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Lampes céramiques signées

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Jacqueline Bonnet

1re partie. Choix méthodologiques

1. L’estampille comme critère de distinction

Texte intégral

1Si le type de la lampe et l’évolution générale de la typologie autorisent une datation (cf. Ponsich 1961 ; Toutain 1900 ; Provost 1976 ; 5 et sq., § 1A ; Brentchaloff 1972 : 21-24 ; Deneauve 1969 ; Walters 1914 ; Loeschcke 1919), la signature permet d’envisager l’individualisation de la production : type et décor permettent de caractériser la production déterminée par une signature.

1.1. Étude de l’estampille

2Signature, marque ou estampille ont déjà fait l’objet de nombreuses études, que ce soit pour leur contenu (Bémont 1969) ou pour leur emplacement (Lutz 1967). Mais, pourquoi employer trois termes différents ?

3Par « signature » on tend à caractériser un individu par son nom propre. Ce terme fait référence à la fabrication, d’autant plus que le nom est parfois précédé de la mention OFFICINA (par exemple : lampe n° inv. 6153 bis, au musée Borély à Marseille, qui porte la marque EX OF IVSTI).

  • 1 Les restitutions des tria nomina sont tirées de : Dressel s.d.

4La signature est soit l’abréviation des tria nomina 1: C OPPI RES = Caius Oppius Restitutus, L MVN THRE = Lucius Munatius Threptus, C IVN ALE = Caius lunius Alexius, soit l’abréviation d’un nom simple : FLORENT = Florentius, soit le nom entier, GABINIA (sous-entendu, vraisemblablement, OFF[ICINA]).

  • 2 Les marques annexes sont particulièrement diverses dans cet atelier : A, C, L, M, P, q, S, T, V, X, (...)

5Le terme « marque » peut être accompagné de l’adjectif anépigraphe. Il recouvre tous les signes isolés, ou qui accompagnent les signatures (telles les initiales, comme celles que l’on trouve fréquemment avec LHOSCRI)2. Mais ce terme est souvent utilisé aussi pour parler de la signature : « signature » renvoie à un homme, « marque » implique de surcroît la notion d’atelier, de firme, de label. Il peut s’ajouter alors au sens premier des allusions à la publicité, aux méthodes de commerce. A l’heure actuelle, les sociétés sont propriétaires des marques qui correspondent à un produit défini pour lesquelles elles font de la publicité. Ces marques sont commercialisables. Mais en ce qui concerne notre matériel, « marque » doit garder le sens le plus restreint de « trace » ou « signe » laissés sur l’objet par un sceau, un outil, un instrument.

6Le terme « estampille » implique un mode d’apposition : à l’aide d’un poinçon ou d’un sceau, la signature est imprimée sur l’archétype ou sur le moule. Car il semble difficile de l’apposer directement sur la base de la lampe : pour estampiller l’argile, il faut une pression incompatible avec la faible épaisseur de la paroi (Vertet 1983 : 29-53).

7L’utilisation de l’un ou de l’autre de ces termes indique bien le choix qui est fait, le sens prêté à ce marquage, épigraphique aussi bien qu’anépigraphe. Il est difficile de contester la validité de ce vocabulaire, car on doit admettre qu’à partir du moment où l’on emploie comme signature des tria nomina, on sous-entend nécessairement l’existence d’un individu qui peut donner son nom à un atelier, à une officine. Mais il faut se garder, par simple analogie avec l’époque actuelle, d’inclure sous le terme « marque » des données anachroniques de techniques commerciales. Si la marque peut identifier une production, il semble difficile de lui reconnaître la protection juridique dont jouissent aujourd’hui les « produits de marque ». Et il semble difficile de supposer un intérêt à sa contrefaçon. Les marques, plus précisément les signatures, vont donc constituer l’indice essentiel de notre étude, principalement pour déterminer et limiter une production. Quel va être le critère d’individualisation ? Comment va-t-on repérer un type de signature ? Il faut pour cela reconstituer le mode de fabrication des lampes (Vertet 1983). De l’avis général, la lampe romaine du Haut Empire est issue d’un moule fait de deux valves, supérieure et inférieure (cette éventualité est tout à fait confirmée par un potier moderne, M. Montagu, à Saint-Vallier-sur-Rhône), moule confectionné lui-même soit à partir d’un archétype plein, soit, lorsqu’il s’agit d’un surmoulage, à partir d’une lampe dont les orifices sont alors bouchés. L’archétype définit le type de la lampe, le décor intervient soit au niveau de l’archétype, soit au niveau du moule. Qu’en est-il de la signature ? (fig. 1)

● Fig. 1 – Procédés de fabrication.

