4.1. Introduction

1La relation entre le mobilier mis au jour dans les grottes peintes et les figures n’est pas évidente. Aucun remplissage n’est venu recouvrir les peintures. Aucun ensemble n’est clos. C’est un problème qui se pose fréquemment au chercheur qui étudie l’art préhistorique. Par exemple, il n’existe qu’une dizaine de cas seulement où l’art paléolithique pourtant si abondant (plus de 100 sites pour la région franco-cantabrique, dont beaucoup très riches) soit daté par la couche en place. La grande majorité l’est par analogies. Nous ne disposons ici que de cette méthode.

4.2. Vallée du haut Carami (pl. XXXIX)

2La grotte Alain est sans doute le seul site peint où l’obstruction de l’entrée par un muret en pierres sèches donne une limite chronologique supérieure attestable. Nous ne pouvons dire si la peinture est antérieure au mobilier, si elle existait avant qu’on ne se serve delà grotte pour des inhumations, mais, à moins que le muret n’ait été remanié – ce sur quoi le rapport de A. Glory (1948) ne donne aucun détail , cette peinture est au moins contemporaine de la dernière inhumation1. Il est évident qu’on n’inhume pas trente-deux individus2 en même temps et que l’ensemble n’est pas strictement clos. Le mobilier est attribuable au Chalcolithique provençal au sens large (pl. XXXIX, C). Les inventeurs parlent d’un fragment de vase « campaniforme », attribution culturelle que réfute J. Courtin (1974) car ce vase n’est pas orné. En effet, il s’agit d’un fragment de céramique sans décor, qualifié de campaniforme par la seule courbure de la panse, non caractéristique. Une partie du matériau est local, la bauxite en exploitation à moins d’un kilomètre au sud de la grotte. La bauxite nous parvient sous forme de galets plats (utilisés ?), de perles ou de traces rouges visibles sur une pendeloque. Le mobilier est caractéristique sans être original.

3La représentation dite « l’homme couché » a été réalisée avec un pigment de teinte rouge. Il s’agit d’ocre selon A. Glory (1948). Cette figure semble en relation avec l’usage funéraire de la cavité.

4La grotte Alain est la seule grotte ornée de la vallée du Carami dans laquelle ait été trouvé un matériel préhistorique. L’intervention que nous avons tentée à la grotte des Cabro s’est révélée inutile car à l’exception d’un fragment proximal de lamelle en silex, nous n’avons rien trouvé qui puisse être considéré comme contemporain des deux peintures (pl. XXXIX, B). Malgré de nombreuses prospections dans la vallée, les possibilités d’habitat en porche de grotte sont rares. Seule existe la grotte Saint-Michel de Rimbert visitée par H. de Gérin-Ricard en 1903 et citée par V. Cotte (1924) pour ses « poteries à faciès préhistoriques ». V. Saglietto (1933) parle de la découverte de quelques fragments de silex à la grotte Saint-Michel. C’est un site potentiel quoique très remanié par des occupations d’époque historique.

5Nous avons découvert quelques tessons céramiques ou fragments lithiques aux abords de la grotte du Charbonnier (la même barre de rochers compte huit cavités) et au-dessus du Pont Romain mais il s’agit dans les deux cas d’un mobilier pauvre, atypique et hors contexte. Pour la même région, nous n’avons que des indices bien ténus d’une occupation préhistorique : quelques haches polies aux environs de Tourves (Glory 1948) et un toponyme, Pierre-Longue, au-dessus de Saint-Michel, qui pourrait désigner un dolmen. Les premières ne sont pas des indices culturels et malgré nos prospections, nous n’avons pas trouvé le second, situé il est vrai dans la zone des carrières de bauxite. La présence de l’abri Bernard dans la vallée du Bonheur, de l’autre côté de la colline de Saint-Probace, et la valeur stratégique de ce dernier site nous permettent de supposer qu’il fut occupé à l’époque préhistorique. Bien qu’il s’agisse d’un plateau portant deux enceintes de l’âge du Fer (Candoux et Saint-Probace), des découvertes d’outils en silex y auraient été faites. Des recherches personnelles (prospections) n’ont pas permis de découvrir des indices antérieurs à l’âge du Fer.

