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Les souterrains médiévaux du Limousin

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Serge Gady

Première partie. Les cavités aménagées du bassin de la Gartempe

2. Analyse de la répartition des sites

Texte intégral

2.1. Méthodologie

1Afin de préciser le contexte attaché aux cavités aménagées par l’homme, nous avons délimité une portion de territoire selon le schéma suivant :

  • la zone contenue dans un rayon de 100 m autour du souterrain est considérée comme essentielle dans l’analyse : il s’agit du champ immédiat d’activités des hommes qui ont occupé la cavité ;

  • le territoire dont le rayon varie de 100 à300 m à partir du souterrain devait être parcouru quotidiennement par les hommes : il correspond aux espaces cultivés proches ; de plus, si l’on admet un déplacement éventuel de l’habitat au cours des siècles ou d’une génération à l’autre, les installations peuvent se succéder dans ce cadre ;

  • de 300 à 600 m à partir de la cavité, la connaissance d’un habitat paysan n’apparaît plus fondamentale : là apparaissent les organisations autres que celles attachées à la communauté humaine dont le souterrain est le témoin ;

  • de 600 à 1000 m on peut considérer que les aménagements (habitats, cultures...) échappent à l’action des hommes de la cavité, ou pour le moins que cette action doit s’amenuiser nettement. (cf. annexe p. 33, où sont présentés les éléments historiques et archéologiques du contexte propre à chaque site.)

2La relation entre les cavités et le réseau hydrographique passe par l’établissement de catégories caractérisant les cours d’eau selon leur importance (Fig. 3) :

  • les cours d’eau dont la longueur est inférieure à 20 km environ sont appelés des « ruisseaux » ; ils correspondent à des vallées de faible importance ;

  • au‑delà apparaissent les rivières secondaires : la Semme, à partir de Fromental ; la Gartempe, à partir de St‑Silvain‑Montaigut ; l’Ardour, à partir des Gallateaux, près de Marsac ; la Couze, à partir d’un point de son cours proche de St‑Pardoux ; le Vincou, à partir d’un point de son cours proche de Nantiat ;

  • la Gartempe devient la seule « rivière principale, à partir de sa confluence avec l’Ardour.

• Fig. 3. – Le cadre de l’étude : topographie et hydrographie générales –1. Rivière principale –2. Rivière secondaire –3. Ruisseau.

3Les rivières coïncident avec les vallées les plus importantes du bassin hydrographique de la Gartempe.

2.2. Le contexte physique

2.2.1. Le contexte topographique : les versants

  • 1 Il nous est difficile aujourd’hui d’étudier l’évolution du déplacement des nappes phréatiques depui (...)

4Le creusement des souterrains s’est toujours déroulé dans des lieux situés en dehors des zones inondables. Les cavités se trouvent ainsi pour la plupart d’entre elles éloignées des terrains marécageux. De tous les exemples d’association « cavité‑étang », un seul révèle une distance inférieure à 300 m entre le souterrain et l’étang le plus proche. Les sources, dans la Marche, sont extrêmement abondantes. Depuis les temps les plus reculés beaucoup sont utilisées. Néanmoins il semble que les auteurs du creusement des souterrains ne possédaient pas une connaissance approfondie des déplacements saisonniers des nappes qui les alimentent. On constate sur le terrain la présence de sources légèrement en contrebas des cavités, signe évident du soin qui a conduit les hommes du terroir à éviter soigneusement tout risque d’accident1 ; cependant bien des de cavités apparaissent noyées périodiquement au cours de l’année par des nappes phréatiques. Le nombre de ces cavités (une quinzaine, et ce chiffre paraît en‑dessous de la réalité) est trop important pour que ces cas soient considérés comme exceptionnels (Les Sibieux, no 27 ; La Gente, no 55).

5L’accentuation du pendage des zones dans lesquelles sont creusés les souterrains varie selon les sites ; mais on ne constate pas une stagnation d’eau provenant du ruissellement (eau de pluie, eau de fonte des neiges) à proximité immédiate des cavités. On peut donc établir que les hauts des versants représentent un emplacement privilégié pour le creusement. Ainsi cette situation implique‑t‑elle une différence d’altitude souvent importante entre l’emplacement du souterrain et le niveau du cours d’eau proche. Une vision (fugitive) de la carte de répartition des cavités selon leur dénivellation apparaîtrait surprenante au regard de leur dispersion selon les zones d’altitude de la région étudiée. Plus on se dirige vers l’amont des rivières et des ruisseaux, moins les vallées sont encaissées. Vers l’ouest, les cours d’eau, grossis par l’apport des affluents, ont creusé des vallées profondes. Nous avons vu que le rôle de la géomorphologie fut essentiel dans cette action de l’érosion. 27 % des sites révèlent une différence d’altitude de 20 à 30 m entre eux et le cours d’eau proche ; il s’agit là de cavités creusées au sommet de vallées de profondeur moyenne, caractéristiques de la plus grande partie de la zone étudiée. 33 % des souterrains sont creusés à plus de 30 m au‑dessus du talweg. Bien entendu une réserve doit être respectée quant aux faibles dénivellations, propres aux régions d’altitude élevée. A l’est et au sud du bassin d’innombrables ruisseaux courent dans le fond des vallées peu encaissées.

6Les cavités sont généralement creusées à une distance variant entre 100 et 300 m du plus proche cours d’eau. En fait cet éloignement à vol d’oiseau n’est pas représentatif de la relation réelle qui existe entre les cavités et les cours d’eau. Une distance précise ne semble pas être préméditée (Fig. 4). Nous ne remarquons pas de spécificités locales. Le pendage plus ou moins accentué des versants implique des variations des distances entre les souterrains et les cours d’eau. L’absence d’informations sur les anciens chemins qui matérialisaient les liaisons entre le site de la cavité et la rive, sur les gués, les ponts éventuels permettant le franchissement des cours d’eau, interdit une évaluation rigoureuse des distances réelles.

• Fig. 4 – Distances entre sites et talwegs. –1. Moins de 100 m –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. Plus de 600 m.

7La position des souterrains au sommet des versants les situe fréquemment à une altitude proche de celle des points culminants qui leur sont voisins. A l’est et au sud, dans les régions les plus élevées en altitude, les souterrains sont creusés dans des zones pour la plupart d’entre elles dominées de plus de 60 m par les points culminants proches (Fig. 5). Ces implantations respectent le contexte physique de la région étudiée. Par conséquent, à partir des zones dans lesquelles sont creusées les cavités, apparaît un paysage généralement restreint dans son étendue. La vue reste limitée à un portion de vallée. L’horizon s’élargit dans le cas de quelques souterrains situés à l’ouest du bassin de la Gartempe (La Courcelle, no 72 ; Le Bois‑du‑Mont, no 42), en raison de l’absence de reliefs nets dans ce paysage de plateaux. En fait, la végétation naturelle devait, en se surimposant à l’environnement géomorphologique, conditionner largement les caractères de l’intégration du site (par exemple une forêt entourant l’espace avoisinant la cavité).

• Fig. 5 – Dénivellation entre site et point culminant à moins de 1 000 m –1. Moins de 30 m –2. 30 à 60 m –3. 600 à 120 m –4. Plus de 120 m.

8Dans une région aux hivers rudes les hommes ont toujours évité (pour autant qu’ils le pouvaient) une installation de l’habitat et des cultures dans des zones exposées au nord. Les cavités n’échappent pas à cette règle. En fait, il ne s’agit pas, et de nombreux chercheurs s’y sont trompés, d’étudier l’orientation de la cavité dans sa structure ou de la position de ces ouvertures par rapport aux points cardinaux. D’ailleurs, bien souvent une telle recherche se révélerait délicate si l’on voulait la conduire. En revanche il nous paraît extrêmement opportun (nous en saisirons plus loin toutes les conséquences) d’analyser l’orientation des versants dans lesquels sont creusés les souterrains. Et dans ces conditions les résultats apparaissent précieux.

917 % des versants étudiés regardent le nord tandis que plus de 60 % des versants sont orientés vers le sud et l’est‑sud‑est. Le fait est déterminant : la cavité est située dans la zone d’activités quotidiennes de l’homme. Ses créateurs n’ont pas choisi un endroit retiré pour son élaboration mais l’ont intégré au sein de leur espace de vie. L’analyse des relations des cavités avec l’habitat livrera des conclusions encore plus nettes. Environ 20 % des souterrains sont élaborés dans des versants ouest. Les influences océaniques sont marquées surtout par des vents dominants chargés d’humidité, caractère plutôt délaissé par l’homme dans sa recherche d’implantation de l’habitat (Fig. 6).

