Conclusion
Conclusion
p. 102‑103
Résumés
Les silos et les cavités aménagées sont des éléments de l’habitat rural médiéval dans la Marche. Des constructions de matériaux légers équipées de silos sont perçues au xe s. Aux xe‑xie s., le couple maison‑souterrain leur succède. Ces structures sont abandonnées aux xiie‑xiiie s. Le site lui‑même peut être délaissé. Dans plus des deux tiers des cas, l’habitat perdure sur le même lieu : il contribue alors à construire la carte de l’habitat actuel.
Ce tableau, rigide dans les évolutions et la chronologie proposées, ne retient que les grands mouvements, ne traite pas des perdurations, des variations locales. Seule la multiplication des fouilles et des inventaires cartographiques pourra préciser l’histoire de l’habitat rural en Limousin.
The storage pits and underground chambers found in the Marche area are related to medieval rural settlement. Wooden buildings with associated storage pits are known from the 10th century. They are replaced in the 10th and 11th centuries by the house and underground chamber. These structures are abandoned in the 12th and 13th centuries, but in more than two cases out of three the habitat remains and forms the basis of present‑day settlement.
The present study identifies major characteristics and provides a broad chronological framework, but deals neither with problems of continuity nor with local variants. A real understanding of history of rural settlement in the Limousin will only be achieved through further excavation and cartographic survey.
Texte intégral
1Le bilan de l’analyse historique et archéologique de la répartition des cavités apparaît quelque peu sommaire. Pourtant nous dégageons des lignes directrices dont le contenu ne semblait pas envisageable au regard de la bibliographie existante et surtout au vu des travaux de chercheurs dans d’autres régions. L’apport de la fouille du Bois‑du‑Mont est souvent déterminant.
2L’histoire des cavités est liée, avant tout, à l’habitat médiéval. La recherche des origines du village ou de l’habitat dispersé dans le bassin de la Gartempe n’était pas le but de ce travail. Pourtant, chaque question posée sur la création du souterrain est une question posée sur la naissance du village. Les matériaux et les documents nous livrent une date, aux limites incertaines, mais que l’on perçoit tout au long de la recherche située au xie s., avec comme limite haute la fin du xe s. et comme limite basse le début du xiie s. Or, quand on considère la situation générale des cavités dans leurs relations avec l’habitat, transparaît la permanence du village ou du hameau à travers le temps. Les cas étudiés dans le bassin de la Gartempe montrent une continuité de l’habitat au moins depuis le xe s. jusqu’au xve s., si l’on veut arrêter la chronologie à cette période. L’habitat a choisi son site dès le Haut Moyen Age et la seule modification apparente (nous verrons dans quel système s’inscrit le souterrain) consiste en une évolution de la technique de construction. Il s’agit d’un fait concret puisque les fouilles (françaises ou étrangères) de villages médiévaux montrent assez clairement le passage de huttes ou cabanes en matériaux excluant la pierre au groupement de maisons telles que notre esprit les conçoit : association réfléchie de fondations et de murs en pierres, de toitures élaborées, et d’une organisation interne dont les traces de cloisonnements dans les fouilles donnent une preuve.
3Si la position chronologique des cavités est établie, il s’agit de préciser leur rôle au sein de l’habitat. L’analyse a montré l’inexistence de liens directs entre cavités et maisons médiévales construites en pierre. De plus les souterrains reconnus en dehors des zones d’habitation ne sont associés à aucun vestige externe, en particulier des restes de murs. Les structures fragiles ont été arasées au cours des temps, soit par la construction de maisons plus récentes, soit par les travaux agricoles. Les souterrains au contraire, de par leur nature, sont restés à l’abri des destructions. La cavité du Bois‑du‑Mont est un témoin de cette conservation parfaite. Sont‑ils vraiment les seuls vestiges ? Nous devons leur adjoindre ces nombreux silos qui, souvent, les avoisinent. Ils occupent la même position topographique que les souterrains. Il ne s’agit pas cependant de leur fixer la même situation chronologique. De plus ils livrent également des caractères de discordance par rapport à l’habitation médiévale construite en dur.
