Les lampes de Montans (Tarn)
|Première partie. Étude des lampes
2. La fabrication des lampes
2. The lamp industry
Résumé
La nature des lieux de découverte (des dépotoirs pour la plupart) et du mobilier exhumé démontre que ces lampes sont bien le fruit d’une industrie indigène localisée. L’argile employée pour leur fabrication le confirme. Pour cette production, les artisans n’ont recherché ni l’originalité, ni la qualité. Ils ont travaillé en surmoulant des lampes déjà existantes, que le commerce diffusait dans tout le monde romain, se lançant ainsi dans la contrefaçon de lampes d’autres potiers souvent réputés. Pour quelques pièces la copie fut intégrale : les artisans ont reproduit, en même temps que le type et le décor des lampes qu’ils copiaient, la signature du fabricant. Pour beaucoup l’imitation ne fut que partielle, donnant parfois des lampes tout à fait originales. Les surmoulages n’étaient pas sans défauts. Leur médiocre qualité de reproduction révèle une fabrication hâtive et peu soignée.
Texte intégral
1Ce chapitre comprend deux parties : l’attestation de la production de lampes en terre cuite par les potiers montanais et l’étude des techniques de fabrication. Dans cette deuxième partie, quatre points sont développés. Le premier, très général, est un rappel du mode de production d’une lampe, soit à l’aide d’un archétype, soit à l’aide du surmoulage. Dans un second temps, nous abordons la question du surmoulage comme technique de fabrication employée par les potiers de Montans. Puis, nous verrons à quel type de surmoulage, au plâtre ou à l’argile, ils ont procédé. Enfin, le dernier point de notre étude définit la qualité de la production des lampes montanaises.
2.1. Une production locale attestée
2Bien qu’aucun moule de lampe n’ait été découvert sur l’atelier tarnais, plusieurs indices confirment l’existence d’une production de lampes par les potiers locaux.
2.1.1. Indices fournis par les lieux de découverte
- 1 Lors de la fouille de la parcelle 1479 (lieu de découverte XXIV), des ensembles relatifs au travail (...)
- 2 Pour ce dernier lieu de découverte, le rapport de fouille ne précise pas s’il s’agit ou non d’un dé (...)
3Parmi les lampes recueillies, beaucoup ont été découvertes sur les lieux de travail des potiers (lieux de découverte IV, XVII, XXIV)1, dans des dépotoirs (puits, fosses) où les artisans jetaient les rebuts de fabrication (lieux de découverte V à X, XIII, XV, XVI, XVIII, XXV, XXVII). Certains sont situés sur, ou près, détours, d’ateliers (lieux de découverte XI, XII, XIV, XIX)2.
4Ainsi les lampes dont nous disposons semblent bien être en grande partie des objets de rebut de potiers, non destinés à la vente. Ces déchets se réduisent d’une part à des lampes incomplètes et à des éléments de lampes (anses, fragments de réservoirs, de couvercles ornés) fréquents dans tous les lieux de découverte et d’autre part, aux seuls dessus de lampes qui, à la cuisson, se sont décollés du corps du récipient : les deux parties disjointes et inutilisables ont alors été jetées par les potiers (plusieurs lampes ainsi dissociées ont été recollées : cat. 1, 52, 55, 127, 174, 188, 243, 206). Les dépotoirs ont livré quelques lampes intactes avec des défauts de fabrication : anse et trou d’alimentation non perforés (cat. 143 et cat. 284). D’autres exemplaires, intacts ou presque, sans être surcuits, sont déformés et présentent un réservoir très inégalement bombé ou un couvercle gondolé (cat. 16, 58, 59, 60, 133, 180, 186, 206, 231, 284, 289, 290).
5Parmi les objets de rebut, signalons l’existence caractéristique de nombreux « ratés de cuisson » : ceux‑ci résultent d’un excès de chaleur durant la cuisson. A la suite d’un tel accident, l’engobe des lampes a viré, plus ou moins uniformément et intensément, à des teintes nuancées de marron et brun, accompagnées parfois d’auréoles noires résultant d’un coup de feu ou d’auréoles orangées, résidu de la couverte d’origine. Enfin, dans les cas extrêmes de surcuisson, la lampe est entièrement noire ou verdâtre. Plus rarement, un excès de chaleur continu a ramolli et déformé quelques exemplaires (cat. 44, 53, 85, 304, 404) qui ont pu s’accoler les uns aux autres pour former un « mouton » de lampes.