8La signature peut être tracée sur la lampe ; on ne peut alors parler d’estampille ni d’estampage : sur chaque lampe, la signature d’un même potier (Romanesis, Oppi, Soricio...) est différente. Par exemple, OPPI présente toujours les caractères graphologiques suivants : le O, bien rond, est exécuté en partant du milieu, en bas et en tournant de gauche à droite. Les deux P ne sont pas parallèles, le premier penchant vers le second ; les hastes verticales sont longues. Le I est toujours très long. Le surmoulage de ces signatures tracées à main levée existe, mais il en réduit la taille.

9Lorsque le poinçonnage –ou le tracé– de la signature est fait sur l’archétype, ou sur le moule inférieur, un certain nombre de lampes vont porter la même marque disposée sur la base d’une façon rigoureusement identique, indépendamment du fait que la signature paraisse en creux ou en relief. De plus, un même poinçon-matrice de signature peut être imprimé sur plusieurs archétypes ou sur plusieurs moules. La signature ou la marque seront alors identiques sur un certain nombre de lampes mais placées d’une façon différente sur la base. Cette duplication de la signature ou de toute autre marque permet leur comparaison exacte. Celle-ci est obtenue par superposition des calques levés à partir des frottis des bases signées. Cette méthode très simple tient compte des différences sensibles dues à la manière d’apposer le poinçon, ou à la consistance de l’argile, l’une et l’autre pouvant accentuer certains détails ou en affaiblir, voire en supprimer, d’autres.

10Il est certain que les lampes déjà publiées ne peuvent être soumises à cette étude et des variations dans la lecture peuvent naître du mode de reproduction ou de la part de subjectivité entrant dans l’interprétation personnelle de l’auteur. Les diverses échelles des photographies et des dessins ajoutent à la difficulté des comparaisons.

11La confrontation par superposition des calques tirés des frottis permet de différencier des séries parmi des signatures pour lesquelles une seule attribution a été jusqu’ici proposée. L’exemple le plus pertinent est fourni par C. lunius Alexius, pour lequel trois grandes séries peuvent être distinguées.

12La signature la mieux individualisée est CIVNALE qui se présente en relief dans un cartouche rectangulaire ou in planta pedis. CIVNALEX se présente en creux. C’est une signature étroite (la hauteur des lettres ne dépasse pas 0,3 cm), qui s’étire en longueur sur tout le diamètre de la base. Enfin IVNIALEXI, en creux, comporte des lettres hautes et larges. Il semble peu vraisemblable qu’il s’agisse du même individu ou, pour le moins, s’il n’y a bien qu’une seule personne, des phases successives d’activité doivent être envisagées. Car l’emploi simultané de poinçons-signatures aussi différents faisant référence soit au même individu, soit au même atelier, paraît peu crédible. Mais, d’autre part, doit-on admettre l’existence de trois individus se nommant de la même façon ? Il est difficile d’envisager l’existence simultanée de trois individus titulaires des mêmes tria nomina. Mais la distinction de productions portant le même cognomen a été faite pour LIBERTVS (Bémont, Rogers 1978).

13Les différences qui apparaissent dans la graphie des signatures de même contenu ne sont perceptibles que lors de la superposition des calques. Alors seulement on peut apprécier des différences (dans l’écartement entre les lettres, dans l’axe des lettres les unes par rapport aux autres) qui permettent de constituer des séries de signatures identiques entres elles. Dans la même série de signatures, c’est-à-dire lors de l’utilisation d’un même poinçon, des différences ténues peuvent être relevées, qui tiennent à la manière d’apposer le poinçon, ainsi qu’à la consistance de l’argile, comme cela a déjà été dit. Mais, malgré ces variations, les séries sont reconnaissables. Leur existence s’explique par l’utilisation de plusieurs poinçons-signatures, qui peuvent relever d’un même personnage, d’un même atelier, dans le même temps ou successivement. Quand on considère les productions, par séries de signatures, l’étude comparative du style de chacune peut seule apporter une idée des ressemblances et des dissemblances. Si la production est réellement éclatée, c’est-à-dire si elle laisse apparaître un hiatus chronologique, il faut admettre l’existence de deux séries bien distinctes, et donc de deux potiers.

