Les tombes romaines d’Armorique
|1re partie. Sépultures et coutumes funéraires en armorique romaine
1. Sépultures et coutumes funéraires aux âges du fer
Texte intégral
1.1. Introduction
- 1 Cf. par exemple, MARKALE (J.). — Histoire secrète de la Bretagne. Paris, Livre de Poche, 1977 ; p. (...)
1Il est en Bretagne une tradition historiographique, animée parfois de sentiments fort louables, selon laquelle la Conquête romaine marque une rupture irrémédiable entre un monde « celtique » peuplé de bons sauvages, rudes mais loyaux, et le nouvel ordre militaire des envahisseurs, sévère et désincarné, manquant en un mot d’âme1. Nous ne nous étendrons pas sur les excès littéraires, politiques ou publicitaires que cette conception a entraînés dans son sillage, d’autant qu’il est évident qu’elle fait entièrement fi des acquis de l’archéologie et de l’histoire de la région.
- 2 Les pages qui suivent reposent pour l’essentiel sur les travaux des spécialistes des âges du Fer en (...)
2Tout nous montre, au contraire, qu’il n’y a pas de hiatus entre le monde armoricain de la fin de l’Indépendance et celui du ier s, de n. è. et qu’en dépit de modifications superficielles, les Armoricains soumis à l’Empire continuent de naître, de vivre et de mourir suivant les rythmes immémoriaux d’une société essentiellement rurale. Le domaine des coutumes funéraires, qui nous permet sans aucun doute de contourner l’Homo economicus et d’approcher l’essence de l’Homo sapiens, est un champ d’investigation idéal pour l’étude de cette continuité, en ce que son exploration nous révèle des traditions, des rites pourvus ou non de sens, dont on peut suivre le fil rouge dans la trame des siècles. Nous ne pouvions, toutefois, nous perdre dans le dédale de la préhistoire d’une région que l’on a parfois qualifiée de « terre des morts » (Jullian 1964 : VI, 156‑159), ou d’une protohistoire trop éloignée : nous aurions couru le risque d’atomiser notre recherche au lieu de la concentrer sur les âges du Fer dont les influences culturelles sur les coutumes funéraires de l’Armorique romaine nous semblent déterminantes2.
1.2. Époque de Hallstatt
- 3 L’épée à antennes des marais de Crossac (Loire‑Atlantique) et celle à sphères des marais de Goulain (...)
3Il est extrêmement difficile, sinon impossible, de tracer en Bretagne une ligne de démarcation parfaitement nette entre l’âge du Bronze final et le début de la période de Hallstatt, car dans notre région « une phase de transition, sans fer vraiment attesté, s’étale sur plus d’un siècle, sinon deux » (Giot 1979 : 217). La diffusion vers l’ouest de la Gaule des techniques mises au point dans les régions alpines, au contact de grandes civilisations méditerranéennes alors en pleine expansion, semble avoir été lente et les objets caractéristiques, surtout les grandes épées de fer conçues pour le combat à cheval, sont des plus rares en Bretagne3. On ne peut guère, en vérité, attribuer au premier âge du Fer armoricain que des sépultures, de types d’ailleurs différents.
- 4 Le groupe de Carmoisan en Pluherlin (Morbihan) compte 23 tertres, cf. BRIARD (J.), GIOT (P.‑R.), LE (...)
- 5 Sur les tombelles du Morbihan, cf. MARSILLE(L.). — L’Age du Fer dans le Morbihan. B.S.P.M., 1923, p (...)
- 6 Sur Meslan, cf. MARSILLE (L). — Les Tombelles de la lande de Meslan. B.S.P.M., 1922, p. 17‑21.
