1Une importante somme d’archives concernant l’exploitation des mines d’argent du Val de Lièpvre, côté Alsace, est actuellement conservée dans des dépôts d’archives en Alsace (archives départementales du Haut‑Rhin et du Bas‑Rhin, Service des mines), à Paris (Archives nationales, Ecole des mines), en Autriche (Pestarchiv d’Innsbrück) et même à Monaco.

2Ces documents ont été, pour certains, étudiés par le passé dans une optique de synthèse historique : Lesslin (1864), Degermann (1895), Mülhenbeck (1898), Stolz (1939)... Depuis les années 1970 un important travail de transcription (les textes du xvi^es. sont des manuscrits en allemand gothique), de traduction et d’analyse a été effectué par P. Fluck, aboutissant notamment à la reconstitution assez précise de l’histoire technique des exploitations minières couplée à une confrontation archives/terrain fructueuse : la quasi‑totallté des mines importantes est à présent bien localisée sur le terrain.

3Cette recherche archivistique et iconographique s’est focalisée sur les documents qui touchent de près ou de loin aux exploitations souterraines (rapports techniques, plans, comptes), et dont les enseignements ont beaucoup contribué à la compréhension des réseaux découverts grâce à la spéléologie. Réciproquement, les observations spéléologiques ont été décisives pour exploiter toute la richesse des archives (fig.2).

2.1. Les débuts de l’exploitation

4Si l’on tente de dater le début de l’exploitation des filons du Neuenberg, on est d’abord confronté à la liste des mines qui accompagne la carte du Val de Ltèpvre qui illustre le chapitre « mine » de la Cosmographie de Sébastian Münster (qui visita la vallée en 1545). On y lit dans la vallée d’Echery : St‑Jacques et Notre‑Dame‑de‑Froidefont. Ainsi les filons St‑Jacques et St‑Louis auraient été exploités localement dès la première moitié du xvi^e s.

5Pourtant plusieurs documents de la seconde moitié du xvi^e s., des rapports techniques, le plan de 1585, sont formels : le secteur n’est découvert qu’à partir de 1549. Les archives d’Innsbrück ont récemment livré des comptes miniers couvrant les années 1547 à 1574. Il s’agit d’une série de bilans année par année des productions de minerais (en cuveaux), des recettes et des frais d’exploitation (en florins), et ce pour chaque mine du Neuenberg et de l’Altenberg. De ces documents (en cours d’étude) nous ne citerons ici que les principaux enseignements concernant les mines du filon St‑Louis (la dénomination « St‑Louis n’apparaît qu’au xviii^e s.) (tableau I).

6Douze exploitations peuvent être localisées avec certitude sur le filon St‑Louis : Unser Frauen (Notre‑Dame) et Sanndt Michl Eisnthür ouvertes en 1549 et toutes deux très productives ; Eisenthür (la future St‑Louis) et Die Aichen (Le Chêne) ouvertes en 1549, peu productives et rattachées à St‑Michel respectivement en 1558 et 1569 ; Sanndt Anthony ouverte en 1558 et presque pas productive ; Sanndt Uriel appelée aussi « Die Kupfergrube » (la mine de Cuivre) autour de laquelle se rassemblent six autres petites mines dont Sanndt Margredt (Ste‑Marguerite) mine productive et rattachée à St‑Oriel dès 1553, cette dernière étant rattachée à Notre‑Dame en 1558 (fig. 3). Une dizaine d’autres exploitations non productives (galeries de recherche) pourraient appartenir au filon St‑Louis, notamment Moïses (1549‑1559), Gsellpau (1564‑ 1566), Sanndt Johanns (1555‑1558) mais l’absence de précisions sur leur localisation ne permet pas de l’affirmer.

2.2. Le différend entre St‑Michel‑Eisenthür et Le Chêne : 1560

7Les archives du Haut‑Rhin nous ont livré vingt‑trois pages de textes manuscrits au sujet du différend entre St‑Michel‑Eisenthür et Le Chêne. Nous les avons transcrites et en partie traduites. Publier ici leur traduction intégrale rendrait cet ouvrage trop volumineux. Nous n’allons donc en exposer que l’analyse.

8Il est vrai que les documents relatifs à cette affaire sont disparates et ne nous en procurent qu’une idée incomplète. Nous allons commencer par un document non daté qui est une requête des concessionnaires du Chêne au Warmberg auprès de Sa Majesté Impériale qui vient d’envoyer un commissaire pour enquête. Ceux‑ci disent avoir durement exploité depuis fort longtemps », pas seulement au Chêne mais aussi dans d’autres mines qui ont conclu avec eux des accords (donc probablement en communication souterraine avec Le Chêne). Non seulement ces travaux ne leur rapportent rien, mais les filons sont dits en plus « hélas très pauvres en minerai », leurs veines sont étroites et leur mine est coincée entre ses voisines dans des quartiers bien exigus. Comme pour couronner le tout sont encore invoqués l’inflation et les temps durs ! Ainsi, disent‑ils, « nous, pauvres concessionnaires, ne pouvons continuer plus longtemps sans aide et grâce de la Seigneurie ». Aussi durant les trois années qui ont précédé ont‑ils assemblé quelques cuveaux de minerai. Le moment est venu de les fondre, et « on espère avec l’aide de Dieu d’en faire un petit morceau d’argent » qu’il faudra malheureusement partager avec les autres mines liées par des accords... Leur requête est de leur laisser, à eux seuls pauvres concessionnaires du Chêne, ce petit morceau d’argent, et de les exempter du Fron et du Wechsel. Piteuse exploitation que celle du Chêne !

9L’affaire proprement dite éclate à propos d’une double percée (Durchschlag) faite dans les travaux du Chêne depuis la galerie Eisenthür (qui est une dépendance de St‑Michel depuis que St‑Michel et l’Eisenthür sont entrés en contact dans le filon Nord, à l’emplacement de l’actuelle chatière de la Jonction). Les percées sont localisées avec certitude grâce à un plan conservé aux archives du Haut‑Rhin qui est la plus ancienne représentation d’une mine en plan que nous connaissions pour l’Alsace : il s’agit des « première et deuxième recoupes » localisées sur nos topographies modernes. C’est St‑Michel (dit « Urchell ») qui porte plainte, considérant que le filon vidé par Le Chêne est son propre filon ! On en appelle au juge des mines Valentin Golin et à ses jurés, qui se rendent sur place et édictent un jugement. Le juge donnant raison au Chêne (maintenu dans son droit), les concessionnaires de St‑Michel font appel au prévôt provincial de Haute Alsace à Ensisheim, Philippe Eberstain, lui demandant d’intervenir auprès de l’empereur pour que celui‑ci envoie un commissaire qui soit compétent et impartial. Le prévôt établit en outre la même demande, le 22 avril, auprès de son cousin Eguenolphe de Ribeaupierre,

10C’est ainsi que l’empereur a déjà désigné Grégoire Hayd, juge des mines à Todnau et Masevaux. Le 27 avril, les concessionnaires de St‑Michel‑am‑Brand écrivent à Eguenolphe pour lui préciser l’affaire, espérant qu’il en a déjà bien reçu les actes. Ils lui exposent clairement qu’ils viennent de percer deux ouvertures dans leur concession, sur leur filon découvert en premier, communiquant ainsi dans une mina supposée s’appeler Le Chêne, et qui n’a pas d’espace consigné inscrit dans le livre des mesures. Comme il s’agit pour Eguenolphe de Ribeaupierre de nommer à son tour un expert, ils lui rappellent alors qu’il a des parts dans St‑Michel et qu’il en retire le Fron. Précisant qu’un jugement défavorable ne les inciterait pas, eux concessionnaires, à persévérer, ils lui demandent alors de ne pas prendre comme arbitre le juge du pays Haubinsack, celui‑ci ayant lui‑même des intérêts dans... Le Chêne ! Ils conseillent plutôt un certain Guillaume Tschira...