14Le surmoulage est souvent invoqué pour expliquer la pérennité d’une signature. S’il reproduit fidèlement le type, le décor et la signature, il modifie les dimensions de la lampe et cela d’autant plus qu’il y a de surmoulages successifs. Ce mode de reproduction, qui ne change rien aux caractéristiques du style associé à une signature, ne se repère que par l’étude précise des dimensions de la signature et du décor (A. Provoost utilise le terme suggestif de généalogie ; cf. Provoost 1976). Si l’on envisage le surmoulage partiel de la lampe, différents cas sont possibles :

  • le surmoulage du décor seul donne naissance à un nouveau poinçon-décor de taille réduite qui peut, lors de cette opération, être plus ou moins modifié ; la durée d’utilisation de certains décors devient alors une donnée indépendante ;

  • si l’on envisage le surmoulage du type sans le décor, il faut imaginer une manipulation importante, car on doit effacer le décor de la valve supérieure du surmoule tiré de la lampe prototype pour y apposer éventuellement en- suite un décor nouveau ; la concavité du médaillon s’approfondit et le profil de la lampe est modifié.

15Or il semble que cette opération soit possible. Elle correspond à une intention de modifier le décor, à un déplacement de la clientèle. Ainsi, elle peut être pratiquée par des potiers de la Gaule du Centre dont la volonté de copier la fabrication italique est évidente, mais jamais systématique : les potiers gallo-romains du Centre ont toujours donné à leur production un fort caractère indigène. Quant à la signature originelle, dans le cas de ce surmoulage, ou elle demeure semblable mais de dimensions notablement inférieures, ou elle est effacée et la production perd la trace de son origine. On peut donc se rendre compte de la difficulté d’expliquer la longévité de la signature par le seul procédé du surmoulage.

16La copie, souvent évoquée, n’a vraiment de justifications que selon la conception moderne de la marque, de la propriété commerciale. On a donc du mal à expliquer la copie d’un poinçon-signature. Mais on doit l’envisager. Si c’est une simple copie du nom, le nouveau poinçon créé est différent, individualisé, et la production signée de cette nouvelle série diffère par les types et les décors. Le remploi d’un poinçon-signature antérieur impose, de la même façon, que la nouvelle production soit, au moins, légèrement différente : le lien signature-type-décor ne peut alors persister que par hasard.

17La copie d’un poinçon-décor se justifie mieux que celle du poinçon-signature ; si l’on suppose des modes iconographiques, l’atelier copieur va reproduire le décor nouveau, qui plaît à la clientèle, dès qu’il possède un modèle : le nouveau décor normalement ne sera, pas identique à l’original. S’il y a identité, c’est que le poinçon- décor du modèle, ou le moule entier, est parvenu dans cette officine : dans le premier cas, le même décor peut se retrouver sur une lampe d’un type différent, dans le second, la nouvelle lampe est strictement identique. L’atelier mère se débarrasse de son matériel de fabrication : ce peut être un commerce, une transmission à une succursale ou à un atelier associé.

18A la copie pirate, que l’on doit envisager en diachronie et qui modifie le décor, s’oppose la copie à partir du même matériel de fabrication, qui nécessite une certaine unité de temps, mais suppose une dispersion géographique (sinon, il s’agit d’une association dans le même atelier).

19Il est évident que la distinction de séries parmi les signatures ayant le même contenu permet d’ajouter aux typologies des formes un élément discriminant qui pourra, après étude, fournir une chronologie relative. La signature est tenue actuellement pour un caractère mineur. Elle devrait constituer un critère assez intéressant pour devenir un indice-clef de la typologie. Par ailleurs, la signature n’est pas toujours disposée de la même façon sur la base ; et cet usage peut être une habitude propre à caractériser un potier. Le plus souvent, la marque est à peu près centrée sur un diamètre de la base et on la lit lorsque l’anse est vers le haut, le bec vers le bas. Mais la signature CIVNDRAC est placée souvent à l’envers : la lecture se fait l’anse en bas, le bec en haut. Enfin, LFABRICMAS se lit parfois l’anse à droite, le bec à gauche.

