Les peintures postglaciaires en Provence
|6. Typologie et essai d’interprétation
Texte intégral
6.1. Introduction
1Le nombre peu élevé des figures peintes en Provence nous pose un problème pour en deviner le sens. Il n’est pas aisé d’établir une pensée à partir de signes isolés sur une paroi et privés de contexte archéologique. Il est encore moins facile d’interpréter des peintures dont beaucoup sont partielles ou en exemplaire unique. Nous voulons pourtant n’utiliser l’iconographie comparée qu’après avoir tiré parti des peintures du groupe provençal.
6.2. Types de figures
6.2.1. Classification (tableau II)
2Nous nous proposons de définir des types de figures par les formes qu’elles nous suggèrent puisqu’il s’agit de figures simples. Nous avons déterminé cinq types principaux : les personnages, les animaux, les « idoles », les signes et les objets. Ces types peuvent être présentés dans des situations différentes. Certains sont isolés, d’autres groupés à l’intérieur d’une scène ou encore associés à une autre figure. La situation de certaines figures dans la grotte ou la nature du mobilier sous‑jacent sont des associations qui peuvent nous aider dans nos conclusions. Nous classons ces types comme suit :
-
personnage : isolé, en groupe, dans une scène, fragmentaire ;
-
animal : isolé, en groupe ;
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idole ;
-
signe : anthropomorphe, rayonnant, croix, losange, cercle et ovale, fer à cheval, grille, point, trait ; – objet : arc, hache.

● Tableau II – Les peintures postglaciaires provençales : classification des motifs, o = certain ; x = hypothétique.
3Nous différencions d’emblée le personnage et le signe anthropomorphe. Les situations dans lesquelles nous trouvons parfois le premier n’indiquent pas obligatoirement que l’artiste ait mis l’accent sur son sexe masculin ou féminin. Le signe anthropomorphe au contraire sesingularise par la multiplication des membres et l’indication, voire l’hypertrophie des organes sexuels.
4Enfin, nous avons préféré une liste des objets représentés –liste bien courte– plutôt qu’une liste de catégories d’objets ; la hache est tout autant une arme qu’un outil, par exemple.
6.2.2. Personnage
6.2.2.1. Sexe d’un personnage
5L’homme est représenté de la façon la plus simple qui soit ; un axe pour la tête et le tronc et quatre appendices pour les membres. Le sexe masculin est bien représenté par le trait axial qui se poursuit entre les deux jambes, trop systématiquement marqué pour être involontaire, jusqu’à être démesuré dans certains cas (les figures les plus à droite de l’abri de la Toulousane). Isolé ou dans un groupe statique, l’homme est représenté de face. Dans une scène, il est parfois représenté de profil de telle façon que le sexe n’est plus visible et le bras inoccupé parfois absent (figure no 1 du gias du Val d’Enfer). Cette absence de certains membres n’est pas systématique si l’on considère les différences notables entre les trois personnages de la grotte Dalger (figure no 6). En revanche le volume du personnage est parfois rendu ainsi que la position de sa tête (figures du panneau B de la grotte Chuchy). A la grotte de l’Olivier, la perspective « tordue » donne un volume à la représentation du personnage no 1. La tête est présentée de face ; elle est assez difficile à discerner à cause des trois protubérances du pourtour qui semblent superposées ; on observe néanmoins les yeux. La partie inférieure du personnage est réalisée de profil de façon à mettre en évidence le phallus.
6On ne reconnaît vraiment une femme qu’à la grotte Chelo sur la paroi de droite (figure no 2). Elle est représentée de face ; les organes génitaux et les seins sont seuls mis en évidence, les premiers démesurés et rendus d’une façon très réaliste par la figuration des poils.
6.2.2.2. Personnage isolé
7A la grotte Monier, l’homme semble tenir un bâton bien que le doublement du trait axial ne soit pas net mais il est seul et il n’intègre pas cet attribut dans une action. L’homme est encore isolé dans la seconde représentation de la même grotte (figure no 2) dont la seule caractéristique est une tête représentée par un cercle. Par son attitude, ce dernier ressemble à la figure no 2 de la grotte des Cabro.
8A l’abri des Eissartènes, comme il n’est pas possible d’interpréter les figures associées ou sous‑jacentes, le personnage no 1 semble seul. Il tient un objet en forme de grille. Est‑ce un filet, une nasse ? Il nous est impossible de conclure.
9L’isolement de la figure no 18 du réseau supérieur de la grotte de l’Eglise est mis en évidence par son emplacement même. Son état rend l’interprétation difficile.
10On observe plusieurs fois un personnage masculin sur le panneau de l’abri des Eissartènes et nous pouvons dire, comme dans le cas précédent, qu’il n’est isolé à nos yeux que par l’état actuel des peintures. Nous reconnaissons, à gauche de la fissure, l’association d’un personnage masculin et d’un signe anthropomorphe de même sexe (figures nos 9 et 12).
6.2.2.3. Groupe
11Sept hommes sont représentés à l’abri de la Toulousane, de la même façon et dans les mêmes proportions, sans autre figure sur ce panneau qu’un trait oblique à gauche du groupe. S’ils sont séparés, cinq personnages d’un côté et deux de l’autre, ce n’est qu’en fonction d’une aspérité de la paroi qui aurait pu dévier le trait. Dans la même position statique mais avec la volonté d’exprimer l’association de deux sexes contraires, nous avons à la grotte Chelo la juxtaposition d’un personnage féminin aux attributs mis en évidence et d’un homme plus petit (figure no 2). Il est possible, et nous l’avons dit au chapitre précédent, que les deux figures ne soient pas strictement contemporaines. Le but n’en est pas moins le même que celui auquel tend la juxtaposition de certains signes anthropomorphes.