4.3. Région des Gorges d’Ollioules (pl. XLII, C et D)

6La grotte Monier (pl. XL) dans la vallée du Destel est une autre grotte sépulcrale. Elle présente deux ouvertures et bizarrement c’est l’ouverture nord, bien que basse et ouverte sur une terrasse en forte pente, qui fut bouchée par un muret de pierres. L’entrée sud, large et haute, ne présentait aucune obstruction en 1943-44, date de la première fouille. Nous avons trouvé nous-même de ce côté-ci du couloir des tessons de poterie tournée, associés à un matériel plus ancien, qui prouveraient l’absence de mur. Le mobilier est, pour partie du moins, attribuable au Chalcolithique provençal, un Chalcolithique où persistent des éléments de tradition chasséenne comme la flèche tranchante.

7Ainsi qu’il est fréquent en Provence, l’inhumation à la grotte Monier a perduré jusqu’au Bronze moyen. Trois éléments de parure en pâte de verre bleue et des tessons de vase à fond plat ou à cordons digités sont datables de cette période. Nous notons que la plupart de ces objets de parure sont identiques à ceux trouvés dans la grotte du Château du Diable, située à quelque 300 m plus au sud, presque au sommet du plateau, et utilisée elle-même du Chalcolithique au Bronze moyen. La pâte de verre bleue a été façonnée de façon à imiter les perles dites de Κακκοωατοσ (Courtin 1974), ce qui précise notre limite chronologique inférieure.

8Nous avons trouvé neuf morceaux d’ocre jaune dans la partie sud de la grotte essentiellement. Les fouilleurs précédents avaient mis au jour trois morceaux d’ocre dont un usé, un petit broyon de 0,06 m de long portant des traces d’ocre jaune, un morceau de grès travaillé portant des traces d’ocre rouge, un galet plat et une plaquette de schiste ornée présentant les mêmes traces d’ocre rouge. Il s’agit donc d’un potentiel de colorant non négligeable.

9Nous n’accordons pas un crédit illimité à la présence d’ocre ou de bauxite dans les sites. La relation entre colorants et peintures n’est pas obligatoire. Les matières colorantes existent dans tous les niveaux dans de nombreux sites provençaux (pl. XLI). On note l’usage qui en est fait pour rehausser le décor céramique (station de Baratin à Courthézon : niveau cardial ; Baume Fontbrégoua à Salernes : cardial final ; grotte C à Baudinard : Hallstatt A...), pour peindre la paroi de l’habitat (abri de la Font-aux-Pigeons à Châteauneuf-lès-Martigues : niveau castelnovien ou cardial3...). Il s’agit souvent du produit pulvérisé qui macule les meules et les broyons (grotte des Héritages à Bouc-Bel-Air : niveau cardial ; abri de Sainte-Croix à Sainte-Croix-du-Verdon : niveau cardial...) ou qui est recueilli dans des récipients comme le pecten (abri de la Font-aux-Pigeons à Châteauneuf-lès-Martigues : niveau cardial... ). C’est souvent sous la forme d’un fragment portant des traces d’usure et de raclage qu’il est décou- vert (site d’Escanin aux Baux-de-Provence : niveau cardial et surtout niveaux pré-chasséens de la Baume Fontbrégoua à Salernes, des stations de Villecroze etTourtour, de la plupart des grottes des moyennes gorges du Verdon à Baudinard, du Logis du Bord de l’Eau à Evenos...). La matière est le plus souvent brute au Chalcolithique et dans le Campaniforme (hypogée Arnaud Castellet à Fontvieille ou grotte Murée à Montpezat..,) et au Bronze (atelier de la Ripelle au Revest...). On a trouvé dans les dolmens I et III des Adrets (Brignoles), respectivement 32 et 70 perles de bauxite blanche ou rouge.