11Eguenolphe était absent, ou dut être lent à réagir, car le 4 mai, le prévôt d’Ensisheim lui demande de faire diligence dans l’affaire. Finalement, Eguenolphe nomme Gallus Garttner, le juge du pays du côté lorrain du Val.

12Les deux experts Grégoire Hayd et Gallus Garttner établissent un rapport de six pages signé du 23 mai. Ils ont visité les deux mines et ont ordonné que soit effectué un arpentage (cf. le plan signalé plus haut) (fig. 4 et 5, points 1 à 6). En lisant leur démarche qui tient pour l’essentiel en une description du réseau, on apprend que Le Chêne « depuis le jour à travers la roche dure a été mené sur 17 Lehen (soit 119 toises) jusqu’à ce qu’il rencontre et puisse exploiter le filon » (fig. 5, point 1). Ceci a une grande importance pour nous car cela nous permet de « caler » la toise, sur cette distance de 209 m, à 1 756 m, le Lehen (7 toises) à 12,29 m (sauf si l’entrée en roche du Chêne se poursuivait au jour par un boisage),

13Nous lisons plus loin que le filon vidé par Le Chêne, objet du litige, et le filon St‑Michel dans lequel les exploitants se sont enfoncés depuis le haut, et jusqu’à un niveau très bas, ne font qu’un : ainsi, la galerie de l’Eisenthür n’a pas percé dans un filon étranger ! On apprend encore que « St‑Michel et Notre‑Dame, qui se trouve sur l’autre versant de la montagne, ont une ligne de séparation établie de longtemps (fig. 5, point 2) ; la concession de St‑Michel s’appuie contre ladite ligne de séparation, et n’a pas de droiture pour aller plus loin vers le soir » . Il s’agissait donc pour St‑Michel de se diriger vers le levant. Revenant au Durchschlag objet du litige (fig. 5, point 3), on constate que celui‑ci n’est pas à plus de 4 Lehen (soit 49 m) de la ligne de séparation précitée. Quant aux exploitants du Chêne, ils s’étaient dirigés vers le soir jusqu’à un point (fig. 5, point 4) situé à 9,5 toises (soit 16,7 m) dudit Durchschlag. et il ne doit guère rester à partir de ce point extrême plus de 18,5 toises dans le filon jusqu’à la ligne de séparation. Les exploitants de St‑Michel quant à eux sont partis de cette dernière et se sont avancés de 11,5 toises (soit 19,2 m) dans leur filon, dans leur droiture et vers le levant, pour rencontrer là même ceux de l’Eisenthür (fig. 5, point 5). Les commissaires de Sa Majesté l’Empereur les avaient alors réunis en une seule société. St‑Michel encore, depuis ses propres puits, a poussé plus bas des galeries en direction du Chêne afin d’entrer rapidement en communication (fig. 5, point 6).

14Enfin, les experts précisent que depuis la réunification de St‑Michel et Eisenthür, St‑Michel, en tant qu’« aînée », peut prétendre exploiter en commun des parties de l’Eisenthür situées avant la jonction, selon le 13^e article du règlement minier. Ainsi, démontrent‑ils, le Durchschlag litigieux a été fait « dans les propres quartiers de St‑Michel ». Les exploitants de St‑Michel et Eisenthür réunis avaient pour cela poussé une galerie de 3 toises, guidés par les bruits qu’émettaient « des mineurs étrangers ». Ainsi disent les arbitres, la ligne de démarcation entre Le Chêne et St‑Michel‑Eisenthür doit être simplement prolongée jusqu’à ce Durchschlag, en conséquence de quoi... l’Eisenthür ne doit avoir aucun champ dans ce filon. Ainsi... St‑Michel est coupable. Mais, précisent‑ils enfin, Votre Grâce est seul juge.

15Peu de temps après, l’affaire rebondit de plus belle, à la suite d’une deuxième percée effectuée par St‑Michel à « moins de 2 Mass des premières ». C’est un document de quatre pages écrit en juillet par les concessionnaires de St‑Michel et adressé à l’une des deux seigneuries, qui nous en informe. Après un bref historique de l’affaire, ce document nous apprend la percée survenue les 4 et 5 juillet, « à un peu moins de 2 toises des vieux Durchschläge en première approximation ». Là‑dessus, ce sont les concessionnaires du Chêne qui ont appelé le juge des mines pour un Rechtstag (journée d’audience) fixé au 10 juillet. Lorqu’ils comparurent devant le juge, les concessionnaires de St‑Michel demandèrent une suspension du travail en mine jusqu’au 15 et publièrent par écrit leur position.

16En annexe se trouve une copie dudit jugement, signée Lorentz Stoffl, Berggerichtschreiber (greffier), Ce jugement établit :

• que les 2 Durchschläge sont conformes au règlement minier ;

• que » ceux du Chêne » étant les plus anciens, « ceux de St‑Michel » les plus jeunes, les premiers sont dans leur droit conformément aux articles 22 et 23 du règlement ;

• que le Vertrag passé autrefois entre Le Chêne et l’Eisenthür doit rester opérant aussi longtemps que d’autres Durchschläge seront faits... Enfin, chaque partie doit supporter la moitié des frais de justice.

17Les concessionnaires de St‑Michel présentèrent alors à la Seigneurie plusieurs doléances, notamment que le juge et ses jurés reconnaissent l’antériorité de St‑Michel, comme première mine sur le filon (Erfinderin). Ici apparaissent des détails intéressants : une réunion du Chêne et d’un certain St‑Franzisthy, une tripartition du Chêne en trois quartiers, le troisième appelé St‑Nicklaus... Selon cette requête, Le Chêne n’aurait été ouvert qu’en 1552, alors que St‑Michel‑am‑Brand a commencé à creuser le 17 juin 1549. Afin qu’ils puissent continuer leur exploitation, les concessionnaires de St‑Michel demandent instamment à la Seigneurie une révision du jugement.

18Que conclure de tout cela ? Que « l’affaire Eisenthür » n’est pas une guerre souterraine » comme on l’entend, mais un conflit juridique comme il a du s’en produire beaucoup d’autres.

