Les peintures postglaciaires en Provence
|7. Contexte artistique et sémantique
Texte intégral
7.1. Introduction
1Nous avons tenté de tirer des seules peintures provençales, placées sur leur support et parfois accompagnées d’un mobilier, toutes les conclusions possibles. Nous n’avons pas voulu prendre pour point de départ le fait qu’il existe en Espagne et dans le Midi de la France des dizaines de sites ornés de peintures apparemment identiques. Il est trop facile de faire franchir des centaines de kilomètres à un signe et de lui attribuer le même sens qu’à un autre sans chercher par le raisonnement les preuves d’une signification commune. Les comparaisons iconographiques ne valent que si elles permettent, en même temps que des éclaircissements, des vérifications ou des considérations analogues. Il est toujours possible de trouver des ressemblances à travers l’espace aussi bien que dans le temps, pour des signes d’une extrême banalité d’exécution comme les croix, les cercles, les points... Privés de contexte, on ne peut leur attribuer d’emblée une signification analogue.
2De même, nous aurions pu, dans le cas de l’idole notamment, appuyer nos propositions sur le fait que cette figure est par ailleurs courante dans la sculpture et la gravure contemporaines. Des synthèses sur ce sujet publiées récemment (Arnal 1976 ; D’Anna 1977) auraient pu nous donner une abondante documentation. Mais l’importance de la fissure dans l’art peint, par exemple, s’en serait trouvée minimisée. Nous reprochons justement à certains auteurs, notamment H. Breuil (1933‑35) et A. Glory (1948), la rapidité avec laquelle ils interprètent des figures anonymes ou évoquent facilement des éléments de comparaison si éloignés qu’on peut se demander s’ils sont crédibles. Beaucoup d’auteurs n’exposent pas les étapes d’un processus d’abstraction alors qu’ils admettent qu’il s’agit d’un art schématique.
3La dernière lacune est enfin l’absence de recherche des caractéristiques régionales. Ces caractéristiques sont observées dans le mobilier. Le matériel individualise des groupes humains. On peut donc interroger l’art peint, même s’il dérive d’une pensée générale, pour savoir s’il connaît des divisions liées à la géographie – donc aux hommes ‑ et constater ou non l’existence d’un groupe provençal, voire de groupes à l’intérieur de la Provence.
- 1 On conçoit comme gravure les signes sur les parois de grottes et sur les rochers en plein air alors (...)
4Il faut ensuite prendre en compte le fait qu’à l’art peint reste associé un art gravé et sculpté. Cette différence pourrait s’expliquer par la préférence d’un groupe humain pour l’une ou l’autre formule. Cette hypothèse demande vérification. En tout cas, la comparaison des figures va devoir se préoccuper de la nature du support. En effet, la gravure réalisée, comme la peinture, sur une surface large est techniquement plus difficile et plus longue dans son exécution ; on grave par incision large et profonde. La sculpture est faite sur un support déplaçable mais les diverses figures sont bien sûr confinées sur un espace restreint. Dans les arts gravés et sculptés, la simplification apparaît plus systématiques (signes très épurés). Dans l’art sculpté, les associations ne sont peut‑être pas aussi évidentes qu’avec les figures peintes1.
5Or c’est en termes d’associations que nous envisageons de faire des comparaisons. Nous n’avons pu interpréter les peintures que par ce procédé. L’étude des associations est de surcroît le seul moyen de savoir s’il y a cohérence dans l’art schématique, peint, gravé ou sculpté.
6La confrontation des figures peintes provençales et des autres sujets de l’art schématique se heurte bien sûr à la réalité des restitutions. Dans le domaine des peintures notamment, bien des relevés anciens sont approximatifs (relevés à vue) et subjectifs (l’accent est parfois mis sur une figure). La localisation des figures n’est pas toujours donnée avec précision.
7Dans un certain nombre de cas, nous sommes arrivé par le raisonnement aux mêmes conclusions que A. Glory (1948) et ceux des chercheurs qui se sont penchés sur les problèmes posés par l’art schématique, en Provence du moins. Parfois leurs interprétations divergent totalement des nôtres ou bien sont exprimées alors que nous‑même, dans le doute, nous nous refusons à le faire.
8Nous nous proposons de passer assez rapidement sur les figures simples et sans difficulté d’interprétation (hommes, animaux et objets) puis sur les signes complexes ne permettant pas de réelle analyse comparative pour finir sur l’essentiel de l’art schématique qui gravite autour de l’idole.
7.2. Topographie des peintures
9La situation générale ou particulière des peintures n’est presque jamais étudiée par les auteurs. Au contraire, on admet presque systématiquement que les peintures se trouvent au plus sombre des cavités. Nous sommes assuré du contraire. Les cavités choisies sont les plus petites et les peintures se trouvent à l’entrée des grottes, et placées en évidence. Le choix des fissures n’est pas une volonté de cacher des figures mais, au contraire, de les associer, la fissure elle‑même faisant partie intégrante de l’association. Seul le réseau supérieur de la grotte de l’Eglise possède un ensemble de figures dans les galeries reculées mais le matériel découvert dans certaines fosses de cette grotte et sous les peintures pourrait être des dépôts cultuels.
10Les sites ornés de la péninsule Ibérique sont très souvent des abris. Ils se présentent comme l’abri des Eissartènes, ornés comme lui de la même exubérance de figures, avec des signes de plusieurs teintes et de nombreuses superpositions. Aux Eissartènes, le site peint a justement cet aspect de « point privilégié », dominant, que l’on prête aux abris ibériques, sans association stricte avec un habitat ou une structure funéraire, sans même ces quelques objets qu’on trouve parfois sous une peinture et que l’on qualifie de dépôt.
11Il est rarement fait mention par les auteurs précédents d’un choix de la roche à cause de sa teinte orangée, encore moins d’une préparation préalable du support. Il existe des supports orangés en Espagne (Canchal de las Cabras Pintadas, par exemple) mais on ne sait jamais s’il y a eu choix de ce support comme on le remarque pour les peintures de basse et moyenne Provence.
12L’usage d’une grotte, celui d’une fissure, ne sont pas évoqués jusqu’ici. Cette dernière semble une particularité provençale. Les descriptions ne sont pas absentes (on sait qu’il faut de nos jours une échelle pour atteindre certaines grottes espagnoles, qu’il a fallu un échafaudage pour peindre certains signes en hauteur ; Breuil 1933‑35) mais ce sont les interprétations qui nous manquent ; ces localisations en font‑elles des figures cachées ?
13Les peintures d’autres grottes françaises sont parfois situées loin de l’entrée ; à quelques dizaines de mètres de l’entrée et en zone obscure pour la grotte du Loup en Ardèche, avec une distinction des parois droite et gauche (Bellin 1964), assez loin de l’entrée et dans l’obscurité à la grotte Resplandy dans l’Hérault (Rodriguez 1968), à 56 m de l’entrée pour la grotte de la Garasse dans l’Ariège (Glory et alii 1948). La peinture principale est éloignée de l’entrée de 30 m à la grotte Lhermite dans l’Ariège et cependant le soleil couchant frappe ce panneau, observe A. Glory (1948). Les autres figures de la grotte sontpeintes dans les couloirs plus profonds et dans l’obscurité. Il faudrait de plus amples renseignements sur leur localisation pour mieux apprécier le choix de la paroi dans les autres grottes du Languedoc‑Roussillon. La grotte Gilles en Ardèche (Gilles, Louis 1949) nous rappelle les grottes varoises car les personnages sont localisés sur les parois d’un abri sous roche peu profond et haut, auquel fait suite une petite galerie. Joue‑t‑elle le rôle d’une fissure ? La répétition d’un personnage et de points n’a pas d’équivalent dans les sites que nous avons étudiés.
- 2 On ne parle ici que de la Provence où voisinent diverses sortes de roches en sachant que dans le Sa (...)
14Les grottes Lhermite et Resplandy ont servi de lieux sépulcraux avec la possibilité d’un dépôt dans la seconde (?) : un vase qui ne serait pas sans analogie avec une écuelle trouvée dans le réseau supérieur de la grotte de l’Eglise. La nature de la roche n’a pas fait l’objet d’observations jusqu’à maintenant. Il s’agit de calcaire, matériau local par excellence, dans la majorité des cas. Toutefois le schiste et le grès sont aussi des supports recherchés. Ce sont des roches surtout faciles à graver (rochers de Branous dans le Gard [Lorblanchet 1967], Roc des Escalous et rochers de Lavelanet [Glory 1948]) mais on s’étonne qu’ils aient pu être choisis pour la peinture (abris de la Toulousane et Georgeot dans les grès instables de Sainte‑Anne d’Evenos) puisque d’autres supports existaient2. Il est vrai que dans les deux cas les Chalcolithiques ont gravé des signes au pied des peintures. Il ont donc réalisé un choix de matériau pour le support. On retrouve ce choix dans les figures gravées sur plaquettes de schiste.
7.3. Iconographie
7.3.1. Hommes et animaux
15Les figures réalistes, ou qui se veulent telles, de personnages, d’animaux ou d’objets n’ont pas présentépour les auteurs précédents des difficultés d’interprétation. Les personnages masculins ou féminins ont toujours été identifiés comme tels. L’unique divergence avec nos propos est parfois la détermination du sexe. Ainsi à l’abri de la Toulousane, nous n’observons pas comme A. Glory (1948) une distinction entre les personnages peints à droite et à gauche du panneau. Nous n’y voyons que des personnages masculins au nombre de sept.
16La distinction entre le personnage et le signe anthropomorphe n’est par contre pas évoquée par les auteurs précédents. Plutôt que de parler d’un processus de simplification ou de schématisation permettant de passer de l’un à l’autre, A. Glory présente, à l’instar de H. Breuil, des corpus de signes masculins ou féminins. Ces signes sont donc considérés comme des variantes locales plus que comme les étapes d’un processus transformant des figures réelles en symboles.
17Le réalisme n’est pas absent de l’art schématique, même si nos interprétations divergent des conclusions antérieures. Ainsi A. Glory (1948) ne met pas l’accent sur le mouvement simultané des trois personnages de la grotte Dalger mais voit un danseur cambrant le torse dans le personnage situé le plus bas. On ne peut pas non plus attester, l’existence d’un « guerrier » portant un « bouclier » dans la figure de droite du gias aux Peintures tant la tache est imprécise (Bernardini 1977).
18La « chasse au renard » de la grotte Chuchy est assurément une scène dynamique où figurent deux humains et quatre animaux. L’identification de renards, de « goupils » ajoute P. Bellin (1960) est plus contestable. Où sont ces renards morts ? Enfin, la présence de pierres sphériques dans de nombreux gisements, et ce du Paléolithique ancien à la période médiévale, ne nous autorise pas ày voir systématiquement des pierres de fronde. C’est même l’interprétation contraire qui a été proposée pour les « billes » chasséennes (Courtin 1961). La comparaison entre l’objet du personnage de gauche et la fronde reste donc hypothétique même si cela n’enlève rien à l’interprétation générale du tableau.