10Cette liste n’est pas exhaustive ; elle témoigne seulement d’un usage des colorants pendant toute la Préhistoire postglaciaire.

11Dans aucun de ces sites, il n’a été, bien sûr, trouvé de peintures. L’ocre ou l’hématite sont des matières fréquentes à l’état natif. L’existence des ocres d’Apt, de Roussillon, etc., ne doit pas faire oublier que ce colorant peut exister un peu partout sous forme de fragments indépendants de gisements. Mais la bauxite n’existe pas dans les Alpes-Maritimes. Les fragments d’ocre jaune trouvés dans la grotte Neukirch et ceux mis au jour dans la grotte Monier ne portent d’ailleurs aucune trace d’utilisation.

12La bauxite est plus spécifique. Confrontés à une carte des gisements de bauxite en Provence, les sites qui en ont restitué leur sont relativement proches. Toutefois, les sites où l’on a trouvé des morceaux d’ocre sont intégrés dans les mêmes zones. En fait, c’est l’usage du colorant qui est important. Quand on note son utilisation sur un objet, le colorant est obligatoirement rouge ce qui sous-entend que c’est cette couleur qui est recherchée. De ce fait, l’ocre jaune est probablement destinée à être chauffée.

13Nous pourrions reprendre dans cette démonstration l’idée que G. Rozoy (1978) exprime pour l’Epipaléolithique, en affirmant que l’utilisation de l’ocre –ou tout autre colorant– est un fait ethnographique simple répondant à des intentions très diverses qui ont pu être réinventées ou changer de signification.

14Trois objets de la grotte Monier sont cités avec beaucoup de réserves : un petit buste de grès de 0,03 m de haut, un galet de schiste façonné en forme de tête de 0,095 m de haut et une plaquette de schiste gravée d’une ligne brisée et d’un T séparant deux cupules de 0,105 m de haut. Les trois objets ont été trouvés ensemble. Nous ne disposons d’aucune comparaison pour les deux premiers ; le second est d’ailleurs de forme tout à fait aberrante, de « facture océanienne » dit J. Courtin (1974). Nous sommes plus enclin à suivre A. D’Anna (1977) dans son acceptation de la plaquette de schiste parmi les représentations anthropomorphes provençales attribuables à un Néolithique final ou à sa phase transitoire avec le Chalcolithique.

15Des quatre figures peintes dans la grotte Monier, les trois représentations découvertes en 1943 ont fait l’objet d’une analyse de pigment mais les résultats n’ont pas de similitude avec ceux obtenus pour les fragments d’ocre découverts dans le remplissage.

16Le confluent de la Reppe et du Destel a été le lieu d’une occupation presque ininterrompue depuis la Préhistoire jusqu’à très récemment, aussi n’accordons-nous qu’un faible crédit à la valeur des témoins lithiques trouvés dans la grotte de la Béate du Destel par exemple, soit au fond du couloir, soit devant l’entrée et ceci sans contexte. C. Bottin (1896) parle d’ailleurs d’un matériel remanié.

17La grotte du Pin n’est éloignée de ce confluent que d’une centaine de mètres. Les deux inhumations découvertes accompagnées d’un matériel très pauvre, une perle en os, un tesson de céramique et neuf éléments de silex, peuvent être datées du Chalcolithique et/ou du Bronze ancien. Les peintures y sont très dégradées et elles furent probablement réalisées au ras de la couche archéologique.

18Dans la grotte Dumas, voisine de la première, nous n’avons trouvé d’autre mobilier que sept galets de rivière rassemblés à l’aplomb de la figure et 0,40 m en dessous. Nous nous permettons d’insister sur leur présence ; il s’agit d’éléments apportés et si l’on en croit les inventeurs de la grotte en 1943 et nos observations personnelles, de galets placés au-dessus d’un effondrement et en dessous d’un second éboulis de 3 m de haut (pl. XLII, A). Ces éléments ne peuvent servir de repère chronologique mais ils témoignent d’une action intentionnelle car on ne rentre dans la grotte qu’après une escalade de 6 m.