12Le personnage féminin n’est pas un signe anthropomorphe ; il est loin d’en avoir l’abstraction. Il en est de même du personnage masculin, si ce n’est la présence d’un point plus fréquent près des signes. On retrouve l’association point et homme dans la figure no 1 de la grotte Neukirch à condition d’avoir une figure aussi étendue que celle que A. Glory (1944) a représentée, et dans la figure no 1 de la grotte de la Béate du Destel. Les trois personnages de la grotte Dalger (figure no 6) ont une expression dynamique ; deux personnages ont la jambe droite avancée, le troisième est penché dans la même direction. Ils ne participent pas à une action commune visible mais le mouvement les associe. Deux d’entre eux sont accompagnés d’un même trait ce qui nous fait dire comme pour le personnage no 3 de la grotte Monier qu’il s’agit peut‑être d’un bâton. Nous nous méfions pourtant d’une interprétation qui serait automatiquement tournée vers la chasse, le bâton pouvant avoir de multiples fonctions.
6.2.2.4. Scènes
13C’est pourtant à la chasse que se réfère la scène du gias aux Peintures du Val d’Enfer. Le personnage de gauche, incliné et représenté en mouvement avec le corps penché, tient un arc. La flèche semble être lancée en direction d’un animal. Celui‑ci rappelle très vaguement les corniformes gravés dans la vallée des Merveilles et au Val de Fontanalba par les appendices allongés qui partent du trait axial.
14Le panneau B de la grotte Chuchy réunit deux personnages en mouvement tournés vers la gauche et quatre animaux orientés dans les deux directions. Seules les pattes différencient les représentations animales, les deux premières avec quatre membres et les deux autres pourvues de deux appendices seulement, suggérant peut‑être ainsi le mouvement plutôt qu’une volonté de différencier les espèces animales. Le personnage de gauche tient sans doute un objet dans sa main gauche mais cet objet est résolument tourné du côté opposé aux bêtes.
- 1 Si le nombre est automatiquement supérieur à 32, les points n’indiquent donc pas la totalité des in (...)
15Nous incluons dans les scènes la représentation d’un homme entouré de deux cercles et de vingt‑quatre points. Cette figure de la grotte Alain semble dès l’abord aller de pair avec l’usage funéraire du site. Rien n’obligeait l’artiste à représenter l’homme dans ce sens. L’accent est mis sur l’intégration de la figure dans un plan, ce dernier mis en évidence par les deux cercles. Cette intégration n’est jamais réalisée dans les peintures provençales sauf peut‑être par la situation de certaines figures dans la grotte (fissures ou coupoles). Le personnage représente‑t‑il ici plusieurs individus ? Le cercle est‑il là pour figurer la grotte ? Le sens des points est obscur. S’agit‑il d’une comptabilité et dans quel but ? Elle ne correspond ni au nombre des inhumés1, ni à celui des objets mis au jour. Ces points ont peut‑être une autre fonction car ils sont encore présents au nombre de cinq sous deux signes en forme de fer à cheval dont la signification funéraire est moins évidente. La moitié des points qui accompagnent le personnage couché est d’ailleurs en dehors du double cercle. Une fouille méthodique de la grotte Alain aurait été bien sûr préférable à un inventaire brut du mobilier (qui a d’ailleurs disparu).
6.2.2.5. Personnage fragmentaire
16La tête humaine de face a été représentée dans la région des gorges d’Ollioules en usant au mieux des ressources offertes par la paroi. La tête peinte à la grotte Chelo est bien caractérisée par la bouche ouverte sur les dents, par la figuration de la barbe et celle d’une coiffe triangulaire. La représentation d’une tête est assez rare. Parce qu’elle est ici fonction d’une situation nettement privilégiée et qu’elle est en général réservée aux idoles,nous pourrions conférer à cette tête un caractère d’exception. Son sens est plus délicat à deviner. Ce n’est pas la figure stylisée et stéréotypée des idoles. Il s’agit plus nettement d’une figure familière ou que l’on a voulue telle ; ce personnage particulier au sein du groupe humain serait‑il l’auteur des peintures, représenté de façon caricaturale ?
17La tête formée par une saillie de la roche dans la grotte de la Béate du Destel, même si elle est authentiqué, reste très anonyme du fait de ses formes imposées par la nature.
18Dans la grotte Chelo, cinq traits à hauteur de tête font penser à une main levée ; le trait le plus court (le pouce ?) est en effet tourné vers l’intérieur. L’association tête et main n’est absolument pas observable dans la grotte Dalger où le même signe est restitué dans le rapport de A. Glory (1948). Le signe isolé de la grotte Chuchy, fait de cinq traits divergents, n’est pas non plus évident.
6.2.3. Animal
19Les quadrupèdes forment la majorité des animaux reconnaissables, représentés par un axe horizontal qui figure la tête et le dos et des appendices pour les membres et les cornes s’il y a lieu.
6.2.3.1. Animal isolé
20Dans la grotte de la Béate du Destel, A. Glory (1948) avait distingué une figure dont la restitution est celle d’un animal cornu. La représentation des cornes nous fait penser à un capridé mais pas obligatoirement à la chèvre qui fut domestiquée dès le Néolithique ancien ; il peut s’agir aussi, par exemple, du bouquetin retrouvé dans les sites chasséens du Verdon. La figure qui accompagne cet animal et dont on ne retrouve pas avec précision le trait pourrait être un personnage masculin. Un point accompagne cet homme. C’est probablement le même animal que l’on a gravé dans cette grotte au‑dessous des peintures.
21Au plafond de l’abri des Eissartènes on observe le contour net du mufle avancé d’un « cheval ». La double arête de la roche noircie indiquerait la crinière en mouvement. Il s’agit d’une figure dynamique soulignée par le contour du rocher mais isolée de tout contexte et sans relation avec le reste du panneau orné. S’il est contemporain des autres peintures, ce cheval n’a été peint que par souci de ne pas dédaigner une trop évidente forme de la roche. Il rejoint donc par l’esprit l’anonyme tête de la grotte de la Béate du Destel.
22Il n’est pas exclu que certains signes du panneau C de l’abri des Eissartènes aient été la représentation d’animaux, mais on ne distingue ni forme nette, ni animal particulier qui permette d’en parler avec certitude.
6.2.3.2. Groupe
23Rien n’indique l’espèce des animaux figurés à la grotte Chuchy (panneau B). Seul le mouvement leur a donné des membres confondus deux par deux. La taille et l’absence de caractéristiques restreignent simplement l’éventail des possibilités au mouton, au chien et au porc pour les espèces domestiques et au sanglier, au loup, au lynx et au renard pour les animaux sauvages.