19En matière de comparaison, les auteurs pensent immédiatement à la célèbre chasse au cervidé de Cogul (Lerida). Il en existe d’autres (Tajos de la Figuras, Casas Viejas à Cadix, Canchal de las Cabras Pintadas à Salamanque, etc.). Il n’existe même apparemment que des chasses au cerf dans la péninsule Ibérique ce qui prouve l’insistance du thème. En Provence, ce thème de la chasse exprimé par trois fois par la peinture serait gravé sur un rocher isolé à Hyères (Pranishnikoff 1909).
20Un animal identifié comme un bouquetin est gravé sur une paroi de la grotte de la Béate du Destel. Il semble que l’on ait ici la courbe dorsale d’un capridé aux cornes projetées vers l’avant. Son œil est marqué par une tache sombre sur la roche. Les éléments cités pour cette gravure peuvent appartenir à l’art paléolithique. Nous n’avons cependant aucune trace du Paléolithique supérieur dans la même région sauf quelques éléments mobiliers aurignaciens à Sainte‑Anne d’Evenos (4 km au nord du Destel). Nous aurions là une manifestation artistique extrêmement isolée et pourtant A. Glory (1948) pensait que cette gravure était antérieure aux peintures de la même grotte.
21Cependant, au Vallon des Vaux dans le Valais (Suisse) (Bocksberger 1971), des scènes de chasse représentent des animaux gravés dont la courbe dorsale rappelle celle du capridé de la grotte de la Béate du Destel. Ces gravures sont datées du Néolithique moyen. Elles sont associées à des gravures de « soleils ». Nous n’avons pas de preuve véritable d’une similitude avec les gravures et les peintures et nous ne citons pas ces gravures suisses dans ce but, mais l’existence au Néolithique d’un style animalier non schématique nous empêche d’assimiler au Paléolithique supérieur toutes les gravures qui s’intégrent mal au style schématique.
22Quelques personnages sont appelés « sorciers », à la grotte Chelo (Glory 1948) et à la grotte de l’Eglise (Courtin 1960). Le premier l’est à cause de sa ressemblance avec un personnage de la vallée des Merveilles dit « le sorcier » ; le second n’est que cité par l’auteur. Nous restons prudent sur cette assimilation qui d’emblée oriente le caractère de l’art schématique.
23A. Glory cite l’existence de trois mains dans les peinture provençales, l’une à la grotte Chelo et que nous avons identifiée comme telle, une autre à la grotte Dalger (figure n° 7) et une dernière en arrière du panneau A de la grotte Chuchy. Aucune n’est vraiment évidente. Une main isolée existe sur les parois d’un abri de la Sierra de Hornachos en Espagne (Breuil 1933‑35). Six mains positives ont été trouvées à la grotte du Loup en Ardèche (Bellin 1964). Elles rappellent justement une schématisation de l’objet réaliste puisque glissées et réduites à cinq traits. L’auteur n’est pas sûr de la contemporanéité de ces « mains » et des autres figures. Une comparaison par l’analyse des pigments aurait été profitable. Une analogie des proportions dans la préparation de ceux‑ci aurait peut‑être tranché le dilemme.
24Un fait plus intéressant est l’association des mains et des croix. Sans pouvoir en tirer un parti excessif, nous rappelons la présence d’une main (selon Glory 1948) à droite du panneau A de la grotte Chuchy. Cette main n’est pas strictement intégrée au panneau ; s’agit‑il du rajout d’un élément majeur pour une association dont le sens nous échappe ?
7.3.2. Les signes
25Les signes anthropomorphes aux membres multiples n’ont posé aucun problème d’identification aux chercheurs précédents. Seules les figures du mamelon Georgeot ont intrigué A. Glory (1948) parce qu’elles apparaissent rarement sous les mêmes traits en Espagne. L’existence de signes anthropomorphes à bras multiples est pourtant fréquente. La grotte dite Canchal del Zarzalon n° 2 présente une série de figures anthropomorphes où l’on compte jusqu’à onze paires de bras incurvés vers le bas. Les bras des figures anthropomorphes dans les abris de la Barranco de la Cueva (Aldraquemada), de la Piedra Escrita de Fuencaliente (Ciudad Real) et sur le dolmen de la Côta (Beira Alta) (Breuil 1933‑35) sont également tournés vers le bas. Par contre, on observe un signe anthropomorphe aux bras levés à l’abri des Eissartènes (figure n° 8) sans justification de cette position. Il est intéressant de noter l’association répétée de figures solaires avec ces anthropomorphes, notamment au Canchal del Zarzalon. On peut se demander s’il n’y a pas analogie avec le « soleil anthropomorphisé » de la fissure terminale de la grotte Neukirch ; ce dernier pourrait être la contraction de deux figures. Il n’est pas vraiment question à notre avis d’anthropomorphiser un soleil – ou de transformer un anthropomorphe en soleil – mais plutôt d’associer dans un endroit incommode les deux signes. L’association du soleil et des signes anthropomorphes se retrouve dans l’art gravé. Au Rec del Bosc (Nages, Tarn), l’un des rochers porte un soleil à huit rayons autour duquel s’ordonnent neuf croix (signes féminins). Cependant une série de figures peu identifiables entoure cette composition centrale et il est impensable d’interpréter une partie pour le tout. Les auteurs (Guiraud, Giry 1972) mentionnent aussi une série de pierres à cupules autour du site.
26Quant à penser que la position des membres, vers le haut ou le bas, ait une signification réaliste (A. Glory parle d’orants aux abris Georgeot), c’est oublier que la multiplicité des bras ne fait de ces signes que les symboles d’un sexe. C’est oublier aussi l’exemple des deux signes anthropomorphes de la paroi gauche de la grotte Chelo ; le premier a les bras tournés vers le haut, le second vers le bas, bien que tous deux soient associés et contemporains.
27La figure centrale en forme de méandre de l’abri Georgeot n° 1, au sujet de laquelle nous n’avons donné aucune interprétation, a été définie par A. Glory (1948) comme un « collier à rangs multiples » et à pendeloques qui symboliserait l’idole. Cette figure est présentée de biais. Elle était endommagée au moment du relevé. L’idole est en effet souvent porteuse d’un collier et son association avec des signes masculins, exposée précédemment, est fréquente. Mais une telle schématisation ne gardant de cette figure de première importance qu’un seul attribut, son collier, ne se retrouve que dans les figures pariétales des allées couvertes et hypogées du Bassin parisien. Le même collier, soigneusement représenté, est peint sur les parois de l’abri des Eissartènes, sans association directe avec un signe anthropomorphe mais dans le même panneau tout de même que des signes exclusivement masculins. L’analogie est donc frappante. Elle gagnerait à être vérifiée par une iconographie plus locale. Elle pourrait avoir un lien avec les objets de parure trouvés au Chalcolithique généralement en contexte funéraire.
28Les autres signes tels que cercles et grilles, peints dans les grottes et dont nous‑même n’avons pas tiré de conclusions, n’ont pas été interprétés avec plus de facilité par les auteurs précédents. Ces signes sont simples. Ils peuvent évoquer beaucoup de choses. Hormis la Provence, les cercles peints ou pointés existent à la grotte Lhermite (Ariège) et à celle du Peyort (Ariège). « Ce sont peut‑être une tombe, une maison, un soleil » dit R. Gérard après H. Breuil (1946‑47) à propos de la figure n° 1 de la grotte Dalger. Dans cette même grotte, les deux figures qui procèdent du cercle (figures nos 2 et 3) sont dites « variations de l’homme en phi » par R. Gérard. A. Glory (1948) voit une représentation acéphale féminine dans la figure ovale (figure n° 2) et un personnage masculin à bras ansés, muni d’un bâton à tête bifide (figure n° 3). Il s’agit probablement de deux signes associés ou du moins juxtaposés sans qu’ils se contredisent ; ils sont proches l’un de l’autre et dessinés du même trait, avec le même pigment. Il est possible de supposer que ces figures sont des schématisations de signes anthropomorphes uniquement parce que ce genre de signes est courant dans l’art schématique et le thème presque systématiquement peint. Le processus qui a permis d’aboutir à de telles figures nous échappe. Les comparaisons de A. Glory avec des figures ibériques ne sont pas fondées à notre avis : il associe en effet des signes différents.
29Les signes dont le contour est fait de ponctuations sont fréquents en Espagne (Sierra Morena, Aldeaquemada, par exemple) (Breuil 1933‑35) et même en France (trou de la Feclaz, Savoie, par exemple) (Ayroles, Porte 1972), et certaines figures du panneau C de l’abri des Eissartènes leur ressemblent, notamment un signe ovale (figure n° 14). Nous avons parlé avec beaucoup de réserves de « collier » mais il est possible aussi que la ponctuation ne soit qu’une autre façon de figurer un contour et qu’elle n’ait aucun sens particulier.
30Enfin la bordure rouge (rouge sang ! dit A. Glory, 1948) d’une cavité naturelle du plafond de la grotte Chelo (figure n° 4) est pour cet auteur l’évocation d’une vulve. Il n’existe pas de similitude. L’explication ne repose que sur le sentiment d’une répétition dans la même grotte de la figure n° 2. Cette bordure rouge permet d’évoquer le choix, presque la recherche des jeux de la roche, qui n’est pas courante dans les autres régions du Midi méditerranéen ou n’est pas perçue ainsi par les chercheurs. Il faut aussi se garder d’une signification systématiquement sexuelle chaque fois qu’apparaît un signe de telle ou telle forme. Le cercle aide à la représentation d’un signe anthropomorphe féminin mais, isolé, il nous apparaît avec une multitude de sens possibles. Le cercle oculé par exemple, est‑il un signe entier ou l’association du cercle et du point ? A. Glory (1948) en a parfois parlé comme d’un symbole solaire. Les peintures ibériques laissent supposer qu’il s’agit parfois d’yeux. Il nous manque donc les associations de ces signes avec d’autres pour conclure.
31Les grille peintes dans l’art schématique provençal ne sont pas interprétables avec certitude. Signes scalariformes et grilles existent dans la péninsule Ibérique et sont même associés sur la roche de la Palla Rubia (Perena, Salamanque) (Breuil 1933‑35) mais dans des panneaux aux figures différentes. H. Breuil prend le premier signe au premier degré, celui d’échelle ou de barrière, l’ensemble de ces signes au second, celui de structures. Un panneau au Curral das Letras (Cachao da Rappa, Bragança) montre une série de grilles proches par leur diversité des grilles orange de l’abri des Eissartènes. Toutes les possibilités de divisions internes sont permises. Une association manque pourtant, celle des points, ce qui fait qu’en dépit d’un essai d’alignement, les grilles du Curral das Letras ne sont pas reliées entre elles. En revanche, on note une analogie entre certaines grilles orange enfermant des points alignés à l’abri des Eissartènes et au trou de la Feclaz, Savoie (Ayroles, Porte 1972).
32L’idée de structure, de plan, s’accorde mieux dans la relation « animal et grille »» dessinés dans le réseau moyen de la grotte de l’Eglise. L’animal est représenté de profil et associé à une structure en vue aérienne. Pour cet exemple, nous ne trouvons aucun élément de comparaison dans l’art schématique.