19Que les liasses de documents que nous a laissées cette affaire, bien qu’incomplètes, nous apportent par contre de précieuses indications sur le développement et l’état des exploitations dans ce filon. Ainsi, l’Eisenthür et Le Chêne étaient une première fois réunies par un Vertrag. L’Eisenthür ensuite s’est unie à St‑Michel, venue d’en haut, alors que Le Chêne, découpée en trois parties, est pour sa part entrée en communication avec Ste‑Marguerite. Enfin, le champ de St‑Michel était limité à l’ouest par une ligne de démarcation qui le sépare de la concession Notre‑Dame, du côté de la Petite‑Lièpvre.

20Que le conflit est celui opposant une mine riche (St‑Michel) à une mine pauvre (Le Chêne). Que le plan de 1560, la plus ancienne représentation connue du genre, permet une comparaison rigoureuse du théâtre du conflit avec les sites que nous a livrés la spéléologie minière.

21Enfin, il nous est possible pour la première fois, grâce aux précisions topométriques de l’un des documents, de fixer exactement la valeur de la toise à l’époque : 1,756 m.

22Mais ce qui est le plus remarquable, c’est que la quasi‑totalité des travaux que nous avons pu redécouvrir, de la crête de la montagne jusqu’au niveau de St‑Louis et sans doute au‑delà, ont été effectués en une seule décennie. Ceci nous donne une idée de la vitesse du développement d’une exploitation minière importante et une plus juste estimation de l’ampleur des travaux réalisés dans des mines exploitées durant 30, 40, 50, ou 100 ans...

2.3. Le plan du conflit

23Les actes du procès de 1560 sont accompagnés d’un plan des mines de l’Eisenthür et du Chêne. Il a été dressé « à l’occasion du jugement d’appel édicté par Gall Gartner, juge des mines du Val de Lièpvre, le 27 mai de l’année 60 ».

24Ce plan se compose de trois feuilles de parchemin liées entre elles pour former une longue bande pliée (113 x 32 cm). Les ouvrages souterrains sont figurés par des traits noirs, parfois soulignés de rouge, et les commentaires qui les accompagnent sont écrits à même le plan et de façon quelque peu anarchique. Nous avons reproduit ce plan en remplaçant ces commentaires par des lettres qui renvoient à la légende (fig. 6).

25En comparant ce plan du xvi^e s. avec le relevé topographique actuel, on constate qu’une partie des ouvrages a été soigneusement topographiée et que le reste est représenté de façon très schématique. Quatre entrées de mine y sont figurées, mais elles sont assez mal positionnées vis‑à‑vis des ouvrages souterrains bien topographiés. Il s’agit des galeries du Chêne (A), de l’Eisenthür (B), de St‑Michel (L) située près d’une forge et qui atteint une zone de puits sur la Grande Faille Verticale, et d’une vieille galerie éboulée appartenant au Chêne (K) dont il ne reste aujourd’hui plus la moindre trace.

26La galerie principale de l’Eisenthür (J) est représentée de façon schématique jusqu’au croisement (P) avec le filon Nord. Les galeries secondaires ne sont pas mentionnées à l’exception d’une galerie qui communique avec Le Chêne. Il s’agit du travers‑bancs issu du Chêne, creusé sur la faille de Glückauf, en partie noyé du côté de St‑Louis‑Eisenthür. Cette jonction a été démontrée grâce à l’étude climatologique de ces deux mines.

27Au‑delà du croisement P la galerie sur le filon Nord (T) est bien topographiée mais les ouvrages descendants (dépilage Eisenthür) n’y sont pas mentionnés. Elle se poursuit par le travers‑bancs sur la faille des Grandes Haldes jusqu’au point U où s’est faite la jonction avec le chantier de St‑Michel (V) : c’est la chatière de la Jonction située vers la base comblée du Grand Dépilage de St‑Michel. En W se trouve l’actuelle salle de l’Avalanche où sont représentés les deux puits Eisenthür et Notre‑Dame. Ils sont situés de part et d’autre de la ligne de séparation (X) que matérialisait la Grande Faille Verticale. Plus précisément cette ligne de séparation est orientée N.‑S. et passe par l’intersection du filon principal et de la faille. Ainsi elle sépare sans ambiguïté à la fois les travaux sur le filon, orientés E.‑O., et les travaux sur la faille, orientés N.‑E./S.‑O.

28Le travers‑bancs sur la faille de la Descenderie n’est correctement figuré qu’au‑delà du croisement P. Il s’y trouve une flagrante erreur de topographie (ou de dessin), au niveau du croisement avec le filon du Milieu, là où s’ouvre la salle de la Descenderie (non mentionnée). Sans doute par suite d’un mauvais report le tournant de la galerie a été lissé. Le prolongement de la galerie sur le filon du Milieu, bien qu’existant à cette époque (les traces de creusement le prouvent), n’est pas représenté. Il apparaît que le travers‑bancs montant (Q) qui aboutit aux deux premières recoupes (R et S) est un ouvrage mené à la suite de la fusion de St‑Michel et de l’Eisenthür.

29Le travers‑bancs d’entrée du Chêne (C) est représenté de façon très schématique (mal orienté de 90°) jusqu’au carrefour (D) sur la faille de Glückauf. En ce lieu passe une ancienne ligne de séparation (E) entre Le Chêne et l’Eisenthür qui, on le voit, a perdu sa fonction, les fonds de l’Eisenthür se développant bien au‑delà.

30Au‑delà du carrefour (D), et de la petite portion en travers‑bancs (H) sur la faille, la galerie du Chêne (I) est bien topographiée, selon les tronçons de la voie de roulage (30 stations). Il est bien dommage que cette voie de roulage ne soit pas conservée ; nous aurions pu vérifier si les stations topographiques coïncident bien avec les pièces de jonction où la voie tourne.

31En M est atteint le filon. Vers l’ouest, au point N se trouve le front de taille qui sera ultérieurement percé (lucarne) par une galerie issue de la base du Grand Dépilage de St‑Michel. Vers l’est, se développe la galerie d’allongement (O) où sont représentés les deux puits qui ont permis l’exploitation du filon en profondeur. Au‑dessus de O se trouve l’arrivée des deux premières recoupes (R et S) de St‑Michel‑Eisenthür, d’où part vers l’ouest la courte galerie montante où s’est probablement réalisée la jonction à l’origine du conflit.

32Ce document exceptionnel nous confirme le haut degré de précision qu’avaient atteint les « topographes » du xvi^e s. Nous pouvons ainsi comparer sans ambiguïté un ancien plan commenté avec les observations spéléologiques. Mais la qualité de ce document est liée à une affaire juridique et la représentation des travaux miniers qui ne sont pas concernés par le conflit demeure extrêmement schématique.

2.4. Les années 1570

33Si nous ne connaissons pas la suite de l’ « affaire nous savons néanmoins que St‑Michel et Le Chêne, furent réunies aux environs de 1569 (fig. 3).