19La grotte Dalger de l’autre côté de la Reppe fut fouillée dix ans après la découverte des peintures. On y a mis au jour les restes de quatre adultes et d’un enfant (?)4. R. Gérard (1946-47) avait interprété les signes de la paroi gauche comme le plan sommaire d’une chambre funéraire avec son couloir d’accès et le nombre des individus inhumés : quatre adultes et un enfant. Nous ne pouvons nous empêcher d’être sceptique sur cette interprétation d’autant que la figure a disparu (elle était sans doute faite au noir de fumée). J. Layet (1957) parle uniquement d’ossements humains concassés accompagnés d’un tesson de céramique « lagozienne ». Nous restons prudent sur cette attribution culturelle que l’auteur place d’ailleurs au Bronze moyen I Nous sommes plutôt en présence d’un rite funéraire en grotte, rite attribuable au Chalcolithique et aux débuts de l’âge du Bronze (pl. XLII, B).

20La plupart des sites ornés de la région des gorges d’Ollioules sont axés sur le confluent de la Reppe et du Destel. Ils forment ainsi un groupe indépendant du groupe des sites préhistoriques plus en amont dans le Destel, au-dessous de la source dite de Saint-Martin. Nous avons cité plus haut la grotte du Château du Diable avec son mobilier qui permet de dater les inhumations des mêmes périodes que celles de la grotte Monier. Nous avons au-dessus de la grotte de la Béate du Destel un éperon rocheux fouillé de longue date et étudié plus récemment par J.-P. Brun (1977). Il s’agit d’un habitat continu depuis le Néolithique jusqu’aux premières phases de l’âge du Fer. Un matériel lithique assez abondant et des vases ovoïdes non décorés permettent de dater précisément les débuts de l’occupation au Chalcolithique. Un vase orné de cannelures verticales serait de style fontbuxien. J, Courtin réfute la présence d’éléments campaniformes, ce mot servant le plus souvent à désigner la forme des vases. Un bord de coupe avec décor de triangles remplis d’incisions horizontales est attribuable à l’âge du Bronze. Il nous est possible de déceler une occupation aux Bronze moyen et final par la présence de tessons ornés d’impressions digitales, d’une anse ad ascia et de coupes carénées à décor de méandres.

21Au-dessous de la station de Saint-Estève et près de la grotte de la Béate, la grotte Saint-Estève n^o 1 a restitué des éléments chasséens typiques : de petits mamelons percés horizontalement près du bord et un fragment de bracelet en calcaire blanc. Le Chalcolithique est attesté par une industrie lithique caractéristique, un poinçon en os et un fragment de défense de sanglier percée. Un objet en forme de bobine en calcaire tendre a son homologue en terre cuite dans un contexte campaniforme au Fortin du Saut à Châteauneuf-lès-Martigues (Courtin 1974) et à Palmella (Portugal).

22A la grotte de la Carrière, proche de la grotte Dalger, trois individus ont été inhumés –l’un d’eux en position repliée– accompagnés de quelques éléments de parure que les auteurs attribuent au début de l’âge du Bronze (Veraldo, Edel 1954) mais que l’on pourrait éventuellement ramener au Chalcolithique. Cet ensemble de sites est en général contemporain du mobilier des grottes ossuaires ornées. Le matériel n’est jamais abondant et les objets découverts rarement en place.

23Ces sites sont concentrés dans une zone où, exception faite de la station de Saint-Estève, d’ailleurs perchée, nous n’avons que des sites à usage funéraire. Il faut tenir compte des possibilités de terrain qui ne permettent pas l’implantation d’un second habitat. Les habitats sont plutôt situés en amont. On y distingue des habitats en porche de grotte dont certains ont connu une occupation assidue depuis le Néolithique jusqu’aux débuts de l’âge du Fer5. Ces mêmes habitats voisinent avec des tombes mais ce sont des tombes individuelles (grotte de Saint-. Martin n^o 1, par exemple) ou bien les fragments isolés d’un squelette (un fragment de mâchoire humaine au Logis du Bord de l’Eau, par exemple) ; ces vestiges ne permettent pas d’assimiler ces pratiques funéraires à l’inhumation en grotte au Chalcolithique.