24L’abri Dalger no 3 présente un trait sinueux que R. Gérard (1946) faisait se terminer en fourche (figure no 1). Le relevé de R. Gérard montre à ses côtés la présence d’un oiseau à queue d’aronde. Nous supposons que le premier signe est un serpent, le second un personnage masculin accompagné d’un point. Cette supposition est due à la forme du signe, à la présence du point et à l’emplacement de la figure à l’entrée de la fissure. De l’autre côté de cette fissure on observe un arc barré de sa flèche. Doit‑on associer les figures quel que soit le côté de la fissure où elles se trouvent ? Le rôle de celle‑ci, sur lequel nous allons revenir, semble nous y autoriser.
6.2.4. Idole
25A la grotte Dumas, une figure isolée présente un visage cerclé, deux yeux et un nez, un arc de cercle sous‑jacent pouvant figurer un collier. L’ensemble est inclus dans une figure plus large dont le haut épouse le contour de la tête et dont le bas se termine en rectangle. Il n’y a aucune expression particulière dans ce visage, ni figuration réaliste des formes humaines. La même représentation existe à la grotte des Cabro (figure no 1) en un état moins satisfaisant. Si à la grotte Dumas, la figure épouse l’arête du rocher du côté droit, rien ne justifie la même forme dans les gorges du Carami, ni les mêmes dimensions, d’autant que l’artiste a dû faire basculer la figure pour des impératifs de support. Nous sommes devant un ensemble de conventions que l’on prête habituellement à des représentations idéalisées.
26Deux autres figures sont beaucoup moins complètes, la figure du plafond à la grotte Dalger (figure no 4) où l’on reconnaît le visage et la ceinture de la figure de la grotte Dumas, mais où manquent son collier et ses pieds, et la figure centrale du panneau A de la grotte Chuchy représentée de la même façon à l’exception de la tête qui se détache du torse. C’est la forme d’abord, le visage ensuite qui semblent prévaloir. Quoique représentées avec moins de détails, ces deux figures sont apparentées aux premières.
27Ces figures ont la particularité d’être toutes accompagnées de points, neuf à la grotte Dalger, quatre à la grotte des Cabro, cinq à la grotte Chuchy. On peut également apparenter à des points les traces de pigments qui voisinent avec la figure de la grotte Dumas. Le relevé de A. Glory (1948) semble même restituer un trait court surmonté d’un point à gauche de cette figure, un signe qu’on retrouve dans le panneau A de la grotte Chuchy.
28Seule la grotte Dumas a restitué un ensemble curieux de sept galets de rivière, groupés intentionnellement à l’aplomb de la peinture. Ce dépôt a‑t‑il un rapport avec l’eau ?
- 2 Le mot idole du grec ειδολον désigne le reflet de l’image. Il s’agit effectivement de figures qui r (...)
29Ces conventions artistiques, la place de la figure de la grotte Chuchy et la représentation d’une hache en dessous, le dépôt dans la grotte Dumas, nous font penser à des représentations d’êtres qui n’appartiennent peut‑être pas au monde terrestre. Nous les appelons « idoles » tout en émettant d’énormes réserves quant à l’emploi de ce mot2.
6.2.5. Signe
6.2.5.1. Signe anthropomorphe
30Nous qualifions d’anthropomorphes les signes constitués d’un axe vertical pourvu d’appendices, et dont la caractéristique est la multiplication des bras et des jambes et l’accent porté à la détermination du sexe.
31La grotte Chelo nous permet d’établir une distinction des sexes représentés dans ces signes anthropomorphes. Sur la paroi de droite nous avons l’association masculin‑féminin dans des termes réalistes (figures no 2). Sur la paroi opposée, deux signes juxtaposés (figures no 3) reproduisent cette même association, l’un constitué uniquement de lignes droites et l’autre pourvu d’un cercle à sa base. Dans l’abstraction, le cercle ne sert qu’à attribuer le sexe féminin à l’anthropomorphe ; c’est un détail toujours placé à la base de l’axe vertical pour figurer la vulve. Les seins représentés dans la grande figure no 2 de la grotte Chelo n’ont pas d’équivalents dans les signes anthropomorphes peints de Provence. Comme l’association s’oppose paroi à paroi, il nous semble que le fond du couloir qui plonge dans l’obscurité (il faut ramper pour visiter les salles du couloir médian) est à considérer de la même façon que les fissures des grottes du haut Carami.
32A l’abri Hillaire, la fissure partage la série des figures anthropomorphes. Nous ne pouvons affirmer que chaque côté porte l’association masculin‑féminin car les peintures sont très endommagées (plus même que depuis leur relevé de 1943). Cependant la paroi de gauche porte un signe anthropomorphe féminin bien caractérisé par son cercle à la base et, juste en face, lui répond un signe anthropomorphe masculin au sexe mis en évidence. On ne peut pas non plus distinguer le sens des signes à droite de l’anthropomorphe masculin.
33La figure placée dans la fissure élevée du trou Nicole est également un signe anthropomorphe masculin, coiffé d’un accent. La tête est représentée par un cercle et non par la petite barre habituelle. Si nous n’avions pas le doublement des bras et l’usage de la fissure, il ne s’agirait que d’un personnage masculin isolé.
34Les signes anthropomorphes ne sont pas obligatoirement dessinés dans les fissures. L’abri A des Eissartènes porte cinq signes anthropomorphes masculins (figures nos 6, 8, 9, 12, 13). On n’y reconnaît pas de signe anthropomorphe féminin. La figure n0 12 est associée à un personnage masculin. Nous douterions qu’il s’agisse d’un signe anthropomorphe pour la figure no 8 si la tête n’était représentée par une pointe qui rappelle le signe anthropomorphe masculin de l’abri Hillaire. La figure no 13 ne présente pas les traits perpendiculaires habituels : ce signe a les bras ansés. Nous lui attribuons le sexe masculin à cause du point qui l’accompagne, placé là comme une convention déjà exprimée à la grotte Chelo et à la grotte Neukirch. Il pourrait s’agir d’un signe anthropomorphe féminin mais il semble que ce soit la vulve seule qui soit l’attribut féminin obligatoirement figuré.