6Ajoutons encore, comme indice supplémentaire soutenant notre hypothèse, la découverte de couvercles de lampes crues près de fours d’ateliers (information orale de Th. Martin).
2.1.2. Similitude de pâte et d’engobe avec la céramique sigillée
7Bien que nous ne disposions pas d’analyses chimiques comparatives, les lampes et la production locale de céramique sigillée semblent, à l’observation, constituées d’une matière première, sinon identique, du moins proche.
8La pâte des lampes est fine, peu sonore et relativement dure. Sauf surcuisson (pâte dure, cassante, grise ou verte) elle est claire, beige, légèrement rosée ou orangée. Plusieurs lieux de découverte ont fourni des lampes qui ont conservé, de façon plus ou moins complète, leur couverte originelle, semblable à celle de la céramique sigillée. Elle est mate, lisse, relativement uniforme et généralement d’un rouge foncé tirant parfois sur le brun. D’autres exemplaires sont plus clairs, d’une teinte rouge orangé.
- 3 Il s’agit de fragments de becs : cat. 4, 34, 99, 101, 103. La teinte de l’engobe de ces lampes (rou (...)
9Enfin, notons que ces lampes ne semblent pas avoir servi. Hormis 5 cas3, nous n’avons observé aucune trace de suie, ni à l’intérieur, ni sur le pourtour du bec.
2.2. Les méthodes de fabrication
2.2.1. Les modes de production
2.2.1.1. Production à partir d’un original (mode a)
10« La règle admise fait dériver la plupart des lampes romaines de deux moules, inférieur et supérieur, eux‑mêmes tirés d’un archétype », aussi appelé prototype (Bonnet, Delplace 1983 : 185). Ce mode de production requérait toute une suite d’opérations de la part des potiers. H. Vertet les explique dans son ouvrage, qui nous sert de référence (Vertet 1983 : 27‑31, 36, 43, 117, 119).
Le prototype
11Il se compose d’un réservoir tourné en argile plein, auquel était ajusté un bec, façonné à la main. Cet archétype pouvait rester lisse ou être orné, par impression ou par collage d’un décor.
Le moule ou matrice
12Du prototype massif cuit, les potiers tiraient le moule creux, soit par coulage de plâtre, soit par estampage (c’est‑à‑dire par impression) d’argile contre le modèle.
La lampe
13Une fois sec et cuit (pour l’argile) le moule était garni à l’intérieur de couches ou feuilles d’argile successives. Cette opération donnait naissance au couvercle et au réservoir de chaque lampe. Après avoir enduit de barbotine les bords internes de ces deux éléments, il ne restait plus aux potiers qu’à les coller, en ajustant l’une sur l’autre les deux parties du moule. Ils procédaient ensuite au séchage et au démoulage de l’épreuve. Celle‑ci était en dernier lieu recouverte d’un engobe puis cuite au four.
Marques et signatures
14Certaines lampes portent une signature ou une marque. On entend par signature le nom d’un potier, entier ou abrégé (abréviation du nom simple ou des trianomina). Les marques correspondent à des signes, épigraphiques ou anépigraphiques : initiales, symboles divers, et accompagnent quelquefois les signatures (Bonnet 1988 : 15). Ces marques et signatures apparaissent en creux ou en relief (ceci dépend du support choisi par le potier pour signer : le prototype, le moule ou la lampe elle‑même), le plus souvent sous la base, occasionnellement sur le médaillon ou les flancs du réservoir. Pour apposer leur signature ou une marque sur une lampe, les potiers ont pu utiliser un poinçon (ou sceau) qu’ils ont appliqué dans le fond du moule (valve inférieure) et dans ce cas son empreinte apparaît en relief sur la lampe, ou qu’ils ont imprimé sur l’archétype : la signature ou la marque apparaît alors en creux (Bémont, Bonnet 1984 : 137). On parle pour ce mode d’apposition du poinçon « d’estampage » (ou « poinçonnage ») et « d’estampillage ». A l’inverse, les signatures et les marques « incisées » (aussi appelées graffites) ont été inscrites à main levée dans l’argile, à l’aide d’une pointe sèche : elles sont gravées avant ou après la cuisson, soit dans le moule (et apparaissent en relief sur la lampe), soit sur l’archétype, ou directement sur la lampe (et donc apparaissent en creux) (Bémont, Bonnet 1984 : 137 ; Bonnet, Delplace 1983 : 171).