• Fig. 6 – Orientation cardinale des sites : le centre du cercle représente l’emplacement de chacun des sites ; les flèches indiquent l’orientation et la distance site‑talweg.

10La carte de la répartition des cavités selon l’orientation des versants ne livre pas de particularismes locaux. Partout le choix du creusement a été porté de préférence dans des zones regardant le soleil. D’ailleurs un tel emplacement paraît aisé à obtenir : les cours d’eau dans leur majorité se dirigent d’est en ouest, déterminant ainsi des versants sud et des versants nord. Cette caractéristique de l’hydrographie locale explique la disparité rive droite/rive gauche dans l’implantation des souterrains. La rive droite étant souvent liée à une exposition vers le sud, il est évident qu’elle concerne une large majorité de cavités : 54 % d’entre elles sont ainsi déterminées. Une analyse plus fine de l’orientation des versants précise cette constatation. 60 % des cavités propres aux rives droites sont creusées dans des versants sud, alors que 10 % des souterrains des rives gauches furent élaborés dans des versants nord. L’orientation vers l’est des versants apparaît dans le cas des affluents du sud de la Gartempe. Ils ont à leur origine une direction sud‑nord avant de se diriger vers l’ouest. Dans ces situations les souterrains existent dans les versants est. La transition entre vallées sud‑nord et vallées est‑ouest fait apparaître des versants de rives gauches orientés vers le nord : la quasi‑totalité des cavités associées aux versants nord est dépendante d’une telle configuration.

11Le choix de terrains ensoleillés peut paraître paradoxal dans la répartition des cavités. Pourtant c’est un fait indubitable : les souterrains sont creusés dans les zones où les hommes ont une implantation privilégiée. De là transparaît déjà une association inévitable avec l’habitat.

2.2.2. Villages et cavités aménagées

12Dès le début de la recherche sur les souterrains, une étude similaire conduite sur les villages proches des cavités mettait en évidence deux identités fondamentales entre les deux groupes de sites : une juxtaposition presque parfaite des caractères topographiques et une orientation par rapport aux points cardinaux identique dans la plupart des cas. La position topographique des villages, particulièrement nette au long de la vallée de la Gartempe, fait apparaître des caractères constants.

13Tout en haut des versants, l’habitat domine la vallée, la dénivellation dépendant donc de la profondeur absolue de la vallée elle‑même. De Châteauponsac à Bessines‑sur‑Gartempe les villages se succèdent, séparés les uns des autres par une distance moyenne de 1 000 m. D’ailleurs l’écart entre les souterrains avoisine cette distance, en lui étant toutefois légèrement supérieure. On compte 34 cavités situées à moins de 1 000 m les unes des autres ; pour 6 d’entre elles seulement la distance est inférieure à 300 m. Comme nous l’avons vu dans le cas des souterrains, le niveau des sources apparaît souvent en contrebas des habitats.

14La comparaison des dénivellations des villages et des cavités par rapport aux cours d’eau montre des résultats extrêmement voisins. Le rapport de la dénivellation et de la distance entre le site étudié et le talweg reste très constant dans la plupart des cas, qu’il concerne les cavités ou les villages (Fig. 7). En somme, souterrains et habitats sont implantés dans une position optimale par rapport à l’environnement topographique et hydrographique, si on limite ce dernier terme aux caractères liés aux sources et aux espaces inondables.

• Fig. 7 – Topographie des implantations. –a. Cavité, silo(s) (site abandonné ou fossilisé par un habitat ultérieur). –b. Ecart le plus proche de chaque site à cavité ou silo(s). En ordonnée : dénivellations ; en abscisse : distances site‑talweg. Zones d’altitude –1. 450 à 600 m –2. 300 à 450 m –3. 150 à 300 m.

15L’orientation des villages selon les points cardinaux donne une large majorité de cas d’expositions au sud, puis à l’est, installations déjà considérées comme favorables aux activités humaines. On trouve à nouveau dans cette constatation une similitude très évidente entre cavités et habitats. Dans les situations où les souterrains apparaissent creusés à moins de 100 m des habitations, l’identité de leur exposition est la règle évidente. En revanche, l’exposition des habitats mentionnés dans le terrier de 1496 de l’abbaye de Grandmont révèle des différences essentielles si on les compare aux constatations établies plus haut. Ces habitats regardent le sud pour une majorité d’entre eux, puis l’ouest, refusant assez nettement l’implantation vers l’est et, avec plus d’évidence encore, l’orientation au nord. En fait ces habitats sont construits surtout dans les monts d’Ambazac, zone de moyenne montagne, au climat rude ; la recherche de l’ensoleillement est une nécessité vitale, même si elle doit, dans le cas des villages tournés vers l’ouest, tenir compte de l’humidité’ des vents dominants. Cette constatation paraît d’autant plus précieuse que (l’étude historique l’expliquera davantage) ces habitats semblent plus récents que ceux de l’ensemble de la région étudiée.

2.2.3. Le contexte hydrographique

16L’étude physique nous a montré jusqu’à présent les relations entre les cavités et les versants. Il convient maintenant de rechercher les détails de cette association en tenant compte du rôle éventuel tenu par le réseau hydrographique.

17Nous remarquerons d’abord la densité évidente des ruisseaux, opposée au faible kilométrage représenté par les rivières. 15 % des souterrains sont associés aux cinq rivières que nous avons délimitées, cours d’eau nettement minoritaires dans le réseau total. Le phénomène est d’autant plus évident que ces cinq rivières, la Couze, l’Ardour, la Gartempe, la Semme, le Vincou, sont caractéristiques des zones basses, principalement situées à l’ouest du bassin de la Gartempe. Les ruisseaux quant à eux coïncident souvent sur la carte avec les régions d’altitude maximale, dont nous avons déjà établi qu’elles sont liées à une faible densité relative de souterrains.

18Alors que la répartition des cavités paraît confuse dans leurs relations avec les ruisseaux, il en va tout autrement des associations entre souterrains et rivières. La carte montre une belle ordonnance de la disposition des cavités tout au long de la vallée de la Gartempe et des vallées de ses affluents principaux. La vallée de la Gartempe, de Blanzac à Bessines‑sur‑Gartempe, est un témoin d’une telle répartition. Cependant la relation cavité‑rivière ne semble pas voulue en tant que telle par les hommes. Il s’agit pour nous de rechercher les cas au regard desquels l’homme aurait préféré la proximité d’une rivière à celle d’un ruisseau comme préliminaire au creusement de la cavité.

19L’étude du réseau hydrographique dans un rayon de 1 000 m autour de chaque souterrain doit permettre de découvrir un site (s’il existe) défensif ou privilégié à d’autres titres à cause de la présence d’un confluent ou d’un rivière plus importante que le cours d’eau lié à la cavité. Ainsi, dans 29 % des cas, un confluent existe à moins de 1 000 m d’un site à cavité aménagée (Fig. 8). Il faut ajouter que la majorité de ces confluents sont éloignés de plus de 600 m du souterrain. On remarque donc le désintérêt de l’homme pour toute position présentant un caractère particulièrement privilégié. Les cavités sont élaborées dans des zones en général non protégées naturellement. Une recherche des rivières plus importantes que les cours d’eau associés aux souterrains aboutit à des résultats similaires. 15 % des cavités sont creusées à moins de 1 000 m d’une rivière ainsi définie. Là encore le choix ne s’est pas établi sur l’intérêt stratégique que présenterait la proximité d’une telle rivière (Fig. 9). L’homme n’a pas sélectionné les sites préalablement comme pour l’implantation des systèmes défensifs.

• Fig. 8 – Distances entre sites et confluents. –1. Moins de 300 m –2. 300 à 600 m. –3. 600 à 1000 m.

• Fig. 9 – Relations sites‑rivières (rivières plus importantes que les cours d’eau directement associés aux sites c2. Fig. 4) –1. 300 à 600 m –2. 600 à 1 000 m.