35Les figures anthropomorphes des abris Georgeot se répètent à une dizaine d’exemplaires. Bien que A. Glory ait restitué des dessins complétés en 1948, les figures de gauche de l’abri no 1 ne nous paraissent pas différentes de leurs voisines : elles semblent identiques, les traces se répondant curieusement deux par deux et même dans un cas trois par trois (figures nos 7, 8 et 10). Enfin, bien que dans des états de conservation différents, trois figures ont le même signe associé en haut et à droite (figures nos 2, 4 et 5).
36Les variantes sont le nombre des membres inférieurs ou postérieurs, jusqu’à cinq pieds et sept paires de bras, et la position de ceux‑ci tournés vers le haut ou résolument baissés. Nous ne pouvons interpréter le sens de cette multiplicité du même signe. Nous pensons que les variantes du nombre d’appendices ou de la position de ceux‑ci n’altère pas le sens des figures, sans doute le même pour toutes. La figure centrale n’est pas facilement interprétable.
6.2.5.2. Signe rayonnant
37Nous avons repéré une douzaine de figures rayonnantes dans le réseau supérieur de la grotte de l’Eglise, deux avec seize rayons, les autres possédant huit rayons. Nous pensons à des astres. Le nombre de ces représentations à l’intérieur de la grotte et même à l’intérieur d’une même coupole (ensemble des figures no 13), le fait qu’il s’agit d’un réseau obscur, le fait aussi que ces figures rayonnantes ne s’inscrivent pas dans un cercle préalable, tout cela pourrait indiquer que ce ne sont pas des soleils. Mais ces critères ne sont sans doute pas à prendre dans leur sens premier. Nous avons déjà abordé un certain nombre de figures où l’abstraction est avancée et, dans le cas présent, il en est sans doute de même.
38Les figures à seize rayons sont les plus grandes, d’un développement de 0,90 m environ mais il existe dans la galerie adjacente une figure à huit rayons d’un développement de 0,95 m. L’une des branches de cette dernière est curviligne et décrit une large boucle (figure no 11). On reconnaît des signes en forme de crochet associés à des figures rayonnantes (figures nos 3 et 13). Deux fois aussi leur sont associés trois petits traits courts et parallèles (figures nos9 et 13). Enfin par deux fois (figures nos 7 et 13), il nous semble que la volonté de dessiner une figure à huit rayons a été gênée par un fait extérieur à leur réalisation ; les axes ne se rencontrent pas au même endroit. Ces figures ont‑elles été réalisées dans l’obscurité ? On en doute tout de même. Les signes rayonnants de la vallée du Carami sont présentés à la lumière du jour et dessinés avec un cercle de départ. Les axes se coupent à l’intérieur du cercle dans la grotte du Charbonnier tandis qu’il s’agit uniquement de rayons divergents à la grotte Chuchy (panneau A). Le soleil est alors un élément qui domine le panneau et qui est associé à un certain nombre de figures.
39Dans la grotte Neukirch, à l’intérieur de la fissure terminale, le soleil a subi une transformation. Il n’est peint qu’en demi‑cercle mais il est pourvu de ses rayons. Deux points figurent les yeux. Si l’on en juge par le relevé de A. Glory (1948) l’axe est barré de deux appendices. Sa position dans une fissure, localisation semblable à celle de beaucoup de signes anthropomorphes de la vallée du Carami, en ferait un soleil anthropomorphisé (?).
6.2.5.3. Croix
40La grotte de l’Eglise possède un certain nombre de croix seules ou alignées, placées dans des parties basses et dans des passages. Nous envisageons la possibilité de simples repères pour les Préhistoriques car ces croix amènent effectivement à la galerie adjacente où l’on a retrouvé des fosses creusées dans le sol. Toutefois dans un réseau où les peintures sont constituées de rayons au nombre de seize ou huit, on ne peut que remarquer que ces croix sont en quelque sorte une ultime subdivision : des figures à quatre rayons. On aurait même une diminution de taille progressive et proportionnelle au nombre de rayons.
41L’idole de la grotte Chuchy (panneau A) sépare nettement deux groupes de signes : des traits courts surmontés d’un point à gauche et des croix à droite. Faufil voir dans cette séparation deux groupes de signes de sens contraire ? L’association masculin‑féminin vient évidemment à l’esprit à cause de l’emplacement de ce panneau dans une fissure. Nous sommes tenté de voi dans le trait pointé le stade ultime d’abstraction d’un signe anthropomorphe masculin puisque, nous l’avons dit, dans le cas où le phallus n’est pas mis en évidence un point pallie l’absence de sexe masculin (abri des Eissartènes, par exemple). Les croix pourraient alors représenter l’élément contraire, le sexe féminin, qu’on ne trouve pas dans le panneau B, sur la paroi opposée, puisqu’il s’agit d’une autre composition. On trouve ce sexe féminin juxtaposé au sexe masculin et sur la même paroi comme cela existe dans la grotte Chelo. D’autre part, le trait pointé existe à gauche de la fissure de la grotte Dumas.
6.2.5.4. Losange
42Dans la grotte Monier, la première figure est un losange pourvu de deux appendices et coiffé, que l’on retrouve en taille réduite dans la deuxième partie du couloir, dans le même sens d’après nos observations et les documents Georgeot et en sens inverse d’après A. Glory (1948). Le premier nous fait penser à un signe anthropomorphe masculin dont les bras sont en forme d’anse ou arqués ; le second, si la restitution de 1948 est exacte, ne peut pas être interprété de la même manière. Le premier signe est présent également dans la figure no 1 du trou Nicole mais, s’il a encore des contours anguleux, le trait s’adapte cette fois à la forme d’une aspérité. On ne peut assimiler les deux figures car le losange de la cavité des gorges du Carami est peut‑être dégradé.
6.2.5.5. Cercle et ovale
43Il n’y a pas deux cercles identiques dans les peintures provençales, pas un non plus qui ne soit d’une régularité assez parfaite pour que l’on distingue nettement le cercle de l’ovale.
