4. Synthèse

Interpretation

Résumé

Quatre occupations successives sont donc démontrées. Leur durée absolue n’est pas connue. De même nous ne pouvons pas mesurer l’intervalle de temps entre chaque occupation.

Cependant nous constatons que les occupants des lieux, en préparant leur séjour, ont gardé le souvenir de l’occupation précédente : mêmes emplacements choisis pour aménager les différents espaces (des modifications sont cependant induites par la fossilisation progressive des volumes).

La salle annexe (unité III) pourrait être un lieu de dépôt d’objets ou de denrées. La salle centrale connaît un espace destiné à des activités (filage ?).

L’absence d’activités de la vie quotidienne (cuisine, ...) suggère une mixité des comportements entre la maison » à l’extérieur et le réseau souterrain.

1Nous étudierons successivement chaque occupation, de la plus ancienne à la plus récente (fig. 45). Il s’agit de synthétiser toutes les analyses qui précèdent. Les hypothèses sont élaborées la plupart du temps sur une accumulation d’observations établies à propos d’un caractère donné. Plus les constatations sont nombreuses et d’origines différentes, plus la probabilité d’exactitude de la conclusion est grande. Il est évident que les interprétations tiennent compte de la méthode de travail employée.

4.1. La première occupation

2Dans un granit diaclasé, les hommes du Moyen Age ont choisi de creuser d’abord une galerie à partir d’une tranchée dont la base pentue tend vers l’entrée de la future cavité. Le travail fut conduit selon un front de taille étroit ne permettant probablement qu’à une seule personne d’excaver la roche mère. Les déblais furent évacués, une partie en fut probablement entassée à proximité de l’ouverture en vue de son utilisation comme remblayage de la tranchée de creusement. La base de la galerie (passage A) marque une pente de plus en plus forte vers l’est : les ouvriers durent respecter le pendage général du terrain afin de ne pas courir le risque d’une trop faible épaisseur de roche mère sur la voûte du passage et des autres éléments structuraux. Lorsque le passage A fut creusé ainsi que ses annexes, eut lieu l’élaboration de l’unité II.

3Les hommes fixèrent un point à la surface du sol, qui, en plan, se situe sur le prolongement de la ligne matérialisée par les extrémités du passage A. Ils creusèrent à cet emplacement une fosse dont la profondeur était préméditée. Ils élaborèrent le passage C puis, élargissant peu à peu leur front de taille, aidés dans leur travail par une longue diaclase, conçurent selon cet axe de faiblesse de la roche mère l’élément central B. Les déchets de taille furent évacués par la fosse D. Des marches creusées dans le granit permettaient les relations entre la cavité et l’extérieur. Les déblais devaient être entreposés pour une partie d’entre eux à la surface du sol près du puits : ils furent la matière principale de son comblement.

4Les sapeurs réalisèrent la jonction entre les unités I et II. Ils ont pu creuser un ensemble subhorizontal nécessaire aux occupations futures, parce qu’ils avaient abaissé le passage A au niveau théorique de l’élément B, mais au prix d’une pente abrupte. Perpendiculairement au grand axe de l’unité II les ouvriers établirent en surface la direction générale de l’unité III ; le grand axe de cette unité évite de couper l’accès II, mais est cependant calculé pour ménager le plus grand espace possible entre l’extrémité ouest de l’unité II et la zone de contact entre les unités II et III.

5L’élaboration de la salle G fut conduite selon les mêmes principes que ceux qui présidèrent au creusement de l’élément B. Volontairement le puits E a été creusé plus profondément que le puits D ; de plus le passage F a été aménagé de telle façon que la base de G fût à un niveau inférieur à celui de B.

6A partir des unités II et III simultanément fut ébauché le passage H. Le système de calcul de l’axe de passage a été excellent car cet élément est parfaitement rectiligne. Les ouvriers avaient peut‑être creusé auparavant un passage étroit à la tarière, de telle sorte qu’il indiquait l’emplacement précis des deux ouvertures sur les parois. Dans l’unité III on aménagea les différentes structures annexes : passages, renfoncements divers dans le puits comme dans l’élément central.

7Il faut noter à ce point de l’interprétation que les conduits creusés dans la fosse D jouèrent le rôle de repères de creusement dans la cavité. Une partie du souterrain devant être élaborée à proximité de l’unité III, ces repères permettaient de connaître l’épaisseur de roche séparant les unités les unes des autres. Il est à remarquer que les guides furent utilisés après (peut‑être) la fermeture définitive de la fosse. L’accès III a d’ailleurs probablement été le premier accès de creusement à être condamné. Un muret de pierres sèches disparut sous un remplissage de blocs issus du creusement de la cavité. Cependant, ce que nous appelons une maladresse provoqua un allongement excessif de la fosse 1. Si l’unité III avait été établie plus au nord (au contact de la paroi nord de l’unité II et non au contact de sa paroi sud), une liaison plus courte aurait pu être créée entre l’est et l’ouest du souterrain.