7.3.3. La figure « anthropomorphe »
33L’idole que nous avons observée dans les grottes Dalger, Dumas, des Cabro et Chuchy, et que nous avons interprétée comme telle dans les signes en forme de fer à cheval de la grotte Alain et en forme d’accent de‑ l’abri Dalger n° 3 et du trou Nicole, a été perçue ainsi par A. Glory (1948). Mais ce sont les associations avec cette figure qui n’ont pas été démontrées.
- 3 Pour les statues du Rouergue, le rapport « dimension tête‑ceinture/dimension tête‑pied » est compri (...)
34Les idoles des grottes Dumas et Cabro ont été comparées avec les dalles et stèles du Languedoc oriental et surtout avec les exemplaires de Collorgues. Elles nous semblent plutôt analogues à la face antérieure des statues‑menhirs que A. D’Anna (1977), après d’autres chercheurs, localise dans le Rouergue (sud de l’Aveyron, est du Tarn et nord‑ouest de l’Hérault). La présence de la ceinture, du collier, la représentation des pieds, les rapports dimensionnels3 apparentent les deux idoles peintes aux statues‑menhirs des rives de la Rance, du Dourdou et de l’Agout. Il faudrait aux peintures la représentation du T facial ou du bloc nez‑sourcils, des bras et des mains, et en revanche pas celle des pieds, ni de la ceinture pour s’apparenter aux stèles languedociennes. Le nez est rare dans les stèles du Rouergue et n’est visible que dans les cas où la statue est très complète. Il semble entendu que la peinture donne des facilités de représentation et qu’on peut s’attendre à voir figurer le nez pour l’idole de la grotte Dumas. Le collier est rare sur les dalles et stèles du Languedoc oriental ; au contraire il est très évident sur les deux idoles peintes avec plusieurs rangs de perles d’après notre relevé de la figure des Cabro.
35On peut admettre l’analogie plus nette avec l’idole gravée et peinte de Peña Tù (Asturies) dont le visage et certains détails du corps comme les « pieds ballants », la forme générale et les proportions, font penser à l’idole de la grotte Dumas (pl. L, F). La figure de Peña Tù et celle de la grotte Dumas ont donc les pieds ballants. D’autre part, cette dernière, comme l’accent de l’abri Dalger n° 3, épousent la forme de la paroi ; les peintures entretiennent avec leur support la même relation que de nombreuses stèles rouergates qui sont plus des reliefs que des sculptures, le personnage étant gravé sur un support, la stèle.
36L’idole de la grotte Chuchy est d’un caractère moins net. Elle n’a ni collier, ni pieds, juste une ceinture. Elle n’a pas ce bloc frontal en T qui caractérise des idoles du Languedoc. Elle est par contre accompagnée d’une hache dont l’extrémité supérieure du manche dépasse la lame comme les trois exemplaires pourvus de cet attribut dans le Rouergue. Cette figure a la tête bien dégagée des petites idoles sur plaquettes de schiste que l’on trouve dans les sites sépulcraux du Portugal et du sud de l’Espagne. Elle a encore un homologue à Villa Perosa dans le Piémont (Italie) : une figure gravée avec deux yeux et un nez, au milieu d’autres rochers ornés de croix aux multiples variantes. L’association idole/croix est donc présente dans le Piémont comme à la grotte Chuchy.
37S’il est démontré que ce que nous avons appelé « idole » correspond au personnage anthropomorphe des stèles et statues‑menhirs, il reste maintenant à rechercher la présence des signes qui lui sont associés dans l’art peint. Le panneau A de la grotte Chuchy reste l’exemple le plus important avec l’association idole/croix/point/trait/ soleil/hache. Nous n’avons pas les mêmes associations pour les autres idoles peintes, à part celles des points et du signe masculin (trait) trop constantes pour n’être pas volontaires.
38Les deux idoles venaissines du Rocher des Doms et de l’Isle‑sur‑Sorgue apportent une contribution à notre étude. Elles sont d’une parenté très nette ; même rapport dans les dimensions (l/L = 2/3), même forme en borne kilométrique disent S. Gagnière et J. Granier (1963), même mise en évidence du visage par les contours, le nez et le yeux, même volonté d’y creuser des cupules qui n’existent que chez ces sujets. Ces stèles offrent l’exemple d’une simplification vers le fer à cheval déjà présente dans l’art pictural. Les cupules ne sont pas ordonnées, Deux d’entre elles sur la stèle du Rocher des Doms sont reliées par un trait gravé. Les auteurs voient dans ce trait une action volontaire d’ôter de la matière pour que le possesseur puisse acquérir les vertus de l’idole. Nous repoussons cette hypothèse car elle n’est pas étayée.
39Le rocher de Notre‑Dame du Plan à La Cadière (Var) présente lui aussi deux exemples de deux cupules reliées entre elles par un sillon et un ensemble de treize cupules sous la représentation gravée d’une stèle. Les cupules reliées sont à côté de l’idole. La situation de ce rocher est importante. A 2 km du mamelon Georgeot, il se dresse au début du même vallon à un endroit où il n’y a plus ni grotte, ni mamelon, ni abri. Lorsque l’on connaît larépartition plutôt lâche des sites peints de la région d’Ollioules, cette série de gravures présente un lien évident avec le groupe. Les cupules ont‑elles la même valeur que les points ? L’association idole/cupule se répète trop souvent pour que l’on y voit un fait dû au hasard ; le problème de la signification des uns et des autres n’en est pas résolu pour autant.
- 4 La tradition en a souvent fait des sabots d’équidés, la marque des mêmes êtres exceptionnels (demi‑ (...)
40Toujours associée à des cupules et cette fois plus simplifiée encore que sur le rocher de la Cadière (quartier de Fontanieu), une idole était représentée sur une roche à Fontaine‑l’Evêque, engloutie en 1965 par la mise en eau du barrage (Gattefossé 1930‑31) : il s’agit d’un signe en fer à cheval4 avec vingt et une cupules (vingt petites et une plus grande au centre). Cette stèle devenue fer à cheval existe encore à Altier (Lozère) (deux fers à cheval et deux cupules), à Saint‑Martin‑de‑Marsal (Tarn) (sept fers à cheval dont six associés deux par deux et trois cupules), à Montauban‑de‑Luchon (Haute‑Garonne) (deux fers à cheval et treize cupules) (Soutou 1956), etc.
41Alors que l’idole pourvue de ses nombreux attributs est reproduite en exemplaire unique dans les peintures, l’idole sous sa forme de fer à cheval peut être peinte ou gravée en plusieurs exemplaires sur le même support. On peut se demander si cette répétition du motif n’est pas la cause d’une double gravure de l’idole sur les deux faces de la stèle de l’Isle‑sur‑Sorgue. On voit clairement dans cette multiplication de la même figure le rapport étroit entre peinture et gravure au terme du processus de simplification.
42Les « idoles » en forme de fer à cheval gravées nous intéressent particulièrement par les signes qui leur sont associés, la croix et le trait. Le cas est fréquent dans la région d’Arles et de Fontvieille (Bouches‑du‑Rhône) où l’on a tour à tour le fer à cheval barré d’un trait, le fer à cheval barré d’un trait et surmonté d’une croix, le fer à cheval barré d’un trait et associé à une cupule, le fer à cheval barré d’un trait et associé à deux traits. Quatre fers à cheval accompagnent une croix à La champ‑de‑Creys‑seilles (Ardèche) (pl. XLVII, C) et deux fers à cheval sont barrés d’un trait à Mercuer (Bellin 1959 et 1960), etc. On peut multiplier les exemples tant ils sont abondants.
43La croix est bien associée au fer à cheval ; elle l’accompagne sans qu’il y ait équivoque. Le trait demande une analyse plus serrée car, placé sous la figure, il évoquerait le nez de l’idole. Cette hypothèse a été proposée mais il n’est pas évident que l’on ait réduit la stèle au visage, puis que l’on ait symbolisé ce visage au moyen du nez. L’abstraction est passée de la stèle au symbole, la forme du support étant prédominante. Nous avons nombre de fers à cheval sans trait. Pourtant la représentation du nez semble importante pour toutes les stèles anthropomorphes autres que rouergates, notamment en Provence. Il nous semble qu’on ne doit pas confondre cette juxtaposition de deux signes, l’un cernant l’autre, avec le signe anguleux que l’on a sur le menhir de Congéniès (Gard), ou avec les deux T nettement visibles à la grotte Resplandy (Hérault) et les nombreux T faciaux, peints sur les parois des abris ibériques (Callejen del Reboso del Chorillo, Almaden ; Cueva de los Argos, Aldeaquemada ; Penon del Aguila, Collado del Aguila) ou dans les dolmens portugais (Breuil 1933‑35) (pl. XLVIII). On retrouve dans ces sites de la péninsule Ibérique le T facial des stèles languedociennes associé aux « tatouages » communs aux figures du Rouergue et aux fameuses « têtes de chouette » languedociennes.
44On peut se demander si le processus de simplification permettant de passer d’une idole très soigneusement figurée et pourvue de tous ses attributs à un simple signe l’évoquant n’est pas double. D’une part, le processus porterait sur la forme de petite borne et d’autre part, il serait axé sur le visage. Selon les régions ou selon les techniques utilisées, on aurait privilégié l’une ou l’autre formule.
- 5 L’idée selon laquelle le collier est « féminin » ne nous satisfait pas pleinement ; elle est en eff (...)
45P. Bellin (1960) note également cette double évolution mais son point de départ est que le fer à cheval est un « symbole divin, femelle par essence » et « qu’il ne se conçoit pas que l’adjonction d’un trait vertical ait pu procéder de l’intention de le transformer en symbole mâle ». Nous ne voyons pas l’impossibilité qu’il y a de donner un genre aux idoles. C’est ainsi que J. Arnal (1976) puis A. D’Anna (1977) parlent des statues rouergates, tantôt féminines, tantôt masculines. Ils s’accordent à peu près à distinguer le sexe par la présence des seins, de la chevelure et du collier pour les premières et par la présence de l’association « objet » / baudrier et des armes pour les secondes5. La volonté de représenter l’un ou l’autre sexe est appuyée par la triple répétition de la féminisation d’une statue masculine.
46La même distinction existe peut‑être dans les peintures varoises. Le collier est systématique pour les idoles des grottes Dumas et des Cabro. Nous ne pouvons être sûr de la présence des seins à cause du mauvais état des peintures. La figuration de la chevelure est impossible sur les peintures puisqu’elle est réalisée sur la face postérieure des statues. Par contre, l’idole de la grotte Chuchy n’a pas de collier ; elle est associée à une hache. L’idéogramme féminin est peint à ses côtés. La distinction semble aller de pair avec la situation de la statue‑menhir par rapport au cours d’eau dans le Rouergue. Les statues masculines seraient dressées sur la rive gauche, les statues féminines sur la rive opposée. Ce n’est pas une distinction rigoureuse et les auteurs le savent. Cette distinction n’est pas valable pour la Provence ; dans la vallée du Carami par exemple, les figures des grottes des Cabro et Chuchy sont du même côté de la rivière. Il est vrai qu’il n’y a qu’une grotte ornée sur la rive opposée, la grotte du Charbonnier.