Décors
15Le décor apparaît toujours en relief sur la partie centrale du couvercle des lampes : le médaillon. C’est au cours de la fabrication qu’il a été imprimé sur ce support : l’argile crue, pressée dans la valve supérieure du moule, prend l’empreinte du motif qui y figure en creux. C’est donc le moule qui va donner à la lampe son décor. Ce moule orné est tiré d’un archétype plein, décoré en relief. Plusieurs matrices issues de cet archétype seront alors identiques et les lampes qui en découlent auront à la fois la même forme et le même décor. Dans le cas où le prototype est lisse, le moule reçoit un décor soit directement à la main, soit par impression d’un poinçon en relief (Bémont, Bonnet 1984 : 137 ; Bonnet 1988 : 18‑20).
16Cette technique de poinçonnage du décor a l’avantage d’être rapide, et de permettre au potier de choisir le décor et le type de lampe sur lequel il appose son poinçon, et également de varier ce choix. Il n’est donc pas étonnant que l’on rencontre, non seulement des lampes ayant la même forme et le même décor, mais aussi les deux situations inverses : des lampes de types différents avec des décors semblables et des lampes de même type mais décorées différemment (Bonnet 1988 : 19). Le poinçon décor peut être une création de la part du potier ou une copie (copie d’un autre poinçon ou réalisée à partir d’un médaillon de lampe servant de modèle). Il peut également avoir été l’objet d’un échange entre artisans (achat, legs).
17Il faut aussi envisager le cas où les potiers, pour orner leurs lampes, ont utilisé les moules ou surmoulé les lampes d’autres ateliers.
2.2.1.2. Le surmoulage (mode b)
18On appelle surmoulage la technique qui consiste à produire des lampes à partir de moules qui ne sont pas issus d’un prototype massif mais de lampes déjà existantes, diffusées par le commerce (Vertet 1983 : 77).
19Les potiers choisissaient un modèle à reproduire. Ils obstruaient ses différents orifices (mèche, évent, trou d’alimentation) en les bouchant avec de l’argile ou bien en remplissant la lampe de sable. Quel que soit le choix adopté, la lampe ainsi préparée jouait le rôle d’un archétype de lampe classique. Les potiers agissaient en conséquence et employaient pour reproduire les lampes en série des méthodes similaires à celles décrites précédemment. Il est important de souligner que la lampe servant de modèle aux potiers peut être elle‑même un surmoulage : les épreuves obtenues à partir de ce modèle sont alors des surmoulages de surmoulages.
2.2.1.3. Les deux techniques comparées (modes a et b)
20Le schéma de la fig. 4 illustre et résume les deux techniques employées par les potiers pour produire des lampes. Il permet de souligner un point important : le surmoulage n’existe que s’il y a eu, en amont de la chaîne, une création originale (ex : 1). Ainsi, les potiers qui utilisaient le surmoulage comme mode de production étaient dépendants des artisans qui produisaient les pièces originales et plus exactement des lampes mises en circulation sur le marché.
21Par ailleurs, d’un point de vue technique, cette chaîne schématique appelle deux remarques.
22De l’amont de la chaîne vers l’aval (1 → 3 → 5 → 7...), la qualité des pièces produites décroît. Le surmoulage qui permet une production de lampes en série, à la fois aisée (technique simple) et variée (grands nombres de modèles disponibles) a, en contrepartie, le désavantage de proposer un produit commercial de qualité inférieure à celle du produit obtenu par le premier mode de fabrication.