44La grotte Dalger présente trois figures circulaires, deux pointées (figures nos 1 et 2) et une troisième traversée de plusieurs traits (figure no 3). Cette dernière n’est pas un soleil car les traits ne sont pas rayonnants. La galerie terminale n’est pas assez sombre pour que l’on puisse penser, comme on l’a supposé pour certains signes rayonnants de la grotte de l’Eglise, que ce signe est contrefait parce que l’artiste n’en distinguait pas le trait en le réalisant.
45A l’abri des Eissartènes, un ovale a son périmètre constitué de petites ponctuations (figure no 4) et est accompagné de traits endommagés ; nous n’en voyons pas le sens. Est‑ce un collier comme pourrait l’être la figure no 21 du même panneau ?
46Le trait rouge qui borde une anfractuosité au plafond de la grotte Chelo (figure no 4) met l’accent sur ce renfoncement mais nous n’y voyons pas la mise en évidence d’une fissure car ce très faible renfoncement n’est pas orné des signes habituels en pareil cas.
47Le cercle oculé de la grotte Dalger nous fait penser, sans que nous lui assignions un même sens, à la figure trilobée et pointée de la grotte de l’Olivier reproduite avec une telle insistance qu’elle entre dans la composition du personnage de droite de la grotte de l’Olivier (figure no 1 ). Elle reste toutefois énigmatique.
6.2.5.6. Fer à cheval
48La grotte Alain présente deux signes en forme de fer à cheval juxtaposés et accompagnés de cinq points (figure no 2). Il n’y a apparemment pas d’association directe entre ces figures et l’homme couché éloigné de près d’un mètre. Ce même dédoublement pourrait exister au trou des Deux Amis bien que le trait brisé de la figure no 1 et le caractère incomplet de la figure no 2 ne permettent pas une identification parfaite de l’ensemble. A l’abri Bernard, le fer à cheval est plus sinueux.
49Ce type de figure semble un signe important dans la vallée du haut Carami. Après avoir cité les transformations successives et attestables de l’idole depuis la figure complète de la grotte Dalger, nous pensons que la forme étant le seul élément indispensable, les fers à cheval du haut Carami leur sont apparentés. Toutes ces figures sont accompagnées de points. Peut‑être même le fer à cheval est‑il simplifié en un accent (trou Nicole, abri Dalger no 3, par exemple) et constitue‑t‑il ainsi une figure apparentée à l’idole ?
50Le dernier exemple, à l’abri Dalger no 3, montre un signe jouant de la courbure naturelle du rocher, ce que nous avons mis en évidence avec la figure de la grotte Dumas.
6.2.5.7. Grille
51Dans chacune des vallées où l’on compte des sites ornés, les grilles sont présentes. Isolées et mal définies, celles de la grotte du Pin et de l’abri du Poste du Lazaret ne permettent aucune interprétation. La grille du réseau moyen de la grotte de l’Eglise est accompagnée d’un animal. Faut‑il y voir un enclos, un piège, une quelconque structure ?
52Les grilles de l’abri des Eissartènes sont les plus importantes. Le trait est épais et orangé. Les figures sont divisées en cases, certaines d’entre elles enfermant un point. D’autres ponctuations les entourent ou les relient. Ces grilles sont‑elles des plans ?
53Dans le panneau de droite de la grotte Chuchy, la grille est différente de celle dont on vient de parler : elle semble représenter une cabane ou du moins son armature ; loin d’être un plan, il s’agit d’une représentation réaliste en même temps que simplifiée.
54Le choix de situer des ponctuations dans certaines cases à l’abri des Eissartènes nous amènerait à des éléments de comptabilité, c’est‑à‑dire à la mise en évidence de certains points à certains emplacements. Nous pourrons tenter de voir si l’une ou l’autre hypothèse émise au sujet des grilles orange est vérifiable par la fouille d’un habitat proche.
55Nous avons aussi à la base du même abri et par trois fois une grille rouge. Deux d’entre elles ressemblent à leurs homologues orange et la troisième, plus grande et endommagée, représente un périmètre en ligne brisée (figure no 2). Ces grilles ne sont ni reliées ni associées à des points. On ne peut donc pas les assimiler d’emblée aux premières.
56A la grotte Dalger enfin, nous avons les mêmes difficultés pour interpréter la figure no 5 en forme d’échelle. Nous pensons simplement à son sujet que le pigment, orangé à l’origine, en fait une figure associable à la figure no 4 du plafond dont elle est proche.
6.2.5.8. Point
57Nous avons évoqué les points à plusieurs reprises. Proches d’un anthropomorphe, ils semblent lui attribuer un sexe masculin. L’idée vient souvent qu’il s’agit d’une comptabilité mais jusqu’à présent nous ne pouvons étayer cette hypothèse par aucun indice archéologique tiré des grottes ornées. Les points servent de lien évident entre les grilles orange de l’abri des Eissartènes mais nous ne savons que penser de ces dernières.
58Nous avons enfin un certain nombre de ponctuations qu’on ne peut qu’inventorier sans les expliquer : les quatre points qui surmontent l’idole de la grotte des Cabro, les cinq points autour de l’idole de la grotte Chuchy, les neufs points qui accompagnent l’idole de la grotte Dalger, les cinq points en dessous des deux signes en forme de fer à cheval de la grotte Alain et les nombreux alignements de petits points rouges, simples ou doublés, soulignant ou non des traits droits ou curvilignes dans le panneau des Eissartènes.
59Dans les peintures provençales le point n’est jamais isolé ; il accompagne.
6.2.5.9. Trait
60Comme les points, les traits sont fréquents parmi les figures peintes. Bien qu’il s’agisse souvent des vestiges de peintures à l’origine plus étendues (abri du Taillan, grotte Dumas, abri Hillaire, abri des Eissartènes), un certain nombre d’entre eux par leur forme, leur situation et leur association suggèrent une signification qui leur est propre.
61Dans la grotte de l’Eglise, des traits longs et vaguement curvilignes se répètent au‑dessus des passages étroits d’un diverticule bas creusé de petites fosses peu profondes et vides (figures nos 15 et 16). Ont‑ils le même sens que les alignements de croix dans la même grotte, que nous supposons être des repères ?
62Trois traits courts parallèles sont par deux fois associés à des figures à huit rayons dans la même grotte ; leur sens pour l’instant reste obscur.