4Un premier groupe de tombes semble s’être perpétué depuis la fin de l’âge du Bronze jusqu’à la fin du vie s. av. n. è. Il s’agit de micro‑tumulus ou tombelles, dont la hauteur ne dépasse jamais le mètre et dont le diamètre se situe en général entre 3 et 7 m ; ils sont très fréquemment groupés en champs de tombes4 où une sépulture plus importante paraît souvent se détacher des autres. Ces petits monuments n’ont guère résisté aux grands défrichements de l’époque romaine, du Moyen Age ou de l’époque moderne et ne se rencontrent aujourd’hui que dans les régions les moins fertiles de Bretagne, sur les « grées » de l’intérieur du Morbihan par exemple, qui ne furent pas mises en culture avant une époque très récente5. La dissection archéologique de ces tombelles a rarement révélé quelque organisation interne que ce soit : dans la plupart des cas, un cairn de petites pierres recouvre les pauvres restes d’une incinération déposée à même le sol naturel, mais il semble que ce rite ne soit pas exclusif. Les fouilles de C.‑T. Le Roux, à La Bésizais en Trébry (Côtes‑du‑Nord), ont en effet mis au jour des fosses creusées dans la roche qui avaient dû recevoir des inhumations, comme le montre la teneur élevée en phosphates des terres environnantes. Le mobilier déposé dans les tombelles est généralement extrêmement réduit et ne comporte guère que quelques éclats de silex ou tessons de poterie : seuls quelques tertres du Morbihan (Saint‑Colombier en Sarzeau, Meslan en Le Lizio) ont livré des objets sensiblement plus riches (perles de verre, bracelets à oves)6.
- 7 On ne connaît actuellement qu’un seul cas d’inhumation sur une vingtaine de monuments.
- 8 Elle est signalée par B. Bouloumié (« Situles de bronze trouvées en Gaule [viie ‑ ive siècles av. J (...)
5Au Hallstatt final, dans le Morbihan et le sud du Finistère, se développe un autre ensemble de monuments, lointain écho des riches tumulus de la Gaule de l’Est, les sépultures dites « circulaires » en raison de leur structure interne et de la forme du muret de pierres sèches qu’elles contiennent. Les tertres, composés de terres rapportées, ont de 1 à 2 m de haut et de 10 à 20 m de diamètre, et le muret intérieur, circulaire ou en forme de fer à cheval, un diamètre moyen de 5 à 6 m ; ils protègent des fosses creusées dans le substratum, de petits coffres de pierre parfois superposés, ou de simples dalles recouvrant des urnes cinéraires7. Ces dernières sont, dans la grande majorité des cas, des poteries de production locale, mais l’un des tertres du Rocher en Le Bono a livré un exceptionnel ensemble de bronzes qui comprend une belle situle –récipient à mêler le vin– recouverte d’une coupe renversée, placée dans une couche de charbon de bois au fond d’une fosse rectangulaire. La situle, objet d’importation8, contenait des ossements incinérés et des fragments d’objets en fer (bracelets ?). Le matériel découvert dans la vingtaine de monuments connus est d’ailleurs relativement « riche » (perles en verre, bracelets en schiste, lignite, bronze, fer, etc.), ce qui paraît dénoter une certaine prospérité des régions méridionales de l’Armorique vers le vie s. av. n. è., ou du moins de certaines classes sociales. On a pu noter, par ailleurs, que « ce sont des lieux de sépultures multiples, puisque le nombre des urnes va de quelques‑unes à la vingtaine. On est venu sans doute y ajouter des enterrements peu à peu, leur fréquentation devant s’étaler sur plusieurs générations » (Giot 1979 : 226).
- 9 Un bel exemple d’une tombe de ce type fut découvert à Kergoglé en Plovan (Finistère), cf. LE ROUX ( (...)
- 10 A Kergoglé, cf. Le Roux 1973 : 77 (fibule ?). A Bagatelle, cf. Puyo 1876 : 20 (fibules de bronze et (...)
- 11 « dans l’une d’elles se trouvaient deux petits vases grossiers, semblables à des jouets d’enfants » (...)
- 12 « Parfois même une grande urne était comme soutenue et calée par des urnes de moindre dimension. Pr (...)