23Quel que soit le matériau employé pour la confection des moules (plâtre ou argile), on observe une diminution de la taille des épreuves obtenues par rapport à leurs modèles (Vertet 1983 : 81, 82). Dans le cas d’un moule en plâtre, il ne se produit qu’une seule réduction de taille : celle de la lampe elle‑même lorsqu’elle sèche pour sortir du moule (cette diminution est due au retrait de l’argile ; ce matériau contient en effet une part importante d’eau qui s’évapore au séchage). Pour des épreuves issues d’un moule d’argile, deux réductions ont lieu : elles sont dues au séchage du moule et de la lampe. En conséquence, sur une chaîne d’un type identique à celle que nous présentons, les pièces surmoulées (ex : 5 ou 7) seront plus petites que celles directement issues (ex : 3) de l’original (ex : 1). Pour résumer l’ensemble de notre propos : la réduction de la taille des lampes est d’une part fonction du matériau employé pour la fabrication du moule et d’autre part, proportionnelle au nombre de surmoulages successifs réalisés (ex : 5‑7...).
24Enfin, soulignons qu’à la différence du premier mode de production, le surmoulage de produits commercialisés évitait aux potiers tout travail de création (décoration nouvelle, etc.). En effet, surmoulant les lampes d’autres artisans, ils reproduisaient aussi bien le décor que la signature figurant sur le modèle (Vertet 1983 : 78).
2.2.2. Le surmoulage : principale technique utilisée à Montans
25L’analyse qui suit s’attache à démontrer que le surmoulage peut être considéré comme la technique de fabrication, sinon unique, du moins majeure, employée pour produire des lampes à Montans. Dans un premier temps, nous présenterons les divers arguments en faveur de cette pratique. Parmi ces arguments, un certain nombre (nous les signalerons au cours de notre analyse) sont du même type que ceux énoncés par M. Labrousse dans son étude (Labrousse 1962) mais ils reposent ici sur l’observation d’un plus grand nombre de pièces (908 contre 52). Dans un second temps, nous procéderons à une étude comparée des décors, types, signatures et marques de lampes relevés à Montans avec ceux d’autres lampes, répertoriés hors de Gaule et qui ont fait l’objet de catalogues.
2.2.2.1. Argumentation
26Selon Th. Martin, les différentes campagnes de fouille entreprises à Montans n’ont livré aucun prototype massif qui, dans le cadre d’une production originale, aurait pu servir à fabriquer les lampes.
27De même, il signale qu’au cours des recherches, aucun poinçon d’argile, semblable aux décors ou aux marques et signatures des lampes, n’a été retrouvé. Les seuls poinçons découverts sur le site sont ceux qui ont été utilisés par les potiers pour orner et signer les vases en céramique sigillée. Les motifs et les noms de potiers qu’ils reproduisent n’ont d’ailleurs pas de rapport avec ceux des lampes.
28Par contre, parmi les pièces exhumées, deux lampes peuvent être qualifiées d’« étrangères » au centre de production de Montans. Dans l’hypothèse du surmoulage et compte tenu des remarques précédentes, ces lampes auraient pu servir de modèles aux potiers. La première est une lampe à canal signée FORTIS, et présentée comme une importation italienne par M. Labrousse dans son article (cette lampe a déjà été décrite [couleur de la pâte et de l’engobe] cf. chapitre 1, note 1). La seconde est une lampe à tête d’oiseau inédite (inv. 73 MP.4 840.11 ), semblable au type Deneauve II, effectivement produit à Montans (cf. chapitre 3). La couleur « blanchâtre » de la pâte de cette lampe ne l’apparente pas à une production montanaise (Th. Martin ne l’a d’ailleurs pas identifiée comme telle).
29Citons également un document exemplaire qui figure dans notre catalogue (cat. 249, fig. 42) et porte la marque incontestable du surmoulage, cela même si le modèle copié n’a pas été retrouvé. Sur le médaillon de cette lampe, on remarque une dépression cylindrique : celle‑ci témoigne que l’orifice de remplissage de la pièce servant de modèle a été bouché et que le matériau qui l’emplissait ne le recouvrait pas entièrement. Au moment du surmoulage, la matière du moule a pénétré dans l’orifice mal obstrué. Au lieu de repercer le trou d’alimentation au même endroit, l’artisan l’a légèrement décalé, laissant ainsi apparaître sur la lampe l’emplacement d’origine de l’orifice. Cette observation et les conclusions que l’on peut en tirer sont du même type que celles exposées par H. Vertet pour les lampes du centre de la Gaule (Vertet 1983 : 77‑78).