8Comme il était hors de question de creuser le passage à partir de l’unité III, les hommes du Bois‑du‑Mont ont été obligés de contourner par le nord l’accès II. Les travaux commencèrent probablement par les deux extrémités. Ils purent avancer dans le cas de la partie occidentale grâce à l’utilisation de l’accès II. L’affouillement de la paroi, à proximité de l’accès, a néanmoins provoqué l’apparition d’une ouverture accidentelle : l’élément 18.

9La nécessité d’orienter depuis l’accès II le creusement vers le sud implique l’utilisation des repères de creusement de l’élément G. Les hommes ont excavé la roche à bonne distance de cette zone, tant et si bien que le risque de rencontrer à un point quelconque un élément de l’unité III s’est trouvé nul.

10L’accès IV a été creusé dans le but de faciliter le transport des déblais de la cavité. La fosse fut élaborée alors que la portion du passage dans lequel elle débouche était achevée. On remarque d’ailleurs l’allongement en plan de cette fosse. Le repérage à la surface du sol du plan de la cavité devait être en effet un travail délicat. Un creusement mené perpendiculairement au passage donnait des chances supplémentaires de le rencontrer. Mais le débouché brusque de la fosse J sur I provoqua l’apparition d’un accès largement ouvert sur l’extérieur de la cavité et, de même, d’une ouverture difficilement colmatable sur la galerie. De plus le reste du souterrain est nettement plus profond que la fosse, ce qui aurait pu être éliminé par l’approfondissement de J ; il semble toutefois que les ouvriers aient été satisfaits de cette surimposition inattendue.

11L’interprétation du creusement de l’unité IV est arrêtée là, dans la mesure où nous ignorons la situation à l’est du passage I. Les hommes ont nivelé la base des passages A (à l’est), I, H et des éléments B et G. D’ailleurs, au cours de l’élaboration de la cavité ils ont participé souvent involontairement au dépôt de terre et d’altérite, en se déplaçant et en tassant sous les pieds ce mince lit de déblais. On constate que cette première couche ne régularise pas suffisamment le futur sol d’occupation puisque les ouvriers durent déposer une couche supplémentaire. Dans l’ensemble Il, ils ajoutèrent à la couche la structure pierreuse (structure de situation) destinée à éviter l’humidité éventuelle due au bas niveau de l’élément B par rapport à l’unité I. Il ne restait plus qu’à condamner l’accès II de la même façon que l’accès III, peut‑être déjà fermé, pour obtenir la disposition générale de l’organisation des séjour successifs. L’accès de l’ensemble I fut l’objet d’un aménagement soigné. La tranchée de creusement fut comblée essentiellement par les déblais de taille dans la roche mère. Ce remplissage s’appuie au niveau de l’accès contre un muret de pierres sèches : l’élément I. L’étroite ouverture à la surface du sol pouvait ainsi être fermée par une trappe ou des dalles. Entre l’ensemble I et l’ensemble II un système de barres de bois permettait la fermeture du passage. Une séparation plus légère fut installée à partir de l’élément 19.

12Dans l’accès II, lors de son comblement, les ouvriers ont déposé tout au long de l’élément 20 des pierres en position verticale, élaborant ainsi un conduit. Ce conduit, s’il était vidangé afin d’éviter son obstruction par des particules terreuses venant de la surface, ou glissant entre les pierres dans le puits D, permettait en partie l’aération de l’ensemble II. En effet, par l’action du vent un courant d’air s’installe dans la cavité selon les trois ouvertures constatées au moment des séjours : accès I et IV ; conduit 20. Les fermetures des accès pendant certaines phases des occupations pouvaient limiter les mouvements d’air, mais ne les supprimaient jamais tout à fait : la fouille du souterrain s’est souvent déroulée d’ailleurs alors qu’une seule ouverture permettait l’accès à l’intérieur de la cavité. Les séparations entre les ensembles n’empêchait pas non plus la circulation de l’air dans les zones correspondantes aux ensembles I, II et IV.

  • 1 P. Piboule (1971 : 253 ; 1978 : 137) donne un r61e défensif aux passages étroits semblables à l’élé (...)