24Il est donc possible de distinguer deux groupes dans la vallée du Destel, sachant d’ailleurs qu’il existe dans le second groupe des habitats contemporains des grottes sépulcrales du premier. Un site doit tout de même retenir notre attention, c’est la grotte de la Pierre Christianisée. Deux rochers tombés de la voûte sont gravés d’un certain nombre de croix. Au pied de ces rochers, quelques sondages ont révélé quatre couches archéologiques allant du Chasséen au Bronze final / premier âge du Fer.

25Au nord de la région le mamelon Georgeot est tout à fait isolé au fond de son vallon. Cinq grottes6 dominent ce même vallon, dont quatre sont des grottes sépulcrales chalcolithiques tandis que la cinquième présente un mobilier daté du Néolithique sans précision jusqu’à l’âge du Bronze, hors contexte stratigraphique. Au milieu de ce groupe de cavités, l’oppidum du Garou aurait restitué quelques objets, lithiques et céramiques, et des coquillages marins percés qui pourraient être antérieurs à l’âge du Fer. Il est toutefois impossible de relier ce groupe de grottes au mamelon Georgeot sans faire un large détour. Au contraire le talweg a dû être parcouru fréquemment par les Préhistoriques à la recherche de silex. Les rognons de silex, noir ou clair, affleurent partout. C’est ce même silex que l’on trouve sous l’aspect de produits finis dans toutes les stations de la région et dont C. Bottin situait l’atelier de débitage dans le quartier de la Toulousane. Il a été démontré que, outre un débitage de type clactonien (Bonifay, Lumley 1957), le même atelier avait probablement servi jusqu’au Néolithique.

26Il n’est pas besoin non plus de s’interroger sur la présence de nombreux objets de grès dans les grottes alentour (trois dans la seule grotte Monier) puisque les affleurements de cette roche sont proches (Sainte-Anne d’Evenos).

4.4. Moyennes gorges du Verdon (pl. XLIII, A)

27Certaines des représentations du réseau supérieur de la grotte de l’Eglise sont inscrites dans de petites coupoles de 2 à 3 m de diamètre pour les plus importantes. Le sol est parfois creusé de fosses de 0,20 à 0,80 m de diamètre. J. Courtin avait trouvé en surface un bracelet ouvert en bronze et une tasse carénée à anse unique flanquée de mamelons, attribuables au Bronze moyen (Courtin 1960). Mais la plus grande partie du matériel découvert en fouillant les fosses est rattachable au Néolithique final ou au Chalcolithique. Il s’agit de poinçons en os, de lames de silex accompagnées de nombreux charbons de bois et pour la céramique de deux grands vases brisés sur place, à fond galbé et carène basse, à surface noire lustrée et paroi fine, de nombreux fragments de vases à mamelons percés et des anses funiculaires. Les vases rappelleraient certaines formes du Chalcolithique ibérique avec des éléments attribuables au Chasséen final (pl. XLIII, B). Le matériel trouvé sous les figures serait donc compris entre les débuts du Chalcolithique et le Bronze moyen. La présence de charbons de bois n’est probablement pas le vestige de feux allumés sur place mais le résultat d’un apport de ces éléments depuis l’extérieur ; on conçoit mal l’homme faisant du feu dans ces galeries basses et obscures du moins sous les peintures que la fumée aurait recouvertes.

28La galerie adjacente où J. Courtin a fouillé ces fosses est jonchée d’ossements d’animaux ; ils ont sans doute été apportés par l’homme car la galerie principale ne présente pas de tels dépôts.