4Pouvons‑nous proposer alors un tableau chronologique de l’évolution de l’habitat au moyen des jalons essentiels que constituent les souterrains et, dans une moindre mesure, du repère livré par les fosses ? Nous n’avons pas la prétention de faire débuter le tableau à la fin du viiie s. : des fouilles sont à exploiter sur des sites du Haut Moyen Age. Au xe s., et peut‑être à la fin du du ixe s., une image fugitive de l’habitat rural dans la Marche peut être perçue. Dès cette période, les hommes ont choisi dans des zones privilégiées quant à leur position géographique, des sites favorablement exposés au sud et à l’est. L’installation au sommet des versants n’est pas la preuve de nécessités stratégiques : rares sont les cavités et les habitats dispersés associés à des ensembles fortifiés. Des huttes en matériaux légers ne résistant pas au temps sont liées à des silos. Ces fosses, à proximité immédiate de l’habitat (ou peut‑être même incluses dans ses limites propres), sont utilisées comme des dépôts temporaires de produits agricoles. En somme il s’agit là d’un habitat extrêmement précaire. Les fosses, utilisées peu à peu comme dépotoirs, reçoivent au sein d’une accumulation de terre les restes d’objets usuels. Le creusement des silos semble relativement permanent, lié à des besoins peut‑être saisonniers. L’apparition des souterrains se situe dans un contexte probablement semblable. Sur un même terrain, l’implantation d’un habitat toujours léger associé à une cavité succède à la hutte équipée de silos. L’élément essentiel est que le souvenir de l’existence des fosses semble perdu lorsque les hommes creusent le souterrain : la conséquence fréquente en est l’effondrement des voûtes, affaiblies par les silos préexistants. Il y a donc permanence de l’habitat sur un même site et oubli occasionnel des structures passées. Il est délicat d’évaluer en années la durée de cet oubli. Il faudrait fouiller des fosses associées aux souterrains sur plusieurs sites et comparer le mobilier exhumé. Les travaux déjà conduits, malgré leur insuffisance dans bien des cas, permettent d’envisager cette discordance. Cependant des silos ont probablement été utilisés en même temps que les cavités. L’aménagement même des souterrains permettait sûrement de remplacer bien des fosses : en somme l’« entrepôt » isolé dans le sol devient un des éléments de l’organisation de la cavité.
5Si nous ne pouvons prouver une évolution (si elle a existé) des structures internes de l’habitat au xe et au xie s., il est important de noter le changement apporté à l’habitat externe par l’élaboration des souterrains. s’est agi en somme d’un doublement de l’espace d’activités : la fouille du Bois‑du‑Mont montre l’importance donnée à l’aménagement des séjours dans l’habitat interne. Il0en a peut‑être résulté un changement dans les habitudes de vie. La recherche au Bois‑du‑Mont ne livre que les aspects internes de ces modalités nouvelles. Nous pouvons peut‑être interpréter la cavité comme l’élément en « dur » de l’habitat. En somme, c’est une structure durable, totalement différente en cela de la hutte à laquelle elle est associée, construction d’une faible durée de vie. Bien évidemment les raisons profondes du creusement d’une cavité afin de l’utiliser comme un habitat nous échappent encore. Le souterrain, occupé d’une manière non permanente, marque‑t‑il l’existence de communautés paysannes disposant de lieux d’habitat saisonniers ?