34Rapport de 1575 :

35« Notre‑Dame et St‑Oriel au Prandt ont été rattachées et données à St‑Michel‑Eisenthür par le bon vouloir et la demande de Messieurs les concessionnaires. Et avec la galerie d’allongement de St‑Oriel sur une fente qui croise les filons, cette mine arrivera d’ici environ 40 toises au filon de St‑Guillaume. Et la mine a, au niveau de la galerie d’entrée de l’Eisenthür, une galerie d’allongement sur le filon de St‑Guillaume, qui montre toujours du bismuth et de l’argent gris ; on espère que le tout se transformera plus loin en minerai.

36« A l’aide de cette galerie, on suit aussi le filon sur six heures vers le soir ; il reste 20 toises avant d’atteindre la faille de St‑Oriel ; et cette galerie se trouve à deux puits plus haut que la galerie de St‑Oriel,

37« A part cela, on a là 5 chantiers loués en activité » (trad. P. Ruck 1983).

38Un autre rapport, attribué aux environs de 1578, dit :

39« A St‑Michel‑Eisenthür au Prandt, on creuse la galerie St‑Oriel (Uriel) qui est poussée jusqu’à une profondeur de 500 toises vers la montagne en champ frais, en direction d’autres filons, dans l’espoir de rencontrer là bientôt quelque chose.

40« On a aussi là une galerie d’allongement dans le sens opposé à la montagne, sur un filon stérile qui n’a pas encore donné de minerai.

41« A part cela, il y a 8 chantiers où l’on exploite du beau minerai de plomb, et en partie aussi de l’argent gris ; on espère toujours qu’ils vont s’améliorer » (trad. P. Fluck 1983).

42On le voit, les rapports de cette époque parlent déjà presque exclusivement de la galerie St‑Oriel (située 90 m plus bas que l’Eisenthür, du côté Petite‑Lièpvre) ; en effet, St‑Michel‑Eisenthür dont le berceau est au Rauenthal a très vite acquis tout le quartier de la Petite‑Lièpvre et, par l’intermédiaire du travers‑bancs de St‑Oriel s’ouvrant au jour, s’est lancée dans l’aventure de l’exploration de tous les filons plus méridionaux du Neuenberg (pour plus de commentaires, cf. Fluck 1983 : 95‑96). Mais les chantiers principaux du système sont alors encore sur le filon St‑Michel, comme l’indique la présence de plomb attestée par le rapport des environs de 1578.

43Le rapport de 1575 nous place face à un problème : l’existence d’une galerie de l’Eisenthür vers le filon de St‑Guillaume. Cette galerie n’est autre que le travers‑bancs sur la faille de Glückauf, dans l’actuelle Glückauf (démonstration dans Ruck 1983 : 96) : l’Eisenthür comportait donc deux galeries au jour, l’inférieure étant notre mine Glückauf, à la cote – 32.

2.5. Les années 1580

44Hans Hipp (1586) s’exprime ainsi :

45« L’Eisenthür, St‑Michel, Notre‑Dame, Ste‑Marguerite et St‑Oriel. Ces cinq mines sont maintenant réunies ; on mène une galerie d’allongement sur six heures vers le matin sur le filon, pour laquelle les deux hautes seigneuries payent le quatrième denier des frais d’exploitation, et 7 chantiers y sont travaillés en ce temps‑ci, qui ont tous du beau minerai. Les frais par contre sont élevés, la roche est dure et doit être travaillée avec peine par le feu ; on a aussi bon espoir de pouvoir exploiter à nouveau de l’argent natif, que Dieu donne sa bénédiction. Amen » (trad. P. Ruck 1979).

46On ne peut rien dire pour l’instant de l’emplacement de cette galerie d’allongement, si ce n’est qu’elle est très probablement creusée depuis la Petite‑Lièpvre, et située à un niveau assez profond. Enfin, nous avons là la première mention de l’argent natif.

47Le filon de St‑Michel dut être à peu près abandonné peu de temps après, car alors lamine, devenue grosse entreprise, se met à exploiter les filons plus méridionaux, jusqu’à St‑Jacques et même St‑Jean. Ainsi, le texte d’un Vertrag de 1582 (archives du Bas‑Rhin, E 1968) nous apporte la délimitation précise des champs de St‑Michel‑Eisenthür et de l’Armée Céleste dans le filon St‑Jacques.

2.6. Vers 1600

48Le rapport anonyme de 1597 (archives du Haut‑Rhin) nous donne une excellente description du système et mérite d’être publié intégralement (trad. P. Fluck 1986) : « A la Porte de Fer, appelée Galerie de St‑Oriel. Cette mine regroupe encore d’autres mines qui ont été achetées et réunies voici 28 ans, St‑Michel, Notre‑Dame, Ste‑Marguerite, et Le Chêne, qui étaient toutes des mines distinctes avant cette époque. Les meilleurs filons ont tous été exploités, et à présent les veines médiocres [ rauche Mitteln] ne peuvent pas faire l’objet de travaux de recherches car ceux‑ci occasionneraient de trop grands frais. Et bien que l’on ait établi 6 chantiers loués [Zynsarbeiten], aucun n’est actuellement en activité. Le seul ouvrage est la galerie de St‑Oriel qui a été creusée depuis le jour sur une fente dirigée sur 12 heures vers le midi [eine zwelffer Clufft gegen Mittag]. Menée dans la montagne, elle a été commencée il y a plus de quarante ans. Au moyen de cette faille qu’on a suivie sur environ 100 Lehen (1 229 m), on a recoupé quatre considérables filons [gewaltiger Gang]. « Tout d’abord le filon de Notre‑Dame, qui s’est montré fort noble depuis le jour en descendant jusque à peu près au niveau de cette galerie de St‑Oriel, c’est‑à‑dire sur une hauteur de plus de 40 toises ; il n’y a aucun travail en ce moment sur ce filon.

49« Le deuxième filon, celui de St‑Guillaume, montre au niveau de cette galerie, sur 6 heures vers le couchant, un puissant remplissage de spath et de blocs [ Brückhen ], mais pas de minerai. Sur 6 heures vers le levant, il montre quelque peu de minerai, mais ne pouvant supporter les frais, on a établi là des chantiers [Lehen schafften], mais ceux‑ci ne sont pas en activité en ce moment.

50« Le troisième filon que rencontre cette galerie est le filon de St‑Jacques ; lorsqu’on l’a rencontré il y a 20 ans, il montrait du beau minerai ; mais celui‑ci ne s’étendait pas loin sur 6 heures vers le levant, et cette branche a été abandonnée. Vers le couchant sur 6 heures, la veine est plus noble ; on y pratique une galerie d’allongement, pour laquelle les deux hautes seigneuries donnent en aide le quart de la dépense. Sur ce filon et au‑dessus de cette galerie, sur une tranche de 20 toises en hauteur verticale, dans la direction de la montagne ainsi qu’en sens opposé, c’est‑à‑dire vers le levant et vers le couchant, la Porte de Fer est dans ses propres quartiers ; on travaille actuellement là dans 4 chantiers loués, qui produisent chacun une assez grande quantité de minerai, Dieu va encore l’améliorer. A partir de cette hauteur de 20 toises en montant verticalement jusqu’au jour, on se trouve dans le champ partagé pour moitié par la Porte de Fer et cour moitié par l’Armée Céleste, vers la montagne et en sens opposé, jusqu’à la limite de séparation avec La Treille ; mais cette partie est à présent tombée dans l’inactivité, par manque de travail et à cause des frais d’entretien élevés.

