les documents issus d’un secteur limité mais constituant un ensemble cohérent et fonctionnel peuvent être exploités avec profit. L’étude du secteur ouest, si elle n’apporte pas de réponses précises à toutes les questions qui se font jour, permet tout au moins de les poser clairement.

8Nous avons pu constater, à l’issue de cette première étude, que la problématique de départ avait sensiblement évolué et que des directions de recherches pertinentes pourront désormais être privilégiées. Elles permettront de mieux cerner les centres d’intérêt majeurs et de traiter secondairement ou même de laisser de côté un certain nombre de questions. Cette démarche a des répercussions sur la durée et le rythme des travaux de terrain et de laboratoire puisque nous choisirons de privilégier certains aspects de l’enregistrement des données et de l’étude analytique. Les partisans d’un enregistrement exhaustif –voire d’une « archéologie totale »– pourront être choqués par ces choix ; cela nous paraît pourtant la seule démarche possible au stade actuel de la réflexion théorique et dans les conditions présentes de l’exercice de notre discipline.

9Depuis quelques années les sciences naturelles et les disciplines archéométriques ont trouvé peu à peu leur place dans la démarche archéologique. Désormais, nul ne saurait se passer de l’apport de sciences diverses dans la réflexion collective que suscite l’étude d’un gisement. Nous avons cherché ici, en proposant à nos collègues représentant divers types d’approche une pleine participation aux travaux d’analyse et de synthèse, à tirer le meilleur parti des informations de base, dans des domaines très divers, pour alimenter et infléchir la réflexion archéologique. C’est pourquoi ces contributions trouvent leur place tout au long de ce travail plutôt que de figurer en annexe.

10Le dernier élément marquant de cette étude par rapport aux travaux déjà publiés sur l’habitat et la société chalcolithiques du midi de la France est l’importance que nous avons tenu à accorder à l’illustration. Celle‑ci est à nos yeux un mode d’expression scientifique aussi pertinent que le développement discursif, Le travail de synthèse graphique réalisé principalement par l’un d’entre nous (Jacques Coularou) après chaque campagne de fouille a été largement utilisé pour asseoir un certain nombre de démonstrations.

Historique des recherches sur le site

11L’arrière‑pays montpelliérain, domaine de la garrigue, où le substratum calcaire affleure sur de grandes étendues de collines et plateaux, a été le lieu –depuis plus d’un siècle– de nombreuses prospections et fouilles. Il y a près d’un siècle, Cazalis de Fondouce dans un ouvrage sur l’Hérault préhistorique signalait plusieurs stations et mégalithes (Cazalis de Fondouce 1900). M. Louis, en élaborant le concept de « civilisation des Pasteurs des Plateaux » faisait largement référence aux sites chalcolithiques de l’arrière‑pays (Louis 1948, 1952). Mais ce fut J. Arnal qui, après de nombreuses prospections et quelques fouilles, allait dresser, dans une série d’articles et dans son ouvrage de synthèse sur les dolmens de l’Hérault (Arnal 1963), un inventaire des stations chalcolithiques de la garrigue montpelliéraine et figurer les premiers plans de maisons absidiales fontbuxiennes. Avec la découverte puis la fouille de l’enceinte en pierre sèche du Lébous (Arnal 1973a et b) (fig. 3), il apporta des éléments originaux pour la connaissance de l’architecture de l’extrême fin du Néolithique. Le Lébous est resté longtemps le seul exemple connu d’habitat fontbuxien ceinturé avant la découverte de Boussargues, suivie elle‑même, en 1985, de celle de deux autres ensembles comparables sur le causse de l’Hortus. Les recherches de J. Audibert firent connaître dans les années 60 les villages fontbuxiens des Tourelles et du Travers à Vailhauquès (Hérault), très partiellement explorés (Audibert 1956b).