29Dans les zones proches de la lumière, le réseau supérieur a restitué une série de couches essentiellement chasséennes et en surface un matériel du Chalcolithique et de l’âge du Bronze. La similitude entre ce matériel de fin d’occupation de la zone d’habitat et le mobilier trouvé dans les galeries basses est frappante.

30Dans le réseau moyen, la stratigraphie a donné une couche du Néolithique ancien cardial (couche 7), puis un Chasséen méridional classique (couches 6 à 3), enfin des éléments du Chasséen final, du Chalcolithique et plus rarement du Bronze final (couches 2 à 1).

31Les mêmes gorges ont restitué cinq habitats au moins7 dont l’importance a été mise en valeur par les travaux de J. Courtin et de Ch. Lagrand. Le Chasséen dans toutes ses phases est bien représenté, le Campaniforme (en stratigraphie) est très abondant à la grotte Murée notamment.

32Des niveaux du Bronze moyen et final sont représentés. Il n’a pas été trouvé de grottes sépulcrales dans cette zone ; on note cependant dans la grotte Murée la fosse, où est inhumé un enfant, creusée dans un niveau campaniforme et accompagnée d’un riche mobilier et d’une boule d’ocre.

4.5. Estérel

33Les travaux effectués dans la grotte de l’Olivier ne sont relatés que sommairement (Courtin 1984), aussi ne disposons-nous que d’informations fragmentaires. Sous la figure principale de cette cavité, un squelette complet, en connexion anatomique, fragmenté sur place par un feu violent et en position fortement contractée, a été mis au jour. Le mobilier recueilli n’est pas en relation directe avec l’individu inhumé et les inventeurs pensent que la grotte a été en partie vidée aux périodes historiques. Les armatures de flèches bifaciales et foliacées en silex, le fragment proximal de lame retouchée en silex, les pendeloques en crochet en os, les perles en stéatite et le fragment de vase à bord éversé avec son anse en ruban indiquent une utilisation de la grotte au Chalcolithique (pl. XLIV).

34Sans être très nombreux, les sites attribuables à la Préhistoire récente dans le massif de l’Estérel ne sont pas absents (dolmen de Valescure par exemple). Toutefois les présenter ici ne pourrait apporter d’éléments en relation quelconque avec l’occupation de la grotte de l’Olivier.

4.6. Vallon du Gueilet

35L’abri orné des Eissartènes est relativement isolé8. Il n’y a aucun remplissage au-dessous du panneau. Sur les côtés de l’esplanade commencent les premières terrasses cultivées jusqu’au début du xx^e s. Il s’agit donc d’un terrain remanié. Nous avons commencé une série de prospections dans ce vallon et ses abords depuis 1981 et nous fouillons un site d’habitat à moins de 500 m à l’est de l’abri.

36L’essentiel des découvertes autour de l’abri peint consiste en tessons de l’âge du Fer (céramique modelée) et le site orné est d’ailleurs classé à l’âge du Fer par la direction des Antiquités de Provence-Alpes-Côte d’Azur. On peut supposer que cette datation « fin de l’âge du Bronze ou début du Fer » (Goudineau 1977) est due à la présence au plafond de l’abri de la représentation d’un « cheval ». Effectivement cet animal a été utilisé à la charnière du Bronze final et des premières phases de l’âge du Fer mais il existe dès le Chalcolithique (site de la Balance à Avignon, par exemple) même s’il n’est pas prouvé qu’il soit domestiqué à cette date (Courtin 1978). On peut admettre qu’il n’est pas besoin de domestiquer un animal pour le représenter sur un rocher. Il n’est pas non plus certain que le « cheval » des Eissartènes soit contemporain du panneau situé en dessous. Il s’agit de deux styles très différents. Il est difficile de se prononcer sur ce cas.