13Le seul ensemble qui ne soit jamais inclus dans le circuit de circulation d’air est l’ensemble III. En fait il n’est pas destiné à accueillir des occupants, mais à être utilisé comme lieu de dépôt1. Les alvéoles 45‑49 sont les supports d’un système servant, à partir de pièces de bois rajoutées, d’étagères. Ce dispositif utilisé dans les fermes traditionnelles de bien des régions (notamment en Limousin) permet de protéger soit de l’humidité, soit des rongeurs (souris) les denrées ainsi entreposées (le plus souvent du pain). Dans le cas de l’ensemble III, il faut ajouter que cette étagère avait surtout pour rôle de mettre à l’abri de l’humidité les objets déposés dessus. L’avantage du passage étroit H est, de par sa configuration, de limiter au maximum les échanges d’air. De plus, il faut aussi noter que l’air chaud pénètre difficilement dans l’ensemble écarté grâce à la dénivellation de celui‑ci par rapport à l’ensemble d’occupation II. Les hommes ont donc réalisé là un entrepôt. L’interprétation des occupations successives nous montrera qu’il fut utilisé par les habitants de toute la cavité.

4.2. La deuxième occupation

14L’occupation II, qui inaugure l’ère des séjours dans le souterrain du Bois‑du‑Mont, commence au niveau de la couche Il. Cette phase est assez courte ainsi que le prouve la distribution des vases. La fréquentation de l’accès IV avec l’est de la cavité est attestée par les vases 22 et 23. L’occupation est nette dans l’ensemble interne II. La topographie traduit les relations avec l’ensemble écarté.

15La seconde phase met en évidence l’utilisation des espaces et des aires dans l’ensemble II. Le vase 11 montre les relations actives entre l’est et l’ensemble écarté. C’est la période du dépôt de la couche cendreuse, conduit dans le but d’assécher et d’assainir la cavité.

16Puis l’occupation tend à se limiter spatialement. Les relations avec l’ensemble écarté se font plus rares, tant et si bien que les contacts entre l’ouest et l’est, établis essentiellement en fonction de l’ensemble écarté, se révèlent par ce caractère. Nous ne constatons pas de liaisons directes entre les occupations de l’est et de l’ouest. C’est aussi une période d’activité importante, telle filage dans l’ensemble II.

17La dernière phase de l’occupation voit la disparition brutale et totale de toutes les relations entre l’est et l’ouest. Chaque ensemble vit sur lui‑même. Il semble que cette occupation ait été la plus intense de toutes celles qui se sont déroulées dans la cavité. Toutefois, selon les ensembles et les phases, son intensité varie également. Au début l’activité paraît la plus forte dans l’ensemble II, puis l’est du souterrain devient la zone active. Enfin les deux zones sont occupées à un niveau égal d’intensité.

4.3. La troisième occupation

18Les hommes ont voulu recouvrir les traces de l’occupation II. Ils n’ont pas prélevé de terre au dehors du souterrain dans ce but : des problèmes de transport se posaient, l’accès II étant condamné ; de plus la hauteur sous voûte s’amenuisait. Les occupants ont donc fossilisé la couche cendreuse par de l’altérite récupérée sur la voûte même de la cavité.

19L’occupation sur cette couche d’altérite est marquée dans l’ensemble II par des dépôts de vases. Tout comme l’occupation précédente, ce séjour est lié à l’utilisation d’une vaisselle usuelle. Le filage est une activité présente dès cette occupation : l’espace réservé de l’ensemble II est ainsi utilisé. Le séjour devient plus marqué après le dépôt de la couche cendreuse. Les liaisons avec l’ensemble écarté, établies dès le début de l’occupation, se poursuivent. A la fin de l’occupation, elles semblent ne plus avoir lieu à partir de la zone orientale. Mais elles restent discernables dans le cadre général de la circulation dans l’ensemble II.

20L’aspect de la cavité a changé au cours de cette occupation. La structure s’est peu à peu fossilisée. La hauteur sous voûte diminuant, les déplacements sont devenus moins aisés. Il a fallu vidanger le conduit 20. Rappelons que ce passage facilite l’aération de l’ensemble II.

4.4. La quatrième occupation

21La dernière occupation du souterrain est extrêmement limitée dans le temps. Les occupants ont recouvert la couche cendreuse précédente par l’altérite provenant de la voûte, sans toutefois l’étendre partout, comme dans les occupations précédentes. Les relations de l’ensemble écarté avec le reste de la cavité, si elles sont visibles dans la topographie, ont dû être extrêmement limitées à la fin du séjour. Un seul vase témoigne, dans l’ensemble Il, des activités des occupants.

22Il faut tenir compte évidemment de la très faible hauteur sous voûte qui devait gêner considérablement le séjour. D’ailleurs les modifications importantes de l’environnement de la cavité impliquent sûrement un changement dans les modalités du séjour. Les hommes ont dû pallier l’absence des aires de stationnement originelles (fossilisées dès lors par la stratigraphie) par des artifices, comme le bloc apparaissant dans l’ensemble II.