1.2. Caractères associés à la signature

20L’étude critique des estampilles de lampes permet de distinguer des séries parmi les signatures et de grouper, au niveau de la fabrication, les produits signés à l’aide d’un même poinçon. La production des lampes portant des signatures de la même série peut dès lors être dégagée de l’ensemble et caractérisée. Nous avons déjà vu que, dans un deuxième temps, il faut envisager l’utilisation possible de plusieurs poinçons-signatures qui font référence au même potier, souvent avec le même conte nu, dans le cadre d’un même atelier. De toute façon, la caractérisation stylistique d’une production nécessite la constitution de répertoires prenant en compte le type et le décor de chaque lampe, l’étude comparative qui en découle et l’analyse des répartitions des signatures d’une même série, des décors issus d’un même poinçon-décor.

1.2.1. Types

21La chronologie des types de lampes est largement admise. Et pourtant, l’une des premières observations que suggère l’analyse d’un groupe de lampes signées d’un même nom est la variété des types associés et datés sur plusieurs siècles. Même lorsqu’il s’agit d’une série de signatures vraisemblablement issues d’un même poinçon, les types représentés sont largement répartis dans le temps. Doit-on alors corriger la chronologie bien établie ? Ou plutôt doit-on l’interpréter à l’aide des statistiques ? La fabrication de tel type de lampe a duré statistiquement pendant une certaine période, mais dans les faits la durée de fabrication peut être allongée au gré de la fantaisie du potier... et de l’acheteur qui influence la mode par ses souhaits. Il faut donc se garder de dater une seule lampe par sa typologie. Par contre, un ensemble de lampes peut sans doute donner une indication chronologique sûre.

1.2.2. Décors

22Le terme « décor » est souvent entendu au sens de thème iconographique ; il intéresse plus particulièrement les historiens d’art qui étudient les transmissions de ces thèmes à travers l’histoire. Tel n’est pas mon propos puisque je m’occupe de la mise en œuvre du décor lors de la fabrication d’objets finis. Le matériel peut être composé de lampes issues d’un même moule supérieur, elles seront alors strictement identiques, ou leurs différences minimes seront individuelles, uniques. Il peut s’agir également de lampes issues d’un même prototype décoré. Plusieurs moules sont alors tirés de ce prototype et chaque manipulation peut être l’occasion de modifications et même de retouches significatives. Il peut s’agir enfin de lampes dont les moules ont été décorés d’un même poinçon-décor : ce qui produira des décors similaires sur des types de lampes différents.

23On voit que la notion de décor implique une grande complexité au niveau technique de la fabrication. A de nombreux stades au cours de cette fabrication des modifications, même importantes, sont possibles (Vertet 1976) ; et pourtant, il peut y avoir une unité au départ, au moment de la conception « artistique » du décor. C’est ce poinçon-décor, une fois identifié, qui sert de base à l’étude comparative.

24Pour l’iconographie comme pour la signature, la pratique du frottis est possible, malgré la concavité du médaillon. A partir de chaque frottis est tiré un calque et la comparaison des décors se fait par superposition des calques. La pratique du frottis est la méthode la plus sûre pour conserver les dimensions réelles du décor, mais elle a aussi des inconvénients : elle ne reproduit que la partie supérieure d’un relief accusé ; elle est délicate pour les lampes recollées, très fragiles ; elle demande souvent plus de temps qu’il n’est possible d’en consacrer à tel ou tel musée ; enfin, elle est interdite pour certaines collections. Aussi ai-je dû recourir à la photographie plus facilement autorisée et plus rapide. L’échelle 1/1 a été retenue, car elle donne seule une vision exacte de l’objet. Le dessin a été ensuite obtenu sur un calque à partir des photographies. Les calques ont été superposés entre eux pour établir les similitudes. Il est curieux de constater la différence, pour une même lampe, entre le dessin obtenu d’après un frottis et celui qu’on tire d’une photographie ; différence qui s’explique par le caractère contradictoire des deux techniques, mais ne nuit pas nécessairement au résultat final de la comparaison. Il est inévitable, toutefois, quelles que soient les précautions prises, que le tirage à l’échelle 1/1 d’une photographie modifie les dimensions du décor, car la photographie est une projection de la surface plus ou moins concave du médaillon. Ces modifications sont parfois suffisantes pour faire douter de la stricte identité entre deux décors. En dépit des précautions, les difficultés de la comparaison sont réelles.