37Le site que nous avons entrepris de fouiller, le Couloir des Eissartènes, s’est révélé être un habitat de plein air perché sur un plateau en forte déclivité et attribuable au Bronze final, à l’âge du Fer et au Haut Moyen Age avec un long hiatus du iv^e s. av. J.-C. au iii^e s. ap. J.-C. Les structures d’habitat sont en cours de dégagement. L’essentiel des renseignements chronologiques provient d’un long couloir de 40 m de long et 5 m de large situé entre le bas de la falaise et une écaille rocheuse qui s’en est détachée et où la stratigraphie atteint déjà une puissance de 7 m, bien que le substrat n’ait pas été atteint. Pour l’instant, aucun objet n’a pu être relié d’une quelconque façon au site orné et nous attendons l’avancement des travaux pour nous prononcer. Cependant, la découverte en 1984 d’un abri orné de gravures schématiques linéaires à 200 m de l’abri peint réaffirme l’intérêt d’une étude complète et synchrone des trois sites intégrés dans la même falaise et si proches les uns des autres.

38Les autres sites potentiels proches de l’abri peint sont la Baume Fauchin qui a restitué en surface de petits éclats de silex blond et peut-être la Baume du Loup qui a donné un grattoir sur éclat très abîmé (renseignement F. Carrazé). Mais ces deux cavités réutilisées jusque très récemment ne présentent pas un remplissage d’une grande puissance.

39On ne saurait oublier l’ensemble des quatre dolmens des Adrets situés à la limite des communes de Brignoles et du Val. Le matériel est attribuable au Chalcolithique régional avec des réutilisations à l’âge du Bronze (dolmens I à III, travaux G. Bérard) ou une continuité au Campaniforme (dolmen IV, travaux personnels). Nous espérons que de futures prospections dans ce vallon nous aideront à comprendre la répartition des sites préhistoriques et l’usage réciproque des deux sites ornés.

4.7. Val d’Enfer

40Les peintures du Val d’Enfer sont uniques dans cette zone. On ne saurait en parler sans évoquer le nombre de gravures situées dans la vallée des Merveilles : plus de 100 000. Pas plus que les gravures, les peintures ne sont associées à un quelconque mobilier. Les découvertes de « céramique de la Lagozza » au gias del Ciari n’apportent que des renseignements parcimonieux sur lesquels nous ne saurions nous baser. Les auteurs abusent en effet du terme « céramique de la Lagozza » qui finit par ne plus avoir de lien réel avec la céramique mise au jour dans le site éponyme et désigne tout fragment à surface sombre polie, caréné ou non.

41Par comparaison avec le mobilier existant par ailleurs en Provence, dans le Piémont et la Ligurie, il a été possible de dater les représentations de poignards et de hallebardes, puis, par le mode de gravure et les nombreux superpositions et rajouts, les autres sujets. Hallebardes et poignards ne remontent pas au-delà du Bronze ancien à part quelques rares représentations de petits poignards qui pourraient être chalcolithiques (Lumley, Fontvielle, Abelanet 1976). Les peintures sont peut-être plus anciennes. Elles sont présentées sous forme de panneaux ce qui n’existe pas en gravure. Elles sont finalement d’une technique qui ne favorise pas la pérennité et la conservation des figures du gias du Val d’Enfer nous semble un heureux hasard. Nous supposons qu’il s’agit là encore d’une œuvre des Chalcolithiques.

4.8. Datation des peintures provençales

42Par deux fois il a été possible de donner pour date supérieure du mobilier proche des peintures le Chalcolithique provençal (avec tradition chasséenne), à la grotte Monier et dans le réseau supérieur de la grotte de l’Eglise. Le second offre un appui sérieux à cette affirmation car il s’agit d’un matériel issu de structures volontairement placées sous des alvéoles de la roche formant de véritables unités. Une très légère antériorité du mobilier de la grotte de l’Eglise serait même possible ; on peut se demander s’il s’agit d’un stade transitoire entre le Chasséen final et le Chalcolithique ou d’une tradition chasséenne. La différence de datation pourrait être dépendante du type de vestiges : dépôt pour la grotte de l’Eglise, grotte-ossuaire pour la grotte Monier. Quoi qu’il en soit, le Chasséen semble avoir une certaine influence sur ces figures pariétales.