20Nous constatons à nouveau l’intégration du souterrain dans le cadre « normal » de la vie quotidienne. L’habitat paysan dans sa répartition témoigne tout aussi clairement de la préférence donnée à un lieu favorablement exposé au plan des activités agricoles et de la vie quotidienne plutôt qu’à un site de défense. Par ces points, la cavité s’intégre dans l’univers ordinaire de la vie rurale au même titre que l’habitat groupé ou isolé. Il s’agit donc d’étudier les liaisons possibles entre le souterrain et l’habitation médiévale. La recherche de la raison d’être d’une architecture enterrée paraît d’autant plus délicate que la connaissance de l’habitat au Moyen Age est encore imprécise en Limousin.

2.3. Le contexte historique

21Les souterrains, et l’étude topographique le confirme, sont implantés dans des sites favorables à l’habitat. 63 % des cavités reconnues sont creusées sous des villages ou des habitats isolés indiqués sur la carte de Cassini, repère chronologique le plus récent retenu dans l’étude (Fig. 10). Cependant les souterrains révèlent toujours une discordance très nette quant à leurs relations avec les constructions maçonnées. Très souvent ils sont mis au jour par des effondrements d’anciens habitats dont les fondations, creusées au‑dessus des galeries souterraines, avaient été élaborées dans l’ignorance de la présence de tels vestiges.

• Fig. 10 – Relations cavités aménagées‑habitats (distance inférieure à 100 m).

22Les habitats très anciens ont ainsi fossilisé les cavités : La Courcelle, no 72 ; La Graulade, no 33 ; La Chaize, no 31 ; La Forge, no 19... Nous n’avons jamais découvert des cavités dont l’organisation, la position des entrées, révéleraient une concordance avec une construction de pierres. On sait que de telles associations existent dans d’autres régions que la Marche, en particulier en Touraine, mais les cavités sont alors fréquemment creusées sous des habitats fortifiés et ne répondent peut‑être pas aux mêmes besoins (Mauny, Cordier 1967).

  • 2 Le danger d’interprétation des caractéristiques du parcellaire n’autorise pas actuellement l’établi (...)

23A cette constatation, d’ordre général, il faut ajouter celle de l’absence de structures, même à l’état de vestiges, surmontant les cavités éloignées des habitats occupés de nos jours (Fig. 11). On peut considérer dans le cas des souterrains ainsi isolés l’abandon de l’habitat à une époque au moins antérieure au xviiie s. (carte de Cassini). Une grande partie de ces sites apparaît au sein de zones incultes, qui ont souvent gardé des traces très visibles (murets) d’un parcellaire fossilisé (Bagnol, no 63). En fait ces terres en friches étaient souvent cultivées avant le grand exode rural de la fin du xixe s.2 Dans certains cas, des labours à des périodes très anciennes ont pu être la cause de la disparition de structures fragiles associées aux cavités. Ainsi au Bois‑du‑Mont, la fouille a révélé des blocs surmontant une zone effondrée de la cavité et marqués de traces laissées par le soc des charrues. Or, ces blocs suivent de peu (dans la chronologie des occupations dans le souterrain) la période de dernière utilisation de la cavité.

• Fig. 11 – Relations cavités aménagées — habitats (distance supérieure à 100 m) –1. 100 à 300 m –2. 300 à 600 m –3. 600 à 1 000 m.

24Il semble donc que, si l’on considère les souterrains isolés, se soit produit un abandon du site. Dans le cas des cavités liées aux habitats en dur, on constate une permanence de l’occupation du site, même après la période des derniers séjours dont les souterrains sont les témoins. Ces éléments combinés tendent à donner aux cavités une position chronologique antérieure à celle des habitats construits en pierre (nous ne considérons évidemment dans cette hypothèse que la Marche).

  • 3 M. Vazeilles a effectué en Corrèze de nombreux repérages de sites d’habitats médiévaux, publiés dan (...)

25Il est délicat de fixer l’apparition des constructions en pierre. Il faut pour cela élargir la recherche au Limousin : il n’existe non seulement aucune fouille de village médiéval dans le bassin de la Gartempe, mais il n’a de même jamais été conduit d’inventaire des sites d’habitats médiévaux. Quelques « villages » ont été repérés en Corrèze. Leur chronologie aurait pour limite la plus ancienne la fin du xiie s. ou le début du xiiie s. Il faudrait des fouilles pour accroître nos connaissances à ce sujet3. En fait l’étude historique ajoutée à celle de la répartition des cavités montrera une permanence générale de l’habitat, de la période d’apparition des souterrains à l’époque moderne.

2.4. Les données archéologiques

26L’organisation même des cavités est difficilement décelable : 20 % environ des souterrains de l’étude ont fait l’objet de relevés architecturaux. Il est extrêmement malaisé de déduire des aspects de la vie des hommes à partir de plans dressés sans tenir compte du remplissage archéologique ou de l’importance du comblement naturel succédant à l’abandon de la cavité et qui dissimule un certain nombre d’éléments structuraux. Seuls quelques souterrains (16 % environ) peuvent être étudiés grâce à des plans lisibles : La Forge, no 19 ; Langlard, no 6 ; La Courrière, no 66 ; La Gente, no 55 ; Droux, no 61 ; La Ribière, n090... De plus, bien des cavités contiennent un très faible remplissage archéologique : Les Mazeires, no 18 ; La Chenaud, no 5 ; Villedary, no 35...).

27Les éléments d’une vie passée, peu perceptible par l’analyse des cavités dans l’état actuel de nos connaissances, peuvent être étudiés grâce à la recherche de l’environnement immédiat auquel les cavités sont liées. La présence dans ces sites de céramiques caractéristiques permet parfois un repérage chronologique relativement précis. L’intérêt que revêtent les structures associées aux cavités est de livrer d’ailleurs des éléments de certitude aux hypothèses chronologiques.

  • 4 Le rô1e des fosses est bien connu actuellement. L’existence des silos est très ancienne : en fait, (...)
  • 5 Des hypothèses cultuelles sont souvent évoquées à propos des silos, essentiellement dans les bullet (...)

28La mise au jour de silos fréquemment associés aux souterrains a déterminé des fouilles qui ont révélé des documents essentiellement céramiques, dans la plupart des cas. L’archéologie a démontré le rôle de ces fosses dans les sites d’habitat : réserves temporaires de produits agricoles, devenant au cours du temps des dépotoirs, recevant ainsi un mobilier usuel souvent abondant4. Les silos, creusés dans les terres avoisinant les cavités, ou parfois isolés, ont en général une profondeur variant de 1 m à 1,80 m. Leur diamètre est d’environ 1,50 m. Ces fosses sont fréquemment découvertes par groupes de quatre à dix unités. Il est délicat de décompter les silos : les découvertes sont souvent fortuites et bien des fosses échappent aux chercheurs, les fouilles étant rarement intégralement conduites. Un sondage établi tous les mètres selon un carroyage recouvrant largement un site repéré permet cependant de dénombrer avec une bonne précision les structures non apparentes (recherches au Bois‑du‑Mont, no 42). La fréquence des silos dépend de facteurs multiples : importance de la communauté agricole, masse de la production, durée de conservation des produits dans les fosses, etc. Leur mise au jour à l’écart de toute cavité ou de tout habitat construit traduit, comme nous l’avons établi pour les souterrains, l’existence passée d’un habitat à cet endroit. Des prospections étendues permettraient dans bien des cas probablement de confirmer une association cavité‑silo. Quelle que soit la configuration de l’environnement archéologique des fosses telle qu’elle apparaît aujourd’hui, il reste que les silos sont, de par leur rôle, des annexes d’une implantation agricole5.

29Le mobilier des fosses permet d’établir une relative homogénéité chronologique de leur période d’utilisation. La caractéristique des découvertes réalisées dans les silos réside dans la présence de céramiques à bord en bandeau, et plus rarement des disques et des fusaïoles (Razès, no 79 ; La Ribière, no 90 ; Le Bois‑du‑Mont, no 42). La bibliographie utilisée comme référence pour la datation des vases à bord en bandeau de la couche 1 de la cavité du Bois‑du‑Mont (fig. 12) indique une rareté relative de cette production au xe s., à la fin du xiie s et au début du xiiie s. Au contraire, il semble que la période de fréquence de ces vases court tout au long du XIe s. et au début du xiie s.

• Fig. 12 – Souterrain du Bois‑du‑Mont : vases à lèvre du type bord en bandeau.

