Les peintures postglaciaires en Provence
|1. Introduction
Texte intégral
1.1. Historique des recherches
1.1.1. Les découvertes
1La découverte de peintures rupestres en Provence est relativement récente. En juin 1941, J. Sanz-Martinez de l’université de Madrid découvrait la première peinture provençale dans la vallée du haut Carami en voulant se rendre à la grotte Alain (Tourves, Var) sur l’invitation de H. Neukirch, pharmacien de la localité. On mettait finalement au jour des peintures dans une dizaine de cavités du territoire de Tourves (pl. I). J. Sanz-Martinez eut alors l’idée d’entreprendre une prospection systématique des grottes des gorges d’Ollioules (Var). Malgré la fréquentation de cette région par plusieurs générations d’amateurs locaux (C. Bottin, V. Saglietto, J. Layet, etc.), une dizaine de stations restituaient là aussi des figures pariétales inconnues. L’abbé Glory fut alors mandaté par le comte Begouen pour examiner les peintures varoises et fit analyser des pigments de peintures, analyses qui sont aujourd’hui encore les seuls résultats publiés pour l’art postglaciaire du Midi français.

● Pl. I – Carte de répartition des sites ornés de Provence présentés dans cette étude. – A. Région des gorges d’Ollioules. – B. Vallée du haut Caram i– C. Vallon du Gueilet. – D. Moyennes gorges du Verdon. – E. Massif de l’Estérel. – F. Val d’Enfer.
2D’autres découvertes ont eu lieu depuis, isolées et fortuites. En 1959, J. Courtin découvrait de nombreuses figures dans le réseau supérieur de la grotte de l’Eglise à Baudinard (Var), dans les moyennes gorges du Verdon. En 1973, G. Martino d’imperia trouvait quelques figures peintes en rouge sur un rocher à l’entrée de la vallée des Merveilles, au-dessus de Saint-Dalmas-de-Tende (Alpes-Maritimes). Depuis longtemps, les chercheurs étaient convaincus qu’il devait exister dans cette zone des peintures, sans doute dégradées par les agents d’érosion, en dehors des si célèbres gravures. Cette découverte le confirme mais reste unique à ce jour. L’abri orné des Eissartènes (Le Val, Var) a révélé ses peintures en 1976, fortuitement encore, à un chasseur de la localité. Très récemment, F. Ballestra découvrait une cavité sépulcrale dans le massif de l’Estérel et J. Courtin observait sur les parois de celle-ci des figures peintes en rouge.
3A la suite de notre étude (thèse de troisième cycle de l’université de Paris I, avril 1984) de nouveaux sites ornés ont été signalés. A l’exception des deux premiers, ils font encore l’objet de relevés et sont inédits, aussi nous contentons-nous de les citer.
4En 1984, P. Bellin a repris l’étude de quelques figures signalées dès 1920 par les frères Catelan et tombées dans l’oubli depuis leur découverte dans la grotte du Levant de Leaunier (Malaucène, Vaucluse), La même année, nous avons relevé quelques traces de peintures ocrées au pied d’une falaise à Fours (Alpes-de-Haute-Provence) (renseignements de E. Rayne). En 1985, M. Paccard a signalé la découverte par M. Perret de deux petits abris ornés dans les gorges de la Nesque à Blauvac (Vaucluse). Nous étudions avec leurs inventeurs ces abris I et II (relevés des peintures et fouilles des sédiments sous-jacents). L’abri Donner (Quinson, Alpes-de-Haute-Provence) a été signalé en 1986 à la direction régionale des Antiquités de Provence-Alpes-Côte d’Azur (relevés R. Brandi en cours). A la fin de l’année 1986, Y. Garidel et nous-même avons retrouvé deux séries de figures peintes sur une écaille rocheuse à Chasteuil (Alpes-de-Haute-Provence). Nous ne pouvons insérer ces nouvelles découvertes inédites dans ce texte qui représente l’état de la recherche en 1984.
1.1.2. Une authenticité contestée
5Dès les premières découvertes, les auteurs rattachaient les peintures de Provence à l’ensemble des peintures schématiques de la péninsule Ibérique. Ils cherchaient à prouver l’authenticité des peintures provençales si contestées par la presse et par certains chercheurs locaux. En effet, l’affaire Glozel encore présente dans les mémoires permettait aux journaux d’extrême droite (L’Action française, Pariser Zeitung) d’attiser leur antisémitisme à l’encontre de H. Neukirch, réfugié alsacien.