Empâtement des reliefs
30Notre étude nous a permis de compléter le registre des décors figurant sur les lampes. Ne considérant ici que leur qualité de reproduction, nos remarques corroborent celles de M. Labrousse (Labrousse 1962 : 38). En effet, hormis quelques lampes (cat. 5, 14, 59, 178, 179, 195, 217, 219, 261, 268, 275, 456, 457, 656), la majorité des décors sont émoussés, frustes et souvent peu distincts. Pour certaines pièces, l’empâtement des motifs est tel qu’il nous a été impossible d’identifier ou de détailler leur iconographie.
31Il en est de même pour les différentes signatures et marques. Qu’elles soient en creux ou en relief, toutes sont estompées. Sur cinquante‑sept estampilles, reproduites en creux, treize se sont avérées illisibles (cat. 187, 202, 212, 244, 284, 300, 309‑311, 314, 319, 685, 688). Il ne nous reste d’elles qu’une légère dépression sous le pied des lampes qu’elles signent.
32De pareils défauts attestent bien que les moules servant à la fabrication des lampes n’ont pas été ornés et signés à l’aide de poinçons originaux (c’est ce que semble certifier l’absence de semblables instruments sur le site) et que les surmoulages successifs des productions mêmes de l’atelier ont engendré des lampes où, de dégénérescence en dégénérescence, plus rien n’est lu, ni du décor, ni de la signature.
Étude comparée des dimensions des lampes
33Ainsi que nous l’avons vu précédemment (§ 2.2.1.3.), le surmoulage entraîne une réduction de la taille de l’objet produit par rapporté son modèle. Sur la base de cet acquis, nous avons procédé à une étude comparée des dimensions des lampes montanaises (longueur, largeur, hauteur) avec celles de pièces semblables (du point de vue du type et du décor), répertoriées dans différents sites étrangers (Carthage, Espagne, Maurétanie tingitane...) (cf. annexe 1). Nous avons ainsi observé que dans tous les cas, les lampes de Montans sont significativement plus petites que celles qui nous servent de référence. Ainsi, d’un point de vue technique, les lampes montanaises pourraient être considérées comme des surmoulages des lampes originales de même type prises en compte dans cette étude (cf. annexe 1).
34Nous tenons cependant à signaler que ce seul argument est insuffisant pour confirmer la réalité d’un tel surmoulage. Si malgré tout nous franchissons ce pas et considérons cette hypothèse comme juste, il nous faut aussi constater que les écarts de taille entre l’original supposé et la pièce produite à Montans sont très variables. Comment expliquer une telle disparité ? Il suffit d’admettre, dans ce cas, que l’objet reproduit peut être issu de surmoulages successifs. Une comparaison entre les écarts que nous avons mesurés et ceux tirés d’une étude expérimentale (non disponible à ce jour) permettrait éventuellement de quantifier le nombre de reproductions effectuées.
2.2.2.2. Étude comparée : décor/type/signature, marque
35La convergence de tous les faits et arguments présentés précédemment permet d’admettre que globalement la production des lampes montanaises est bien issue du surmoulage. Dans cette optique, nous nous proposons de comparer les différents décors, types, signatures et marques des lampes à ceux répertoriés sur d’autres sites (ou musées). Nous renvoyons pour le détail de cette étude (inventaire des différents registres, références bibliographiques et correspondances) au tableau de la fig. 5, aux différents catalogues, à la typologie des lampes (chapitre 3) ainsi qu’à l’annexe 2, qui regroupent les références des pièces prises en compte dans cette étude comparative.
36Le classement effectué repose sur la seule distinction « inconnu » ou « connu ». Le tableau qui résulte de cette étude (fig. 5) appelle trois remarques qui précisent certains aspects du processus de fabrication adopté à Montans.
Total |
A‑Connu (en %) |
B‑Inconnu (en %) |
||
1‑Décors |
A Montans |
110 |
90 |
10 |
Pour l’ensemble des lampes |
282 |
95 |
5 |
|
2‑Types |
A Montans |
12 |
92 |
8 |
Pour l’ensemble des lampes |
429 |
99,5 |
0,5 |
|
3 ‑ Signatures et marques |
A Montans |
25 |
58,5 |
41,5 |
Pour l’ensemble des lampes |
83 |
80,5 |
19,5 |
|
4 ‑ Association décor/type |
A Montans |
89 |
82 |
18 |
Pour l’ensemble des lampes |
210 |
89 |
11 |
|
5 ‑ Association |
A Montans |
22 |
47,5 |
52,5 |
type/signature,marque |
Pour l’ensemble des lampes |
49 |
75 |
25 |
6 ‑ Association décor/type/ |
A Montans |
28 |
14 |
86 |
signature, marque |
Pour l’ensemble des lampes |
30 |
13 |
87 |
Fig. 5 – Les éléments caractéristiques des lampes montanaises comparées, sur la seule base « connu » ou « inconnu », à leurs homologues, répertoriés sur divers sites étrangers (seuls sont pris en compte, pour chaque variété et association, les éléments dont l’identification est indiscutable).