12Parallèlement à ces travaux les recherches patientes et discrètes du groupe archéologique des Chênes Verts et plus particulièrement celles de J. Vallon allaient considérablement enrichir la liste des habitats à maisons de pierre sèche de la garrigue montpelliéraine (Vallon 1968). Le repérage des habitats et des tombes fut facilité dans les années 40 et 50 par les déboisements importants que subit alors la chênaie locale. Bien des sites, aujourd’hui enfouis sous un épais sous‑bois, difficilement pénétrable, étaient alors très visibles, tant la végétation était rase et clairsemée.

13Aujourd’hui encore, cette région reste un fantastique conservatoire de vestiges préhistoriques, les travaux agricoles ayant de tout temps épargné de très vastes étendues caillouteuses vouées à l’élevage ovin et à l’exploitation du bois. C’est dans ce contexte que J. Vallon parcourut inlassablement, pendant plus de trente ans, la région de Viols‑le‑Fort et repéra de nombreux sites : grottes sépulcrales, dolmens, tombes ovales, tumulus et villages chalcolithiques ou médiévaux. Il faudrait ajouter à cela les innombrables fours à chaux, verreries, charbonnières, enclos divers qui sont autant de témoins, encore trop négligés par les archéologues, de l’occupation intense de la garrigue au cours des siècles de notre ère. En 1964, alors qu’il prospectait le secteur de Cantagrils, aux confins des communes d’Argelliers et Viols‑le‑Fort, l’attention de J. Vallon fut attirée par un ensemble de dalles formant un mur en arc de cercle. Il fit alors le rapprochement avec les structures circulaires du Lébous, distant d’une quinzaine de kilomètres.

14Cette intuition se révéla exacte lorsqu’en 1975 il nous conduisit sur les lieux de la découverte et que nous décidions d’entreprendre une fouille de sauvetage. En effet le gisement se révéla très vite digne d’intérêt et l’enceinte fut rapidement décelée, L’urgence des travaux était dictée par un projet d’extension sur cette zone d’un village de vacances dont les premières tranches étaient déjà achevées dans la dépression voisine, autour de l’ancienne ferme de Cantagrils. Le projet immobilier fut abandonné l’année suivante, ce qui nous permit d’entreprendre une opération programmée. Répondant favorablement à notre demande, la société anonyme belge, propriétaire du domaine, accepta par la suite de céder le terrain pour le franc symbolique au Département de l’Hérault. Les négociations assez longues furent conduites d’un bout à l’autre par l’Agence foncière du Département de l’Hérault qui put finalement réaliser l’acquisition en 1986.

15Dès les premiers travaux nous avons pu préciser l’appartenance culturelle et chronologique des structures en pierre sèche grâce aux céramiques découvertes dans la première structure ronde fouillée. C’est cette structure qui fit l’objet des premières campagnes de fouilles en 1975 et 1976. Elle fut appelée structure 1. Le dégagement des cailloutis de surface et le débroussaillage sur l’ensemble du site nous révélèrent alors l’existence d’une enceinte en pierre sèche polygonale flanquée de plusieurs constructions circulaires édifiées dans les angles. Le plan général fut peu à peu précisé. Rapidement il devint clair que nous avions affaire à un habitat ceinturé contemporain du Lébous et lui ressemblant par bien des aspects.

16A partir de 1976 eut lieu chaque année une campagne de fouilles programmées (de un mois à un mois et demi selon les années). Ces campagnes de fouille se poursuivront jusqu’à l’exploration intégrale du gisement qui occupe 860 m². Nous prévoyons la fin des opérations de terrain pour 1993.

17Ce premier volume inaugure une série consacrée au site de Boussargues. Il concerne le secteur ouest, ou ensemble 1, qui comprend trois unités d’habitation. Mais il était nécessaire de commencer ce travail par une présentation générale du contexte géographique et archéologique. La première partie de l’ouvrage tiendra donc lieu d’introduction générale à l’étude du site.