4.1. Introduction

1Souvent, la conservation des objets archéologiques est considérée comme une préoccupation sinon mineure, du moins postérieure à la fouille. Pourtant, elle devrait avoir lieu sur place, et en même temps que la fouille.

2En effet, les objets, enterrés pendant de longues périodes, subissent des contraintes majeures au moment où ils sont exhumés, en raison du brutal changement des conditions de l’environnement (humidité, température, lumière) (Guichen 1984). S’ils sont pris en charge dès ce moment, de graves détériorations et des restaurations coûteuses peuvent être évitées. De plus, le traitement du matériel exhumé, mené en même temps que la fouille, fournit aux archéologues un complément précieux d’informations.

3De ce point de vue, les fouilles de Castellu sont importantes, puisque c’est le premier chantier en Corse pour lequel un atelier de conservation et restauration a été prévu et réalisé.

4Dans l’idéal, la conservation devrait être planifiée en même temps que la fouille et par conséquent, débuter avec elle (Stanley Price 1984). Mais cela pose quelques difficultés, d’ordre financier et aussi pratique, car l’estimation avant les fouilles de la quantité, de la variété et de l’état du matériel qui sera exhumé n’est pas toujours facile.

5A Castellu, l’atelier s’est ouvert seulement avec la troisième campagne. Au cours de la première, le matériel issu des fouilles a été pris en charge (inventaire, nettoyage préliminaire, description, stockage) par les archéologues, à l’exception d’une plaquette en os, envoyée à Paris pour être restaurée à l’IFROA (Institut français de restauration des œuvres d’art) (cf. rapport de restauration en annexe, § 4.7.).

6Cette expérience a montré les inconvénients du recours à la collaboration de laboratoires éloignés du site et sans contact avec les archéologues. En effet, outre les risques (transport) et la durée (2 ans !), des interprétations erronées peuvent être faites sur l’objet (le rapport note l’évidence sur la plaquette d’une couche de résine synthétique qui n’a en fait jamais été appliquée !) pouvant mener à des interventions inutiles voire dangereuses (heureusement, dans ce cas, aucune tentative n’a été faite au cours du traitement pour supprimer la soi‑disant couche de résine synthétique !).

7Au cours de la deuxième campagne, les archéologues se sont assuré la collaboration d’une restauratrice, F. Caillaud, diplômée de la MST (maîtrise de Sciences et Techniques pour la conservation des biens culturels, Sorbonne). Mais, devant la quantité croissante de matériaux, notamment instables (comme les métaux par exemple), la décision fut prise, à la fin de cette campagne, de considérer la conservation comme un des aspects essentiels de la fouille et de créer un petit atelier.

4.2. Préparation de l’atelier de conservation

8Six mois avant l’ouverture de la troisième campagne, les contacts ont été pris entre archéologues et restaurateurs (P. Coghi, restauratrice au musée archéologique de Vérone et moi‑même). Au cours d’une réunion, les points suivants ont été envisagés.

9Types d’objets, problèmes de conservation : selon les objectifs de cette fouille, tout le matériel découvert, sans exception, devait être conservé (tessons de céramiques, fragments d’enduits, métaux, verres, os, coquillages, ambre, écailles de poisson...) ; les problèmes principaux se posaient pour les métaux (instables) et certaines céramiques (pulvérisation de la surface des tessons).

10Conditions de travail : local disponible, rapport entre le chantier et l’atelier (distance, transport du matériel...), stockage des objets...

11Grâce aux informations recueillies et au budget consacré à la restauration (une première somme de 5 000 F), du matériel de restauration a été acheté, notamment :

• des produits de traitement (différents types de colles et consolidants, solvants, substances chimiques pour le nettoyage et la stabilisation des métaux) ;

• des instruments pour le nettoyage mécanique, un percusseur pneumatique, un aspirateur ;

• des récipients (verre, plastique) pour les traitements et le stockage ;

• du matériel pour le stockage (gel de silice, par exemple).

4.3. Organisation de l’atelier

12L’atelier a été installé dans un local mis à notre disposition par le Parc naturel régional de la Corse. C’est une grande pièce, correctement aérée, munie d’une arrivée d’eau directe et d’une installation électrique suffisante. Dans cette pièce ont été groupées toutes les activités concernant le traitement du matériel (enregistrement, description et études, restauration et conservation, stockage temporaire), à l’exception du lavage des tessons et os non travaillés, activité trop encombrante. L’atelier était démonté à la fin de chaque campagne. En tout, il a fonctionné environ trois mois. 320 objets ou fragments ont été traités, sans compter le matériel céramique.