● Pl. XLVII – Le thème de l’idole en forme de fer à cheval. – A. Les figures n° 2 de la grotte Alain d’après les documents Georgeot. – B. Figures du rocher de Fontaine‑l’Evêque, d’après Gattefossé 1930‑31. – C. Figures du rocher de Lachamp de Creysseilles, d’après Bellin 1960. – D. Figures du rocher de Fontanieu, d’après Glory et alii 1948.

● Pl. XLVIII – Le thème de l’idole traité avec le T facial. – A. Lastèle de Collorgues, d’après Octobon 1931. ‑ B. Figures peintes de la province de Badajoz (Espagne). – C. Plaquette gravée d’un dolmen portugais, d’après Almagro 1973. ‑ D. Figures peintes de la grotte de Resplandy, d’après Rodriguez 1968.
47Pour les statues‑menhirs, le problème majeur nous semble être la recherche d’un contexte (D’Anna 1977) et le Rouergue constitue un mauvais exemple car il en est dépourvu. Une autre erreur est de ne pas envisager une ambivalence des pouvoirs pour cette idole qui semble justement associée à de nombreux idéogrammes de sens contradictoires.
48Le fait que l’on n’ait pas accentué les caractères proprement sexuels des statues est souvent l’argument avancé pour ne pas faire de ces idoles les supports d’un culte de la Fécondité. C’est une démonstration un peu ambiguë après avoir précisé l’importance donnée à l’attribution du sexe. Nous savons que le trait est masculin. Il est placé sous l’idole par convention comme certaines croix qui sont disposées au sommet du fer à cheval (colline de Cordes à Fontvieille). Le trait masculinise‑t‑il l’idole, l’idole est‑elle accompagnée d’un symbole masculin, ou masculin et féminin, ou féminin, ou est‑elle féminine avec des symboles indicateurs d’un genre ? Le panneau A de la grotte Chuchy semble confirmer la troisième possibilité. Seuls compteraient alors les thèmes qu’elle accompagnerait. On peut admettre que privée de symbole féminin elle le porte en elle mais qu’elle se doit d’être accompagnée d’un symbole masculin.
49Nous avons vu l’existence d’une association idole/ soleil à la grotte Chuchy. Le soleil est nettement gravé sur la face antérieure de la stèle du Rocher des Doms où huit rayons partent d’une cupule (pl. XLIX, A). F. Octobon (1931) décrit une seconde stèle (Mas Capelier I à Calmels, Aveyron) au dos de laquelle se trouve une figure pourvue de vingt‑trois rayons. Il semble à l’auteur que le caractère d’exception de cette gravure soit à aborder prudemment. Nous sommes aujourd’hui moins convaincu de la rareté de cette association. Toutefois, cette stèle a disparu (D’Anna 1977).
- 6 Nous disons « de Trets » pour n’indiquer que les fragments trouvés sur le territoire de cette local (...)
- 7 Il serait nécessaire d’étudier les stèles retrouvées dans le rempart du site protohistorique de Sai (...)
50L’idole associée au soleil est sans doute en relation directe avec la Mort. Le contexte funéraire existe dans certains cas mais fait totalement défaut dans d’autres. Toutefois, nous avons signalé le lien qui existe entre le soleil et les constructions mégalithiques du Midi de la France dont le couloir est orienté vers le sud‑ouest. Nous avons exprimé notre avis sur le caractère particulier des dépôts de la grotte de l’Eglise. Nous pouvons rappeler le contexte de la plaquette de schiste gravée de la grotte Monier (pl. L, E). Le matériau choisi l’apparente aux nombreuses plaquettes des sites sépulcraux portugais, espagnols et languedociens. Son décor de chevron et son T facial en relief confirment cette parenté avec les plaquettes ibériques et nous en fait admettre une seconde avec les stèles provençales du type de Trets (pl. L, F) 6s’il est vraiment certain que celles‑ci étaient associées à des sépultures. Les chevrons de la plaquette de schiste de la grotte Monier dessinent une forme rayonnante qui n’est pas sans évoquer un soleil. L’idole de Peña Tù (Asturies) est encadrée du même motif (Pl. L, F). Le chevron, un motif fréquent et ubiquiste dans la décoration céramique, est disposé de telle sorte sur les poteries chasséennes par exemple qu’il est possible de l’assimiler aux soleils qui ornent les parois des mêmes récipients. En admettant que le chevron soit l’équivalent de la représentation du soleil, l’association idole/soleil serait donc dans la sculpture des stèles plus répandue qu’on ne le dit7 et orienterait la signification de celles‑ci.
51La hache dont nous avons la représentation sous l’idole de la grotte Chuchy est un élément que l’on retrouve gravé sur certaines stèles. Il ne s’agit pas toujours d’un élément aussi évident. Les auteurs l’appellent aussi crosse (stèles gardoises de Collorgues I et II, de Castelnau‑Valence, de Foissac) et l’on peut estimer que les variantes de cette forme sont aussi compréhensibles que celles des stèles elles‑mêmes. Les stèles précitées ont justement été trouvées en contexte funéraire (Octobon 1931). Parmi les signes associés aux soleils du réseau supérieur de la grotte de l’Eglise, se trouve un petit crochet représenté par deux fois (figures n° 3 et n° 13). Dans le contexte de l’art méditerranéen, les exemples de ce signe sont rares. On peut tout au plus rapprocher les crosses représentées sur les stèles des crosses de schiste du Portugal découvertes dans des sites sépulcraux (Almagro 1973),
52Par contre, la hache, seule ou accompagnée d’autres attributs de l’« idole », est figurée dans les hypogées et allées couvertes du Bassin parisien (Bailloud 1964). Les chercheurs qui se sont penchés sur les problèmes que pose la figure anthropomorphe que nous appelons « idole » ont toujours été d’accord sur son caractère funéraire. Un élément commun à toutes les représentations, quelles que soient les formes adoptées par les Préhistoriques pour figurer cette idole et ses attributs, est l’absence de bouche. C’est un élément si rare dans toutes les figurations anthropomorphes de caractère sacré en Méditerranée occidentale que S. Gagnière et J. Gracier (1963) en font un caractère rituel équivalent au silence et à la mort, et que A. D’Anna (1977) parle de l’impossibilité de communication entre les hommes et les « idoles ». Cette absence de bouche vérifie donc l’idée d’un même concept derrière la représentation si diversifiée de l’« idole ». Ce détail nous permet de ne pas assimiler la figure anthropomorphe de la grotte Resplandy (Hérault) à l’idole de la grotte des Cabro comme le fait G. Rodriguez (1968). La figure qu’il publie n’a d’ailleurs de ressemblance avec cette « idole » qu’en vertu du relevé fait par A. Glory (1948). G. Rodriguez parle aussi d’enfants, ce qui n’est guère plus vraisemblable.
53L’absence de contexte est souvent discutée par les divers chercheurs. Ainsi les « idoles » du Rouergue n’ont ni contexte funéraire, ni contexte d’habitat. Le seul contexte que A. D’Anna (1977) leur reconnaisse est la nature. D’après ses observations, le contexte serait sylvestre autant qu’aquatique. L’absence de découvertes n’est‑elle pas tout de même à invoquer ? La distinction par l’eau nous rappelle le dépôt sous l’idole de la grotte Dumas. Notons quand même que les attributs, perles et objets, de ces « idoles » rouergates autant que ceux des idoles d’autres régions sont des objets que l’on retrouve plutôt dans les sépultures. Les idoles en forme de fer à cheval gravées dans la roche, comme celles du Tarn, de l’Ardèche ou de Fontvieille déjà mentionnées, paraissent hors contexte (pl.XLVII). Dans l’art peint provençal, seule l’idole en fer à cheval de la grotte Alain est en relation étroite avec le mobilier placé au‑dessous. L’exemple de la grotte Dalger est moins net. Par contre, l’« idole » du trou Nicole et celle de la paroi droite de l’abri Dalger n° 3 sont dessinées dans des cavités où il est impossible d’avoir réalisé une quelconque inhumation. Ces « idoles » ne donnent donc pas l’impression d’avoir été réalisées à des fins funéraires.
54Les signes considérés comme funéraires, le soleil et la hache, ne sont pas toujours en relation avec des structures funéraires. Le soleil de la grotte du Charbonnier est dessiné dans une cavité qui ne livre aucun mobilier. Les nombreux soleils des abris espagnols sont apparemment dans les mêmes conditions (Letreros de los Martires, Huescar Grenade ou la Cueva del Cristo) (Breuil 1933‑35). Les signes rayonnants pourvus ou non d’un cercle et gravés sur les rochers (Rec del Bosc) (Guiraud, Giry 1972), les soleils peints du trou de la Feclaz (Savoie) (Ayroles, Porte 1972) ne présentent aucune possibilité d’association avec un contexte archéologique.
55La recherche d’une telle association, même indirecte, a été parfois effectuée. H. Breuil (1933‑35) par exemple, évoque la présence d’une trentaine de petits dolmens sur le plateau au‑dessus de l’idole de Peña Tù. Si l’on admet la possibilité d’un éloignement du contexte ‑ dont l’archéologie ne trouve pas automatiquement la trace – bon nombre d’associations existent. Dans la zone de Fontvieille, on ne saurait oublier non loin des « idoles » en forme de fer à cheval l’existence d’hypogées, d’un dolmen et d’un menhir. Doit‑on invoquer la géographie des lieux ? En effet la topographie n’était pas la même puisque des marécages s’étendaient au pied des buttes comme la « montagne » de Cordes ou la butte de Montmajour.
56Un élément semble important à souligner. On ne trouve que très rarement des idoles peintes, gravées ou sous forme de stèle en relation assurée avec un habitat. Peut‑être est‑ce dû au fait que cette période est surtout connue pour ses structures funéraires ? Ce qui est vrai en Provence l’est beaucoup moins en Languedoc. S’il n’a pas encore été trouvé d’habitat dans les gorges du Carami, ce qui nous prive de comparaisons, la région des gorges d’Ollioules a restitué de nombreuses stations sans la moindre manifestation artistique. Nous avons vu pour cette région une distinction en deux zones approximatives, l’une où seraient concentrés des habitats et l’autre où l’on trouverait plutôt des sites funéraires. Ce choix semble dicté par les possibilités qu’offre le terrain.
Ci‑contre ● Pl. L – Le motif solaire en chevron. – A. Stèle du Mont Sauvy, d’après D’Anna 1977. – B et C. Plaquettes gravées de sites sépulcraux de la péninsule Ibérique, d’après Almagro 1973. ‑ D. Crosse de schiste gravée de chevrons de la Marquesa, Portugal, d’après Almagro 1973. ‑ E. Gravure de la plaquette de schiste de la grotte Monier, d’après Glory et alii 1948. – F. Stèle de Lauris‑Puyvert, d’après D’Anna 1977 et figure gravée et peinte de la Peña Tù d’après Breuil 1933‑35.