23Après l’occupation IV, le souterrain du Bois‑du‑Mont, a été fermé par ses occupants. La fermeture de l’accès I ne posait pas de problèmes : deux dalles convenablement disposées et des petites pierres insérées entre elles assuraient une étanchéité suffisante pour une bonne conservation de la cavité. L’accès IV en revanche, par sa configuration, interdisait un aménagement analogue. Les occupants ont tenté d’établir un muret de pierres sèches devant empêcher le glissement des matériaux de comblement de la fosse J à l’intérieur du passage I. Or, la disposition de l’ouverture entre la fosse et le passage rendit délicate l’installation d’un muret stable. Les blocs se sont donc écroulés dans le passage. Les hommes furent alors dans l’obligation de combler totalement cette zone.

24Le temps a passé. Les particules de terre glissant entre les pierres ont peu à peu noyé tous les vestiges de la dernière occupation. Grâce à ce comblement, la série stratigraphique nous a permis de livrer ces humbles renseignements sur le processus de la vie dans la cavité.

4.5. Les apports de la fouille

25Les apports de la fouille de la cavité du Bois‑du‑Mont sont répartis essentiellement selon deux cadres précis : le creusement d’une part, les occupations d’autre part.

26Un bon nombre d’éléments fondamentaux concernant le creusement ont été définis :

  • la tranchée de creusement : elle inaugure l’élaboration du souterrain, mais est modifiée en vue des premières occupations ;

    • 2 Ils ne sont sûrement pas, avec la tranchée de creusement, les seuls exemples des techniques de creu (...)

    les accès de creusement avec muret2 : reliés à l’ensemble qui dépend d’eux par un passage, ils sont condamnés après le creusement par un muret de pierres sèches ;

    • 3 Nombreux sont les auteurs à considérer de tels passages comme des trous de visée. Il est certain qu (...)

    les repères de creusement3 : ces conduits donnent les distances séparant deux ensembles creusés à proximité l’un de l’autre et permettent ainsi de suivre très précisément leur élaboration ;

  • le rôle important du contexte géologique : souvent les ouvriers se sont conformés à la disposition des zones de faiblesse (diaclases, etc.) pour creuser des éléments de la cavité ;

  • le choix, fait avant le creusement, de la relation d’un ensemble donné avec un autre ensemble : l’exemple le plus évident en est la disposition de l’ensemble écarté au sein du contexte général ; de même, la disposition des systèmes de fermeture, destinés à isoler certains aménagements du contexte environnant, intérieur ou extérieur, implique une volonté d’organisation.

27Cependant au sein de ce cadre général des erreurs sont apparues lors des travaux de creusement. Elles tiennent souvent à des difficultés de repérage entre l’intérieur et l’extérieur du souterrain. Ainsi l’accès IV est‑il aménagé sans une connaissance parfaite du plan de la cavité avec laquelle il doit entrer en contact, ce qui pose ensuite des problèmes de fermeture temporaire ou définitive de cet accès.

28Entre deux ensembles d’occupation, l’ensemble de relation n’est pas toujours conçu de la manière la plus rapide et économique. Cela semble provenir du fait par lequel, sur le plan théorique, on prévoyait des indications précises. En fait, lors du creusement, des difficultés apparaissent : roche plus ou moins tendre, erreurs dans l’orientation du travail. Pour conserver l’organisation telle qu’elle était prévue à l’origine, les hommes doivent modifier les distances, les directions du creusement. C’est pourquoi, selon nous, l’organisation de la cavité en vue d’occupations de caractère précis prime sur la recherche d’un plan rigoureux dans ses dimensions et ses volumes.

29Un problème se pose, bien sûr, au sujet des vases. Pendant le séjour les occupants ont consommé des produits contenus dans les vases dont certains sont allés au feu. Ces produits furent‑ils cuits dans la cavité ? Nous n’avons pas la preuve de telles actions. Peut‑être faut‑il remarquer les amas de blocs découverts dans les espaces d’accumulation : constituent‑ils les éléments d’un foyer ? Devons‑nous aussi évoquer le renfoncement 5 et son dépôt cendreux ? Ces questions soulèvent le problème de fouilles déjà nombreuses et qui ont laissé échapper de telles structures, interdisant aujourd’hui toute comparaison sérieuse. Le souterrain étant bien aéré, l’évacuation de la fumée de combustion (dans l’hypothèse de foyers internes) se serait faite sans aucune gêne pour les occupants.

  • 4 Quelques brefs séjours auprès de communautés qui fabriquent leurs poteries (villages berbères) nous (...)