51« Le quatrième filon est appelé filon de St‑Jean, de La Treille et de l’Armée Céleste. Il y a là aussi un Vertrag [ accord ], entre la Porte de Fer, La Treille et l’Armée Céleste. En montant depuis la galerie sur une hauteur verticale de 14 toises, vers le levant ou vers le couchant dans le filon, tout comme dans le mur et dans le toit, on est dans les quartiers attribués pour moitié à la Porte de Fer, pour moitié à La Treille et à l’Armée Céleste ; il n’y a dans ces quartiers en ce moment qu’un seul chantier loué, à cause de la pauvreté du minerai. Quant au quartier qui se trouve au‑dessus de cette limite, en hauteur jusqu’au jour, ainsi que vers le levant ou vers le couchant, il appartient uniquement à La Treille et à l’Armée Céleste, jusqu’à la limite de séparation vers le levant où l’Armée Céleste est dans son propre quartier sur une distance de 10 Lehen [ 123 m ]. Il y a aussi en ce moment deux chantiers loués en activité dans le quartier commun [à La Treille et à l’Armée Céleste ], avec actuellement une assez bonne quantité de minerai, Dieu va l’améliorer. Il y a aussi dans ce Vertrag une galerie d’allongement poursuivie dans la direction de 6 heures vers le couchant, pour laquelle les deux hautes seigneuries donnent le quart de la dépense en aide et secours ; il s’y montre en ce moment du minerai [Dieu va l’améliorer] ».

521602, le rapport de Prechter (trad. P. Fluck 1974) : « A la Porte de Fer. La galerie a été menée dans la montagne à plus de 900 toises [ 1 580 m ] de profondeur depuis l’entrée ; elle est en partie si rectiligne que l’on peut apercevoir une lumière depuis une autre située à une distance de 80 à 100 toises. Bien que de nombreux filons aient été traversés pendant l’avancement, on n’y a pas pratiqué d’allongements considérables, les Anciens n’ayant fait que poursuivre la galerie. Parce que le champ reste encore entier, il pourrait bien se trouver des concessionnaires entreprenants qui veuillent établir là quelque chose. Il devrait s’y créer une magnifique exploitation minière. Mais maintenant cette mine est assez dépourvue dans son capital et tombée dans les dettes. Elle est aussi trop étendue. Certains chantiers couvrent leurs frais, mais d’autres ne donnent rien ou sont chargés de lourdes dépenses ; il est ainsi impossible d’instituer là quelque chose de profitable. Actuellement seuls 3 chantiers sont en activité : l’un dans la profondeur, à un puits sous le niveau de la galerie, un autre dans la partie antérieure de la galerie sur le filon de St‑Michel.Tous donnent assez bon espoir,

53« A part cela il y a dans cette mine 3 autres ouvrages, mais ceux‑ci appartiennent en commun à la Porte de Fer, à l’Armée Céleste et à La Treille. Ils sont travaillés à frais communs grâce à un Vertrag, et les minerais sont également partagés. Dans ces ouvrages du Vertrag, qui sont au nombre de deux, sont exploités les meilleurs et les plus riches minerais de ce temps. Cette mine avec les Verträge possède également deux galeries pour lesquelles la seigneurie contribue au quart de la dépense ».

54Prospère au départ lorsqu’elle était axée sur son premier filon (mais alors éclatée en exploitations multiples), la mine n’a que très peu de chantiers actifs à la fin du xvi^e s. : elle se borne principalement à finir la longue galerie de St‑Oriel, Il faut spécifier que le rapport de 1597 nous présente la description la plus claire que nous possédions de ce très vaste système. En 1602, Prechter donne la longueur de ce travers‑bancs : 900 toises (1 580 m). Dans son rapport de 1603 (trad. P. Fluck, inédit), Empl ne lui donne que 700 toises (1 230 m) alors que le plan de Guillaume Schüra (1585), ou plutôt son commentaire, nous permet d’estimer sa longueur potentielle (car la galerie n’est alors pas achevée) à 822 toises (1 440 m). Empl situe l’entrée de St‑Oriel au Rauenthal, alors que le plan de Schüra et l’analyse des comptes de 1547‑1574 nous la font déboucher à la Petite‑Lièpvre. A l’heure actuelle, cette entrée n’est toujours pas positionnée avec certitude. Empl fournit des informations plus ou moins détaillées, notamment sur les travaux réalisés en accord (Vertrag) avec l’Armée Céleste et La Treille, sur ceux (gênés par l’eau) de l’Eisenthür en profondeur sur son propre filon, et sur ceux du filon St‑Jacques (appelé aussi St‑Ulrich), où se situe du côté ouest une cheminée (Rollschacht) d’où s’élèvent encore des travaux montants (Uberbruch). Empl conclut par l’urgence de faire réaliser des levés complets du système afin de positionner les travaux en cours par rapport aux parties déjà exploitées.

2.7. Le xvii^e siècle

55Nous condenserons le rapport de 1613 (archives du Haut‑Rhin, trad. inédite). L’Eisenthür et l’Armée Céleste sont décrites comme une seule mine ; les travaux sont sur les filons de St‑Guillaume et de St‑Jean. Mais plus loin, un paragraphe concerne « la Vieille Eisenthür », où l’on pousse une galerie (avec l’aide du quatrième denier) dans le filon sur 6 heures vers le soir, à la rencontre de St‑Ulrich (probablement St‑Oriel ; erreur du copiste ?), dans l’espoir de découvrir une passée noble ; il est dit aussi que derrière cette galerie d’allongement (c’est‑à‑dire en deçà du front de taille ?), à environ 6 toises, on s’enfonce verticalement dans le filon sur un beau minerai prometteur.

56Un autre paragraphe du même rapport concerne Notre‑Dame, dite comme « une très vieille mine très dépilée », dont on grapille le minerai dans les anciens travaux ; on n’y a pas établi de Lehenschafften (mineurs louant un chantier), mais les mineurs y ont le statut de Herrenarbeiter (mineurs payés à la tâche).

57Dans le rapport de 1629, Notre‑Dame apparaît toujours comme très dépilée et faisant l’objet de fouilles cantonnées aux anciens travaux. Enfin, on y voit réapparaître St‑Michel et... Le Chêne (!), fouillées par un mineur dans l’espoir d’y découvrir quelque minerai noble. Par ailleurs, l’Eisenthür est décrite avec l’Armée Céleste ; il en sera de même encore en 1633 (rapport de Genault, Taesch 1976).