57L’absence d’un contexte funéraire ne signifie pas pour autant l’absence du caractère funéraire de l’idole. Au contraire, le lien entre les deux n’est pas évident. Il semble plutôt que ce soit l’association de l’idole et de certains signes qui lui confère ce caractère. On est obligé de parler d’iconographie locale, non seulement dans la façon de figurer l’idole mais aussi dans la façon de représenter ses attributs et de les lui associer. Il ne faut pas oublier qu’on a déjà associé cette figure au thème de la Fécondité en constatant un peu partout des manifestations artistiques par divers procédés où elle était représentée aux côtés de symboles masculins et féminins. Il ne faudrait pas oublier le troisième volet du cycle, la Vie active, évoqué par la chasse ou par l’arc. Dans les panneaux peints, ce thème est sans doute le moins fréquemment mis en relation avec l’idole. Pourtant, l’arc, avec ou sans flèche, est gravé surun certain nombre de stèles anthropomorphes de l’Aveyron (Lacoste II, les Maurels, les Montels, Pousthoumy, Mas Capelier). On a vu que l’arc pouvait être isolé (rocher de Hyères) ou que la chasse était souvent axée sur le cerf (abris de la péninsule Ibérique).

● Pl. LI—Le cycle Mort‑Fécondité‑Vie tel qu’il est exprimé dans la grotte Chuchy et à l’abri Dalger n° 3.
58La triple relation que l’idole de la grotte Chuchy entretient avec les thèmes de la Fécondité, delà Mort et de la Vie (action vitale) se retrouve dans l’ensemble de l’art postglaciaire schématique avec une insistance décroissante dans la volonté de représenter ces thèmes. La présence de l’idole suppose donc la présence d’un ou de plusieurs de ces thèmes, et la présence d’un signe d’une signification non évidente sous‑entend l’existence d’un thème. Toutes les associations idole et signes de l’art pictural provençal sont ainsi expliquées à l’exception du signe méandriforme (ou en serpent) de l’abri Dalger n° 3. L’idole et le personnage masculin expriment le thème de la Fécondité, l’arc suppose celui de la Vie. Ce serpent doit donc correspondre au thème de la Mort (pl. LI). Les possibilités de comparaison sontfaibles. On connaît l’exemple du serpent gravé sur le menhir de Veissière (Saint‑Raphaël, Var) sous un T facial encadré d’une figure ovale. L’abri de Tajo de las Figuras (Laguna de la Janda, Cadix) montre un panneau où foisonnent de nombreux personnages masculins, des animaux (cerfs, mais aussi capridés et oiseaux) et des soleils, avec un grand serpent qui occupe le centre de la composition (Cabre, Hernandez‑Pacheco 1921). Vie et mort sont parfaitement exprimées et associées. Un fait archéologique mis en évidence par G. Bérard et O. Roudil (1981), à la suite des travaux du premier, est la découverte dans certains dolmens varois (à Cabasse et à Lorgues) de vertèbres de serpent. On pourrait penser à un pur hasard si ces vertèbres n’étaient parfois calcinées et en nombre élevé (600 vertèbres dans le dolmen de Roque‑d’Aille, Lorgues). Il est vrai qu’un seul squelette de couleuvre fournit beaucoup de vertèbres...
59L’intégration des peintures postglaciaires provençales au courant plus vaste des manifestations picturales schématiques est mise en évidence par la présence en tout lieu des mêmes motifs, associations et thèmes. En Provence, les Préhistoriques s’adaptent au milieu. Ils pallient l’absence de support ocré si nécessaire à leurs manifestations en badigeonnant les parois de l’abri des Eissartènes. Ils utilisent l’argile rouge au lieu d’ocre ou d’hématite pour les figures du réseau supérieur de la grotte de l’Eglise, Ils utilisent les accidents de la roche, creux ou bosses, n’hésitant pas à changer légèrement la forme de certaines figures : signe anguleux du trou des Deux‑Amis et personnage coiffé de la grotte Chelo. Pour les mêmes raisons, ils renversent l’idole des Cabro pour la peindre près de la fissure terminale. Ils recherchent justement les particularités de certains lieux qui plus que d’autres leur permettent de s’exprimer pleinement. Ils portent une attention particulière aux fissures et considèrent la galerie comme telle si la fissure est absente (grotte Chelo). Ils affectionnent les cavités dont le porche est naturellement ocré. Ils peignent l’idole sur des supports dont l’arête supérieure est arrondie. Parois orangées et fissures sont apparemment des particularités locales, la première plus répandue que la seconde qui se cantonneaux seuls groupes du haut Carami et de la région d’Ollioules. Le choix des motifs montre qu’il existe de véritables particularités locales comme la représentation d’un homme couché à la grotte Alain, ou de simples variantes comme les signes anthropomorphes de l’abri Georgeot. On s’aperçoit de l’absence de motifs abondamment illustrés par ailleurs comme la représentation de l’idole par un T ou la chasse aux cerfs.
60La peinture a l’avantage du support étendu et d’un procédé relativement facile. De cette facilité découle la réalisation de panneaux, les dimensions de ceux‑ci et la juxtaposition des figures qui les composent. Les scènes réalistes avec d’abondants détails sont rapidement exécutées. L’opposition peinture/gravure n’est pourtant pas si évidente et la taille des figures ainsi que leur stade de simplification sont souvent identiques dans l’un et l’autre procédé. On note finalement, en peinture et en gravure, les mêmes principes de simplification, d’association et de complémentarité, et la même thématique ; ce qui nous amène à considérer les stèles anthropomorphes comme une expression de l’art schématique peint au même titre que les gravures sur rocher. Une seule différence née du support existe peut‑être ; la répétition voire la superposition des signes existe sur les rochers gravés. Elle est peu habituelle dans l’art anthropomorphe sur stèle où l’artiste est obligé de serrer les éléments qu’il veut représenter ou encore de les intégrer dans un mode de représentation qui nous les fait apparaître plus réalistes qu’ils ne sont. Les haches ne sont pas au bas des stèles et on pourrait les croire incorporées ou tenues par le personnage s’il n’était évident qu’elles sont placées à côté des mains. Par contre, l’« objet » est soutenu par un baudrier. Le caractère funéraire des « idoles » duranciennes est évoqué par assimilation de la chevelure au chevron rayonnant (soleil). En peinture la contraction n’a été mise en évidence que dans un cas, celui de la grotte Neukirch où l’étroitesse de la fissure a contraint l’artiste à jumeler en une seule figure signe anthropomorphe et soleil.
61La simplification est évidente sur les stèles anthropomorphes depuis la figure très chargée (stèle de Saint‑Sernin, Aveyron, par exemple) jusqu’aux spécimens d’Avignon ou de l’Isle‑sur‑Sorgue en passant par les nombreux témoins du Rouergue et du Languedoc oriental. L’idole gravée sur de petites plaquettes de schiste au Portugal (pl. XLVIII, C) connaît le même processus et passe par divers stades reconnus dans les stèles duranciennes ou la plaquette de la grotte Monier. Deux schémas sont possibles, celui qui privilégie la forme extérieure de l’idole (borne) et celui qui favorise les traits du visage (le T facial). On a émis l’hypothèse d’un troisième schéma où l’idole ne serait exprimée que par la représentation de son collier mais les renseignements tirés du contexte méditerranéen font défaut.
62La volonté d’association des signes, déjà présente dans le principe de leur contraction, est manifestée le plus souvent par la juxtaposition des figures. L’idole est gravée sur des rochers au côté de cupules, de croix, de traits et de soleils. Les associations où l’idole est absente existent aussi, bien que moins évidentes.
- 8 F. Octobon (1931) pensait que cet « objet » pouvait être un étui pénien et A. D’Anna (1977) estime (...)
63C’est avec le sens de complémentarité que s’exerce systématiquement l’association au point qu’à tout signe évident doit être juxtaposé un second signe adverse. La disproportion dans les dimensions des figures, la différence des procédés de représentation, sont souvent des obstacles à la reconnaissance du principe de complémentarité (tailles des deux figures de la paroi de droite de la grotte Chelo ou croix gravée sous les personnages masculins de l’abri de la Toulousane, par exemple). Cette complémentarité est à rechercher dans les stèles anthropomorphes. On a admis que l’idole était féminine et que les signes féminins n’étaient là que pour exprimer un thème et non pour lui assigner un sexe. L’idole seule portant en elle un principe ou l’idole associée à la croix sont deux figures équivalentes. Un attribut ne masculinise donc pas l’idole mais y juxtapose le principe contraire (complémentaire). A. D’Anna (1977) assigne un sexe aux idoles du Rouergue, féminin lorsque l’on note la présence des seins, des cheveux, du collier et de la pendeloque en Y, masculin quand aucun de ses attributs n’est figuré. Pour nous les seins sont les seuls éléments réalistes qui affirment la féminité, les cheveux longs pouvant être le fait des hommes et le collier n’étant qu’un motif qui renforce la qualité de l’idole sans lui assigner de sexe. Il faut chercher le ou les motifs systématiquement représentés qui puissent figurer le principe masculin et qui se trouvent être l’« objet »8 ou bien la pendeloque en Y. La disproportion des tailles entre les témoins des deux principes est la même que celle évoquée pour les peintures.
64Les stèles anthropomorphes sont donc porteuses du thème de la Fécondité. Elles expriment le thème de la Mort par la représentation de la hache (crosse), du serpent et du soleil. Elles expriment le thème de la Vie active avec la représentation de l’arc et associent parfois ces thèmes en une partie du cycle, rarement la totalité. Il en a été de même des peintures (tableau III) à l’exception de la grotte Chuchy et de l’abri Dalger où le cycle est complet. Ce cycle philosophique est d’ailleurs exprimé clairement dans les sépultures (orientation du dolmen, objets de parure, armatures de flèche) où ces idées sont renforcées par la présence d’une « idole » (statue‑menhir, plaquette de schiste...). L’expression artistique dont nous sommes témoins semble une réalisation plus complète et sans nécessité de contexte de thèmes que les Préhistoriques n’abordent essentiellement qu’au moment de l’inhumation.
7.4. Datations
65Les comparaisons iconographiques ont montré les liens qui existent entre l’art peint, gravé ou sculpté. Nous voulons replacer ces liens en termes de chronologie. Nous tenons compte des résultats obtenus dans les domaines autres que les sites peints provençaux sans remettre en cause les résultats des chercheurs précédents.
66L’exécution des peintures provençales est datée du Chalcolithique ou de la transition entre le Néolithique final et le Chalcolithique, d’où l’idée d’un « Chalcolithique de tradition chasséenne ». La réutilisation fréquente des grottes sépulcrales et des dolmens à l’âge du Bronze, l’évidence d’un lien entre l’art schématique et les pratiques funéraires, l’exemple de la grotte Monier et son matériel tardif nous font penser que ces peintures ont pu être comprises jusqu’au Bronze moyen.
- 9 Il est vrai que J.‑L. Roudil donne à cet objet une genèse différente et parle d’influences de l’Ita (...)