FIGURE 12 Vases à lèvre à bord en bandeau
Nous avons constaté la présence de vases à lèvre à bord en bandeau dans le remplissage de plusieurs cavités, en particulier à Bessines (Bois‑du‑Mont) dans les couches de base. Les relations de fouilles conduites en France sur des gisements médiévaux mentionnent assez fréquemment la découverte de ce type de vase : on en trouvera des exemples dans les bulletins de la revue Archéologie médiévale, ainsi que dans Archéologie du village déserté.
Cependant des éléments divers peuvent perturber la position chronologique de cette production d’un site à l’autre :
– l’éloignement des gisements les uns des autres doit être pris en compte dans toute recherche de ce type : une influence d’origine extérieure ne s’exerce peut‑être pas simultanément sur plusieurs régions ;
– le rôle de la « mode », la tradition ont dû modifier localement des courants culturels ou techniques généraux.
Ainsi un site archéologique révèle‑t‑il, comme au Bois‑du‑Mont, sur un même niveau d’occupation, des céramiques « archaïsantes », associées à des productions plus modernes. J.‑M. Pesez considère ce fait comme essentiel : « Il faut insister fortement sur la coexistence sur un même site et à une même époque de deux productions aussi différentes tant par leur forme que par leur inspiration » (Pesez et al. 1970 : 151).
Lorsque je rédigeai ce travail en 1978‑1979, je constatai une large dispersion chronologique des vases à lèvre à bord en bandeau dans la France métropolitaine. Perçue dès le xe s. en particulier à Andone (Debord, Leenhardt 1975), cette forme paraissait plus largement représentée à partir du xie s. et était encore reconnue au xiiie s. (Zadora‑Rio 1973 ; Pompée 1976). En fait, dès 1980‑1981, avec la datation par thermoluminescence de fragments issus du Bois‑du‑Mont (niveaux de base dans la partie sud du souterrain) estimée à +900 (sur une période de +810 à +990) (Gady 1981), et avec la multiplication des observations conduites sur les sites du Limousin, j’ai pu mieux reconnaître les caractéristiques de cette forme à l’échelle régionale : résumons‑les en quelques mots.
Les pots, à fond plat, à bec parfois tubulaire, parfois pincé, à anse large (l’anse, dans les quelques exemplaires reconnus, à une prise sur la lèvre) évoquent particulièrement les formes décrites à Andone. Une partie du mobilier à pâte d’origine exogène pourrait provenir, sinon d’Andone, du moins d’ateliers des pays charentais. La masse essentielle des vases découverts traduit cependant l’exploitation d’argiles détritiques et par conséquent l’existence possible d’ateliers situés sur les franges de la Marche et du Limousin, au contact du Berry, du Poitou ou des Charentes. Depuis 1980, les vases à lèvres à bord en bandeau observés en Limousin et Marche sont confirmés comme fossiles directeurs particulièrement fiables : par leur position stratigraphique ils caractérisent les derniers habitats dotés de silos et la phase correspondant au creusement des souterrains (cf conclusion). Ce type de poterie coïncide donc avec cette charnière presque systématique dans l’évolution architecturale de l’habitat rural, charnière située aux xexie s.
Si beaucoup d’idées reçues sur la chronologie et la géographie de la céramique médiévale reposent uniquement sur l’absence de fouilles intéressant les ixexiie s., sur une grande partie » (De bord, Leenhardt 1976 : 224), la fouille des sites d’habitats ruraux équipés de silos et de cavités aménagées est bien de nature à contribuer de façon privilégiée à la classification chronologique des formes et à la détermination de fossiles directeurs.

30Les fosses livrent également des fragments de vases pégaus, mais ces documents archéologiques sont plus rares. Ils apparaissent fréquemment dans les silos mis au jour en Périgord, en Agenais et en Albigeois. Ils sont légèrement plus anciens : du ixe au xe s. La rareté des vases pégaus signalés doit les faire considérer, dans l’état actuel des recherches en Limousin, comme des témoins archéologiques peu sûrs (en tant qu’éléments de datation des sites).

31On peut considérer que souvent les silos sont soit contemporains des cavités, soit plus anciens. Les indices structuraux sont généralement les révélateurs essentiels de l’antériorité des fosses par rapport aux souterrains. Des silos creusés dans la roche au‑dessus de la voûte des galeries ou des salles peuvent provoquer des effondrements : (La Ribière, no 90 ; Le Bois‑du‑Mont, no 42, zone non fouillée). Ces fosses ne sont séparées de la voûte que par quelques dizaines de centimètres. Un creusement des silos au‑dessus d’un souterrain préexistant aurait entraîné la destruction immédiate de la voûte. En revanche l’élaboration de la cavité dans un site déjà creusé de silos n’implique pas une dégradation rapide : la partie nord du souterrain de Bessines (no 42) n’a subi aucune altération du fait de l’existence d’une fosse au‑dessus d’une salle. Néanmoins, avec le temps, l’érosion trouve dans de telles situations un facteur de destruction privilégié.

32Cette discordance chronologique entre aménagement des silos et creusement des souterrains peut‑elle être mesurée ? Nous l’avons vu, le mobilier contemporain du premier stade d’occupation des cavités et celui des silos ont des points communs. Mais il faut respecter une restriction essentielle au sujet des fosses : les vases qu’elles renferment ne sont pas contemporains de la période initiale d’utilisation de celles‑ci. Ils témoignent de la phase de comblement des silos, c’est‑à‑dire de l’abandon de leur véritable destination.

33Les auteurs du creusement des cavités semblent donc avoir oublié dans certains cas l’existence des fosses : elles sont comblées et aucun repère ne paraît pouvoir indiquer leur emplacement exact. Pourtant, on note la volonté de réaménager par l’élaboration de la cavité l’habitat dans l’espace traditionnellement affecté aux structures d’occupation. La période de creusement serait, ainsi que le mobilier le révèle dans les niveaux profonds de la stratigraphie des souterrains, voisine, bien que postérieure dans une mesure qui reste à préciser, de la phase de fossilisation volontaire des silos. Il y a donc permanence de l’habitat au plan géographique, mais modification des structures implantées par l’homme, et cela probablement en quelques dizaines d’années.

34Il ne faut cependant pas déduire de cette proposition sur l’apparition des cavités un délaissement systématique des silos. La présence de telles fosses à l’intérieur des souterrains (La Ribière, no 90) montre que l’habitude de leur utilisation persiste toujours aux époques contemporaines des cavités. Des silos sont également creusés à l’extérieur des souterrains ; ils évitent ou semblent éviter soigneusement toute rencontre accidentelle avec les structures internes (Le Bois‑du‑Mont, no 42 ; Langlard, no 6).

35Au‑delà des incertitudes chronologiques provoquées par la persistance dans le temps du creusement des fosses, c’est la matérialisation d’un habitat ancien dont elles témoignent qui nous paraît précieuse. Associés à la vaisselle usuelle, les autres documents mobiliers qu’elles contiennent (fusaïoles en particulier) impliquent un habitat externe que ne révèlent pas les prospections conduites à proximité des cavités.

36Les silos sont pourtant caractéristiques de la présence immédiate de structures plus ou moins complexes permettant des séjours et des activités et dont ils sont des annexes. Leur découverte dans des sites anciennement urbanisés confirment ces associations : Razès, nos 78 et 79 ; Dracy, Penne‑d’Agenais (Gognau, Laborie 1975 : 56‑59). La permanence de l’utilisation des silos alors que les souterrains sont occupés montre que les cavités ne sont pas des lieux destinés avant tout à jouer le rôle d’entrepôts.

37Certes le creusem6nt moins fréquent des silos après l’apparition des souterrains indique un transfert du dépôt temporaire des produits agricoles. Dans les deux cas, cependant, le dépôt reste à l’intérieur de la structure d’habitat.

38L’absence totale de vestiges extérieurs avoisinant les silos laisse entrevoir un habitat construit à base de matériaux légers et périssables au regard des siècles : végétaux, boue, torchis, cf. Mortorat, no 30 ; Le Bois‑du‑Mont, no 42 ; La Courrière, no 66. Il faudra attendre la publication de la fouille de Jueux, commune d’Azerables, en Creuse, et très proche de la région que nous étudions, pour connaître les détails d’une association éventuelle entre une cavité, des silos et peut‑être un habitat externe.