2.8. Le xviii^e siècle

58A l’exception du quartier de Notre‑Dame, et avec le filon dit « de Zinc », le filon de St‑Michel est le seul au Neuenberg à ne pas faire l’objet d’une reprise notaire des travaux au xviii^e s. Sans doute faut‑il y voir une conséquence de l’importance du « cavernement » produit au xvi^e s. dans ce filon : ce dernier avait été reconnu sur toute son étendue et les corps minéralisés entièrement vidés

59Rapport de Ahrendt, Seydensticker et Heintze, 1736 (trad. P. Fluck 1977a) :

60« A la Nouvelle Chance Espérée [Auffden Neuen Verhofften Glücke ] appelée aussi la Grande Halde [ Die Grosse Halte] ; il se trouve là une galerie de 450 toises jusqu’à une foncée [ Absincken ] profonde de 30 toises ; au fond de celle‑ci se trouvent deux galeries opposées qui sont menées sur 70 toises, et dans lesquelles se trouvent de beaux minerais d’argent mêlés d’un peu d’argent rouge ; plus loin on a commencé à foncer le deuxième puits, où l’on rencontre en creusant du minerai d’argent et de l’arsenic [ Gifft ] mêlés d’argent rouge ; il se trouve encore un dépilage montant, en haut sur la galerie [principale], où se rencontre du minerai noir avec de l’argent arborescent ; et cette mine emploie 2 Untersteiger [contremaîtres], 22 mineurs‑abatteurs, et aussi 13 tourneurs de treuils et coureurs de chiens »,

61L’acheminement se faisait alors par l’entrée des Grandes Haldes, présumée être le travers‑bancs St‑Oriel Si l’on se réfère alors aux indications, et en tenant compte d’une nouvelle valeur de la toise (elle est de 2 m au moins au xviii^e s), le puits mentionné se trouverait à plus de 900 m de l’entrée et serait profond de 60 m. Ceci entraîne quelque difficulté à le positionner : en admettant –d’après notre profil du filon– que la faille des Grandes Haldes soit croisée à 535 m de l’entrée de St‑Oriel, le filon de St‑Guillaume l’est à 775 m, celui de St‑Jacques à 1 160 m (mesures fournies par le texte placé au bas du plan d’ensemble de 1585, cf. § 2.10.1.) (Fluck 1979b). Si l’on admet que notre puits se situe dans le filon de St‑Guillaume, cela nous ramène 125 m à l’ouest ou à l’est du croisement de la faille et de ce filon ; la deuxième possibilité est très peu probable car le puits de 60 m télescoperait les travaux de St‑Guillaume ; il reste aussi l’hypothèse d’une très longue galerie poussée dans le filon même de St‑Michel. Ce point extrême à 900 m serait alors très proche de la mine « St‑Louis inférieur » côté Rauenthal, mais on s’étonnerait de trouver dans ce quartier des minéralisations intéressantes, et surtout la présence d’arsenic. L’hypothèse la moins invraisemblable est donc celle de la branche ouest du filon St‑Guillaume.

62Les rapports de 1740,1745 et 1755 ne parlent plus de la » Grande Halde ». Celui de 1765 (Ludolph, Schreiber et Demuth, archives du Bas‑Rhin), dans une annexe attenante au rapport, mentionne « Grosse Hall » dans une énumération, précisant que « cette galerie recoupe les filons d’argent précités, et que les travaux seraient en communication avec la galerie que l’on peut voir au bord du chemin, appelée la LehreTasch [Poche Vide], mais qui n’a jamais été rouverte ».

63Ainsi, la Leere Tasche aurait joué au xvi^e s. le rôle d’Erbstollen de Notre‑Dame. Le rapport de 1766 ne fait que signaler la Leere Tasche « une galerie profonde pas encore ouverte ». En revanche, et pour la première fois, nous lisons en lieu et place du filon de St‑Michel la mention du « filon du Grand‑Louis, avec plomb mêlé d’argent ». Enfin, il est dit que l’on travaille à la Grossenhalle, sans que soit précisé le nombre d’ouvriers.

64Il faut attendre le fameux De Dietrich (qui visita Ste‑Marie en 1785) pour retrouver des descriptions « précises » du filon de St‑Louis (puisqu’il est à présent permis de l’appeler ainsi) : « Peu au‑dessus du filon de cobalt est l’entrée des travaux éboulés du Grand‑St‑Louis, que j’ai cités en parlant du filon des Grosses‑Haldes. On en tiroit de la galène riche en argent. Les Anciens les ont suivis sur une longueur de cent quarante toises : ils y ont pratiqué deux puits ascendans de dix‑huit toises ; et au point de réunion avec le filon des Grosses‑Haldes, ils ont fait une foncée qui communique, ainsi que je l’ai dit, dans les travauxdeSt‑Guillaume ».

65Pour qui connaît un peu ces ouvrages (cf. plus loin, description du réseau), cette description est confuse, comme le sont beaucoup des descriptions de De Dietrich, Il est évident que c’est avec la galerie St‑Oriel que communique la « foncée », galerie que les exploitants de St‑Guiliaume n’ont fait que visiter. Pour les Grandes Haldes. De Dietrich s’exprime ainsi :

66« Au‑dessous des mines de St‑Nicolas sont celles des Grosses‑Haldes [Grosse‑Bingen], qui ne doivent leur nom qu’aux prodigieux amas de décombres que l’on voit à la surface de la montagne. On reconnaît par eux que la direction du filon était du S. au N. Les Anciens l’avaient attaqué par une galerie de traverse prise à la moitié de la hauteur de la montagne. Ils coupèrent ce filon à cent cinquante toises du jour, l’exploitèrent des deux côtés sur ce sol, et firent aussi des travaux ascendants et des puits d’airage. Les vieux mineurs prétendent que ces fosses ont été épuisées depuis le sommet de la montagne jusqu’à sa base, où l’on a pratiqué une autre galerie de traverse longue d’environ trois cent soixante toises. On dit que les fouilles n’ont pas été poussées au‑dessous du niveau de cette galerie inférieure, parce que le filon y étoit devenu très étroit. Les travaux supérieurs ont fourni beaucoup de mine d’argent grise, et surtout de la mine d’argent rouge. « Le filon des Grosses‑Haldes inclinoit en sens contraire du filon du Grand‑St‑Louis, qui a été attaqué du côté du vallon du Phaunoux. Au point de réunion des deux filons, on a pratiqué une foncée qui communique à une galerie des travaux de St‑Guillaume, que je décrirai en rendant compte des mines de ce vallon ».

67Dans cette description, les notions de faille et de filon sont interverties : le filon N.‑S. est évidemment la faille des Grandes Haldes (ou de St‑Oriel), la prétendue « galerie de traverse » est la galerie principale d’allongement sur le filon. En revanche, l’autre galerie de traverse, à la base de la montagne et longue d’environ 666 m, correspond très probablement à la Leere Tasche. Celle‑ci est décrite plus loin ; il y est dit qu’il en sort « une très grande quantité d’eau », et que M. Schreiber, vers les années 1765, y fit attaquer une fente dirigée sur 10 heures (N.‑N.‑ O./S.‑S.‑E.) qui s’est trouvée stérile, d’où le nom de Poche Vide. Ceci est en contradiction avec la mention faite de cette mine en 1765 et 1766 (cf. supra) alors qu’elle c’avait pas encore été ouverte.