67L’art schématique pictural se manifeste en Provence à un moment où la décoration de la céramique est d’une grande sobriété. Au Chalcolithique on ne s’exprime pas vraiment par ce décor. Par contre deux éléments de décor issus de la céramique chasséenne nous semblent importants : le soleil et/ou le chevron. Le soleil est fréquent sur les écuelles basses du Chasséen méridional (Montjar din 1977 ; Rodriguez 1977 ; Courtin 1982) ; il peut être unique et sur le fond de la poterie, plus petit et disposé en frise sous le bord, parfois intégré aux moyens de préhension, etc. (pl. XLIX). Les chevrons sont une décoration plus fréquente encore et peut‑être trop banale pour qu’on lui accorde un crédit total mais elle est systématiquement adoptée pour les plaquettes de schiste des dolmens de la péninsule Ibérique et est datée de l’Almérien évolué. Parmi le matériel mis au jour à la grotte de l’Eglise, J. Courtin (1976) cite « un objet énigmatique en calcaire tendre portant des incisions géométriques qui évoquent les plaquettes gravées ibériques ». Il date cet objet du Chasséen récent9. La persistance de ces deux motifs dans l’art peint, gravé et sculpté suppose une genèse plus ancienne que l’époque d’exécution de ces mêmes manifestations artistiques.
68Beaucoup d’auteurs parlent de peintures provençales datées de l’âge du Bronze. Cela résulte sans doute d’une confusion liée au titre du rapport de A. Glory (1948) ou de J. Courtin (1960) qui parlent de l’« âge du Métal ». Nous lisons aussi sous la plume de E. Bernardini (1977) que la peinture du Val d’Enfer est obligatoirement plus récente que les peintures de Provence et de la vallée du Rhône à cause du caractère naturaliste de la première qui contraste avec le schématisme des secondes. L’auteur oublie sans doute l’existence de la scène du panneau B de la grotte Chuchy qui d’emblée témoigne d’un art analogue dans les deux vallées provençales. Le caractère d’exception des figures du gias aux Peintures est à considérer avec prudence.

● Tableau III Les peintures postglaciaires provençales : classification des thèmes, o = certain ; x = hypothétique. Le trait sous les cercles indique l’évocation des thèmes par des procédés autres que la peinture : gravure à l’abri de la Toulousane, plaquette de schiste à la grotte Monier. On peut comparer ce tableau au tableau II.
69Nous ne souscrivons pas à la preuve d’un naturalisme avancé dans ce même gias par l’existence d’un crochet aux deux extrémités de l’arc (Bernardini, Vicino 1976), ce détail n’étant pas prouvé par le mobilier contemporain local. Nous sommes également sceptique quant à l’analogie que des auteurs observent entre le collier de l’idole de la grotte Dumas et les objets de parure (perles en griffe) contemporains (Barge 1978). La peinture est trop abîmée pour permettre une telle précision dans la conclusion. Cette possibilité pour certaines stèles anthropomorphes (stèles rouergates notamment) nous semble absente dans l’art pictural.
70Nous ne pensons pas comme A. D’Anna (1977) que l’absence de représentations d’un élément de mobilier contemporain bien connu soit la preuve d’une antériorité de certaines manifestations artistiques par rapport à d’autres. A. D’Anna cite cette observation pour les objets de parure chalcolithiques dont on n’a pas la représentation sur certaines stèles, et oppose ce fait à l’existence d’éléments de parure chasséens sur d’autres stèles. Or, le Chalcolithique doit souvent trop au Chasséen pour que l’économie progressant, l’« archaïsme » observé dans l’exécution sous‑entende obligatoirement une antériorité dans le temps. Cet argument rejoint nos propos sur la décoration à base de chevrons.
71Nous ne savons pas grand chose des grottes peintes ailleurs qu’en Provence. Les sépultures de la grotte Lhermite (Ariège) (Glory 1948) sont accompagnées d’un mobilier dont les éléments de parure sont proches de ceux trouvés dans les dolmens. C’est le seul mobilier datable à côté de tessons de l’âge du Bronze sur lesquels l’auteur ne donne pas d’autres précisions.
72La grotte Resplandy (Hérault) précise le contexte. Trois sondages et la découverte de sépultures montrent une occupation saint‑ponienne, faciès néolithique apparenté au Chasséen et antérieur à la naissance de la métallurgie, jusqu’aux débuts du Chalcolithique où la grotte fut obstruée. Le sondage n° 3 a donné dans un contexte du Saint‑Ponien trois fragments d’ocre rouge polis sur une face, un fragment d’ocre poli sur une face, un fragment d’ocre rouge taillé en forme de brique pesant 1 kg et poli sur deux faces et le squelette d’une carapace de tortue ayant servi de récipient à ocre car maculée à l’intérieur. Les deux T ne sont pas en relation visible avec les inhumations comme cela était le cas de l’idole de la grotte Lhermite. Ce sont des graffiti indéchiffrables qui sont peints au‑dessus de la tombe néolithique à murette. Dans la galerie nord‑ouest on a trouvé une écuelle à carène basse, posée à l’envers sous un panneau de graffiti sans interprétation possible. Cet ensemble de faits permettrait d’attribuer ces peintures au Néolithique final.
73Les peintures ibériques sont mal datées. Dans un souci d’inventorier l’art rupestre postglaciaire, H. Breuil (1933‑35) inclut des panneaux où la représentation est celle d’un art naturaliste plus ancien. L’auteur propose une avancée de l’art rupestre du sud vers le nord‑ouest mais cette hypothèse lui semble étayée par l’usage des couleurs. Par exemple, le « rouge vineux » est attribuable à des figures plus anciennes et le « rouge sang » à des signes plus récents. Cette idée est reprise par R. Gilles et M. Louis (1949) datant dans un premier temps du Mésolithique leurs personnages accompagnés de ponctuations de la grotte Gilles (Ardèche). En fait, ces personnages appartiennent au groupe des peintures du sud de la France et sont attribuables au Chalcolithique.
74L’absence de contexte gêne bien sûr la plupart des auteurs. Tous notent pourtant le lien qui existe entre les peintures et le contexte funéraire. Quelques dolmens du Portugal apportent une preuve supplémentaire de ce lien. On observe une chasse au cerf peinte à l’ocre sur une dalle du dolmen de Orca dos Juncais (Satao, Viseou) et quatre soleils associés à un serpent sur une dalle du dolmen de Carapito (Beira Alta). Le matériel de ce dolmen est daté de l’Almérien (Farhinas de Santos 1972).
75H. Breuil place l’art strictement schématique à l’origine de la civilisation campaniforme. De même que A. Glory, il veut que cet art rupestre ait été véhiculé en France par les Campaniformes. Le lien, répété en plusieurs endroits, des peintures françaises avec un Néolithique final ou un Néolithique se « chalcolithisant » ou Chalcolithique de tradition chasséenne (ces différents termes essayant seulement d’exprimer les stades d’une évolution locale dont nous n’avons pour résultat et reflet que le mobilier) infirme l’idée d’un art peint apporté par la progression d’une culture. Il n’y a pas de mobilier qui soit attribuable aux Campaniformes dans les grottes peintes ; ce qui ne sous‑entend pas qu’ils n’auraient pu apprécier la valeur de ces figures qu’ils connaissaient et côtoyaient. Le Campaniforme n’est que de très peu postérieur à l’exécution des peintures.
76Nous avons pu apprécier la valeur des liens entre les peintures représentant l’idole, les stèles et dalles anthropomorphes du Midi de la France et les gravures en forme de fer à cheval sur les rochers. Existe‑t‑il des analogies dans la datation ?
77Les stèles du Rouergue n’ont pas été trouvées en association avec des signes, ce qui diminue la valeur des interprétations. La datation est réalisée par confrontation des attributs gravées sur les statues‑menhirs avec les mêmes objets trouvés en fouille. La chose n’est jamais aisée parce que le signe gravé est souvent simplifié. La mise au jour de pendeloques en Y dans des dolmens et de l’« objet » en milieu attribuable au Saint‑Ponien (grottes Resplandy et Labeil, Hérault) permet de dater les statues‑menhirs du Néolithique final. Il est plus facile de se prononcer pour une appartenance des stèles du Languedoc à la culture de Fontbouisse car dix d’entre elles (le recensement de 1977 [D’Anna 1977] en compte vingt‑cinq) seraient associées à des structures. Quelques éléments du Ferrières, trouvés parfois dans les mêmes sites, vieillissent l’âge de ces stèles mais il peut s’agir d’objets encore en usage à la période fontbuxienne et ne dépendant pas strictement d’un changement de culture.
78Les stèles venaissines sont dites chalcolithiques, probablement précampaniformes. Les auteurs précisent cette opinion par le fait que la stèle du Rocher des Doms présente un soleil semblable aux figures rayonnantes de la grotte de l’Eglise (Gagnière, Granier 1963), association dont nous avons déjà noté l’importance mais qui n’est qu’un indice chronologique comparatif et non une preuve en soi. Les stèles dites de Trets sont associées par M. Escalon de Fonton à un contexte dit « lagozzien », qui est en fait un Chasséen final avec quelques éléments lithiques particuliers.
79Les stèles sont ordinairement datées du Néolithique final, de même que les plaquettes de schiste trouvées au Portugal et ornées des mêmes chevrons et d’un bloc nez‑sourcils.
80Il est impossible de dater avec certitude les gravures en forme de fer à cheval. Ce sont la plupart du temps des figures sur un support situé hors contexte. Les Préhistoriques ont peut‑être choisi ces pierres par stratégie à cause de l’absence d’abris sous‑roche ou de grottes aux alentours. Nous avons pensé que ces figures étaient à relier aux structures funéraires de la même zone mais ce n’est pas là un fait tangible. La reproduction de ces mêmes signes associés de la même façon que dans les grottes varoises (grotte Chuchy, grotte Alain) ne saurait trop éloigner les gravures du Chalcolithique.
- 10 C’est la lame à l’état brut qui est figurée et non le poignard en entier .
81Si les sites peints de Provence laissent supposer une pérennité de l’usage des figures jusqu’au Bronze moyen, les statues‑menhirs et les stèles anthropomorphes ne semblent pas avoir connu la même longévité. La stèle de la Balance (Vaucluse) par exemple, a été trouvée sous le dallage d’une cabane chalcolithique comme si la stèle n’avait plus d’utilité pour ses habitants. Les stèles du Lébous seraient en position de réemploi dans une sépulture des débuts de l’âge du Bronze (Arnal 1970). Par contre, en Espagne, la stèle gravée et peinte de la PeñaTù est associée à un poignard à cinq trous de rivet10 qui pourrait appartenir au Bronze ancien.