63C’est encore l’association des figures qui nous pousse à attribuer aux cinq traits courts alignés de la grotte Chelo la signification d’une main alors que nous restons dans le doute pour une figure similaire de la grotte Dalger (figure no 7). Le trait est pointé à la grotte Chuchy (panneau A) et à la grotte Dumas nous lui avons déjà attribué le sens d’une abstraction poussée du sexe masculin.
6.2.6. Objet
64Nous avons peu de scènes dans les peintures schématiques et les accessoires en sont d’autant plus rares. Peu de ces objets nous ont semblé évidents : un filet (?) avec la figure no 1 de l’abri des Eissartènes, un bâton (?) avec la figure no 3 de la grotte Monier ou les personnages no 6 de la grotte Dalger...
65Seul l’arc du chasseur du gias aux Peintures est net. Un autre arc l’est aussi sur la paroi de droite de l’abri Dalger no 3 (figure no 2), instrument qui pourrait être lié à la scène opposée étant donné sa localisation près d’une fissure. L’arc n’est associé à aucun personnage et sa taille pourrait à elle seule symboliser la chasse.
66L’idole de la grotte Chuchy surmonte un long trait horizontal qui aboutit à une figure ovalaire que nous assimilons à une hache. Sa situation sous l’idole en ferait‑elle un élément votif assimilable au dépôt de galets sous l’idole de la grotte Dumas, ou simplement un objet lié au groupe des signes du panneau? Sa forme semble écarter l’idée d’un objet métallique. Le terme générique de hache polie auquel on pense ne doit pas faire oublier ses multiples usages comme ciseau à bois ou autres outils utilisés en percussion posée.
6.3. Principes de l’art schématique provençal
67Certaines figures sont directement interprétables et d’autres le sont par analogies, par leur situation dans la grotte, par leur association avec une figure plus évidente, etc. Dans cette première analyse de l’ensemble des peintures provençales transparaissent les intentions de leurs auteurs. Des principes régissent cet art. Nous pouvons les définir comme suit.
6.3.1. La schématisation
68Cet art peut être figuratif et exprimé d’une façon simple, dans les personnages (grottes Dalger, Monier, Chelo, Chuchy, abri des Eissartènes, par exemple), dans les animaux (grotte de la Béate du Destel, abri Dalger no 3) ou les objets (grotte Chuchy, abri Dalger no 3). Ces éléments très évidents peuvent être associés dans des scènes narratives (grotte Chuchy, gias du Val d’Enfer). Malgré le réalisme de ces figures qui sont d’emblée comprises par l’observateur, on décèle déjà un système de conventions ; un point signale que le personnage est bien masculin, l’axe du tronc est parfois aussi long que les jambes pour signifier la même chose, une vulve démesurée agrémente une représentation féminine, les capridés sont pourvus de cornes très allongées, etc. Ce début de convention nous amène à des figures apparentées à celles que nous avons appelées signes anthropomorphes. L’accent est mis sur la définition du sexe de la figure et on lui garde des éléments humains qu’on multiplie ou que l’on arrange comme les membres et/ou la tête (abri Georgeot no 1) (pl. XLVI).

● Pl XlVI – Exemple du processus de schématisation des signes anthropomorphes masculins ; les exemples sont pris dans les peintures provençales.
69On parvient enfin à des signes qui, par leur seule opposition, signifient un sexe à la manière de nos idéogrammes modernes ⚦ et ♀ . Les signes qui entourent l’idole de la grotte Chuchy (panneau A) sont à ce titre des symboles. Cette schématisation ne semble pas signifier un cheminement progressif de la pensée, c’est‑à‑dire indiquer un laps de temps entre le figuratif et le symbolique, car une même cavité montre le voisinage des deux formules (les deux panneaux de la grotte Chuchy, par exemple, ou la juxtaposition d’un personnage masculin et d’un signe anthropomorphe de même sexe à l’abri des Eissartènes). Dans la grotte Alain également, le personnage très net est accompagné de points dont le sens précis reste obscur.
6.3.2. La simplification
70Il s’agit en un sens du même principe que celui exprimé plus haut, mais alors que derrière la schématisation peut exister un changement dans la perception que l’artiste a des figures réalisées, la simplification semble n’être que le dépouillement d’une représentation réduite à ses plus simples contours.
71C’est le cas des idoles dont nous connaissons un certain nombre de versions dans l’art provençal. L’idole de la grotte Dumas est parée de ses colliers, agrémentée d’un visage, pourvue de pieds comme l’était peut‑être celle de la grotte des Cabro avant dégradation. L’idole de la grotte Chuchy comporte une tête mise en évidence par le détachement du cou mais n’a plus ni pieds, ni collier. Elle garde néanmoins la ceinture, division interne dont est encore pourvue la petite idole de la grotte Dalger. Cette dernière garde la forme d’une borne kilométrique qui se réduit à celle d’un fer à cheval (grotte Alain) et peut‑être même d’un accent (abri Dalger no 3). Dans cet exemple, l’idole garde son aspect extérieur d’un bout à l’autre du processus de simplification et elle est accompagnée par des points à chacun des stades considérés. La transformation va dans le sens du dépouillement d’une figure agrémentée à l’origine d’attributs réels (visage, collier, ceinture, pieds) jusqu’au stade où un simple contour sous‑entend l’ensemble des caractères.
6.3.3. La répétition et les superpositions
72Le cas le plus flagrant d’une répétition d’un même signe est bien sûr celui de la grotte de l’Eglise avec ses nombreux soleils – ce ne sont d’ailleurs pas les seules figures de cette cavité ‑ mais il s’agit d’une répétition qui pour être comprise ainsi implique de concevoir l’ensemble de la grotte comme un seul fait. Les répétitions considérées dans un seul panneau sont fréquentes : les signes anthropomorphes de l’abri Georgeot no 1, les personnages de l’abri de la Toulousane, les fers à cheval de la grotte Alain, les grilles de l’abri des Eissartènes, les formes tréflées de la grotte de l’Olivier... Ces répétitions sont obligatoirement réalisées dans le même temps car faites avec le même pigment et de la même main (dimensions et styles identiques). Apparemment la répétition d’une même figure ne change en rien sa signification. S’agit‑il simplement de renforcer la signification de la figure ?