6D’autres structures funéraires, fort communes, étaient par contre placées en pleine terre, ces tombes plates comportant généralement un coffret de petites dalles abritant une incinération déposée ou non dans une urne9. Le récipient cinéraire était souvent occulté par une plaquette de pierre servant de couvercle. L’examen des restes incinérés révèle fréquemment la présence de petits objets de parure (fibules, bracelets, perles de verre bleu) à demi‑fondus –ce qui signifie qu’ils étaient portés par le défunt au moment de la crémation ou jetés sur le bûcher funèbre10– et parfois de petits vases (à offrandes ?) déposés dans l’urne cinéraire11. A Bagatelle, en Saint‑Martin‑des‑Champs (Finistère), E. Puyo remarqua que certains dépôts semblaient comporter un mobilier funéraire12 et que plusieurs urnes paraissaient renfermer un mélange d’ossements d’enfant et d’adulte. Nous verrons plus loin que des pratiques étonnamment semblables se rencontrent aussi à l’époque romaine.
1.3. Époque de la Tène
- 13 Kerviltré (Saint‑Jean‑Trolimon), cf. Du Chatellier 1887 : 251 ‑ 259 ; Roz‑an‑Tremen (Plomeur), cf. (...)
- 14 Cf. BARDEL (A.). — Urnes funéraires gauloises à Corseul. Difficultés de la datation. A.B.P.O., 84, (...)
7On ne peut, à vrai dire, distinguer non plus de véritable ligne de partage entre la fin de la période de Hallstatt (= Hallstatt D) et le début de celle de La Tène (Tène I ou Tène A) : il y a, là encore, transition fluide et non rupture abrupte entre deux facettes d’une même civilisation. On continua sans doute, lors de cette période transitoire, à utiliser les sépultures circulaires, à élever de petites tombelles, mais le début de la période de La Tène se caractérise surtout par le développement des cimetières d’urnes, parfois protégées par des caissons de pierre et abritées par des pierres plates. Au milieu des ossements incinérés se trouvent parfois les débris d’objets de parure (fibule, épingle, bracelet) mais on doit reconnaître que tant les offrandes que le mobilier funéraire restent rares et peu abondants. On peut citer, parmi les cimetières les plus typiques de cette période, ceux de Kerviltré et de Roz‑an‑Tremen (Finistère)13, de Lannilis/Pembrat‑Vihan (Finistère) (Le Roux 1964 : 35‑47) et enfin de Corseul (Côtes‑du‑Nord)14.
8Le cimetière de Kerviltré, fouillé par P. Du Chatellier à la fin du siècle dernier, comportait quatre‑vingts urnes environ directement déposées en terre et recouvertes d’une pierre plate, et un nombre équivalent d’inhumations qui livrèrent un matériel abondant et varié, bracelets, jambières, fibules de bronze et de fer.
- 15 Favret, Bénard, op. cit. note 13, p. 192.
- 16 Id. : « L’un d’eux [de ces squelettes] reposait sur des traces de bois ».
9L’exploration d’une petite nécropole, à Roz‑an‑Tremen en Plomeur, permit de dégager de petits îlots de sépultures à incinération (dans des urnes, des poches creusées dans le substratum ou des coffres) et à inhumation, ces dernières étant proportionnellement moins nombreuses qu’à Kerviltré. Le mobilier des incinérations était pauvre et l’on n’y recueillit guère que quelques fibules de fer ou de bronze et des fragments de bracelets. Les fouilleurs notèrent par ailleurs que les urnes, souvent groupées par deux, trois ou quatre, étaient « noyées dans de petites masses de résidus charbonneux qui les isolent du sable ou de la terre »15. Les inhumations de ce cimetière, dont certaines semblent avoir été déposées dans des cercueils de bois16, paraissent avoir été mieux fournies en mobilier : une de ces tombes renfermait des bracelets de bronze, des fibules en fer, des torques en fer et en bronze.
10Le petit cimetière de Pembrat‑Vihan‑en‑Lannilis, dégagé par C.‑T. Le Roux, ne comptait qu’un petit nombre d’urnes cinéraires placées verticalement en pleine terre, ou plus exactement dans de petites fosses comblées à l’aide de cendres, de charbon de bois et de débris osseux. Le matériel découvert (un anneau et un couteau en fer) était des plus médiocres.