39Nous ne pouvons que constater l’identité des problèmes posés par le contexte archéologique des silos avec celui des souterrains :

  • disparition des éléments construits ;

  • vestiges mobiliers d’un habitat dont les caractères montrent leur utilisation sur place ;

  • comme dans le cas des souterrains il s’agit de structures étroitement liées à l’habitat ; mais par leur mode d’aménagement, elles évitent aux occupants d’avoir à construire des annexes ; ces dernières peuvent être, de par leur mode d’élaboration, rapidement endommagées voire détruites (feu, eau, action des hommes) alors qu’elles représentent, si elles contiennent les réserves de nourriture de la communauté ou d’un groupe familial, un élément précieux de la structure d’occupation.

40A cause de l’incertitude qui règne sur bien des données, l’archéologie apparaît parfois insuffisante pour préciser à elle seule la place que tiennent les cavités et les silos dans la vie médiévale rurale de la Marche.

2.5. Les relations entre les cavités aménagées et les habitats

4178 % des souterrains sont associés, à moins de 300 m, à un habitat reconnu. Les cavités creusées à moins de 100 m de ces constructions en représentent les trois quarts.

42Quels moyens avons‑nous de déterminer l’existence de ces habitats au Moyen Age et, si possible, de saisir l’importance de l’occupation du sol avant le xiie s.? Il faut en effet remonter au‑delà de cette période, les céramiques provenant des souterrains étant souvent antérieures à la charnière des xiie et xiiie s. Les documents d’archives et la toponymie constituent des apports parfois essentiels à la compréhension de la chronologie des sites. Il apparaît utile également d’établir une cartographie des paroisses. La référence aux villages paroissiaux livrera quelquefois des indications précieuses.

43Nous essaierons ainsi, par le biais de la datation des habitats, de proposer une période générale pouvant correspondre à l’élaboration des cavités auxquelles ils sont liés géographiquement. Il va de soi que nous devrons parfois tenir compte de données plus récentes que le xiie s. (xiiie, voire xive s.) dans un certain nombre de situations.

4415 % des souterrains sont associés à moins de 300 m au chef‑lieu d’une ancienne paroisse. Ce taux conduit à deux réflexions.

45La présence d’un tel village n’est pas déterminante dans la distribution des souterrains. Il faut appréhender avant tout l’habitat à travers ce village. Dans le cadre du chef‑lieu de paroisse, la cavité n’a pas de liaison directe avec l’établissement religieux qui le définit. Par conséquent l’élément que nous pouvons considérer dans l’étude de la relation « cavité‑village » est la possibilité de repérages chronologiques (Fig. 13). L’établissement définitif des paroisses dans la Marche doit être situé au terme du xie s. (Aubrun 1981). Nantiat, associée à un souterrain (le bourg, no 69), est connue déjà au xe s. comme siège d’une vicairie. En fait les chefs‑lieux de paroisses furent choisis en priorité parmi des centres habités plus anciens : Châteauponsac, Rancon, Bénévent, etc. La délimitation des paroisses et leurs chefs‑lieux concrétise ainsi la suprématie (à l’échelle locale...) d’anciens habitats.

• Fig. 13 – Relations cavités aménagées‑sièges de paroisses –1. Moins de 100 m –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. 600 à 1 000 m. Limites et sièges des anciens archiprêtrés : –B. Bénévent –R. Rancon –S. Saint‑Junien.

46Le bassin de la Gartempe s’étend sur trois achiprêtrés : Bénévent, Rancon, St‑Junien. Bénévent est le siège d’un archiprêtré couvrant le haut bassin de la Gartempe. Il matérialise une partie de la haute Marche telle qu’elle apparaît au xe s. Les souterrains d’Augères, Aulon, St‑Victor, St‑Christophe, etc., sont ainsi liés à des habitats antérieurs au xie s. La basse Marche est marquée, dans le bassin de la Gartempe, par l’extension prédominante de l’archiprêtré de Rancon. Ce lieu est mentionné dès le xe s. Les souterrains de Compreignac, Razès, Nantiat, St‑Pardoux sont creusés dans des sites d’habitats anciens, antérieurs au xe ou au xie s. L’archiprêtré de St‑Junien est limité à la région occidentale du bassin de la Gartempe. Nantiat est le seul chef‑lieu de paroisse de cet archiprêtré (à notre connaissance) à être associé à une cavité.

47Nous avons ainsi la possibilité d’intégrer quatorze souterrains dans un contexte chronologique en concordance étroite avec les quelques indications archéologiques que nous possédons : céramique à bords en bandeau, discordance entre habitat construit en dur et cavités en particulier. Il nous faudra revenir cependant sur les sièges de paroisses lorsque nous étudierons les relations éventuelles des cavités avec les édifices religieux et l’implantation des ordres religieux dans le bassin de la Gartempe.

2.6. Les sources écrites

  • 6 J. Bordenave et M. Vialelle (op. cit. : 259‑262) évoquent, d’après des textes d’origine ecclésiasti (...)

48Il faut d’abord remarquer l’absence totale d’allusions dans les documents écrits à des cavités, à leurs utilisation, leur destruction, etc. La réflexion la plus ancienne qui ait été conduite à notre connaissance à propos des souterrains de la Marche (et du Limousin) est l’ouvrage de J.‑F. Barailon consacré aux souterrains de la région de Toulx‑Ste‑Croix, et datant de la fin du xviiie s. (Barailon 1784). Par conséquent, au contraire d’autres régions de France (Albigeois, Nord), nous ne pouvons nous faire une idée de l’utilisation des cavités grâce à des références manuscrites6.

49En revanche le rôle des textes concernant des habitats, des faits relevant du domaine religieux ou des seigneuries laïques peuvent paraître comme des éléments de recherche précieux : ils donnent parfois des indications de datation de sites très proches des cavités. Les textes remontant au Haut Moyen Age sont rares. Il s’agit d’actes de donation qui situent non la création d’un habitat, mais son existence à une période donnée. Dans dix‑huit cas, un texte antérieur au xiiie s. désigne un site proche (à moins de 300 m) d’une cavité. Le plus souvent le lieu est simplement mentionné dans un cartulaire. Ainsi le village de La Forge, commune du Grand Bourg, sous lequel est creusé un souterrain, est‑il présent vers 1150 (cartulaire de Bénévent). St‑Silvain‑Montaigut, très proche d’un souterrain, Augères et Aulon, liés à des souterrains, sont mentionnés dans le cartulaire de Bénévent respectivement vers 10 80, 1096 et 1192 (Lecler 1902 : 702, 30, 31). Ces lieux sont, nous le savons déjà, le siège de paroisses, le village de La Forge excepté. Des textes seigneuriaux situent chronologiquement certains sites. Puy‑Ménier est mentionné en 1147. Dans ce hameau de la commune de Compreignac est creusé un souterrain (no 57) (Lecler 1920 : 236). La seigneurie de Razès est reconnue par les textes dès le xe s. Des fosses sont associées au site de Razès. Le « Mansus Tancognaguet , lié à une cavité, existe au xiie s. Nous évoquerons dans l’étude toponymique d’autres manses.

50Cette relative rareté des textes antérieurs au xiie s. ne doit pas paraître comme un élément restrictif. Bien des textes plus récents, xiiie, xive s., livrent des indications sur des habitats préexistants. Des informations plus proches encore de la fin du Moyen Age permettent l’établissement d’une cartographie de l’habitat dont nous avons déterminé dans bien des cas le caractère de permanence. Le terrier de 1496 de l’abbaye de Grandmont, installée au xiie s. dans la paroisse de St‑Sylvestre, mentionne cent cinquante‑cinq habitats, témoins d’implantations anciennes et de créations plus récentes. La référence au xve s. peut paraître tardive, mais l’analyse de la toponymie de ces lieux habités permet de restituer une chronologie logique de leur établissement.

2.7. La toponymie

  • 7 La toponymie ne sera étudiée que dans ses cadres généraux ; nous ne pensons pas en effet devoir att (...)

51Pour toute la région étudiée, l’étude toponymique donne une image assez précise de l’occupation du sol7. Elle a été conduite selon trois directions :

  • les habitats situés à moins de 300 m des cavités dans le bassin de la Gartempe ;

  • les sites mentionnés dans le terrier de 1496 de l’abbaye de Grandmont ;

  • la paroisse de Bessines‑sur‑Gartempe.

52L’implantation dès l’époque romaine (et même aux périodes antérieures) est probable pour 17 % environ des sites associés à des cavités : Nantiat, no 69 ; Balle‑dent‑Quinsac, no 40 ; Compreignac, nos 58 et 59.