30Les bris de vases devaient être fréquents, surtout dans des espaces aussi exigus. De plus il faut noter la fragilité de ces récipients dont la pâte est bien souvent peu cuite. Enfin, soulignons un caractère important de ces vases : ils n’étaient pas vernissés et laissaient, au cours de leur utilisation, les aliments s’infiltrer dans la céramique. Ils étaient ainsi rejetés après une brève période d’utilisation4. Nous ne reconstituons jamais un vase entier au Bois‑du‑Mont. Nous n’obtenons toujours qu’un fragment (brisé par ailleurs au cours du séjour) que nous appelons fragment primaire. Il reste donc à découvrir le dépotoir qui contiendrait les restes des vases appartenant aux différentes occupations. Ce dépotoir se trouve peut‑être dans une zone non fouillée de la cavité ; mais il peut aussi dépendre d’une zone extérieure au souterrain.

31Tous les vases, à l’exception du récipient vernissé 4‑44, sont apodes, à fond bombé. Un bon nombre d’entre eux ont été fabriqués dans le but d’être utilisés pour la cuisson. Ces poteries étaient‑elles conçues pour les souterrains ? Nous ne le pensons pas. Les sites médiévaux de surface livrent aux archéologues de tels vases. Rien n’empêche de penser que des récipients contenant des grains ont pu être déposés dans la cavité, l’humidité affectant ces denrées moins rapidement que des légumes verts ou des fruits.

32Le fait remarquable est l’absence de vases dans l’ensemble écarté. Cet entrepôt a‑t‑il contenu des vivres ? Il nous manque des témoignages archéologiques pour l’affirmer. Cependant évoquons à nouveau l’existence de l’étagère, protégée de l’humidité du sol, et qui a pu recevoir pour de brèves périodes des produits alimentaires. Devons‑nous également établir une relation entre l’ensemble écarté et les activités de filage ? Les matériaux résultant de ces travaux étaient‑ils entreposés là ? Quelles que soient les hypothèses retenues comme très plausibles, retenons surtout l’intérêt que revêt, pour les occupants, un tel lieu de dépôt.

4.6. Réflexions sur l’utilisation de la cavité

33Il apparaît hélas que le chapitre réservé aux synthèses est le plus court de toute cette étude. Les matériaux manquent pour cerner davantage ce que fut la vie dans la cavité du Bois‑du‑Mont. Pourtant nous voyons se dessiner toute une organisation de l’occupation ; peut‑être même avons‑nous par cette recherche la vision (malheureusement trop floue encore) d’un comportement social.

34Ce qu’il faut mettre en avant c’est le rôle essentiel qu’a tenu l’ensemble écarté. Il est le collecteur des aires de passage, le lieu vers lequel tendent les déplacements des hommes (fig. 46). Cette convergence des aires de passages contraste avec l’absence presque permanente des relations directes entre la zone nord et la zone sud. Nous appréhendons ainsi une division de l’occupation dans la cavité. Sans que nous puissions actuellement entreprendre une réflexion approfondie sur la zone sud, nous pouvons considérer la présence simultanée de deux groupes humains comme probable, l’un occupant la partie nord du souterrain, l’autre séjournant au sud.

  • 5 L’évocation du manse (p. 26) a peut‑être donné un élément de réponse. L’élaboration d’une cavité de (...)

35Il s’agit tout d’abord de comprendre pourquoi une telle séparation existe. Il n’est point nécessaire de s’attarder à définir une origine géographique différente pour chacun des groupes. La cavité doit être l’œuvre d’une même communauté paysanne. Si l’on peut tenir pour acquise la notion d’identité géographique, il est plus difficile de savoir si le souterrain fut creusé par les membres d’une même famille ou par un ensemble de personnes de filiation différente. C’est d’ailleurs poser là le problème de la formation du village par des familles étrangères les unes par rapport aux autres, ou bien au contraire, par un noyau familial qui s’est agrandi avec le temps5.

36De plus, l’ensemble écarté contenant des produits appartenant aux deux groupes ne devait pas être fréquenté à tout instant. Les dépôts étaient probablement prélevés selon des critères bien définis. Un contrôle des dépôts communs était peut‑être organisé. Dans cette hypothèse, le rôle de gardiennage de l’entrepôt aurait été confié au groupe occupant la partie nord de la cavité, groupe en permanence situé au contact de l’ensemble écarté. Ce comportement est bien le résultat d’une volonté : le lieu de dépôt aurait pu être ouvert dans un espace neutre, telle passage entre les zones nord et sud.

37En théorie nous ne devons pas trouver un ensemble écarté dans la partie méridionale de la cavité. Selon nos hypothèses tirées de la répartition du mobilier, les occupants de la zone nord ne se déplaçaient pas vers le sud. S’il existait un ensemble écarté au sud, il ne témoignerait que d’une utilisation spécifique de cette zone. La cavité aurait donc accueilli deux cellules familiales.

  • 6 La famille élargie concrétisant une structure sociale relativement dense, et par conséquent une hié (...)