37Tout d’abord, les différentes variétés de types et de décors identifiées à Montans, ainsi que leur association, peuvent dans leur majorité être qualifiées de courantes, puisque déjà répertoriées (fig. 5 : A1,2,4 ; annexe 2 : A 1, 2, 4). Ceci s’explique par l’emploi du surmoulage comme technique de fabrication.
38Cependant, il est important de souligner qu’un certain nombre d’éléments sont tout à fait originaux (fig. 5 : B1, 2, 4 ; annexe 2 : B 1,2,4). Deux hypothèses peuvent être émises :
-
les lampes, minoritaires en quantité, ne sont pas des surmoulages, mais la conséquence d’un travail de création de la part des potiers ;
-
les artisans locaux ont copié des lampes peu courantes, non répertoriées à notre connaissance.
39D’autre part, l’étude de l’inventaire des marques et des différents produits estampillés atteste que les potiers ont reproduit non seulement les formes et les décors de leurs modèles mais aussi leurs marques et leurs signatures (fig. 5 : A 3, 5, 6 et annexe 2 : A 3,5,6). Ces dernières sont principalement celles de fabricants répandus dans tout le monde romain : mvntrept, c.oppi.res, l. madiec, mnovivst, lmvnphile, clo heli, gabinia, ivve.herm (cf. catalogue des signatures et des marques).
40Notons ici aussi la présence d’éléments particuliers (fig. 5 : B 3, 5 et annexe 2 : B 3, 5). En effet, bon nombre de marques ne correspondent pas à la griffe de potiers recensés sur tout le pourtour méditerranéen. La plupart de ces marques « inconnues », incisées ou en relief, sont des signes anépigraphiques ou des initiales (cf. § 6.1.2. et 6.2.). Elles sont le fait, soit d’artisans moins connus, soit des potiers de Montans qui durant la fabrication ont pu marquer les moules des lampes ou directement les pièces produites.
41Pour finir, un très grand nombre d’associations du type du décor et de la signature sont inconnues (fig. 5 : B 6 ; annexe 2 : B 6). Parmi celles‑ci, plusieurs (50% du total) méritent une attention particulière. Ces associations correspondent en effet à la juxtaposition de trois éléments connus, dont la réunion sur une même lampe n’est pas répertoriée dans la bibliographie. Pour ces lampes (cat. 194, 195, 206, 177, 196, 44, 127, 186, 223, 224, 134, 231, 239, 243, 222, 418, 290, 279), c’est généralement le mariage du motif décoratif et de la signature qui apparaît tout à fait original. Ces lampes portant toutes des estampilles de potiers renommés, italiens ou africains, nous sommes en présence :
-
soit du surmoulage de lampes dont les associations du type du décor et de la signature sont rares ; elles complètent dans ce cas nos connaissances sur le registre décoratif de ces artisans : C.OPPI. RES, MVNTREPT, MNOVIVST, LMVNPHILE;
-
soit de lampes pour lesquelles, à l’issue du surmoulage, les potiers montanais ont interverti des couvercles et des réservoirs de même type, assemblant de ce fait des décors et des signatures non mariés antérieurement ; deux lampes semblent significatives à cet égard (cat. 186 et 206) : un raccord maladroit entre les deux parties, moulées à part, montre que vraisemblablement les potiers ont tenté d’associer des couvercles et des réservoirs qui par leurs dimensions initiales ne pouvaient s’adapter parfaitement l’un à l’autre ; pour ces deux pièces, le couvercle semble plus grand que le réservoir qu’il recouvre et dont il déborde nettement sur certains côtés ; en outre, une même incompatibilité apparaît au niveau du bec ; ses arrondis inférieurs et supérieurs ne correspondent pas exactement et sont légèrement désaxés ; les remodelages grossiers effectués par les potiers donnent à ces lampes un aspect déformé et disproportionné ; ceci est flagrant pour la lampe 186 dont le réservoir est dissymétrique.