5321 % des cavités sont liées à des habitats dont le nom évoque des aspects du relief : vallées, mont. Des textes confirment de telles appellations dès le xie s. : St‑Silvain‑Montaigut, attesté vers 1080 dans le cartulaire de Bénévent, Lavaud, paroisse de Marsac, signalé vers 1080 également. De nombreux textes remontant au xiie s. restituent ces dénominations : Montaigut, paroisse de Compreignac, cité en 1128 ; Puy‑Ménier, même paroisse, indiqué en 1147. Il semble que les lieux dont la toponymie évoque le règne végétal ont une origine plus ancienne que le xiie s. Dans la paroisse de Razès, Chatenet‑Maussant (Chatenet = châtaignier) est attesté comme manse en 955. La référence à des noms d’arbres est souvent attribuée d’après les auteurs de travaux de toponymie à des périodes antérieures au xe s. 5 % des cavités sont ainsi caractérisées.

54L’habitat apparaît dans les noms de lieux, rappelant fréquemment le manse. Dans le terrier de l’abbaye de Grandmont il est représenté ainsi dans une large mesure : 30 % des cas étudiés. 13 % des souterrains sont associés à des lieux dont le nom évoque un habitat. Dans la région nous n’avons pas découvert de mentions attestant l’existence de manses avant le xe s. ; la plus ancienne à notre connaissance, est celle de Chatenet‑Maussant en 955. Au xie et au xiie s. les textes deviennent plus nombreux : « Mansus de Valle », paroisse de Marsac, mentionné en 1080 ; « Mansus de Vieilleville, cité en 1150. En fait les manses remontent certainement au viiie s., voire au viie s.

  • 8 Pour M. Bloch, « [...] , qui dit manse, dit exploitation rurale d’un petit groupe humain, probablem (...)

55La toponymie témoigne surtout d’une évolution dans la désignation du manse. Le « mas marque une période postérieure à la création du manse, et annonce peut‑être un agrandissement du bloc familial à la fin du xie et au xiie s8. Le Mas‑Gelier, paroisse de Salagnac (Le Grand‑Bourg actuel) est attesté en 1185. Le Mansus Superior, paroisse de St‑Eloi, devient Mas‑Sebrot. Si nous considérons le terrier de l’abbaye de Grandmont, le nombre important de lieux portant l’appellation de « mas (13 habitats) traduit une expansion de l’habitat, relativement tardive par rapport aux xe et xie s., à partir de noyaux primitifs et peut‑être conduite sous l’influence de l’abbaye.

56Le Haut Moyen Age doit être lié aux dénominations concernant des habitats en ruines ou détruits. Ainsi peut‑on ranger dans cette catégorie les « Mazières », « Mazeires », que les toponymistes. considèrent comme antérieurs au xe s. : cavité des Mazeires, paroisse de St‑Eloi (Rostaing 1948).

  • 9 Au xviiie s., les implantations de forges, de tuileries ont fait apparaître une abondante toponymie (...)

57Les noms de lieux comportant le mot « ville » sont attestés dès le xie s : Villebert, paroisse de Compreignac, mentionné en 1021. La « maison » a donné son nom à 5 % des lieux associés aux souterrains. Chabannes, Chaize marquent une évolution (à partir de la « casa ») de la désignation d’un habitat déjà ancien : cavité de La Chaize, paroisse de St‑Priest‑la‑Plaine ; souterrain de La Chaize, paroisse de Châteauponsac. Les activités quotidiennes sont parfois évoquées : cavité de La Forge (no 19, commune de St‑Eloi, no 10, commune du Grand‑Bourg)9.

58Des réserves doivent être émises quant à la chronologie livrée par la toponymie. Il peut en effet s’être produit au cours des siècles un déplacement géographique d’une dénomination attachée à un lieu donné ; c’est un phénomène caractérisant souvent les habitats médiévaux dont le nom évoque une implantation gallo‑romaine. Mais c’est aussi le cas d’établissements délaissés au Moyen Age pour diverses raisons : on a alors peu à peu perdu le souvenir de leur emplacement exact, à cause notamment de la disparition rapide des structures fragiles qui les composaient. A plus forte raison les souterrains peuvent être les seuls témoins actuels d’habitats dont l’homme a oublié très rapidement la situation dans le paysage. Par ailleurs la toponymie révèle souvent des désignations d’époque féodale alors que l’habitat concerné dans l’étude est d’origine plus ancienne.

59Néanmoins, d’une manière générale, l’étude des noms de lieux indique des tendances précieuses pour l’enquête. Les cavités reconnues à moins de 300 m d’un habitat sont, pour 64 % d’entre elles, associées à une appellation dont l’ancienneté ne paraît pas postérieure à la première moitié du xiie s. ou, pour le moins, à la fin de ce siècle.

60L’origine des termes déterminant les sites d’occupation remonte souvent au‑delà du xe s. Si l’on tient compte des appellations liées à l’apparition de la féodalité (références au monde végétal, à l’habitation, aux activités quotidiennes), le xie s. devient alors une période « clé ». correspond à la fois à la persistance des habitats anciens et à l’implantation des sites nouveaux liés à un accroissement de la démographie. D’ailleurs la toponymie des habitats de la paroisse de Bessines‑sur‑Gartempe permet de faire remonter au‑delà du xiie s. 70 % d’entre eux, tels qu’ils apparaissent sur la carte de Cassini (Fig. 14).

• Fig. 14 – Ancienneté de l’habitat dans la commune de Bessines‑sur‑Gartempe –1. Sites inclus dans l’ancienne paroisse de Bessines‑sur‑Gartempe –2. Mention sur la carte de Cassini –3. Mention dans le relevé des tailles (1785) –4. Mention dans le terrier de l’abbaye de Grandmont (1496) –5. Occupation antérieure au XIIIe s. (site archéologique médiéval) –6. Toponymie évoquant un habitat antérieur au XIIe s. –7. Rivière Gartempe.

61Les cavités, pour 11 % d’entre elles, sont associées à un toponyme pouvant les évoquer. En fait, dans ce domaine, la toponymie doit être employée avec des précautions particulières. Le Cros, terme de langue d’Oc, désigne un creux topographique aussi bien qu’un souterrain. En revanche, le mot « Cluzeau », plus fréquent d’ailleurs dans le Limousin proprement dit que dans la Marche, est associée plus sûrement à une cavité aménagée. Par ailleurs, on voit que les noms de lieux (villages, hameaux, est révélée par une large entrée. L’ensemble domine une vaste terrasse marquée par des vestiges d’habitations ou de fortifications. Aucune discordance n’apparaît entre la cavité et l’ensemble aménagé. Seule une fouille globale permettrait d’établir, par l’analyse du mobilier essentiellement, mais aussi par une étude ethnologique des relations éventuelles, une contemporanéité (si elle existe) du souterrain avec le complexe qui l’entoure.

62Les autres cas de relations entre cavités et aménagements défensifs révèlent des discordances : souterrain en partie creusé dans l’enceinte du château de Droux (no 61) ; éloignement, 50, 100 m ou plus du système de défense, tel qu’aucune liaison n’est perceptible : souterrain proche du château de La Ribière (no 93). En fait la parcelles) font rarement référence aux cavités, pourtant extrêmement nombreuses. Il faut peut‑être tenir compte dans ce petit nombre d’indications toponymiques du rôle quotidien représenté par les souterrains, lesquels apparaissent ainsi comme un élément de la vie des humbles, dans la campagne médiévale marchoise (Fig. 15).

• Fig.15 – Toponymes attribuables aux cavités aménagées –1. Cros, Les Cros –2. Cluzeau, Le Cluzeau. Les symboles en noir indiquent une relation toponyme‑cavité aménagée à moins de 1 000 m –3. Trois sites sont associés au même toponyme.

2.8. Les systèmes fortifiés

6315 % des souterrains sont creusés à moins de 300 m d’un système médiéval de défense (Fig. 16). Cette faible part traduit, pour les cavités du bassin de la Gartempe, une absence de relation préméditée entre ces deux types d’organisation. Dans d’autres régions, comme en Touraine, on a pu constater une fréquente association. Mais les cavités de Touraine, par certains aspects de leur élaboration et de leur situation, différent des souterrains limousins.