4.4. Relation chantier ‑ atelier

13Pour faciliter le travail de tous et éviter d’éventuelles pertes (destruction accidentelle de l’objet, pertes des références qui le lient à son contexte), un certain nombre de précautions ont été prises dès le moment des fouilles.

14Sur le chantier, le matériel, à peine exhumé, était rangé dans des sacs en plastique portant le numéro du contexte. Un premier triage était effectué : les objets fragiles (métaux, verres, os travaillés, perles d’ambre...) étaient emballés individuellement dans des boîtes en carton dur ou en plastique afin d’être protéger pendant le transport du chantier à l’atelier.

15Les matériaux organiques étaient préalablement enveloppés dans des mouchoirs en papier pour éviter un dessèchement trop brutal et indésirable de la gangue de terre qui les protège. Quant aux métaux, les boîtes qui leur étaient destinées étaient remplies de riz, qui absorbe l’humidité, facteur principal de leur détérioration.

16Au terme de chaque journée de fouille, tout le matériel était apporté à l’atelier. Les sacs en plastique étaient ouverts (pour éviter une éventuelle condensation), les objets fragiles immédiatement pris en charge.

4.5. Traitement du materiel

4.5.1. Os (non travaillés)

17Ils étaient simplement lavés à l’eau courante, au moyen d’une brosse et d’un scalpel, puis séchés à l’abri du soleil.

4.5.2. Céramiques

18Les tessons étaient lavés à l’eau courante, avec une brosse douce, séchés à l’abri du soleil et marqués.

19Les collages courants ont été faits au K60 (acétate de polyvinyl), dissous dans de l’alcool. Lorsque les tessons sont très épais et lourds, le K60 n’est pas suffisamment résistant ; on a donc eu recours à du tenax (résine époxy, dont le désavantage est d’être irréversible, mais qui est par contre très résistante).

20Certaines céramiques présentaient une pâte fragile et pulvérulente en surface et sur les fractures, rendant la manipulation et le collage difficiles. Elles ont été consolidées avec plusieurs couches de paraloid B72 (résine acrylique) dissous à 5 % dans du toluène, avant d’être collées.

4.5.3. Matériaux « fragiles »

21Les autres matériaux (appelés « fragiles ») ont été répertoriés et dotés de numéros d’identification‑traitement : ces traitements ont été enregistrés cas par cas ainsi que les dates auxquelles ils ont été faits (début et fin de traitement).

4.5.3.1. Verres

22Quantité : 84

23Une grande quantité de fragments de petites dimensions ont été retrouvés. Ils ont été regroupés en fonction du jour où ils ont été exhumés, de la zone et de leurs caractéristiques (épaisseur, couleur, forme...) pour faciliter les travaux de collage.

24Ils ont été nettoyés à sec avec un bâtonnet en bois, ou si nécessaire au pinceau et à l’alcool. Les collages ont été effectués au Glass‑bond.

25Une fois traité, chaque groupe de fragments était emballé dans un sachet de cellophane (qui évite les risques de condensation car, contrairement aux sachets en plastique, les sachets en cellophane sont très perméables aux échanges de vapeur d’eau).

4.5.3.2. Bronzes

26Quantité : 64

27Nettoyage mécanique au bistouri et au pinceau de fibres de verre (s’il y a des décorations). Lorsque les incrustations étaient dures, trempage par période de 2 h, dans une solution alcaline (formule de Stambolov [s. d.], diluée à 30 %) et rinçages en eau déminéralisée. Après séchage, polissage aux brosses de soies dures (adaptables sur le percusseur pneumatique).

28Test en atmosphère humide (72 h), pour mettre en évidence les chlorures. Ceux‑ci sont des produits de corrosion instables, qui réagissent avec l’humidité de l’air et attaquent le métal encore sain. S’ils étaient présents, après séchage, ils étaient d’abord nettoyés mécaniquement, puis traités par des applications répétées de benzotriazole, dilué à 5 % dans du méthanol. La stabilisation a été considérée comme réussie lorsque le test des chlorures était négatif. Sinon, le traitement décrit ci‑dessus était répété.

29Les collages ont été exécutés au cyanolit, les surfaces des joints étant extrêmement minces.