82Du strict point de vue de l’iconographie, les peintures provençales ne montrent aucun rajout datable d’une période postchalcolithique. Le fait que par deux fois les idoles copient les statues‑menhirs tendrait peut‑être à plaider en faveur d’une légère postériorité des premières. Le décalage chronologique n’est dans doute pas perceptible avec les données actuelles de l’archéologie. A. Glory (1948) pose le problème en sens inverse en prétendant que la simplification de l’idole est antérieure à sa figuration complète. On ne peut oublier que les mécanismes de simplification sont rapides et que les divers stades de ce processus sont juxtaposés. L’opposition réalisme/abstraction des panneaux A et B de la grotte Chuchy n’est pas présente à l’esprit de leurs auteurs, qui ne se préoccupent que d’exprimer un cycle philosophique. Par contre c’est peut‑être en termes de chronologie que l’on doit aborder les processus de simplification dans la représentation de l’idole : forme de l’idole ➙ accent et visage de l’idole ➙ T facial. En effet, la péninsule Ibérique ne connaît guère que la seconde formule à quelques exceptions près dont l’idole de la Peña Tù. Le contexte des stèles ornées du T facial et celui des figures de la grotte Resplandy sont en général considérés comme de tradition néolithique. L’importance de la forme générale semble avoir une légère postériorité. Est‑ce vraiment une postériorité, une ou des tendances régionales, deux courants juxtaposés ? Il est difficile de prouver l’une ou l’autre hypothèse.
83En termes de datation absolue nous donnons les dates qui suivent pour les manifestations artistiques qui ont aidé à nos interprétations. En Provence, le Chasséen récent est remplacé par le Chalcolithique local vers 2300 av. J.‑C. environ. Les auteurs avaient tendance autrefois à vieillir un peu les débuts du Chalcolithique ; les datations par le carbone 14 les rajeuniraient plutôt. Le Campaniforme serait très légèrement postérieur à ce Chalcolithique provençal, vers 2100‑1800 av. J.‑C. En tenant compte des zones où on le met au jour, il est finalement souvent contemporain du premier. Le Bronze ancien débute vers 1800‑1750 av. J.‑C. et le Bronze moyen s’échelonne entre 1500 et 1200 av. J.‑C.
84Les premières peintures provençales ont dû apparaître vers 2400‑2300 av. J.‑C. environ. Nous sommes d’avis de donner pour premières manifestations picturales, les figures du réseau supérieur de la grotte de l’Eglise (la couche 3 du porche de la grotte, un mobilier du Chasséen final, a donné la date14C de 2550 ± 130 av. J.‑C). Nous ne pouvons dater avec la même certitude les autres peintures provençales.
85Les statues‑menhirs du Rouergue et les dalles anthropomorphes et stèles languedociennes sont datées entre 2600 et 1800 av. J.‑C., les stèles du groupe provençal vers 2500 av. J.‑C. (D’Anna 1977).
86Les hypogées et allées couvertes du Bassin parisien que nous avons parfois cités en exemple sont rattachables à la culture Seine‑Oise‑Marne (ou S.O.M.) et datées entre 2500‑2400 av. J.‑C. et 1700‑1600 av. J.‑C. (Bailloud 1979). A. D’Anna rappelle que les statues‑menhirs espagnoles appartiennent au Bronze I hispanique (Chalcolithique) soit une date de 2300‑2200 av. J.‑C. environ. E. Anati (1975) ramène les gravures en forme de croix du Val d’Aoste et du Piémont de la période Camunienne II finale (2800 av. J.‑C. environ) à la période Camunienne Ilia (2200 av. J.‑C. environ). Il estime que l’idole de Villa Perosa n’est qu’un « rappel » des idoles de la période Camunienne II finale (Anati 1977) ce qui sous‑entend qu’on peut lui attribuer une date similaire aux croix qui l’accompagnent.
87Dans la péninsule Ibérique, la datede 2900 av .J.‑C. a été proposée pour un mégalithe orné portugais et l’attribution des plaquettes de schiste au contexte almérien évolué les date de 2600 av. J.‑C. Cette zone fournit donc les datations les plus hautes ce qui correspond à l’idée communément admise d’un art schématique de tradition ibérique. En ce qui concerne les peintures provençales, le faible écart chronologique ne doit pas être conçu comme le temps utilisé par les Préhistoriques pour simplifier les figures et arriver à l’abstraction. Ce symbolisme est présent dans la péninsule Ibérique et diversement représenté. Ce qui se transmet est un fond de croyance (le cycle précédemment défini) sans que cela exige des mouvements de population. La façon de représenter ce cycle est une question de choix, d’où le caractère spécifique de chaque groupe de peintures, gravures et sculptures. Le phénomène mégalithique se propage d’ailleurs en même temps dans le Midi méditerranéen sans que cela implique des mouvements migratoires ; l’arrivée des Campaniformes se situe bien après l’édification des premiers dolmens.
7.5. L ’art schématique chalcolithique : un début ou une fin ?
88La filiation de l’art schématique de tradition ibérique depuis l’art paléolithique, thèse mise en évidence par F. Benoit (1955), est assez vague et sans véritable fondement malgré les analogies que l’auteur croyait déceler parfois (l’« homme couché » de la grotte Alain aurait son homologue dans la grotte David à Cabrerets). L’art paléolithique oppose des animaux d’un caractère naturaliste très poussé à des signes qui se partagent deux principes, l’un masculin (signes minces) et l’autre féminin (signes pleins). Les animaux ont une place précise dans la grotte et sont associés entre eux selon des règles précises ; ils sont attribuables à l’un ou l’autre principe selon les signes qui les accompagnent (travaux de A. Laming‑Emperaire et A. Leroi‑Gourhan). On sait qu’à la fin du Magdalénien, l’art pariétal décline rapidement.
- 11 Le revêtement a totalement disparu.
89L’usage des colorants perdure tout de même. Ainsi les galets aziliens sont peints de taches rouges. En Provence, le Montadien ancien (abri Cornille, base de la couche 6) a donné une pierre peinte en rouge au‑dessus d’une tombe (Rozoy 1978). Les parois de l’abri de la Font aux Pigeons (Châteauneuf‑lès‑Martigues) ont été badigeonnées en rouge11 à partir des couches castelno‑viennes (Escalon de Fonton 1956). A la Balma de Montbolo, de curieux graffiti noirs ornent les parois d’une petite salle voisine de la galerie principale. J. Abelanet (1974) les attribue au Néolithique moyen par l’association de ces signes avec le mobilier mis au jour.
90Notons aussi que le décor céramique, art lié à la vie quotidienne, a sans doute pris le relais de l’expression artistique (Escalon de Fonton 1957), même si nous ne sommes pas sûr de la signification prêtée à certains motifs (chevrons).
91Ces rares exemples pris dans le Midi de la France n’expriment absolument pas une filiation. C’est plutôt dans la péninsule Ibérique qu’il faut rechercher la genèse de l’art schématique. En effet, l’art du Levant espagnol, sans doute à cheval sur la fin du Mésolithique et les débuts du Néolithique, orne une cinquantaine d’abris de la façade méditerranéenne de l’Espagne. Un hiatus existe entre le déclin de cet art et l’apparition de l’art schématique, ce qui rend difficile la démonstration d’une relation entre l’un et l’autre mais des motifs leur sont communs, dont le moindre est la chasse aux cerfs. La pérennité des zones peintes est un fait démontré par de nombreuses superpositions de figures schématiques sur les figures levantines. On note parfois chez H. Breuil des difficultés à discerner les deux arts quand il s’agit de scènes réalistes car les motifs sont identiques même s’ils n’ont pas la même finalité. La grande nouveauté est qu’en plus des abris peints de l’est de la péninsule Ibérique, l’art schématique est très lié aux rites funéraires de la partie occidentale de cette péninsule. Nous nous sommes servi dans notre démonstration de nombreux parallèles avec les sites espagnols et portugais et sommes assuré que l’art provençal est bien de tradition ibérique.
- 12 Un exemple : site de Baratin à Courthézon‑Cardial (4650 ± 50 BC) : élevage 85,73 % et chasse 14,27 (...)
92Les gravures du mont Bégo (vallée des Merveilles et Val de Fontanalba) sont souvent mises en parallèle avec les peintures schématiques de Provence bien que l’on ne puisse démontrer ni filiation, ni interférences. Nous estimons que la filiation de ces gravures est totalement différente. Elles sont datées du Bronze ancien et du Bronze moyen à quelques exceptions près (représentations de petits poignards qu’on pourrait attribuer à la fin du Chalcolithique). On ne va pas au‑delà du Bronze final (H. de Lumley parle même de fin du Bronze moyen). En effet, nous avons des représentations datables d’outils en métal que l’on met en parallèle avec les mêmes objets découverts au cours de fouilles. L’origine de cet art n’est pas provençal. L’art du mont Bégo est tourné vers l’Italie septentrionale et la plaine du Pô. Les découvertes de mobilier sont rares ; les fouilles du glas del Ciari présentent un matériel attribuable au Lagozzien (?). 60 % des représentations sont des corniformes, isolés, groupés ou placés dans une scène agricole (labours) ; 15 % des gravures représentent des outils (poignards, hallebardes) ; 20 % des figures sont des réticulés dits parfois enclos. Les figures anthropomorphes représentent moins de 1 % de l’ensemble des gravures. Il n’y a pas de relation entre ces motifs et ceux des peintures ibériques même si l’on note quelques soleils, cercles, croix, etc., signes qui ne sont pas typiques d’une expression artistique. L’idole, axe essentiel de l’art schématique de tradition ibérique, est absente. Le corniforme par contre n’est pas seulement une représentation fréquente, il est parfois le point de départ d’un visage anthropomorphe. Les représentations d’armes prouvent non seulement la pleine explosion de la métallurgie, mais aussi l’extrême compréhension par les Préhistoriques des possibilités qui leur sont désormais offertes. On peut être davantage surpris des représentations de scènes agricoles – et non de la figuration du joug et de l’araire, bien sûr ‑ qui témoignent d’une domestication amorcée quatre mille ans plus tôt. On peut comparer ce fait avec nos observations de la représentation fréquente de la chasse chez les Chalcolithiques, chasse peinte d’ailleurs au pied du mont Bégo (glas aux Peintures). Les possibilités que procurent l’agriculture et l’élevage nous semblent d’une importance vitale pour les Préhistoriques12 mais elles n’ont sûrement pas été ressenties ainsi au Néolithique. L’art du mont Bégo n’a pas essaimé en Provence. Il est contemporain de la compréhension des peintures schématiques et sans doute n’a‑t‑il pu effacer des croyances solidement ancrées depuis le Chasséen. Pourtant un fait est commun aux deux expressions artistiques : leur achèvement au Bronze moyen. Une coupure est d’ailleurs notable en Provence entre la fin du Bronze moyen/début du Bronze final et les dernières phases de celui‑ci véritablement rattachées au premier âge du Fer.
93Les manifestations artistiques en Provence semblent réapparaître à l’âge du Fer, A celles‑ci se greffent bien sûr un art né des contacts avec l’Orient par l’intermédiaire de la colonisation du littoral.
- 13 « Le colorant rouge est de l’argile rouge de décalcification appliquée par un procédé qui l’a fait (...)
94Il existe toujours un usage des pigments, sporadique, comme cela semble être le cas à l’abri sépulcral des Points Rouges, au premier âge du Fer (Quinson, Alpes‑de‑Haute‑Provence) ; il s’agit de quatre cercles rouges indicateurs de dépôts funéraires selon les inventeurs (Bottet 1954)13.