73Les superpositions sont moins fréquentes. Elles existent à l’abri des Eissartènes où grilles et points orange sont peints sur des figures rouges sans souci de ces dernières. Les annihilent‑ils ? Le sens des premières reste‑t‑il intact ? Nous penchons pour la dernière hypothèse en considérant les figures tréflées de la grotte de l’Olivier, répétitives en arrière du porche et superposées sur la figure no 1 en avant de celui‑ci.
6.3.4. Les associations et la complémentarité
74S’il est des signes qui semblent porteurs en eux‑mêmes d’une signification (figures isolées ou en exemplaire unique dans une cavité), il en est d’autres pour lesquels l’interprétation n’est pleinement réalisée qu’en les considérant en association avec d’autres signes. S’il s’agit d’éléments réalistes, on est alors en présence d’une scène narrative au premier abord (« chasse au renard » de la grotte Chuchy, « chasse au capridé » du gias aux Peintures) recouvrant certainement un symbole étant donné la vocation de cet art peint. S’il s’agit de figures simplifiées et juxtaposées, l’ensemble voit très certainement son sens croître grâce à cette association. Ainsi le panneau de gauche de la grotte Chuchy associe un grand nombre de figures diverses. Ces figures ne sont pas associées par le mouvement. Le panneau est intégré dans une fissure. Sa signification est donc dépendante de l’association de ses signes.
- 3 On remarque par ailleurs que les personnages ou les signes anthropomorphes, isolés ou en plusieurs (...)
75L’association peut être réalisée en termes de complémentarité. L’exemple le plus probant est la juxtaposition de personnages ou de signes anthropomorphes de sexes différents. La disproportion des tailles entre le grand personnage féminin de la grotte Chelo et le petit personnage masculin qui l’accompagne n’enlève rien à la volonté évidente de l’auteur de les associer. En face de ces deux figures, les signes de sexe opposé qui sont peints sur la paroi de gauche sont par contre de même facture. La complémentarité est réalisée sur la même paroi ou peut être exprimée sur des parois opposées (abri Hillaire) ; la fissure joue donc un rôle dans le principe de complémentarité3. Elle n’associe pas uniquement des figures anthropomorphes. Elle semble associer les deux panneaux de la grotte Chuchy et les signes très divers de l’abri Dalger no 3. Par deux fois, l’idole est représentée près d’une fissure (grotte des Cabro et grotte Chuchy) et par deux fois ce qui semble être la simplification extrême de cette figure, l’accent, est peint dans une fissure (abri Dalger no 3 et trou Nicole). Seule de ces quatre cas, l’idole de la grotte des Cabro n’est pas accompagnée d’un autre signe ; a‑t‑il disparu ?
6.3.5. La thématique
6.3.5.1. La Fécondité
76Nous avons parlé d’un art où l’apposition de certaines figures est hissée au rang de symbole en même temps que d’un art où ces symboles sont volontairement associés. Le cas qui nous semble le plus facile à interpréter est l’association de signes masculins et féminins en relation avec les fissures des cavités. Réduite à sa plus simple expression, cette association impose l’idée d’un thème répandu dans l’art provençal, celui de la Fécondité. Ce thème est isolé dans les cas où on ne rencontre que des signes anthropomorphes. Quelques exemples montrent qu’il peut être associé à d’autres figures. Ces associations conduisent‑elles à une thématique amplifiée ou diversifiée ?
6.3.5.2. La Mort
77Neuf des vingt‑cinq cavités ornées ont restitué un matériel archéologique ou les témoins d’une utilisation, fût‑elle ponctuelle, des lieux. Dans cinq de ces cas, il s’agit de pratiques sépulcrales (grottes Dalger, Monier, du Pin, Alain, de l’Olivier). Une relation existe donc, pour ces sites du moins, entre les peintures et les rites funéraires. La grotte Alain possède l’unique scène apparente d’un rite funéraire avec son personnage masculin couché peint au‑dessus d’inhumations collectives. On peut également noter la singulière association d’un personnage masculin réaliste et d’un squelette découvert entier et en connexion anatomique au‑dessous de cette figure à la grotte de l’Olivier. La figure est remarquable par la façon dont elle est présentée, en perspective « tordue », mais ce personnage n’est pas dessiné il est vrai en position horizontale. La découverte d’un squelette entier, sans être rare, n’est pas courante mais il s’agit vraisemblablement du dernier individu inhumé dans cette grotte. Dans les deux cas évoqués, la figuration réaliste est étroitement associée à la mort.
78Trois autres cavités ont montré un matériel assimilable à un dépôt (grottes Dumas, des Cabro et de l’Eglise). Le dernier exemple est aussi le plus significatif. Nous n’avons dans les fosses que peu ou pas d’objets intacts. Il s’agit soit de fragments, soit d’objets brisés volontairement qu’accompagnent des charbons de bois n’ayant pas servi de façon pratique et un objet de parure dont on s’est défait volontairement. Il ne s’agit pas d’une coutume funéraire mais d’une pratique qui en est proche par la conception. On pense automatiquement à un rite, d’initiation (?). On sait que tout rite initiatique – de passage – est assimilé à la « mort » de l’initié qui « renaît » après la cérémonie. L’abstraction est présente dans cette pratique et rappelle ce que l’on trouve dans les sites sépulcraux contemporains. Le mobilier y est rarement intact ; des fragments de vases ne permettent guère la restitution d’un récipient, les éléments de parure sont souvent partiels, on peut avoir des fragments d’outils lithiques, des lames brutes, voire la matière première sous forme de rognons ou de blocs intacts ; les individus eux‑mêmes ne sont pas toujours entiers au moment de l’inhumation. Tout se passe comme si le fragment représentait l’objet.
79La fissure de la grotte des Cabro a restitué aux chercheurs de 1943 des cendres et des charbons de bois, dépôts volontairement introduits dans cette anfractuosité de la roche. Il est certain que l’on n’a pas pu faire de feu dans cette fissure.