11Les cinq urnes mises au jour près de la fontaine de Saint‑Uriac en Corseul paraissent avoir été disposées sans ordre dans un terrain marécageux et n’avoir reçu qu’un mobilier funéraire extrêmement limité.
- 17 Sur Kerancoat, cf. par ex. : GIOT (P.‑R.), BRIARD (J.), L’HELGOUACH (J.). — A Propos des affinités (...)
- 18 Sur les stèles, cf. GIOT (P.‑R.). — Les Stèles armoricaines de l’âge du Fer. In : Congrès Préhistor (...)
12Ces petits cimetières ruraux possèdent tous, comme on a pu le constater, quelques caractères communs : ils mêlent incinérations et inhumations –celles‑ci semblant un peu plus tardives, en général– les premières étant déposées dans des urnes ou dans de simples fosses creusées dans le sol, les restes du bûcher funéraire n’ayant pas été recueillis dans le récipient étaient placés autour de ce dernier. Le mobilier funéraire et les offrandes ne sont guère abondants. Mais l’un des éléments essentiels de ces cimetières est leur organisation en « nids » autour de stèles de granit taillé, aux formes géométriques soignées, dont la très grande majorité des nécropoles armoricaines de La Tène ancienne, Kerviltré, Roz‑an‑Tremen, Kerancoat en Quimper17, Lannilis/Pembrat‑Vihan, Corseul, etc. possédait un ou deux exemplaires au moins. Extrêmement nombreuses dans la partie « bretonne » de l’Armorique et surtout dans le Léon, la Cornouaille et le Vannetais, ces stèles, aux formes diverses, n’ont toutefois pas toujours joué un rôle exclusivement funéraire18. Elles témoignent, en tout cas, d’une occupation du sol à la fois très dense et très dispersée aux ve et ive s. av. n. è. (fig. 1).

Fig. 1 – Répartition des stèles protohistoriques. Carré : stèle basse ; rectangle : stèle haute. D’après Giot 1975.
13L’un des traits remarquables de ces cimetières ruraux de l’Armorique est par ailleurs qu’ils ne renferment jamais de tombes postérieures au début de La Tène moyenne, les incinérations que l’on peut raisonnablement attribuer à cette période et à celle de La Tène finale étant particulièrement rares en Bretagne. Selon P.‑R. Giot, il semblerait en effet qu’on ait préféré inhumer les morts en Armorique à partir de la fin de La Tène ancienne : c’est du moins ce que laisse à penser la découverte dans les dunes littorales de Bretagne, où elles sont mieux conservées, d’un certain nombre de tombes à inhumation datables en général de La Tène finale. Il n’est sans doute pas inutile de présenter dans ce qui suit deux ensembles caractéristiques.
Tronoën
14A proximité de l’habitat de Tronoën (Saint‑Jean‑Trolimon, Finistère) avait été inhumé un personnage d’importance, dans la tombe duquel avaient été déposés une épée, des pointes de lances, des vases, un statère d’or et des petites monnaies d’argent contemporaines de la Conquête (Bénard 1929 : 282 ; Giot 1979 : 260).
Quiberon
15Dans la presqu’île de Quiberon (Morbihan), au lieu‑dit Kerné, Z. Le Rouzic fouilla, dans les années 1930, un ensemble complexe, associant des fonds de cabanes et des sépultures enfouies à proximité dans le sable dunaire (Le Rouzic 1934).
16Le premier squelette était celui d’un adulte, couché sur le côté gauche, les bras le long du corps ; il portait un bracelet de bronze au poignet et sur l’épaule gauche un anneau du même métal ; à côté se trouvait un vase en céramique brune.
17A 1,10 m du premier individu, on mit au jour une deuxième sépulture, celle d’un adolescent couché sur le dos, les bras placés le long du corps, sans mobilier d’aucune sorte.