30Les bronzes étaient finalement séchés avec soin (sèche‑cheveux pendant 2 h) et protégés de l’humidité de l’air par 2 couches de paraloid B72, dilué à 5 % dans du toluène.

31A la fin du traitement, chaque objet était emballé dans un sachet de cellophane et conservé dans une boîte en plastique hermétique contenant du gel de silice conditionné à une HR inférieure à 30 %...

4.5.3.3. Fers

32Quantité : 116 Nettoyage mécanique au bistouri puis au percusseur pneumatique, en raison de la dureté et du volume de la couche d’incrustations. Collages à l’araldite spécial métaux. Traitement des chlorures de fer. Tous les fers de Castellu contiennent des chlorures. Ceux‑ci ont été mis en évidence par la présence, à la surface des objets nettoyés, de perles d’humidité (les chlorures de fer sont très hygroscopiques). Ce type de corrosion particulièrement actif en milieu humide doit être stoppé car il peut provoquer la destruction totale de l’objet. Le traitement choisi a été le suivant (Plenderleith 1971) : les fers ont été mis à bouillir dans trois bains successifs de soude caustique (diluée à 1 % dans de l’eau déminéralisée) puis dans trois bains successifs d’eau déminéralisée.

33Après un séchage minutieux (comme pour les bronzes), ils ont été protégés par trois couches de paraloid B72, dilué à 3 % dans du toluène.

34Les fers, comme les bronzes, étaient ensuite emballés individuellement dans des sachets de cellophane et rangés dans une boîte en plastique hermétique contenant du gel de silice conditionné.

4.5.3.4. Plombs

35Quantité : 7

36Ils ont simplement été nettoyés avec une brosse rotative douce (le bistouri pourrait endommager la surface molle du métal). Ils étaient stockés comme les autres métaux, à l’abri de l’humidité.

4.5.3.5. Os travaillés

37Quantité : 34

38Leur nettoyage a mis en évidence des différences sensibles de facture (plus ou moins fine). Les objets en os sont très sensibles aux variations brutales de l’humidité, et il faut être attentif à ne pas provoquer de nouvelles dégradations par l’emploi, en cours de restauration, de solvants à évaporation trop rapide.

39Nettoyage à l’eau déminéralisée et au pinceau. Collage à l’UHU universelle. Consolidation au paraloid B72, dilué à 3 % dans du toluène.

4.5.3.6. Ambre

40Quantité : 2

41Les ambres ont été nettoyées à l’alcool et au pinceau et collées avec du vinavil (acétate de polyvinyl en émulsion).

4.5.3.7. Les coquillages et écailles de poisson

42Ils ont été nettoyés à l’eau déminéralisée et au pinceau, puis consolidés, après séchage à l’air libre, au paraloid B72 (3 % en toluène).

43Tous les objets organiques ont été emballés individuellement dans des sachets de cellophane et rangés, par matériau, dans des boîtes en plastique hermétiques.

4.5.4. Stockage

44A la fin de chaque chantier, l’ensemble du matériel exhumé a été stocké dans un milieu sec et sain. Des contrôles réguliers (environ tous les six mois) ont été effectués, le gel de silice remplacé.

4.6. Bilan et perspectives

45Grâce à la disponibilité et à l’intérêt des archéologues pour les problèmes de conservation, grâce aussi à la collaboration des bénévoles, le matériel exhumé a été entouré de soins dès le moment de sa découverte et a pu être traité au fur et à mesure des fouilles.

46A l’occasion d’une journée portes ouvertes, l’atelier a été visité par le public afin de le sensibiliser à l’importance de la conservation sur chantier de fouilles.

47L’équipement de l’atelier pourrait être amélioré dans le cas d’une éventuelle poursuite du chantier ou pour être mis à la disposition d’autres chantiers de l’île.

48La conservation du matériel archéologique doit, dans l’avenir, être l’objet d’un intérêt et d’une préoccupation croissants. Restaurer un objet, c’est aussi clarifier son message, le rendre lisible, non seulement pour les archéologues mais aussi pour le public. Le résultat des fouilles, les connaissances que peut nous apporter l’archéologie ne lui sont‑ils pas aussi destinés ? Et dans ce cas, l’objet n’est‑il pas le moyen le plus concret, le plus direct de diffuser cette connaissance ?

4.7. Annexe ; rapport de traitement de restauration

49J. Levy (IFROA