43Sans précision de filiation, le Chalcolithique local est décelé à quatre reprises, à la grotte Alain, à la grotte de l’Olivier et avec moins de certitude aux grottes du Pin et Dalger. Ce sont là quatre lieux où les inhumations sont accompagnées d’un matériel assez pauvre. La limite inférieure est le Bronze moyen qu’on décèle dans le remplissage à la grotte Monier et en surface pour la grotte de l’Eglise. Il n’existe nulle part de mobilier campaniforme associé à un site orné. Les rares mentions ne font état que de tessons de « galbe campaniforme », ne permettant d’ailleurs pas toujours de reconstituer ce profil.

44Ces indices sont trop faibles pour dater les peintures par leur seule association (présumée) avec le mobilier archéologique. N’oublions pas que neuf sites ornés n’ont aucun remplissage (abris Georgeot, de la Toulousane, Dalger n^o 3, du Taillan, les trous des Deux Amis et Nicole, l’abri Hillaire, la grotte Chuchy et l’abri A des Eissartènes). En ajoutant la grotte Dumas pour laquelle nous avons vu qu’une partie de l’effondrement était antérieure aux peintures, la grotte des Cabro où nous avons effectué sans succès un sondage, la grotte Neukirch qui a donné le même résultat à ses inventeurs et le gias du Val d’Enfer où le mobilier est rare, le nombre des sites potentiels est infime.

45On peut se demander si la présence des vestiges est vraiment rendue obligatoire par le fait même que le site est peint ; il semble qu’il n’en soit rien. La datation du mobilier étalé sur plusieurs phases culturelles ne signifie pas obligatoirement une contemporanéité aussi longue des peintures, ou du moins de leur exécution. Nous avons quatre figures dispersées à la grotte Monier et rien n’indique qu’elles aient été peintes en même temps ou avec un intervalle de temps, d’une durée d’ailleurs impossible à calculer. Ce que nous n’avons jamais, c’est une cavité où le matériel ne remonte qu’au Bronze ancien ou moyen.

46Nous pensons pouvoir dater avec plus de précision la peinture de la grotte Alain (figure n^o 1 ) par le thème qu’elle évoque. La période qui va du Chalcolithique au Bronze moyen coïncide avec une même pratique funéraire en grotte (ou dans certains dolmens réutilisés : dolmens des Antiquailles, des Adrets II ou du Pont-Neuf, par exemple). Nous pouvons penser que l’idée reflétée dans les peintures a gardé sa valeur bien au-delà du Chalcolithique. Les manifestations artistiques sous forme de peintures pariétales n’ont pas empêché la continuité de l’inhumation jusqu’au Bronze moyen. Par contre, nous n’avons pas de réutilisation des ossuaires en grottes ornées au Bronze final bien que cette réutilisation des anciens lieux sépulcraux existe à cette époque par ailleurs. Nous pensons donc que les peintures ont été effectuées au début du Chalcolithique, et que leur emploi –ou leur compréhension– a pu durer jusqu’au Bronze moyen. Nous n’avons ni superposition, ni rajout qui soit datable. Nous avons seulement des figures identiques d’une grotte à l’autre, des similitudes dans le choix des cavités et de l’emplacement des figures, des similitudes aussi dans l’utilisation des pigments, qui attestent que celles des peintures qui ne sont pas datables directement le sont par analogies. C’est la méthode utilisée par exemple pour les peintures du Val d’Enfer.

47L’examen des autres sites de chacune des vallées ne s’est pas révélé décisif, hormis peut-être celui des gorges d’Ollioules. Il a seulement permis d’exprimer une concordance dans le temps de l’occupation des vallées. Il n’y a pas de sites peints et datés du Chalcolithique au Bronze moyen dans une vallée où les autres stations ont été utilisées à des périodes résolument différentes. Il n’existe que des cas où les recherches n’ont pas encore révélé d’autres sites dans ces mêmes vallées. En somme, la datation que nous proposons est difficilement contestable mais un affinement serait possible et bien entendu souhaitable.