38Faut‑il envisager l’existence d’une autorité ayant à sa charge une partie des responsabilités des activités de la communauté ? Il faudrait mieux connaître la stratification paysanne dans les campagnes limousines au Moyen Age. Que l’on remarque cependant l’apport précieux des fouilles archéologiques qui permettraient de seconder efficacement l’étude des textes6.

39Il apparaît que l’organisation de la cavité ne permet pas un long séjour sans aucune sortie à l’air libre de ses occupants. Nous n’avons pas de preuve de lieu de couchage. De plus l’humidité de l’air peut rendre impossible toute vie prolongée. Il faut rappeler cependant le rôle des cendres dans l’assèchement du souterrain. La température, elle, est très favorable à la vie, surtout en période froide. Une aération, même limitée, autorise à la fois les changements d’air et une bonne conservation de la température ambiante (environ 15° à 18°). Ce niveau acceptable est atteint lors des séjours ; il tient compte donc de la présence simultanée des occupants et des systèmes d’éclairage qui, dans un lieu fermé, livrent quelques degrés supplémentaires. On peut admettre que les occupants de la cavité sortaient donc à l’air libre plusieurs fois par jour. Dans le cadre de notre hypothèse d’habitats souterrains liés aux habitats extérieurs, on peut ainsi envisager des activités se déroulant dans la cavité et d’autres ayant pour cadre l’habitat externe. Seule une multiplication des fouilles permettra de bien comprendre cette mixité de l’habitat.

40Un état social troublé peut, entre autres causes, être à l’origine d’un séjour temporaire dans la cavité. Mais que l’on ne s’y trompe point. Une organisation et une préparation aussi élaborées (couches d’altérite et de cendres, notamment) ne peuvent avoir pour raison un séjour de quelques heures ou de quelques jours. Aussi proposons‑nous l’idée non pas d’un abri utilisé pour de courtes durées mais d’un habitat creusé à l’origine par une communauté paysanne dans le but d’être occupé par elle pendant des périodes prolongées.

  • 7 Dès le xixe s. les souterrains étaient appelés « souterrains‑refuges ». Selon les auteurs, et par c (...)

41Ces deux hypothèses, souterrain lié à des séjours brefs et habitat souterrain, sont explicables pour la première par l’utilisation logique d’une structure préexistante pour une période très brève quand les circonstances l’exigent (on n’en trouve pas de traces tangibles au Bois‑du‑Mont), et pour la seconde par les témoins recueillis. L’hypothèse du souterrain‑refuge a été tellement galvaudée que seule une exploitation judicieuse des documents de fouilles permettrait de la préciser. L’emploi de cette appellation est à mettre, selon nous, en réserve7.

42Au Bois‑du‑Mont toute la fouille tend, par ses résultats, à évoquer des séjours successifs de gens peu préoccupés par des difficultés extérieures, telles que troubles sociaux ou politiques, ou menaces militaires. L’aménagement même de la cavité élimine toute possibilité d’occupation hâtive. Jamais les documents de fouilles n’aboutissent à des résultats indiquant des activités culturelles. D’ailleurs quelle fouille de souterrain en France a conclu à un rôle cultuel des cavités alors que, toujours, les documents découverts dans les gisements sont des témoins de la vie quotidienne ?

43D’après la préparation des occupations, nous concluons donc que la cavité ne fut pas élaborée dans la hâte en vue de séjours très brefs dépendant d’événements soudains. La première occupation véritable, l’occupation Il, suivit immédiatement le creusement du souterrain. Les habitants du lieu ont prédéterminé une structure précise. Cela ne pouvait être conçu sans la volonté d’un habitat de longue durée. On peut penser aussi que la communauté entreposait des produits en quasi‑permanence, alors qu’elle n’occupait peut‑être pas directement la cavité tout au long de l’année.

44La cavité a été creusée pour que ses occupants y vivent selon une organisation précise. La structure, témoigne donc du type d’utilisation de la cavité. Par conséquent, malgré l’absence de fouilles de souterrains, les gisements, en livrant uniquement le schéma de leur structure, peuvent permettre l’établissement de comparaisons entre eux. Evidemment l’absence de documents stratigraphiques et mobiliers ne peut que limiter de telles études.

45Notre but devrait être, tout en poursuivant les fouilles absolument nécessaires, d’essayer d’étudier les souterrains sur une large zone géographique en prenant en compte leur contexte historique.

Annexes

Figure 45
Organisation des espaces et des aires

La synthèse des analyses architecturales, stratigraphiques et mobilières permet la restitution d’une vision approximative du schéma d’organisation de la vie dans la cavité du Bois‑du‑Mont. L’étude successive des quatre occupations montre la nécessité de ne pas se limiter à l’étude architecturale.