25La charactéroscopie, méthode d’analyse comparative, a été largement expliquée et commentée par J.-B. Colbert de Beaulieu (Colbert de Beaulieu 1973). En fait, elle est difficile à appliquer aux lampes. Le relief des monnaies est en effet plus plat, moins sujet aux déformations aléatoires. En outre, la monnaie subit peu de modifications lors de sa fabrication, tandis que les lampes, elles, subissent des contraintes différentielles au moment du moulage : la croûte d’argile qui est appliquée dans le moule s’adapte plus ou moins bien. Son épaisseur est variable. A la sortie des moules, les deux parties de la lampe sont manipulées pour le collage. Cette manipulation peut déformer le réservoir, un geste maladroit peut effacer un détail, changer l’orientation d’un relief (un bras ou une tête qui dépassent trop). L’argile vit et se modifie jusqu’à la cuisson qui, plus ou moins bien réussie, va provoquer un retrait de l’objet dans des proportions variables. D’où une infinité de variations propres à modifier les décors et les dimensions de la lampe après son moulage. Nous ne pourrons donc pas utiliser en toute rigueur la charactéroscopie pour l’étude des décors, quoique son principe de base sous-tende l’étude par superposition des calques.

26Les dessins sur calque obtenus à partir des frottis ou, plus souvent, des photographies sont superposés pour l’étude des différences. Si quelquefois l’identité est évidente, il est parfois difficile d’affirmer la non-identité, lorsque les lignes majeures du dessin se superposent bien mais qu’une multitude de détails ne coïncident pas. Un cas concret est étudié dans le chapitre consacré à l’analyse des décors pour permettre de suivre les péripéties de ces comparaisons.

27La similitude ou l’identité entre deux décors, exception faite de quelques détails, conduit à tenter de justifier les modifications. L’explication se trouve dans le déroulement de la fabrication.

1.2.2.1. Lampes issues d’un même moule

28Il faut d’ores et déjà distinguer les ressemblances propres à la partie inférieure ou supérieure. Pour la valve inférieure : la signature se trouve disposée de la même façon sur la base de même diamètre ; la lampe est de même type (ou d’un type proche, la modification n’intervenant que sur la partie supérieure). De nombreux exemples sont donnés dans l’article consacré à LHOSCRI (Bonnet, Delplace 1983). Pour la valve supérieure : le type de la lampe est identique, le même décor est disposé de la même façon dans le médaillon. Ce qui laisse place à deux hypothèses : les lampes sont sorties d’un même moule ou les lampes sont tirées de moules issus d’un même archétype. La seconde proposition suppose que l’archétype soit décoré.

29Malgré l’identité du moule, le relief de la lampe peut varier selon le degré d’usure du moule. Neuf au départ, le moule s’érode, se modifie (une cassure, par exemple). De plus, si l’archétype est décoré, de nombreux moules similaires peuvent en être tirés qui connaîtront tous une vie différente, pouvant être repris différemment lors de chaque tirage du moule, avant séchage et cuisson. Ces modifications facilement réalisables à l’outil paraissent en creux dans le moule, en relief sur la lampe.

30Par ailleurs, les manipulations de la lampe lors de sa fabrication engendrent aussi des modifications parfois importantes. Le collage de la partie supérieure et de la partie inférieure de la lampe peut modifier la hauteur de façon appréciable, déformer le réservoir (donc entraîner une modification du diamètre) ; l’anse contribue également à accentuer ces variations annexes.

1.2.2.2. Lampes décorées à l’aide du même poinçon

31Il faut envisager, puisque des décors semblables se trouvent sur des lampes de types différents, que l’archétype n’ait pas été décoré. Alors, le moule peut l’avoir été, soit directement à la main (en creux), soit à l’aide d’un poinçon : on parle alors de poinçonnage. L’exemple de la fig. 2 donne la preuve manifeste de la réalité du poinçon nage : le même personnage est tantôt seul (lampe du musée de Nîmes, no inv. 46,1. P. 947) (Mazauric, 10), tantôt associé à un second sujet (lampe du musée du Louvre, CP 4372). Le poinçonnage du décor dans le moule justifie à la fois l’identité parfaite de certaines formes de lampes décorées différemment et la présence de décors semblables sur des lampes de types différents.