95Dans la vallée des Merveilles et le Val de Fontanalba, aux gravures piquetées succède un style « schématique linéaire ». Ces gravures ont d’abord été qualifiées de « Pré‑Merveilles » par leur inventeur Carlo Conti qui avait conclu à leur antériorité par rapport aux autres gravures, d’après l’observation de certaines superpositions. Or les observations des chercheurs actuels aboutissent à la thèse contraire et démontrent que les fines gravures de l’art schématique linéaire sont postérieures aux gravures piquetées (Lumley, Fonvielle, Abelanet 1976). Ces auteurs montrent en effet un cas évident de superposition d’un graffiti romain sur une gravure linéaire. On est moins sûr de leur affirmation selon laquelle l’anthropomorphisation du soleil (une figure du mont Bégo) « ne peut s’expliquer que par une influence des conceptions religieuses greco‑romaines ». La figure n° 2 de la grotte Neukirch atteste qu’il n’en est rien au Chalcolithique. La confusion dans la datation de l’art schématique peut s’expliquer par l’étonnante ressemblance de ses motifs avec ceux des peintures schématiques ibériques. A. Glory lui‑même (1947) a quelques difficultés à distinguer certains motifs dans les grottes ariégeoises (grotte du Peyort, par exemple). On y trouve des signes rayonnants et dérivés du cercle, des signes en phi, scalariformes, en forme de grille comme ceux dont nous avons déjà parlé dans l’art schématique peint. On remarque des signes arboriformes qui ressemblent aux « hommes‑sapins » définis par H. Breuil (1933‑35) à la Moriscas (Helechal) ou à la Covatilla del Rabanero. On observe des zigzags verticaux comme il en existe à la Peña Escrita (Alicante) ou sur le panneau de Retamoso dans la Sierra Morena. Les signes pectiniformes sont nombreux et rappellent ceux du Callejen del Reboso del Chorillo... La confusion peut naître aussi de la reprise des mêmes sites ornés qu’au Chalcolithique. Les grottes de l’Ariège présentent les deux styles souvent superposés (Glory 1947 et 1948). Il en est de même pour la grotte Baldouin (Bouches‑du‑Rhône) (Moulard 1953). Il n’est pas invraisemblable de penser que l’art schématique linéaire du mont Bégo succède non pas aux gravures piquetées mais plutôt aux manifestations picturales dont il ne reste qu’un exemplaire au gias du Val d’Enfer. Dans le vallon du Gueilet, nous avons découvert en 1984, à 200 m de l’abri A, un banc de calcaire orné d’une trentaine de gravures schématiques linéaires. Ce banc rocheux de 2,60 m de long est le seul de toute la falaise à présenter une surface d’un orange très prononcé. Depuis 1984, une intervention archéologique a mis au jour au pied de cet abri une séquence stratigraphique où domine l’âge du Fer (travaux de ’A. Acovitsiōti‑Hameau). Tous ces exemples prouvent une pérennité des lieux ornés de figures schématiques.
96Des motifs sont nouveaux, celui de l’« arbaléti‑forme » par exemple qui nous semble un signe en phi mais que J. Abelanet appelle ainsi en vertu d’une ressemblance avec l’arcuballista. Le thème de la chasse, commun dans l’art schématique chalcolithique, est abondamment illustré par les gravures linéaires sous la forme de la chasse aux cerfs.
97Les motifs de l’art schématique peint qu’on ne retrouve pas dans les gravures existent parfois à l’âge du Fer. Le T facial, le serpent, la « tête coupée » sont des motifs que l’on retrouve pendant la Protohistoire. F. Benoit (1969) a mis en évidence cette pérennité de motifs mais son schéma est par trop linéaire, ses emprunts à l’Orient trop fréquents et son usage des comparaisons ethnographiques lointaines assez discutable. On remarque par exemple l’assimilation faite par cet auteur de la tête de la grotte Chelo (ou du « sorcier » du mont Bégo) avec les têtes coupées dites apotropaïques de La Tène. Nous ne réfutons pas l’analogie du motif mais celle du concept et de la filiation.
98L’art gravé de l’âge du Fer semble donc reprendre la presque totalité de l’iconographie de l’art schématique pictural. Le corpus des motifs lui est trop étroitement ressemblant pour que l’on puisse parler de coïncidences. Les régions où le premier est découvert sont trop souvent celles où l’on avait montré la présence du second. Mais il est fort possible qu’il ait dégénéré ou dévié de son sens originel ; l’idole est absente. Cet art ne véhicule peut‑être plus les mêmes concepts. A quoi correspond l’intervalle de temps, encore non mesurable, pendant lequel cet art n’est pas exprimé ? Peut‑être cette continuité est‑elle effective dans la péninsule Ibérique où des stèles perdurent jusqu’à l’âge du Fer (stèles du sud‑ouest ibérique dont on a un exemplaire à la Substantion, Hérault [Mohen 1967]).
99Nous ne voulons ni ne pouvons conclure. Il nous semble seulement que l’art né au Néolithique n’est peut‑être pas mort avec l’avènement de la métallurgie, qu’il a peut‑être été latent pendant un certain temps et qu’il a pu être réexprimé ultérieurement, sous une forme sensiblement analogue, avec un fond qui reste à définir.
Notes
1 On conçoit comme gravure les signes sur les parois de grottes et sur les rochers en plein air alors que la sculpture englobe essentiellement les stèles anthropomorphes et les statues‑menhirs qui d’ailleurs peuvent être gravées de signes. L’idée de forme extérieure de l’idole qui prévaut dans la schématisation nous guide dans cette distinction même si nous affinons par la suite l’emploi de ces termes.
2 On ne parle ici que de la Provence où voisinent diverses sortes de roches en sachant que dans le Sahara, les peintures sont réalisées sur des grès.
3 Pour les statues du Rouergue, le rapport « dimension tête‑ceinture/dimension tête‑pied » est compris entre 5/10 et 7/ 10 ; et le rapport « dimension largeur/dimension tête‑pied » est compris entre 4/10 et 6/10. Idole Dumas : premier rapport : 6/10, et deuxième rapport : 5/10.
4 La tradition en a souvent fait des sabots d’équidés, la marque des mêmes êtres exceptionnels (demi‑dieux, héros ou saints) qui impriment leur propre pas dans la roche lorsqu’ils ne chevauchent pas. Si la transmission orale a fait passer la légende dans le domaine chrétien, elle ne peut pas servir à dater ces gravures du début du christianisme. La toponymie est souvent évocatrice de sites ornés. Ainsi, les gorges d’Ollioules avec le « Château du Diable » et le « Pas de Saint‑Martin » abritent la grotte de la « Pierre Christianisée » où deux rochers associent croix et cupules. Le fait que les croix soient diversement représentées n’enlève rien à leur datation ancienne. La fouille de J. Layet au pied d’un des blocs confirme la datation haute (Layet 1955).
5 L’idée selon laquelle le collier est « féminin » ne nous satisfait pas pleinement ; elle est en effet contredite par les observations faites dans les lieux sépulcraux et par les comparaisons ethnographiques.
6 Nous disons « de Trets » pour n’indiquer que les fragments trouvés sur le territoire de cette localité en sachant que le terme générique serait plutôt « duranciennes ».
7 Il serait nécessaire d’étudier les stèles retrouvées dans le rempart du site protohistorique de Saint‑Blaise (Bouches‑du‑Rhône). Elles ont la forme très nette d’une borne kilométrique mais sont plates. L’une d’elles est gravée d’une ligne en chevrons au même endroit que sur la plaquette de la grotte Monier. H. Rolland date ces stèles du Chalcolithique qui est la première phase d’occupation du site. Dans cette perspective, les stèles provençales seraient nanties d’un sous‑groupe important (voir Rolland [H.]. — Fouilles de Saint‑Biaise. Paris, CNRS, 1951 [Supplément III à Gallia]).
8 F. Octobon (1931) pensait que cet « objet » pouvait être un étui pénien et A. D’Anna (1977) estime que cette explication est peut‑être la plus judicieuse. Ceci s’accorde avec le principe masculin.
9 Il est vrai que J.‑L. Roudil donne à cet objet une genèse différente et parle d’influences de l’Italie du Sud. Il fait de même pour les décors soléiformes (voir Roudil [J.‑L.].— Le Néolithique d’Italie du Sud et ses affinités avec le Chasséen méridional. Bull. de la Société préhistorique française, tome 70, C.R.S.M. n° 4, 1973).
10 C’est la lame à l’état brut qui est figurée et non le poignard en entier .
11 Le revêtement a totalement disparu.
12 Un exemple : site de Baratin à Courthézon‑Cardial (4650 ± 50 BC) : élevage 85,73 % et chasse 14,27 % (d’après Courtin 1978).
13 « Le colorant rouge est de l’argile rouge de décalcification appliquée par un procédé qui l’a fait pénétrer dans les creux de la roche » ; un pigment qui nous rappelle celui employé à la grotte de l’Eglise. L’abri des Points Rouges a restitué sous la sépulture un niveau chasséen et un niveau Bronze moyen.
Table des illustrations
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Légende | ● Pl. XLVII – Le thème de l’idole en forme de fer à cheval. – A. Les figures n° 2 de la grotte Alain d’après les documents Georgeot. – B. Figures du rocher de Fontaine‑l’Evêque, d’après Gattefossé 1930‑31. – C. Figures du rocher de Lachamp de Creysseilles, d’après Bellin 1960. – D. Figures du rocher de Fontanieu, d’après Glory et alii 1948. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35078/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 39k |
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Légende | ● Pl. XLVIII – Le thème de l’idole traité avec le T facial. – A. Lastèle de Collorgues, d’après Octobon 1931. ‑ B. Figures peintes de la province de Badajoz (Espagne). – C. Plaquette gravée d’un dolmen portugais, d’après Almagro 1973. ‑ D. Figures peintes de la grotte de Resplandy, d’après Rodriguez 1968. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35078/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 54k |
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URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35078/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 77k |
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Titre | Ci‑contre ● Pl. L – Le motif solaire en chevron. – A. Stèle du Mont Sauvy, d’après D’Anna 1977. – B et C. Plaquettes gravées de sites sépulcraux de la péninsule Ibérique, d’après Almagro 1973. ‑ D. Crosse de schiste gravée de chevrons de la Marquesa, Portugal, d’après Almagro 1973. ‑ E. Gravure de la plaquette de schiste de la grotte Monier, d’après Glory et alii 1948. – F. Stèle de Lauris‑Puyvert, d’après D’Anna 1977 et figure gravée et peinte de la Peña Tù d’après Breuil 1933‑35. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35078/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 187k |
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Légende | ● Pl. LI—Le cycle Mort‑Fécondité‑Vie tel qu’il est exprimé dans la grotte Chuchy et à l’abri Dalger n° 3. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35078/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 29k |
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Légende | ● Tableau III Les peintures postglaciaires provençales : classification des thèmes, o = certain ; x = hypothétique. Le trait sous les cercles indique l’évocation des thèmes par des procédés autres que la peinture : gravure à l’abri de la Toulousane, plaquette de schiste à la grotte Monier. On peut comparer ce tableau au tableau II. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35078/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 70k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1989