68Enfin, à propos de la mine St‑Guillaume, De Dietrich affirme que « la longue galerie des Grosses‑Haldes a plus de mille toises... » (soit 1 850 m). Cette longueur est exagérée (Prechter, plus sérieux, lui donnait 1 580 m).

2.9. Le xix^e siècle

69Au xix^e s., on est tombé dans une grande méconnaissance des travaux du Rain de l’Horloge, déjà préfigurée par les écrits de De Dietrich qui montrent qu’on avait perdu la vision claire des systèmes filoniens. Ainsi, Martin en 1846 (Taesch, Fluck 1978) ne signale pour le filon St‑Louis que les points suivants, qui se rapportent à sa carte :

70« 45 est une fouille sur un filon de baryte sulfatée qui n’est autre que le prolongement du filon des Grandes Haldes dans la vallée de la Petite‑Lièpvre et dont il sera question plus loin. Ce filon tenait un peu de galène [ galerie au‑dessus du Langer Schacht ].

71« Les Grandes Haldes 63, 64,65, 66. Nous avons marqué de ces numéros quatre ouvertures qui sont sur le même filon. Les ouvertures 64 et 65 seulement doivent être considérées comme des entrées de mine à raison de la quantité des matériaux qu’on en a sortis. Les numéros 63 et 66 correspondent à des fouilles. Son nom (de filon des Grosses Haldes) fait voir qu’il y a eu des travaux considérables ; en effet on voit sur la montagne des tas immenses de décombres qu’on appelle dans le pays haldes. « 67 : bocard et laverie des Grandes Haldes. Il ne reste rien de ces ateliers dont nous avons marqué l’emplacement ».

72En 1850, Carrière décrit dans sa minéralogie le zinc sulfuré comme provenant d’une mine « Langschafft » (c’est le Langer Schacht).

73En 1893 enfin, Hauser décrit ainsi les parages du Langer Schacht (trad. P. Fluck) :

74« La ligne de crête du Schulberg est croisée par un filon de baryte (20), qui renferme‑en dehors du quartz aussi quelque peu de galène. Un puits d’aérage conduit là dans une galerie de St‑Louis. Le puits très « faille », appelé dans le langage populaire Langer Schacht, est profond d’environ 15 m, se trouve à 780 m d’altitude, à 200 pas au‑dessus d’une petite partie rocheuse que l’on rencontre à gauche du chemin de crête, à seulement 8 m, sous la crête. Au‑dessus de celui‑ci se trouve une galerie, à la voûte de laquelle la veine de baryte est puissante de 20 à 30 cm ».

2.10. Les anciennes cartes de surface

2.10.1. Le plan des filons de 1585

75Le plan de 1585 (archives municipales de Strasbourg) est à la fois une carte de surface, des entrées, des mines et des filons (Fluck 1979b). Le texte en vers qui figure au bas du plan renferme un historique sommaire de l’exploitation des mines, notamment le récit de la découverte du Neuenberg, et aussi des indications sur les distances entre les différents filons du Neuenberg (fig. 7). Le filon St‑Louis était alors appelé filon St‑Michel et Eisenthür du côté Rauenthal et filon Notre‑Dame du côté Petite‑Lièpvre. D’est en ouest il est recoupé par : la galerie profonde de la Couronne d’Or (Güldenkron) qui n’atteint pas encore le filon St‑Jacques ; la galerie de l’Eisenthür qui effectivement ne recoupe le filon principal qu’en profondeur ; le travers‑bancs de St‑Anthony ; et le travers‑bancs de St‑Oriel. L’entrée de ce dernier est située assez près du filon Chrétien, en contrebas de travaux correspondant vraisemblablement aux mines du filon de zinc. Ce travers‑bancs démarre vers le sud‑est et atteint au bout de 535 m le filon St‑Louis, sous l’aplomb semble‑t‑il de l’arrivée du travers‑bancs de St‑Anthony. Il oblique ensuite vers le sud‑ouest et recoupe successivement le filon St‑Guillaume au bout de 775 m et le filon St‑Jacques au bout de 1 162 m. Il reste encore 283 m jusqu’au filon St‑Jean mais, plus à l’est, il existe déjà une liaison entre ces deux derniers filons,

2.10.2. Le plan du rapport au régent

76Le rapport au Régent de 1715 (archives de l’Académie des sciences) comporte une carte topographique des environs de Ste‑Marie‑aux‑Mines. A cette carte sont localement rajoutés des feuillets où sont figurés les cours d’eau et les travaux miniers connus ou en activité (début de la reprise d’exploitation du xviii^e s.). Ainsi sont représentées des haldes et des mines des filons Chrétien, St‑Jacques et St‑Jean. Il n’est point fait mention du filon St‑Louis, à l’exception de la halde et de l’entrée des puits de la Couronned’Or.

2.10.3. Le plan du rapport Martin

77Le rapport de 1846 écrit par Martin (Service des mines de Strasbourg) est accompagné par une carte des vestiges de surface : haldes, entrées, bocards. fonderies (Taesch, Fluck 1978). Sur ce document où sont mentionnées près d’une centaine de haldes (numérotées et commentées dans le rapport), on s’étonne de ne pas retrouver l’emplacement de haldes aussi importantes que celles du filon St‑Louis (Eisenthür, Le Chêne. St‑Michel...).

78Ainsi du côté Rauenthal sont représentées : une entrée présumée de St‑Louis située en bordure du ruisseau, aux abords des installations de Chrétien (?), les haldes de Glückauf inférieur (?), moyen (Glückauf actuel) et supérieur (peut‑être St‑Louis‑Eisenthür) et une fouille sur un filon de baryte sulfatée qui correspond aux travaux surmontant le Langer Schacht.

79Du côté Petite‑Lièpvre sont signalés : l’entrée de Leere Tasche, l’emplacement du bocard et de la laverie de Grandes Haldes. et Grandes Haldes. Ces dernières au nombre de quatre représentent trois haldes du groupe Grandes Haldes stricto sensuel une halde de la zone des Verhaue située au‑dessus du chemin des Braconniers.

2.10.4. Les plans de Lesslin

80Vers 1860 A. Lesslin, érudit local, a dressé un inventaire des vestiges de surface illustré par quinze planches topographiques et un plan d’assemblage (inspiré du plan de Martin). Trois de ces planches sont consacrées au Neuenberg. Les représentations de haldes et de chemins sont très schématiques et sont accompagnées de commentaires manuscrits (fig. 8).

81Côté Rauenthal, la quasi‑totalité des mines est signalée :

82F. St‑Louis. « L’entrée de cette mine se trouve à 5 pas de l’angle extérieur de la maison Schaeffer. De cette maison à la route, il y a 28 pas, et 13 pas du pont au sentier ». A nouveau on parle de cette entrée (présumée) dont il ne reste aucune trace aujourd’hui !

83G. « L’entrée de la Couronne d’Or est au bord du chemin, vis‑à‑vis l’endroit où la rivière commence à longer la route. On compte 492 pas de cette mine au pont de la maison Schaeffer, et 140 pas à la maison Brann ». Il s’agit de l’entrée des puits de la Couronne d’Or.