18A 36 m à l’ouest, près d’un autre fond de cabane, furent exhumées trois autres sépultures :
19– un adulte allongé sur le dos, les mains croisées sur le bassin et portant un bracelet de bronze ;
20– un squelette indéterminé portant un bracelet au poignet gauche et deux petites fibules de bronze, formées d’un même fil avec ressort à quatre spires ; sur le bras gauche, adhérant encore au radius, se trouvait un clou de fer et tout autour du squelette on recueillit des débris de poterie commune et deux goulots d’amphore Dressel IA ;
21– à 3,40 m au sud, on découvrit un autre individu, très incomplet, ainsi qu’un bracelet de bronze.
22Au nord d’un fond de cabane, Le Rouzic exhuma les restes d’un autre squelette, parmi lesquels de trouvaient bracelets et quatre fibules (formées d’un même fil avec ressort à quatre spires), deux grandes et deux petites, ces dernières étant reliées par une chaînette de bronze.
23Au nord du fond de cabane no 1, on découvrit deux autres sépultures :
24– un squelette d’adulte portant un bracelet au poignet gauche et un autre au poignet droit ; deux fibules de bronze furent découvertes dans cette sépulture, l’une sur la poitrine, l’autre sur le ventre du défunt ;
25– un squelette d’adulte portant un bracelet à chaque poignet et deux fibules de bronze à ressort nu à quatre spires (sur la poitrine et sur le ventre).
26Au sud‑est de ces tombes, sous une pierre plate placée sous le sable, se trouvait un vase‑bobine en céramique noire lustrée, dont la panse est ornée de cordons en relief ; ce vase est plein d’ossements incinérés « parmi lesquels on peut reconnaître des fragments d’os d’animaux » (Le Rouzic 1934 : 22).
27En 1932, enfin, de nouvelles fouilles, menées à 50 m du château d’eau, produisirent d’autres sépultures à inhumation dont celle d’un adulte près duquel avaient été déposés trois vases en terre cuite ‑ dont deux paraissent avoir été placés l’un dans l’autre – recouverts d’un vase de bronze en forme de calotte sphérique. A proximité se trouvaient deux côtes de cheval et les ossements d’un petit chien.
- 19 Sur ces fibules, cf. en particulier : KRÄMER (W.). — Silberne Fibelpaare aus dem letzten vorchristl (...)
- 20 Cf. COLLIS (J.). — Defended sites of the late La Tène. Oxford, 1975. p. 59. (BAR)
28Le petit cimetière de Kerné pose en vérité de difficiles problèmes de datation, que l’on ne pourra guère résoudre que par un examen serré des objets de parure et des fibules en particulier. Celles que nous avons pu voir sont du type de Nauheim ou du type dit « de La Tène finale »19, assurément bien datées du ier s. av. n. è., mais dont la grande mode paraît se situer vers les années 50 av. n. è.20. Il est donc pratiquement impossible de dire aujourd’hui si ces inhumations sont antérieures ou postérieures à la Conquête, comme d’ailleurs celles découvertes sur les îlots voisins de Toul‑Bras et de Port‑Bara (Toul‑Bras, cf. Le Rouzic 1934 : 30‑32 ; Port‑Bara, cf. id : 33‑34). Nous avons néanmoins choisi ‑ assez arbitrairement, il est vrai ‑ de ne pas les classer dans notre répertoire en considérant qu’elles traduisaient une tradition laténienne qui semble s’éteindre avant la fin du ier s. av. n. è.
- 21 On ne peut guère citer que l’urne de Quimper/Mont‑Frugy : GIOT (P.‑R.). — L’Urne cinéraire peinte d (...)