● Fig. 2 – Lampes décorées par le même poinçon : gladiateur(s).

1.2.2.3. Surmoulage global de la lampe

32Il maintient strictement le type, l’appartenance du décor à un code du répertoire et celui de la signature à un groupe. Mais il modifie toutes les dimensions. C’est la définition du terme « semblable » en mathématiques. A la superposition des calques, le parallélisme des traits essentiels du dessin montre qu’il s’agit bien du même décor, mais de taille inférieure.

1.2.2.4. Surmoulage du poinçon-décor

33Ce cas est similaire dans ses difficultés à celui des lampes décorées à l’aide du même poinçon. Les exemples sont peu nombreux car difficiles à identifier. Le cas le plus intéressant est illustré par deux lampes du musée du Louvre (Vertet 1983) (types : fig. 24, no 10 ; décors : fig. 3) signées l’une et l’autre COPPIRES série I. Il s’agit de CP 4929 et N 3780, échantillons d’un type particulier : une lampe à bec rond limité par deux demi-volutes transversa les opposées. Le décor est un combat de gladiateurs : P.J.-D.1. (cf. p. 32). Le même décor se trouve aussi sur une lampe du musée de Sens signée du même potier et sur une lampe du musée d’Amiens, non signée. Les gladiateurs n’ont pas entre eux le même espacement. Celui de droite est le même sur les deux lampes du Louvre. Celui de gauche diffère par la taille et par des détails : allure du bouclier, axe de la jambe. Le personnage de gauche de la lampe N 3780 est en fait le surmoulage de celui de la lampe CP 4929 (ou de son modèle initial). Le personnage de droite étant resté le même, nous avons ici la preuve que le décor dans ce cas a été apposé dans le moule tiré d’un archétype non décoré. Chaque personnage est fourni par un poinçon différent, ce qui permet de laisser entre eux un espace variable.

● Fig. 3 – Poinçon de gladiateurs, P.J.-D.1 : surmoulage du décor.

34Les modifications observées correspondent à deux poinçonnages successifs de moules. Toutes ces manipulations, qui expliquent les modifications des décors, dans le cadre d’un même atelier, gênent évidemment la recherche des identités de décor (deux décors sont catalogués comme identiques sauf si leur différence de taille est supérieure ou égale à 10 % ; dans ce cas, le plus petit est dit surmoulé du plus grand). Le surmoulage des poinçons-décors peut en tout cas s’expliquer par la volonté de multiplier, dans le cadre d’un même atelier, l’outil de fabrication.

35Ces quatre cas types ici envisagés pour la fabrication prouvent la vraisemblance de la multiplication des retouches à des stades différents. Il est bon de souligner que toute retouche en creux sur le moule crée un nouveau relief sur la lampe. En revanche, pour obtenir les reprises en creux sur la lampe, il faut les effectuer soit sur la lampe, à cru, par un trait qui souligne le relief (ces retouches ne sont bien sûr jamais transmises d’une lampe à l’autre), soit sur l’archétype décoré, soit sur le poinçon qui décore le moule.

36Dans les deux derniers cas, les retouches en creux ne sont possibles que si l’on envisage une création antérieure, origine de plusieurs archétypes décorés ou de poinçons portant le même décor ; en effet, la création de tout décor est plus envisageable en creux qu’en relief, surtout pour un poinçon. Ensuite, de nombreux positifs peuvent être tirés, chacun étant soumis à des rectifications en creux si nécessaire.

37Il est également possible de tirer des « archétypes » à partir d’un moule décoré, archétypes formés de deux croûtes épaisses, supérieure et inférieure (Vertet 1983). Les différences de dimensions obtenues par ces manipulations successives sont notables, mais pas toujours visibles, car dans la production étudiée, de nombreux maillons de la chaîne manquent.

38En conclusion, l’étude des stades de la fabrication où ces retouches sont possibles nous amène à concevoir deux modes principaux de création des décors :

  • la création en relief d’un archétype décoré dont les moules seront issus, ou d’un poinçon qui décorera les moules ;

  • la création en creux de matrices d’où seront tirés le poinçon en relief qui décorera le moule tiré d’un archétype non décoré, ou I’ « archétype » en positif servant à son tour à fabriquer des moules, ou une série de lampes.