84H. « Mine sans nom, à 200 pas du Glückauf supérieur (connue sous le nom de mine de Plomb). L’entrée de la mine est à 30 pas de la halde ». Il ne peut s’agir que de St‑Louis‑Eisenthür.

85I. « Le Langerschacht tout au‑dessus de la forêt qui a deux entrées l’une au‑dessus de l’autre, est à 30 pas du chemin E². De E²au rocher F2, il y a 15 pas. De F2 à I, il y a 30 pas. De R² à S² il y a 326 pas. De S² à E², il y a 314 pas ». Concerne le chemin de Crête.

86K. « Mine sans nom ». Il s’agit de St‑Michel.

87L. « Le Glückauf supérieur est situé dans une clairière, à 370 pas au‑dessus de la route. L’entrée de la mine est à 20 pas de la halde, au bord de la forêt ».

88M. « Le Glückauf inférieur est à l’angle extérieur de la maison Grégori, maison qui est à 70 pas de la route ». Il est à nouveau fait allusion à cette mine dont on n’a retrouvé aucune trace.

89Aa. « Mine connue sous le nom de mine de Plomb supérieure du Rauenthal. De Aa à la mine Bb, qui est en dessous, il y a 110 pas en descendant ». Il ne peut s’agir également que de St‑Louis‑Eisenthür. Au cours de ses diverses séances de relevés, Lesslin n’aurait pas reconnu cette halde dans la forêt de sapins et en aurait donc fait deux haldes distinctes H et Aa.

90Bb. « Mine connue sous le nom de mine de Plomb inférieure du Rauenthal. De Bb au chemin Dd, il y a 115 pas en descendant. De Dd à Cc, il y a 81 pas en descendant ». Il s’agit de St‑Louis moyen.

91Cc. « Mine sans nom. De Cc à G, il y a 145 pas en descendant. De ST à Ce, il y a 187 pas en descendant ». Il s’agit de St‑Louis inférieur.

92ST. « Mine de Fer Carburé. De M à Z², il y a 40 pas en montant ; de Z²à ST, il y a 400 pas en montant. Cette mine se trouve à la lisière de la forêt de sapins et juste au‑dessus de G ».

93Sur le filon St‑Guillaume sont signalées les mines St‑Daniel (Z), St‑Guillaume (X), St‑Pierre (W) et Les Narines (N, le « Fischtannstolle »).

94Le côté Petite‑Lièpvre a par contre été très mal prospecté. Seules quatre haldes sont signalées :

95B. « Mine de Lehr Detsch, à 30 pas du pont. Un coulant de fontaine marque l’entrée de la mine » (Leere Tasche).

96C. « Mine sans nom : grandes haldes ». Il s’agit probablement de St‑Anthony.

97E. « Mine des Grandes Haldes, appelée aussi Vilhelm ». Il s’agit de Grandes Haldes 1, Notre‑Dame.

98F. « Mine Danie située dans un pré, à 64 pas de la route et à 100 pas de la maison Lazare située sur la hauteur, là où la route a été abaissée. L’entrée de la mine ne s’aperçoit plus ». il s’agit probablement de Grandes Haldes inférieure.

99Sur ce versant les travaux des filons voisins sont également très mal représentés, voire non identifiables sans les commentaires.

2.10.5. Le plan Hausser

100En 1893, E. Hausser publie une monographie sur les mines de Ste‑Marie‑aux‑Mines, Das Bergbaugebiet von Markirch, qu’il accompagne d’une carte de situation des mines au 1/12 500. Bien que le fond topographique soit relativement précis, la disposition des haldes demeure dans le détail assez fantaisiste. Certaines haldes sont numérotées et font l’objet d’un commentaire dans le texte, en partie inspiré des écrits de De Dietrich (fig. 9).

101Côté Rauenthal on retrouve l’entrée des puits de la Couronne d’Or (32) qui n’est « pratiquement plus reconnaissable ». Plus au sud on reconnaît la halde fantôme de Glückauf inférieur qui n’est probablement qu’une extension latérale de la halde de St‑Guillaume. Sous le nom de Glückauf sont représentées plusieurs (?) haldes (33). Au‑dessus du Vogensenpfad, en 33a et 33b, sont sans doute figurées les haldes de Glückauf et de St‑Louis‑Eisenthür. Une mine St‑Louis est représentée en 33c, confondue avec la mine du Schnakenthal. En 20, au‑dessus du Langer Schacht, sur laligne de crête, sont mentionnés des puits d’aération : les deux puits comblés.

102Côté Petite‑Lièpvre se trouve Leere Tasche (21) d’où « s’écoule le long de la route une grande quantité d’eau ». Grandes Haides 1 et inférieures sont assez bien situées. Par contre une profusion de haldes apparaissent, décalées vers le sud, à la place des trois haldes de Grandes Haldes 3. Au‑dessus du chemin Intermédiaire seule Grandes Haides 4 est figurée ; il manque toute la zone des Verhaue. Les haldes 10 et 11 (travers‑bancs Nord et St‑Oriel) sont assimilées à des galeries de recherche. La halde de St‑Anthony est éclatée en cinq haldes (14, 15, 16) et la halde 17 est peut‑être celle des Emmurés

2.10.6. Le plan de Dürr de 1907

103L’ouvrage de E. Dürr, Die Mineralien der Markircher Erzgänge ( 1907), est accompagné d’une carte du sud de Ste‑Marie‑aux‑Mines. Il s’agit d’un fond topographique au 1/25 000 équipé de contours géologiques, sur lequel figurent quelques rares haldes et le tracé souterrain de quelques mines.

104Ainsi les entrées de Leere Tasche et du Langer Schacht sont signalées. Les haldes de Grandes Haldes et de St‑Anthony sont bien sûr représentées, avec beaucoup d’imprécisions. Deux tracés souterrains de mines sont très schématiquement figurés sur le filon St‑Louis. Glückauf où manque une grande partie du travers‑bancs vers le filon St‑Guillaume (?), et St‑Louis inférieur appelé St‑Ludwig où manquent toutes les portions de travers‑bancs sur faille.

2.11. Conclusion

105Les sources écrites relatives au filon St‑Louis nous offrent un voyage à travers l’histoire de 1530 à la fin du xix^e s. L’exploitation de ce filon connaît un temps fort durant la seconde moitié du xvi^e s. et prend un caractère plus « exotique » au cours du xvii^e s. En effet, de l’étude de ces textes se dégage l’individualisation de deux grandes structures minières ; les mines sur le filon St‑Louis qui sont au début de l’exploitation nombreuses et indépendantes, puis très rapidement réunies en une seule et très importante concession (Eisenthür) ; et le grand complexe du travers‑bancs de St‑Oriel, parti de ce filon à la rencontre de tous les autres filons plus méridionaux du Neuenberg. Ainsi, au cours de notre étude de la dynamique de l’exploitation du filon St‑Louis, nous allons être confrontés à cette exploitation ouverte vers l’extérieur, que Prechter (1602) a bien décrite en la qualifiant de weitlaüffig (étendue, interminable).