29Le vase‑bobine paraît, en revanche, avoir reçu une incinération humaine à laquelle furent mêlés des ossements d’animaux, selon une coutume assez fréquente dans les sépultures de ce type. Bien datée de l’époque augustéenne, cette incinération atteste une utilisation prolongée de ce cimetière ainsi qu’une apparente résurgence des pratiques incinérantes à la fin du ier s. av. n. è. Nous ne sommes d’ailleurs pas entièrement convaincu d’un abandon presque complet de ces pratiques entre le début de La Tène moyenne et l’aube de l’époque romaine. Le nombre de sépultures datables de cette période est sans aucun doute fort réduit21, mais il faut remarquer qu’un phénomène similaire a été signalé dans le centre‑ouest de la Grande‑Bretagne : c’est le phénomène dit des « disappearing dead » de la culture de « Woodbury ». Aucune tombe n’avait pu, en effet, être attribuée à ce groupe culturel (dont l’expansion se situe aux iiie et iie s. av. n. è.) avant les fouilles de J. Collis à Owlesbury (Collis 1977 : 26‑34) : lors de l’exploration systématique de ce site rural, le fouilleur put montrer que les tombes de cette période se réduisaient à quelques os brûlés, à de rares tessons et à une médiocre offrande (perle), placés à même le sol. On comprend aisément que, si des tombes semblables ont existé en Armorique, elles aient fort bien pu échapper à l’attention des archéologues, créant peut‑être ainsi un hapax artificiel. Il est à souhaiter en tout cas que de nouvelles fouilles ou de nouveaux travaux permettent de jeter quelque lumière sur cet épineux problème.
1.4. Conclusion
30Un bilan des pratiques funéraires en usage pendant les âges du Fer en Armorique révèle sans aucun doute « un tableau très hétérogène […] une très grande diversité de pratiques locales ou familiales juxtaposées, impliquant des traditions ancestrales pérennes, remontant souvent à l’âge du Bronze final sinon beaucoup plus haut, se modifiant par des détails, tout en gardant une unité fondamentale » (Giot 1979 : 259). Cet entrecroisement de pratiques –on n’ose parler de rites– ces multiples facettes culturelles à l’échelle du territoire et même du cimetière n’ont rien de particulièrement armoricain (Collis 1977 : 1‑12) ni, comme nous le verrons plus loin, de particulièrement caractéristique des âges du Fer. Cette hétérogénéité, que sous‑tend toutefois une unité fondamentale, est la marque d’une fragmentation de la société armoricaine aux âges du Fer, que l’on imagine divisée en multiples familles, villages et clans, mais pourtant tenue dans les larges mailles d’un réseau culturel unique. Que cet équilibre instable entre l’unique et le multiple ait été maintenu au moins jusqu’à la fin de la période romaine est l’indice d’une remarquable stabilité sociologique et culturelle des peuplades de l’Armorique.
Notes
1 Cf. par exemple, MARKALE (J.). — Histoire secrète de la Bretagne. Paris, Livre de Poche, 1977 ; p. 65 : « Les conséquences de la défaite vénète sont incalculables. D’abord elle a permis aux Romains de s’installer définitivement et en profondeur dans toute la péninsule armoricaine. Ensuite, c’est la disparition quasi complète du peuple des Vénètes et l’instauration de ce qu’on appellera plus tard le « désert armoricain ». En effet, les Vénètes qui ne furent pas égorgés furent vendus comme esclaves ou déportés, et tous leurs alliés subirent un sort équivalent. L’Armorique, déjà peu peuplée, devenait une zone déceltisée dans laquelle les Romains allaient établir des structures militaires et politiques... ».
2 Les pages qui suivent reposent pour l’essentiel sur les travaux des spécialistes des âges du Fer en Armorique, cf. P.‑R. Giot et C.‑T. Le Roux.
3 L’épée à antennes des marais de Crossac (Loire‑Atlantique) et celle à sphères des marais de Goulaine sont de bons exemples de ces importations (Giot 1979 : 218‑219).
4 Le groupe de Carmoisan en Pluherlin (Morbihan) compte 23 tertres, cf. BRIARD (J.), GIOT (P.‑R.), LEPART (A.). — Le Tumulus de Carmoisan en Pluherlin. Annales de Bretagne, LXIV, 1, 1957, p. 17‑23 ; et celui de La Bésizais en Trébry (Côtes‑du‑Nord) plus de 28 tombelles, cf. LE ROUX (C.‑T.), JOUVE (G.), LECERF (Y.). — Les Tombelles de La Bésizais en Trébry (Côtes‑du‑Nord). Annales de Bretagne, LXXIX, 1, 1972, p. 87‑98.