Occupation I

On remarque combien l’occupation I est étroitement intégrée à l’organisation générale. Cette constatation paraît logique si l’on s’en tient au fait selon lequel l’occupation coïncide avec la phase finale d’élaboration de la cavité. Quatre accès sont alors ouverts. Nous avons vu leur rôle dans le creusement de la cavité. Les échanges se déroulent donc entre ces accès. L’aire de passage concerne tous les ensembles, d’occupation ou de relation. En particulier, l’ensemble écarté semble n’avoir aucune fonction logique sur le trajet vers l’accès III ouvert. Les espaces réservés s’insèrent dans de grands renfoncements, non affectés par la circulation.

L’aire de stationnement située à l’ouest de l’ensemble Il est justifiée dans son appellation sur le plan architectural par l’existence du relief simple qui appara1t comme un siège permettant à trois personnes de s’asseoir. Les deux autres aires de stationnement sont expliquées par la configuration des renfoncements dont un seul, au nord, pourrait par sa base plane contenir des objets, et dont les hauteurs internes et la position des bases rendent illogique une utilisation comme lieux de rangement. L’élément déterminant d’interprétation livré par la microtopographie apparaît lors de l’occupation Il qui, elle, utilisera ces renfoncements. On peut dire que l’occupation I est une phase de préparation des séjours postérieurs dans la cavité.

Occupation II

L’occupation II livre un schéma nouveau, qui implique la condamnation de certains accès, et l’aménagement interne en vue de séjour. Le comblement de l’accès III provoque la création d’un espace réservé dans l’ensemble écarté. Dans l’ensemble II, l’apparition de l’espace réservé doit tenir compte de l’existence à l’est, d’une aire de passage qui conduit à l’ensemble écarté, et à l’ouest, de la présence de l’aire de stationnement utilisée comme telle tout au long du séjour, alors que le renfoncement qui fait face tient un rôle d’aire de stationnement au cours de la première phase de l’occupation, puis, par le dépôt de la couche 3 devient un espace d’accumulation.

Les espaces d’accumulation au pied des accès II et III condamnés réduisent la surface utilisée directement par les occupants. On peut dire que l’occupation Il utilise d’une manière rationnelle la structure d’ensemble de la cavité et que par ce trait elle n’est pas éloignée dans le temps de l’achèvement du creusement du souterrain.

Occupation III

L’occupation III respecte l’aménagement général établi à partir de la structure. Mais les deux aires de stationnement associées au sein de l’ensemble sont condamnées par l’exhaussement du remplissage et, dès lors, deux espaces d’accumulation s’ajoutent aux deux espaces similaires subsistant au pied des deux accès condamnés.

Une aire de passage est toujours ménagée en vue d’une circulation vers l’ensemble écarté. Le souvenir de l’occupation II reste présent dans la mémoire des hommes qui séjournent dans la cavité lors de l’occupation III. En effet, le respect de l’emplacement de l’espace réservé dans l’ensemble d’occupation II ne peut être que la preuve de l’utilisation de la cavité par les mêmes personnes ou les membres d’une communauté qui ont gardé l’organisation antérieure des aménagements dans le nouveau séjour.

Occupation IV

Lors de l’occupation IV, qui se distingue, nous l’avons vu, par peu d’éléments mobiliers, le même schéma général d’occupation est à noter : la fossilisation progressive des éléments structuraux conduit au remplacement de la dernière aire de stationnement par un espace d’accumulation. Mais l’ensemble écarté garde toujours son rôle de grand espace réservé. En fait, au niveau de l’organisation des aires et des espaces, la cavité du Bois‑du‑Mont est marquée tout au long des séjours par une continuité, caractère probable d’un type constant d’occupation.

• Fig. 45 – Organisation des espaces et des aires –1. Espace réservé –2. Espace d’accumulation –3. Aires de stationnement –4. Aire de circulation –5. Accès utilisé. (Ech. = 5 m).

Figure 46
Variations apparentes des déplacements

Les analyses du mobilier permettent l’établissement de données concernant l’intensité apparente des occupations successives. Par les flèches, il est possible de suivre sur des plans successifs de telles variations.