80Le dépôt est très réel mais non interprétable à la grotte Dumas (sept galets). Si l’on considère l’association de l’idole et du dépôt (sous‑jacent dans ce cas), on peut se demander si le dépôt sous l’idole de la grotte Chuchy n’a pas été figuré par une grande hache plutôt que concrètement réalisé.
81En dehors de l’idole, une autre figure revient fréquemment avec les dépôts : le soleil, figure centrale de la grotte de l’Eglise ou élément du panneau A de la grotte Chuchy. Or dans un contexte funéraire, cette insistance à représenter la figure solaire nous rappelle la volonté des Chalcolithiques, dans le Midi, d’orienter le couloir des dolmens en fonction du soleil couchant.
- 4 Ce thème est d’ailleurs étroitement lié à la Fécondité chez les agriculteurs‑éleveurs.
82Les possibilités de comparaison dans le seul art pictural provençal sont rares. Toutefois l’évocation du thème de la Mort4 à travers des représentations et des faits précis semble exister.
6.3.5.3. La Vie
83Une représentation revient au moins trois fois dans l’art schématique provençal, celle de la chasse. C’est d’abord la scène très réaliste du panneau B de la grotte Chuchy. C’est ensuite la narration plus sobre des figures no 1 du gias aux Peintures ne mettant en relation qu’un homme et un animal. C’est enfin, par le processus de simplification, le grand arc de l’abri Dalger no 3. Nous écartons d’emblée les trois personnages en mouvement de la grotte Dalger près desquels ne figure aucun animal et la peu convaincante association personnage‑animal de la grotte de la Béate du Destel.
84Le thème semble donc fréquent et il peut être réduit à sa plus simple expression. Pour un art dont les deux premiers thèmes définis précédemment sont la Fécondité et la Mort, la chasse n’est‑elle pas la représentation d’un thème plus abstrait qui bouclerait un cycle : la Vie ? Cette Vie serait assimilée à l’action. L’action choisie par les Préhistoriques présente un caractère ancestral et traditionnel.
85La chasse est en effet liée aux autres thèmes dans un exemple qui nous semble d’une importance capitale parce que possédant un grand nombre de figures courantes, les deux panneaux de la grotte Chuchy. La fissure autour de laquelle s’ordonnent les panneaux A et B assure la complémentarité des figures. A gauche, on peut observer l’opposition masculin‑féminin proposée comme figuration du thème de la Fécondité, des signes comme le soleil et la hache pour lesquels nous avons supposé qu’ils représentent le thème de la Mort, et face à ces figures une scène de chasse signifiant la Vie. S’il y a cycle, cette cavité en présente donc la totalité.
6.3.5.4. L’idole
86Il reste une figure dont la signification pose un problème, celle de l’idole. Les signes qui lui sont associés ne sont pas systématiquement les mêmes. Voyons ces associations :
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Dalger 1 : idole + point + carré.
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Dalger 3 : idole + arc + serpent + personnage masculin + fissure.
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Dumas : idole + signe masculin.
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Cabro : idole + point + fissure.
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Nicole : idole + signe masculin + fissure.
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Alain : idole + point.
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Chuchy : idole + point + signe masculin + signe féminin + soleil + hache + chasse + fissure.
87L’idole est en relation avec des figures différentes où dominent le personnage ou le signe anthropomorphe masculin (4 fois) et/ou les points (4 fois). Elle est présente 4 fois encore dans une fissure. Mais elle est associée à des figures diverses dans les autres cas.
88En termes de thème, elle est au centre du cycle défini plus haut dans la grotte Chuchy et elle est jointe au thème de la chasse à l’abri Dalger no 3. Doit‑on admettre que les autres sites ne connaissent aucun des thèmes qui seraient à la base de l’art pictural ou peut‑on penser que cette idole porte en elle les caractères qui font défaut, assurant elle aussi la complémentarité du groupe ? La première hypothèse n’a pas de fondement si l’on considère l’insistance des Préhistoriques à répéter certaines figures et l’aspect systématique de la localisation des signes. La deuxième proposition suppose une ambivalence de pouvoirs de cette idole qui lui permettrait de porter en elle le principe féminin quand elle est associée à un signe masculin (grotte Dumas ou trou Nicole), d’être les deux à la fois aux abords d’une fissure (grotte des Cabro) et de n’être ni l’un ni l’autre mais d’aider (de renforcer) leur association (grotte Chuchy). Cette souplesse n’est pas pour nous étonner après avoir apprécié les multiples façons de passer d’un signe à l’autre et du concret au symbole.
89Toutefois, nous admettons que ce n’est qu’une hypothèse et qu’à ce point de l’analyse, l’apport de connaissances autres que celles que nous ont fournies les peintures provençales nous est nécessaire.
Notes
1 Si le nombre est automatiquement supérieur à 32, les points n’indiquent donc pas la totalité des individus.
2 Le mot idole du grec ειδολον désigne le reflet de l’image. Il s’agit effectivement de figures qui ressemblent à l’Homme sans en être, sans que n’entre obligatoirement la notion de surnaturel. Nous avons voulu éviter le terme d’« anthropomorphe » qui dans l’art peint désigne des figures dont il est prouvé qu’elles dérivent de la représentation de personnages, masculins ou féminins, de figures où la mise en évidence des caractères sexuels est la principale caractéristique.
3 On remarque par ailleurs que les personnages ou les signes anthropomorphes, isolés ou en plusieurs exemplaires, peints sur des abris ou dans des zones exemptes de fissures, sont systématiquement masculins (abris Georgeot, de la Toulousane et des Eissartènes, grotte Monier, grotte des Cabro, grotte de l’Olivier). De même un personnage ou un signe anthropomorphe isolé, même représenté dans une fissure, est masculin (abri Dalger, trou Nicole). Ces considérations renforcent donc l’idée selon laquelle la signification des figures est en lien étroit avec leur emplacement.
4 Ce thème est d’ailleurs étroitement lié à la Fécondité chez les agriculteurs‑éleveurs.
Table des illustrations
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Légende | ● Tableau II – Les peintures postglaciaires provençales : classification des motifs, o = certain ; x = hypothétique. |
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Légende | ● Pl XlVI – Exemple du processus de schématisation des signes anthropomorphes masculins ; les exemples sont pris dans les peintures provençales. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/35073/img-2.jpg |
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