6Un exemple, qui n’a pas valeur de preuve cependant, peut être évoqué à ce propos. Dans le Sud tunisien (région des Ksours), le père A. Louis décrit des « habitats précaires ». Constitués d’une hutte surmontant une salle creusée dans la roche, et à laquelle s’ajoutent des annexes, ces habitats sont utilisés lors de la moisson, des labours et des semailles. Les « fellahs‑pasteurs », lorsqu’ils quittent ces habitats temporaires, entreposent les outils et les objets dans une petite pièce souterraine : ils les réutiliseront à la saison suivante. Les sources historiques ne livrent aucun document sur des déplacements périodiques des communautés paysannes dans le bassin de la Gartempe. Nous pensons par contre que l’homme du Moyen Age dispose d’un habitat durable grâce à la cavité, laquelle peut être abandonnée après une fermeture soignée de ses accès. Les hommes usaient alors d’un système permettant une réoccupation dans un délai d’aménagement rapide comprenant surtout la reconstruction des huttes endommagées par le temps ou d’autres agents (tenons compte cependant de la réorganisation interne).
7Le rôle du souterrain‑refuge apparaît extrêmement secondaire, sinon inexistant. Si nous imaginons la cavité comme constituant unique de l’habitat, sa dissimulation semble logique. Mais émettre cette hypothèse conduit à omettre tout le contexte que nous percevons : la communauté qui a creusé le souterrain a aménagé l’espace externe, par conséquent a créé un ensemble visible. Bien des chercheurs se sont arrêtés à la conception d’un système exclusivement souterrain : l’image traditionnelle des bandes de « chauffeurs de têtes » parcourant sans cesse les campagnes, terrorisant les populations paysannes qui n’ont d’autre recours que de se terrer est tout entière contenue dans cette interprétation établie à partir de documents insuffisants. La représentation des cavités comme lieux de défense privilégiés ne peut s’appliquer aux souterrains de la Gartempe. Que l’on songe à la fragilité de la position d’un groupe pris au piège dans une cavité. Aucune possibilité d’évasion n’est offerte, les accès étant proches les uns des autres de 10 à 20 m dans la plupart des cas : la seule préoccupation de l’assiégeant est de s’armer de patience... Les relations des souterrains avec des ensembles de défense sont rarement notées : il faut considérer, dans l’état actuel des connaissances, comme nulle rôle stratégique des cavités. De même les recherches visant à associer les souterrains à l’univers religieux médiéval aboutissent à un échec. Nous avons constaté la rareté des relations avec les édifices religieux. De même une étude de l’expansion des ordres religieux ne montre également que des associations fortuites.
8La densité des souterrains suffit par elle‑même à illustrer le rôle qu’ils tiennent dans la vie quotidienne des familles paysannes. Pourtant les cavités n’ont tenu qu’un temps leur fonction d’éléments d’habitation. A la fin du xiie s., peut‑être au cours du xiiie s., l’apparition des maisons de pierres marque une discordance nette entre ces nouveaux habitats et les souterrains. En fait, l’habitation maçonnée représente un aménagement durable, au même titre que la cavité. Le souterrain devient alors une structure inutilisée. La charnière entre les xiie et xiiie s. caractériserait alors l’arrêt du creusement des cavités dans la Marche. Les renseignements chronologiques étant essentiellement établis à partir de la céramique, il convient cependant d’évoquer avec prudence ces datations. De plus notre expérience de l’archéologie nous a appris la persistance des techniques des habitudes de vie : les fouilles qu’il faudra mener donneront un cadre en même temps plus précis et plus respectueux de variations locales.
9Nous pouvons, au terme de notre recherche, mesurer surtout notre ignorance des faits quotidiens relatifs à la vie médiévale. Les certitudes sont rares. On peut s’étonner des affirmations nombreuses telles qu’elles sont révélées dans la littérature de l’archéologie et de l’histoire des souterrains, alors que nous n’avons obtenu le plus souvent que des données disparates. La connaissance de l’habitat tient compte avant tout de fouilles très strictes, ne rejetant pas les éléments considérés aujourd’hui encore comme de simples annexes (cavités, silos), lesquels, en fait, se révèlent être, grâce à leur conservation privilégiée, de précieux réservoirs archéologiques et ethnographiques.
10L’histoire de la vie paysanne médiévale dans le cadre de son habitat repose donc sur l’accumulation de fouilles ponctuelles autorisant progressivement l’élaboration de matériaux pour l’histoire régionale, préliminaire obligatoire à des synthèses plus vastes.
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