6Pour la région d’Ollioules, J. Layet émettait des doutes concernant les peintures de la grotte Monier : « Le malheur a voulu - il est toujours ennuyeux d’être témoin – que je surprenne à quelques jours d’intervalle, fortuitement la première fois, deux phases de fabrication de l’une d’elles. » (J. Layet 1959). Si les journalistes reprochaient à certaines peintures du Carami d’être bien fragiles, J. Layet s’interrogeait donc sur la fraîcheur du grand signe losangique de la grotte sépulcrale du Destel. Ni les uns, ni les autres ne pouvaient admettre que des figures aussi anciennes aient pu braver les injures du temps et nous parvenir encore très nettes : « Comment ont-elles pu résister aux pluies et aux tempêtes de 40 siècles puisque à l’heure actuelle, elles ne supportent même pas un simple frottement avec un mouchoir ? » (L’Action française, 18/ 05/1943).
7Afin de prouver l’authenticité des figures, l’abbé Glory présentait alors un certain nombre de procès-verbaux et d’attestations dans lesquels des témoins confirmaient l’existence de peintures bien avant leur relevé de 1943-1946 et la présence de graffiti datés et superposés aux figures. Finalement l’analyse des pigments ne prouvait qu’en de rares cas l’ancienneté des peintures. Il n’existe pourtant aucune raison de douter de cette ancienneté. Aucun argument ne peut attester une falsification. Nous sommes donc surpris du doute que laissent encore planer certains auteurs (Barge 1978). Le doute réside plutôt dans la datation des peintures et l’interprétation qui est faite des signes car les indices sont ténus.
1.2. Présentation de l ’étude
1.2.1. Méthodes de travail
8Notre travail est avant tout un travail de terrain, que nous avons intégré au programme de recherche P39 : « Relevés d’art rupestre postglaciaire ». Devant la dégradation accélérée des peintures, il fallait que soient effectués des relevés précis de celles-ci. Si les agents d’érosion provoquent la destruction d’un grand nombre de témoins picturaux, la main de l’homme est tout aussi active et néfaste. Les peintures sont endommagées, les sites fouillés clandestinement, et ce quotidiennement.
9Nous avons donc procédé à un relevé, sur vinyl transparent, des peintures des gorges d’Ollioules, de la vallée du haut Carami, de l’abri orné des Eissartènes et de la grotte de l’Olivier. L’abbé Glory n’a en effet réalisé aucun relevé direct. Ce que nous appelons « documents Georgeot » (plutôt que « calques Georgeot ») ne sont que des dessins à vue, à échelle réduite le plus souvent, sur un calque épais et translucide. Certains sujets réalisés à la gouache sur papier Canson nous permettent cependant d’apprécier les teintes transcrites dans le rapport de 1948. Ces documents déposés au Centre de documentation archéologique du Var (antenne de Toulon) ont été mis à notre disposition après intervention de J. Courtin alors directeur des Antiquités préhistoriques de la région Provence-Côte d’Azur. Ils sont les seuls témoins utilisables des représentations du mamelon Georgeot (région d’Ollioules-Evenos) détruit par l’exploitation des carrières de grès.
10Nous avons utilisé la méthode directe de relevé sur vinyl qui est rapide, peu coûteuse et transcrit assez fidèlement les données. En effet, si le repère orthonormé tend à supplanter le relevé direct, il est issu d’un certain nombre de considérations (Archambeau 1982) qu’il faut connaître mais auxquelles nous ne nous sommes pas heurté. Nos sujets sont en général de petites dimensions, à hauteur accessible et sans problème de luminosité. Le support est plan et sain. Seul l’abri peint des Eissartènes ne répond pas à ces exigences en vertu de ses dimensions ; nous avons usé du relevé direct en fragmentant l’ensemble en une série de panneaux. Toutes nos peintures ont été photographiées. Nous avons tenté différents procédés, comme la photographie infrarouge, qui n’ont pas apporté de précisions notables.
11Un certain nombre de fouilles ont été réalisées par les inventeurs des peintures dans les gorges d’Ollioules et la vallée du Carami. D’autres ont été réalisées auparavant (fouilles C. Bottin à la grotte de la Béate du Destel, par exemple) ou ultérieurement (à la grotte Dalger no 1). Nous avons effectué des prospections systématiques autour de chaque site peint et réalisé des fouilles à la grotte Monier (Evenos), à la grotte Dumas (Ollioules), à la grotte des Cabro (Tourves) et aux Eissartènes (Le Val).