39La première méthode permet peu de retouches. Elle correspond certainement aux lampes ornées de décors complexes et fournis. Les deux modes de création des poinçons sont liés apparemment au type de fabrication le plus simple, la création en creux restant la plus plausible, quel que soit le matériau. Enfin, les deux derniers cas doivent être envisagés pour comprendre la complexité des relations entre types, décors et signatures de l’ensemble de la production des lampes.

40L’ensemble des décors appartenant au répertoire d’un choix de potiers a été enregistré par décor-type : c’est le code-décor ; et par numéro d’ordre, quand il paraissait possible de distinguer des poinçons-décors différents dans un ensemble globalement homogène. La méthode d’enregistrement est exposée dans le chapitre consacré à l’inventaire iconographique.

41Le lien entre poinçons-décors et poinçons-signa tures a été ensuite analysé à la fin de chaque catalogue de lampes signées d’un même nom et classées par décor selon l’ordre d’enregistrement codé. Chaque répertoire fait l’objet d’une étude analytique et comparative qui permet d’aborder la question des relations entre potiers.

1.2.3. Qualités techniques

42Après avoir vainement tenté dans un travail antérieur de trouver un sens réel à la couleur des lampes, j’ai renoncé à utiliser ce caractère trop aléatoire.

43En effet, les critères apparents qui sont liés à la fabrication des lampes sont assez fallacieux, parce qu’ils nous conduisent à étudier la pâte de façon peu scientifique. Il est impossible de procéder à une étude à la binoculaire et encore moins au microscope (Courtois 1971 et 1976 ; Gauthier 1975 ; Echallier 1984). Quant aux analyses chimiques, elles sont difficiles à entreprendre sur du matériel de musée (Picon 1973). Les deux techniques se complètent mais ne s’excluent pas. Elles permettent d’aborder les problèmes de localisation des ateliers par la reconnaissance géologique du matériel utilisé : l’argile et les dégraissants naturels ou ajoutés de main d’homme. Sur les difficultés de telles analyses dans les musées : lettre de J. Lasfargues, du 25 mai 1979 : « Le problème des analyses de lampes est très difficile ; rien n’a été, je crois, entamé systématiquement dans ce domaine. Il est d’autre part difficile de prélever des échantillons sur des lampes, car si 250 milligrammes d’argile représentent peu de chose par rapport au poids total d’une assiette de sigillée, il n’en est pas de même pour les lampes ».

44Il n’est cependant pas exclu d’entrevoir dans les années à venir une étude des pâtes basée sur des données scientifiques.

45Dans ces répertoires, en tout cas, aucun renseignement concernant la pâte et le vernis, sa couleur et sa qualité, n’a été retenu.

1.2.4. Répartition géographique

46L’analyse de la répartition géographique des lampes demande quelques commentaires relatifs au vocabulaire que l’on va employer.

47Il est très facile de connaître le lieu de conservation actuel des lampes : musées, réserves de fouilles et collections privées. Mais celui-ci n’apporte guère de lumière sur leur provenance. On peut, pour les lampes conservées en Afrique du Nord et en Sardaigne, penser qu’elles sont d’origine locale : les migrations des objets d’art se sont effectuées généralement des régions périphériques vers les grands musées européens, à l’exclusion de tout autre transfert. La provenance lointaine des matériels conservés dans les musées locaux est déjà moins habituelle, encore que l’éventualité d’un don fait par un voyageur ne soit pas à exclure.

48La provenance, site où la lampe s’est trouvée enfouie, correspond probablement au lieu d’utilisation. Lorsque la provenance est indiquée par un auteur, elle peut être établie avec ou sans commentaire archéologique ; elle peut être suggérée par référence à une collection. Ainsi, la collection Campana du musée du Louvre est, pour l’essentiel, considérée comme italienne. Enfin, elle peut être déduite, avec prudence, du lieu de conservation.

  • 3 JULLIAN (C,). — Remarques sur un essai d’inventaire des Figlinae gallo-romaines. Revue des études a (...)