42Au terme de cette étude, une double constatation s’impose. S’il est vrai que les potiers ont fabriqué des lampes dans leurs ateliers et travaillé en surmoulant des lampes déjà existantes, comment expliquer qu’aucun moule n’ait été retrouvé et que nous ne disposions pas, ou si peu (cf. § 2.2.2.1.) de pièces d’importation, similaires aux productions montanaises et ayant pu servir de modèles aux artisans locaux. Moules et modèles ont‑ils été revendus ? Sont‑ils encore enfouis dans le site ? Les potiers les ont‑ils emportés après l’abandon des ateliers ? Toutes ces hypothèses sont envisageables mais pour l’heure invérifiables. Concernant les moules des lampes, nous proposons une autre solution : les potiers travaillaient à partir de matrices en matériau périssable, vraisemblablement en plâtre.
43C’est cet aspect de la fabrication que nous allons à présent aborder. Il nous semble, sinon justifier, du moins en partie expliquer l’absence de moules de lampes.
2.2.3. Le surmoulage au plâtre
44Différents éléments plaident en faveur de ce type de surmoulage. En premier lieu, même s’il n’a pas été retrouvé de matrices (ou moules), l’emploi du plâtre par les potiers pour la fabrication des moules est identifiable par certains détails techniques (Vertet 1983 : 38). On remarque sur beaucoup de lampes des protubérances rondes, plus ou moins grosses, venues se loger dans les reliefs : moulures, décors (chevelure, draperies...). Ces « pustules » proviennent de la formation de bulles d’air dans les parties les plus creuses du modèle lorsque les potiers ont procédé au coulage du plâtre pour la confection du moule. Parmi le très grand nombre de lampes présentant ce défaut, quatre fragments (cat. 248, 249, 250, 251) (fig. 42), probablement issus d’un même moule (dimensions identiques du décor pour chaque exemplaire), reproduisent tous une protubérance ronde, venue se loger dans la chevelure du personnage figuré sur le médaillon.
45D’autre part le plâtre, à la différence de l’argile, est un matériau de mauvaise conservation. Les moules, compte tenu de l’humidité du sol, ont pu se désagréger. Notons aussi que la fouille du site est incomplète. En outre, lors des différentes investigations, des fragments de plâtre ont pu passer inaperçus.
2.2.4. La qualité de la production
- 4 Ces lampes ont été consultées sur place. Il s’agit des pièces : BX‑T‑10279, 60‑8‑555, 60‑8‑480, 60‑ (...)
46Avant d’aborder ce dernier point, rappelons que nous travaillons en grande partie sur des objets de rebut, ce qui rend nos interprétations délicates. Néanmoins, il nous a été possible d’étudier quelques exemplaires montanais, hors de leur site de production (musée d’Aquitaine à Bordeaux)4. La qualité de reproduction de ces pièces commercialisées, confrontée à celle des lampes étudiées ici, permet de qualifier la production des lampes de médiocre et de préciser certains aspects de la pratique ouvrière des artisans de l’atelier.
47Les lampes peuvent être définies comme dépourvues de toute finesse d’exécution en fonction des caractéristiques suivantes : lourdeur, médiocrité et empâtement des reliefs, imperfection et maladresse dans la finition, qualité inégale de la couleur des engobes.
48Les potiers chargeaient les moules d’épaisses couches d’argile. Ils les faisaient pénétrer dans les creux des matrices par pression du bout des doigts, comme l’indiquent leurs empreintes digitales sur les parois internes des lampes. L’épaisseur des parois varie en moyenne entre 0,3 et 0,5 cm. Les lampes sont lourdes : il suffit pour s’en rendre compte de comparer leur poids (nous avons pesé quelques exemplaires représentatifs de chaque type : cf. annexe 3) et surtout leur épaisseur, à des exemplaires fabriqués en Italie au ier s. ap. J.‑C. : l’épaisseur des parois des lampes présentées par Cl. Domergue varie en moyenne de 1 mm à 1,50 mm (Domergue 1966 : 13).