12Nous avons eu la possibilité, grâce à l’obligeance de J.-P. Perthuizot du laboratoire de géologie de l’Ecole des mines de Paris, de faire analyser quelques pigments, poursuivant ainsi le travail de l’abbé Glory. Les résultats sont intéressants à plus d’un titre même s’ils n’authentifient ni ne datent les peintures. A l’instar de nos prédécesseurs, nous avons aussi porté notre attention sur les dépôts de calcite et autres interventions physico-chimiques attaquant les figures.
13Nous avons eu la chance de découvrir une nouvelle figure dans la grotte Monier et un abri sommairement orné à Ollioules. Il nous semble que la découverte des peintures dépend avant tout de l’intensité des recherches puis de conditions telles que luminosité, état, situation, etc.
1.2.2. Contenu de l’étude
14Nous commençons notre étude par un inventaire. Les sites peints sont présentés avec les détails nécessaires à une analyse ultérieure. Nous évitons d’interpréter et nous nous bornons à décrire sans dater le mobilier éventuellement associé aux figures et sans qualifier les représentations. L’inventaire se divise en deux parties :
15– commentaires sur le site, fiche de généralités (nom local, nom attribué par les inventeurs, plan directeur, altitude réelle et altitude par rapport au talweg, massif, cours d’eau, inventeur, dimensions, orientation et bibliographie) et description ;
16– commentaires sur les peintures, description et interprétations antérieures.
17Une mention est éventuellement faite des gravures découvertes sur le site.
18Au contraire du nôtre, le travail de l’abbé Glory présente l’analyse des peintures au cours de l’inventaire. En même temps qu’il morcèle son étude, cet auteur ne peut donc donner une vue d’ensemble de son sujet.
19Nous nous sommes heurté à plusieurs problèmes. La Provence ne dispose que d’un petit nombre de sites peints, chacun d’entre eux ne présentant qu’un nombre restreint de figures. La plupart des représentations sont différentes et beaucoup sont partielles du fait de leur mauvais état de conservation. Nous pensons donc qu’il est nécessaire d’écarter l’idée de groupements géographiques comme point de départ de cette étude. Par le titre même de notre sujet, nous avons défini un groupe provençal mais nous sommes conscient qu’il ne s’agit que de l’état actuel de la recherche.
20Nous présentons les sites d’ouest en est, et par vallée, ce qui nous permet d’esquisser quelques généralités sur les régions concernées. Nous examinons ensuite la localisation des peintures. Il s’agit de savoir s’il y a eu ou non choix délibéré d’une région, d’une cavité ou d’une paroi. Les auteurs précédents sont passés très rapidement sur le problème de la place de chaque figure dans la grotte, se contentant d’exprimer le caractère caché des représentations.
21Après une appréciation de la valeur des témoins picturaux, nous présentons une étude des styles et des techniques. Là encore, les problèmes d’interprétation venant au premier rang des préoccupations des inventeurs, le travail des artistes préhistoriques n’a pas été mis en évidence avec la même précision que leurs idées. Par contre, nos résultats concernant les analyses des pigments ne font que renforcer les conclusions de l’abbé Glory sans que nous nous attardions sur des démonstrations d’authenticité qui ne nous semblent plus de mise.
22Nous faisons ensuite le point de la question des datations en mettant en parallèle l’utilisation des grottes ornées et les possibilités d’une occupation contemporaine dans l’environnement immédiat.
23Enfin nous tentons d’interpréter les représentations, non par la comparaison avec les peintures ibériques mais par l’évocation qu’elles suscitent et les remarques formulées dans les chapitres précédents. Si les conclusions peuvent être identiques à celles des chercheurs qui nous ont précédé, elles gardent en tout cas toute indépendance envers leurs travaux. Nous voulons en effet exprimer notre prudence par rapport à des interprétations qui ne valent parfois que par la notoriété de leur auteur et rappelons les divergences d’opinions émises par H. Breuil au sujet des peintures de la grotte Dalger (Ollioules) et par A. Glory d’après H. Breuil (Gérard 1946-47).
24Nous analysons les liens qui permettent d’inscrire les peintures provençales dans l’ensemble plus vaste des expressions artistiques contemporaines, en nous efforçant de rester dans le cadre de la Méditerranée occidentale. Nous ne voulons pas être contraint de prouver par d’autres moyens les affinités entre les cultures.
Table des illustrations
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Légende | ● Pl. I – Carte de répartition des sites ornés de Provence présentés dans cette étude. – A. Région des gorges d’Ollioules. – B. Vallée du haut Caram i– C. Vallon du Gueilet. – D. Moyennes gorges du Verdon. – E. Massif de l’Estérel. – F. Val d’Enfer. |
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© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1989