Lors de l’occupation l, les déplacements effectués lors de l’achèvement de la cavité concernent toutes les zones du souterrain. Tous les accès étant utilisés, il est difficile d’établir lequel subit la circulation la plus intense. L’accès utilisé pour le creusement de l’unité I sert à la circulation quand l’accès II devient l’élément principal de l’élaboration de l’unité II. Au moment du creusement de l’unité II, l’accès III n’est pas le seul accès utilisé puisque, par l’accès II, on sort de la cavité les produits du creusement du passage étroit occupable. L’accès I reste ouvert. Le creusement du passage I se fait sur une grande distance à partir de l’unité II et nous avons vu que les déblais sont alors retirés de la cavité par l’intermédiaire de l’accès II. Ce dernier, outre son rôle dans le creusement du passage, a peut‑être une activité au cours du creusement de certains éléments de la zone méridionale du souterrain. Il apparaît qu’au cours de l’occupation l, ou période d’élaboration des grands ensembles structuraux, l’accès II par sa situation centrale tient un rôle essentiel, suivi de près par l’accès I qui reste constamment ouvert. L’accès III, ouvert plus tard, joue un rôle spécifique, étant étroitement associé au creusement de l’ensemble II. L’accès IV, par sa position médiane, est difficilement analysable : son rôle, secondaire dans l’élaboration de la cavité au nord, est peut‑être plus important au sud.

Occupation II

L’occupation II tient compte des deux accès alors utilisés : à partir de l’accès I, l’occupation concerne les ensembles I et II sur un plan spécifique. La circulation vers l’ensemble écarté se partage entre l’occupation au nord et celle qui existe au sud de la cavité. La présence de l’accès IV assure les relations internes‑externes de la cavité dans sa partie sud, avec un ou plusieurs accès que la fouille pourrait révéler dans cette zone. L’occupation au sud apparaît nettement plus intense qu’au nord. La distribution du mobilier a révélé ce fait dans les analyses précédentes.

Occupation III

L’inverse semble se produire dans l’occupation III. Les documents archéologiques montrent la grande intensité de l’occupation au nord, la faiblesse des relations entre le sud et l’ensemble écarté. Nous ne pouvons affirmer cependant que l’occupation est faible au sud. Si la stratigraphie de la partie méridionale correspond exactement à celle du nord, nous devons trouver, d’après les découvertes de 1972, un foyer d’activités intenses. Mais cela n’apparaît pas au niveau de l’accès IV. Si une telle concordance se vérifiait, il conviendrait seulement d’intensifier la relation entre l’accès IV et le sud.

Occupation IV

L’occupation IV est peu intense d’une manière générale. L’activité dans la partie nord, de durée assez limitée probablement, prime sur les relations existant entre le sud de la cavité et l’ensemble écarté.

Les occupations de caractère complexe sont analysées dans le détail, par le biais de l’étude des vases. Il s’agit des occupations II et III. Nous avons vu que, dans l’occupation IV, la relation entre le sud et l’ensemble écarté avait lieu au début de l’occupation et avait peut‑être disparu à la fin.

• Fig. 46 – Variations apparentes des déplacements (occupations I à IV) –1. Accès utilisé. Intensité des déplacements –2. Forte –3. Moyenne –4. Faible.

Notes

1 P. Piboule (1971 : 253 ; 1978 : 137) donne un r61e défensif aux passages étroits semblables à l’élément H.

2 Ils ne sont sûrement pas, avec la tranchée de creusement, les seuls exemples des techniques de creusement. En particulier les passages étroits reliant l’extérieur de certaines cavités avec des éléments internes par un débouché sur la voûte (des cheminées, en quelque sorte), comme à Razès (no 77), sont peut‑être des accès de creusement.

3 Nombreux sont les auteurs à considérer de tels passages comme des trous de visée. Il est certain que tous ces éléments ont pu connaître des utilisations différentes. Toutefois les critères d’analyse sont peu souvent explicités.

4 Quelques brefs séjours auprès de communautés qui fabriquent leurs poteries (villages berbères) nous ont montré la faible durée de vie d’un vase. D’ailleurs la communauté paysanne du Haut Moyen Age devait, à c6té de céramiques achetées ou échangées, concevoir et réaliser une partie de sa vaisselle usuelle.

5 L’évocation du manse (p. 26) a peut‑être donné un élément de réponse. L’élaboration d’une cavité devait exiger la présence d’un nombre de personnes probablement supérieur à celui que représentait une famille limitée à la descendance immédiate de son chef. Mais l’élargissement progressif du noyau familial sur un même terroir, accroissant le potentiel d’action, a‑t‑il permis la réalisation d’une cavité ? Cette hypothèse ne peut résoudre toutefois le problème des connaissances techniques propres au creusement.

6 La famille élargie concrétisant une structure sociale relativement dense, et par conséquent une hiérarchie, l’autorité devait être étroitement située. Mais une stratification économique se superposait peut‑être à la structure familiale. A partir de là, les éléments d’appréciation deviennent flous.

7 Dès le xixe s. les souterrains étaient appelés « souterrains‑refuges ». Selon les auteurs, et par conséquent les hypothèses, les périodes de troubles au cours desquelles les cavités étaient utilisées concernent la période des grandes invasions barbares en Gaule romaine, la guerre de Cent Ans...