• Fig. 16 – Relations cavités aménagées‑système fortifié –1. Moins de 100 m –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. 600 à 1 000 m.

64Nous étudierons particulièrement le seul cas permettant de constater une relation très étroite entre souterrain et système de défense dans la vallée de la Gartempe. Dans le soubassement rocheux du site féodal des Berbérides, paroisse de Châteauponsac, une cavité (no 52) cavité, intégrée à l’habitat, se trouve occasionnellement liée à une fortification sans que l’on constate dans cette relation purement géographique un phénomène de cause à effet.

2.9. Les structures religieuses

65La recherche des liaisons possibles entre cavités et établissements religieux a montré l’absence d’associations préméditées (Fig. 17). 14 % des souterrains paraissent creusés à moins de 300 m d’églises paroissiales ou de chapelles rurales. On ne peut citer aucune preuve de l’élaboration d’une cavité en vue de sa relation avec un tel édifice cultuel. Il faut considérer un décalage chronologique entre la période d’implantation des églises et l’apparition des souterrains.

• Fig. 17 – Relations cavités aménagées‑édifices religieux –1. Moins de 100 m –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. 600 à 1 000 m.

66Les églises paroissiales que l’on peut visiter actuellement dans la Marche furent pour la plupart construites à partir du xiie s. Les édifices antérieurs étaient plus rudimentaires. Des fouilles effectuées à proximité de ces églises pourraient seules préciser si des établissements agricoles s’élevaient à l’emplacement même des anciens édifices. Selon cette seconde hypothèse l’église aurait fossilisé une cavité préexistante, liée à un habitat délaissé, témoin d’une partie ancienne de l’habitat. La rareté des relations étroites entre cavités et églises ne permet d’ailleurs que d’avancer des hypothèses d’associations occasionnelles. Le souterrain de Droux (no 61) et une cavité de Nantiat (no 69) sont creusés ainsi au contact d’un édifice religieux. A Nantiat la cavité était également associée à un cimetière. La présence de telles structures implique des aménagements successifs dont les modalités restent à définir. Un certain nombre de souterrains étant élaborés dans des sites d’habitat qui sont devenus avec le temps des chefs‑lieux de paroisses, il devient ainsi très logique de constater un pourcentage non négligeable d’associations apparentes entre cavités et édifices religieux.

67L’expansion des abbayes et des ordres religieux au xiie s. permet, grâce à la cartographie, une étude comparative avec la répartition des cavités. Cette expansion fut conduite généralement dans des zones peu favorisées par le climat et les sols. L’abbaye de Grandmont choisit la rigueur des monts d’Ambazac pour étendre son influence. En fait on peut parler à ce propos d’une « conquête » (à l’échelle du Limousin) de terres souvent peu exploitées. Le terrier de 1496 est certes bien récent pour livrer une vision très précise de la situation au xiie s. Cependant l’installation de l’abbaye au début du xiie s. (après la période érémitique de la fin du xie s.) s’accompagne d’une augmentation de la population par la mise en valeur de nouveaux terroirs : les nombreux mas inscrits sur les listes de redevances en témoignent. Or, on ne constate jamais une liaison étroite entre les cavités et les habitats situés, par les redevances, sous l’influence économique de l’ordre (Fig. 18). Les cavités de Fanay (no 94), Silord (no 77), Puy‑Ménier (no 57) ne sont pas creusées à proximité immédiate (plus de 300 m) d’habitats mentionnés dans le terrier de Grandmont. Un seul lieu attesté dans ce terrier, sur cent cinquante‑cinq, est associé à moins de 300 m d’un souterrain : celui de Margnac, paroisse de Compreignac (no 60).

• Fig. 18 – Cavités aménagées et puissances ecclésiastiques – G. Abbaye de Grandmont : –1. Limites de la zone d’influence économique (terrier de 1496) : relations sites‑habitats mentionnés dans le terrier : –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. 600 à 1 000 m –B. Abbaye de Bénévent : –5. Extension des dépendances : relations établies : –6. Moins de 100 m –7. 100 à 300 m –8. 600 à 1 000 m –9. Dépendance isolée.

68Il ne semble donc pas que les cavités aient été creusées sous l’impulsion de l’abbaye de Grandmont. L’analyse livre cependant des repères essentiels pour l’étude. L’expansion de l’abbaye, tardive par rapport à l’implantation humaine dans l’ensemble du bassin de la Gartempe, semble prendre place après la période de creusement des souterrains. De plus, la zone choisie pour l’expansion, essentiellement la région des monts d’Ambazac caractérisée par un milieu physique défavorable, n’en apparaît que plus éloignée du contexte général par ses modalités de peuplement.

69L’expansion de l’ordre de Bénévent est organisée dans un cadre plus favorable. Nous ne pouvons étudier un terrier, élément d’appréciation précieux surie peuplement des campagnes ; nous dressons en revanche une cartographie des dépendances de l’ordre, essentiellement des établissements paroissiaux. Nous retrouvons là des associations occasionnelles entre cavités et églises : Augères (no 1), Aulon (no 2), St‑Victor (no 36). Pourtant, dans cette zone orientale du bassin de la Gartempe, nombreuses sont les cavités repérées (communes de St‑Victor, St‑Eloi, St‑Silvain‑Montaigut). Nous pouvons constater que les chefs‑lieux de paroisses qui ont des souterrains sont minoritaires au sein de l’ensemble des lieux habités dans lesquels sont découverts de tels gisements. Nous avons affaire à des associations apparentes entre les dépendances de Bénévent et les sites archéologiques étudiés. Là encore nous ressentons ce décalage chronologique caractérisant ces deux types d’implantations.

70Une étude comparative entre les souterrains et les implantations d’ordres ou d’abbayes moins largement représentés dans la Marche que Grandmont ou Bénévent (l’Artige, Aureil, Lesterps, St‑Léonard) ne fournit aucun élément d’association effective. Ces établissements, dont l’expansion débute à la charnière entre le xie et le xiie s., se superposent en quelque sorte à des installations antérieures (Fig. 19).

• Fig. 19 – Les établissements de chanoines réguliers dans le bassin de la Gartempe (d’après J. Becquet) et leurs relations avec les sites étudiés : –1. Chanoines de l’Artige –2. D’Aureil –3. De Lesterps –4. De Saint‑Léonard –5. Relation établie à moins de 1 000 m.

2.10. Conclusion

71Au terme d’une recherche rapide sur les relations entre souterrains et établissements religieux ou défensifs, nous ne percevons aucun phénomène de dépendance de la cavité par rapport à l’environnement seigneurial, laïque ou ecclésiastique. En fait, on peut penser que dans une large mesure les défrichements, ou les améliorations d’espaces déjà mis en valeur, liés à une puissance ecclésiastique, succèdent à des actions plus restreintes menées par des communautés paysannes, voire de simples noyaux familiaux, contemporains des cavités. Le souterrain s’inscrirait donc à l’écart de toute influence extérieure au groupement humain qui l’a creusé.

72Pourtant les cavités, fréquentes dans le bassin de la Gartempe, impliquent l’existence de courants d’échanges dont aucun texte ne relate les modalités et que les fouilles archéologiques doivent préciser. Dans l’attente d’une synthèse encore relativement lointaine, l’archéologie peut livrer des aspects de l’activité des hommes à l’intérieur des cavités. faut pour cela établir une méthodologie permettant l’analyse objective des documents exhumés : nous la proposons en choisissant pour cadre la cavité du Bois‑du‑Mont, commune de Bessines‑sur‑Gartempe (no 42).

Notes

1 Il nous est difficile aujourd’hui d’étudier l’évolution du déplacement des nappes phréatiques depuis le Moyen Age. En revanche les mouvements saisonniers sont plus aisément explicables. Ils paraissent inconnus des hommes contemporains des cavités. Ainsi constate‑t‑on dans les communes de St‑Amand‑Magnazeix (Haute‑Vienne) et d’Azerables (Creuse) l’existence de souterrains envahis par les eaux en mars‑avril (phénomènes étudiés par Ph. Picard et les membres de la Maison des jeunes et de la culture de La Souterraine [Creuse]).

2 Le danger d’interprétation des caractéristiques du parcellaire n’autorise pas actuellement l’établissement de liaisons particulières entre les cavités et l’espace aménagé qui les avoisine. Au Bois‑du‑Mont (no 42) par exemple, le foisonnement des murets séparant les parcelles semble être le résultat d’actions séculaires qui se superposent.