49Les reliefs, nous l’avons vu, sont dans l’ensemble émoussés. Leurs contours sont très imprécis et fréquemment enlaidis par la présence de « pustules ». Il semble que, pour quelques lampes, les potiers aient rénové le décor (sans en modifier l’iconographie). Trois pièces présentent des motifs manifestement retracés (cat. 178, 261,47). Cette opération a été effectuée sur lampe crue. Un tel empâtement des reliefs laisse soupçonner de la part des artisans un usage à long terme des moules qu’ils négligeaient de changer. Pour trois fragments semblables, issus du même lieu de découverte XII et d’un moule commun (cf. § 2.2.3.), on observe une perte d’information significative dans les détails du décor, un masque scénique (cat. 249, 250, 251).
50La finition des lampes est assez grossière. Les raccords entre les deux parties sont maladroits. Les potiers passaient après le démoulage de leur épreuve un coup de spatule autour de la suture du couvercle et du réservoir, parfois si appuyé qu’il laisse apparaître un plan coupé, plus ou moins marqué, sur tout le pourtour de la lampe. Il résulte d’un lissage excessif une déformation des contours de la lampe et de la symétrie du réservoir.
51Nous avons vu que certains dépotoirs ont fourni des lampes déformées, sans être surcuites (cf. § 2.1.1.). D’après un exemplaire semblable du musée d’Aquitaine (inv. 60.8.558), il semble qu’un tel défaut n’empêchait pas les potiers de commercialiser le produit. D’autre part, les différents orifices sont en général perforés. Seul le trou d’évent n’est souvent que suggéré. Un léger creux ou un bombement marque son emplacement. L’orifice de remplissage est souvent largement perforé et empiète sur le décor.
52Les potiers ont produit et commercialisé tout aussi bien des lampes à belle couverte que des lampes pour lesquelles la couleur de l’engobe a viré à la cuisson et même subi des accidents à l’intérieur du four : traces de coups de feu ou encore surcuisson. C’est le cas d’une lampe montanaise du musée de Bordeaux, dont l’enduit est noir (inv. 60‑8‑548).
53Signalons enfin deux lampes pour lesquelles les potiers ont ôté l’anse (sans doute cassée). A son emplacement, sur le bandeau, subsiste un bourrelet disgracieux. Nous ignorons si de telles pièces étaient ou non destinées à la vente (la nature de leur lieu de découverte, XXIV, est inconnue) et si d’autres, semblables, ont effectivement été commercialisées.
2.3. Conclusion
54Trois informations peuvent être considérées comme acquises à la suite de cette étude technique :
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les lampes à huile découvertes à Montans proviennent bien d’une production locale ;
-
la technique de fabrication utilisée par les potiers est le surmoulage ;
-
dans l’ensemble, cette production de lampes est de basse qualité.
Notes
1 Lors de la fouille de la parcelle 1479 (lieu de découverte XXIV), des ensembles relatifs au travail des potiers ont été dégagés : corps de bâtiments, aire de travail, fours, officines et fosse à terre (Ruffat 1984 : 9‑10).
2 Pour ce dernier lieu de découverte, le rapport de fouille ne précise pas s’il s’agit ou non d’un dépotoir. Cependant, le sondage qui a permis de le mettre au jour a été implanté non loin du four du potier Felicio et de deux lentilles dépotoirs attenantes à ce four. En outre, le mobilier en céramique sigillée qui était associé aux lampes (couche 3 de la stratigraphie) se résume à des rebuts de cuisson et est proche de celui découvert dans le four et dans les dépotoirs contigus (Martin 1974 :130‑135).
3 Il s’agit de fragments de becs : cat. 4, 34, 99, 101, 103. La teinte de l’engobe de ces lampes (rouge orangé foncé) et de leur pâte (beige rosé ou orangé) porte à croire que ce sont des fabrications locales et que les potiers utilisaient peut‑être certaines des lampes qu’ils produisaient.
4 Ces lampes ont été consultées sur place. Il s’agit des pièces : BX‑T‑10279, 60‑8‑555, 60‑8‑480, 60‑8‑548, 60‑8‑501,60‑8‑ 558.
Table des illustrations
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Légende | Fig. 4 – Schéma des deux modes de production des lampes. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/34898/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 60k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1989