5 Sur les tombelles du Morbihan, cf. MARSILLE(L.). — L’Age du Fer dans le Morbihan. B.S.P.M., 1923, p. 3‑43.
6 Sur Meslan, cf. MARSILLE (L). — Les Tombelles de la lande de Meslan. B.S.P.M., 1922, p. 17‑21.
7 On ne connaît actuellement qu’un seul cas d’inhumation sur une vingtaine de monuments.
8 Elle est signalée par B. Bouloumié (« Situles de bronze trouvées en Gaule [viie ‑ ive siècles av. J.‑C] », Gallia, 35, 1, 1977, p. 5‑6), qui recense d’autres trouvailles en Bretagne à Spézet (Finistère) (p. 8‑9) et Crossac (Loire‑Atlantique) (p. 5). Ce dernier objet fut découvert avec l’épée à antennes mentionnée à la note 3.
9 Un bel exemple d’une tombe de ce type fut découvert à Kergoglé en Plovan (Finistère), cf. LE ROUX (C.‑T.). — Une Sépulture à incinération de l’âge du Fer à Kergoglé en Plovan (Finistère). Annales de Bretagne, LXXX, 1, 1973, p. 71‑78.
10 A Kergoglé, cf. Le Roux 1973 : 77 (fibule ?). A Bagatelle, cf. Puyo 1876 : 20 (fibules de bronze et de fer, grains de collier en verre bleu, etc.).
11 « dans l’une d’elles se trouvaient deux petits vases grossiers, semblables à des jouets d’enfants » (Puyo 1876 : 20).
12 « Parfois même une grande urne était comme soutenue et calée par des urnes de moindre dimension. Presque tous ces vases contenaient des ossements calcinés » (Puyo 1876 :19).
13 Kerviltré (Saint‑Jean‑Trolimon), cf. Du Chatellier 1887 : 251 ‑ 259 ; Roz‑an‑Tremen (Plomeur), cf. FAVRET, BENARD. — Les Nécropoles du Finistère. Fouilles du Groupe Finistérien d’Études Préhistoriques (1919‑1923). Revue archéologique, 5e série, 19‑ 20, 1924, p. 190‑193 ; Bénard 1929 : 283‑290.
14 Cf. BARDEL (A.). — Urnes funéraires gauloises à Corseul. Difficultés de la datation. A.B.P.O., 84, 1, 1977, p. 111‑124.
15 Favret, Bénard, op. cit. note 13, p. 192.
16 Id. : « L’un d’eux [de ces squelettes] reposait sur des traces de bois ».
17 Sur Kerancoat, cf. par ex. : GIOT (P.‑R.), BRIARD (J.), L’HELGOUACH (J.). — A Propos des affinités hispano‑armoricaines à l’âge du Fer. Annales de Bretagne, LXV, 1, 1958, p. 15‑ 26.
18 Sur les stèles, cf. GIOT (P.‑R.). — Les Stèles armoricaines de l’âge du Fer. In : Congrès Préhistorique, XVIe session, Monaco, 1959, p. 578‑585. cf. également, Giot 1975 : 58‑60 ; 1979 : 261‑ 273.
19 Sur ces fibules, cf. en particulier : KRÄMER (W.). — Silberne Fibelpaare aus dem letzten vorchristlichen Jahrhundert. Germania, 49, 1‑2, 1971, p. 111‑132.
20 Cf. COLLIS (J.). — Defended sites of the late La Tène. Oxford, 1975. p. 59. (BAR)
21 On ne peut guère citer que l’urne de Quimper/Mont‑Frugy : GIOT (P.‑R.). — L’Urne cinéraire peinte du Mont‑Frugy à Quimper (Finistère). Études celtiques, XV, 2, 1978, p. 491‑494.
Table des illustrations
![]() | |
---|---|
Légende | Fig. 1 – Répartition des stèles protohistoriques. Carré : stèle basse ; rectangle : stèle haute. D’après Giot 1975. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33985/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 22k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1989