3 M. Vazeilles a effectué en Corrèze de nombreux repérages de sites d’habitats médiévaux, publiés dans la Revue des Lettres, sciences et arts de la Corrèze. Il date ces gisements archéologiques de l’époque barbare ».

4 Le rô1e des fosses est bien connu actuellement. L’existence des silos est très ancienne : en fait, dès que l’homme a cultivé, il a dû aborder le problème des moyens de conservation des produits qu’il récoltait. Ainsi des silos contenant des céréales carbonisées seraient liés à un fond de cabane protohistorique (cf. site de Pierre d’Appel : Gallia, XXVIII, 2, 1970, p. 302‑303). A Ensérune des silos antérieurs au iie s. av. J.‑C. ont été découverts lors de lafouille (Gallia, XXVII, 2,1969, p. 397). Un silo associé à des fonds de cabanes mérovingiennes est signalé à Corbehem (Gallia, XXV, 2,1967, p. 200). Les silos d’origine médiévale sont fréquemment décrits (voir Archéologie médiévale en particulier).

5 Des hypothèses cultuelles sont souvent évoquées à propos des silos, essentiellement dans les bulletins de la revue Subterranea. J. Bordenave et M. Vialelle (Bordenave, Vialelle 1973) attribuent un rô1e funéraire aux silos. Au‑delà d’argumentations sur la présence ou l’absence d’a priori qui ont pu influencer parfois certains résultats, le problème archéologique essentiel est de distinguer l’utilisation originelle, pour laquelle le site a été aménagé, des réutilisations occasionnelles, souvent bien différentes dans leurs modalités.

6 J. Bordenave et M. Vialelle (op. cit. : 259‑262) évoquent, d’après des textes d’origine ecclésiastique concernant l’Albigeois, l’utilisation de cavités comme retraites par des hérétiques aux xexiiexiiie s. Le capitulaire de Villis fait peut‑être référence à des silos : « Que chaque intendant prenne garde que les méchants ne puissent cacher sous terre ou ailleurs nos semences » (cité par G. Fourquin in : Histoire économique de l’Occident médiéval, p. 117). Un seul texte pourrait, à notre connaissance, et ce n’est là qu’une hypothèse, évoquer l’utilisation de fosses dans une zone géographique proche de la région étudiée : il s’agit d’un acte de jugement de la période révolutionnaire concernant l’enfouissement de blé sous terre dans la commune de La Celle‑Bermontoise (Creuse) ; cité par A. Rivet. ‑Dissimulation de blé à l’époque révolutionnaire, Mémoires de la Société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse, XXVIII, p. 560‑561.

7 La toponymie ne sera étudiée que dans ses cadres généraux ; nous ne pensons pas en effet devoir attribuer à la recherche toponymique une confiance aveugle comme moyen de datation précis de l’habitat. Elle n’est jamais qu’une photographie » de l’établissement humain à un moment donné et ne renseigne pas sur l’origine même de la création d’une implantation. Et quand M. Bloch écrivait, à propos de l’antériorité de l’habitat par rapport à son appellation : « La toponymie est là‑dessus, bien impuissante à nous renseigner ; et c’est à d’autres moyens d’investigations –c’est, en particulier, presque exclusivement, à l’archéologie– que force nous est de demander la réponse. » (in : Toponymie et peuplement. Annales. 1940, p. 43‑45), il déterminait un domaine privilégié d’action pour la recherche archéologique de l’habitat.

8 Pour M. Bloch, « [...] , qui dit manse, dit exploitation rurale d’un petit groupe humain, probablement familial. [...] En Limousin, [...], le manse carolingien presque toujours a donné naissance, dans la suite des temps à un hameau. (Bloch 1931 : 164‑165). Le développement de l’archéologie du Haut Moyen Age devrait participer largement à la délimitation des manses, et, par conséquent, des défrichements « individuels ». L’étude des gisements à fosses externes et des sites révélant des souterrains deviendrait‑elle alors fondamentale dans la détermination de tels habitats ?

9 Au xviiie s., les implantations de forges, de tuileries ont fait apparaître une abondante toponymie de l’artisanat et de l’industrie. Ce type de référence est donc à manipuler avec une prudence extrême dans l’établissement d’hypothèses chronologiques.

Table des illustrations

Légende • Fig. 3. – Le cadre de l’étude : topographie et hydrographie générales –1. Rivière principale –2. Rivière secondaire –3. Ruisseau.
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Légende • Fig. 4 – Distances entre sites et talwegs. –1. Moins de 100 m –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. Plus de 600 m.
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Légende • Fig. 5 – Dénivellation entre site et point culminant à moins de 1 000 m –1. Moins de 30 m –2. 30 à 60 m –3. 600 à 120 m –4. Plus de 120 m.
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Légende • Fig. 6 – Orientation cardinale des sites : le centre du cercle représente l’emplacement de chacun des sites ; les flèches indiquent l’orientation et la distance site‑talweg.
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Légende • Fig. 7 – Topographie des implantations. –a. Cavité, silo(s) (site abandonné ou fossilisé par un habitat ultérieur). –b. Ecart le plus proche de chaque site à cavité ou silo(s). En ordonnée : dénivellations ; en abscisse : distances site‑talweg. Zones d’altitude –1. 450 à 600 m –2. 300 à 450 m –3. 150 à 300 m.
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Légende • Fig. 8 – Distances entre sites et confluents. –1. Moins de 300 m –2. 300 à 600 m. –3. 600 à 1000 m.
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Légende • Fig. 9 – Relations sites‑rivières (rivières plus importantes que les cours d’eau directement associés aux sites c2. Fig. 4) –1. 300 à 600 m –2. 600 à 1 000 m.
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Légende • Fig. 10 – Relations cavités aménagées‑habitats (distance inférieure à 100 m).
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Légende • Fig. 11 – Relations cavités aménagées — habitats (distance supérieure à 100 m) –1. 100 à 300 m –2. 300 à 600 m –3. 600 à 1 000 m.
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Légende • Fig. 12 – Souterrain du Bois‑du‑Mont : vases à lèvre du type bord en bandeau.
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Légende • Fig. 13 – Relations cavités aménagées‑sièges de paroisses –1. Moins de 100 m –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. 600 à 1 000 m. Limites et sièges des anciens archiprêtrés : –B. Bénévent –R. Rancon –S. Saint‑Junien.
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Légende • Fig. 14 – Ancienneté de l’habitat dans la commune de Bessines‑sur‑Gartempe –1. Sites inclus dans l’ancienne paroisse de Bessines‑sur‑Gartempe –2. Mention sur la carte de Cassini –3. Mention dans le relevé des tailles (1785) –4. Mention dans le terrier de l’abbaye de Grandmont (1496) –5. Occupation antérieure au XIIIe s. (site archéologique médiéval) –6. Toponymie évoquant un habitat antérieur au XIIe s. –7. Rivière Gartempe.
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Légende • Fig.15 – Toponymes attribuables aux cavités aménagées –1. Cros, Les Cros –2. Cluzeau, Le Cluzeau. Les symboles en noir indiquent une relation toponyme‑cavité aménagée à moins de 1 000 m –3. Trois sites sont associés au même toponyme.
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Légende • Fig. 16 – Relations cavités aménagées‑système fortifié –1. Moins de 100 m –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. 600 à 1 000 m.
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Légende • Fig. 17 – Relations cavités aménagées‑édifices religieux –1. Moins de 100 m –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. 600 à 1 000 m.
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Légende • Fig. 18 – Cavités aménagées et puissances ecclésiastiques – G. Abbaye de Grandmont : –1. Limites de la zone d’influence économique (terrier de 1496) : relations sites‑habitats mentionnés dans le terrier : –2. 100 à 300 m –3. 300 à 600 m –4. 600 à 1 000 m –B. Abbaye de Bénévent : –5. Extension des dépendances : relations établies : –6. Moins de 100 m –7. 100 à 300 m –8. 600 à 1 000 m –9. Dépendance isolée.
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Légende • Fig. 19 – Les établissements de chanoines réguliers dans le bassin de la Gartempe (d’après J. Becquet) et leurs relations avec les sites étudiés : –1. Chanoines de l’Artige –2. D’Aureil –3. De Lesterps –4. De Saint‑Léonard –5. Relation établie à moins de 1 000 m.
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