49Déterminer la localisation des ateliers de fabrication des lampes romaines fait appel à des considérations particulièrement complexes. Dès le xixe s., on a cherché à la préciser. En fait, à ce jour, pour une même production, des localisations très diverses, voire parfois contradictoires, ont été proposées3.

  • 4 Bernhard 1955 : 394-395. De même, Walters 1914 : la plupart des ateliers sont italiques et plus pré (...)

50Bernhard4, comme de nombreux auteurs, pense que « les ateliers céramiques d’Arezzo dans l’Italie du Nord et ceux de la Campanie dans le Midi jouent le premier rôle » à la fois par le volume et la qualité de leurs productions de lampes. Toujours selon cet auteur, cette production, concentrée au début à Rome même et dans ses environs immédiats, se serait ensuite étendue ailleurs en Italie. Cette extension de la fabrication suscita une commercialisation active dans tout l’Empire et l’installation d’ateliers locaux, qui réalisaient leurs lampes à partir de moules importés d’Italie. Cette hypothèse des transferts de moules est attestée par les travaux de M. Picon et J. Lasfargues (Picon, Lasfargues 1974).

  • 5 Laufer 1967 ; 61 ; découverte d’un fragment de moule à Vidy (datation Claude/Néron). Vegas 1966 : a (...)

51Cette thèse semble suggérer que toutes les lampes de qualité ont leur origine –directe ou indirecte, par moules importés– en Italie, et que les ateliers entièrement autonomes dans les provinces de l’Empire ne produisaient les lampes qu’à partir de surmoulages. Il reste alors à découvrir suffisamment d’exemplaires de moules « de surmoulage ». Or, si l’existence de ces ateliers locaux est parfaitement attestée sur de nombreux sites5 où on trouve des fours, des lampes et des moules, la qualité de ces fabrications est souvent excellente.

  • 6 Des témoignages : Grenier 1962 : 77-81 ; à Lezoux, d’après le Dr Plicque, près d’un four, découvert (...)
  • 7 Labrousse 1962 : 26-27 ; la qualité de pâte des lampes de Montans est très voisine de celle de la s (...)
  • 8 D’après A. Vernhet, lettre du 03/03/79 : « Des lampes sont régulièrement trouvées à La Graufesenque (...)
  • 9 Je regrette de n’avoir pu remonter à la première publication. L’information est de Grenier 1962, qu (...)
  • 10 Klumbach 1961 : 190-194 ; plusieurs types de décors, l’abondance assise, la couronne de lauriers, J (...)

52Une installation d’ateliers de lampes dans les centres de fabrication de céramique sigillée ou à proximité est objectivement reconnue à Lezoux6, à Montans7, où des similitudes techniques ont été mises en évidence. Mais les ateliers de La Graufesenque semblent n’avoir pas fabriqué de lampes8. Par ailleurs, des liens plus lâches avec la céramique sigillée sont attestés par des cargaisons mixtes : par exemple, la fameuse caisse de Pompé !9 et de nombreuses épaves de bateaux (Domergue 1966). L’utilisation de poinçons décoratifs très voisins10 ne prouve pas davantage la proximité géographique de l’atelier de céramique sigillée et de celui des lampes, mais elle renforce l’idée de modes iconographiques liées à l’évolution sociologique romaine.

Notes

1 Les restitutions des tria nomina sont tirées de : Dressel s.d.

2 Les marques annexes sont particulièrement diverses dans cet atelier : A, C, L, M, P, q, S, T, V, X, Z , A, Ω, ⭡.

3 JULLIAN (C,). — Remarques sur un essai d’inventaire des Figlinae gallo-romaines. Revue des études anciennes, 1899, p. 143-162 : « La signature LHOSCRI […] apparaît peu en dehors de la Narbonnaise […] une dizaine seulement ont été trouvées sur la rive droite du Rhône, une douzaine et plus proviennent de Vaison […] On peut chercher la manufacture de LHOSCRI dans un coin de terre délimité par Vaison, Orange et Carpentras ». On attribue à Cardaillac 1890, p. 297, l’hypothèse de la localisation de l’atelier COPPIRES à Cherchel : il indique seulement que cette ville est le lieu de provenance de quelques lampes. Enfin, Walters 1914 localise l’atelier COPPIRES en Campanie.

4 Bernhard 1955 : 394-395. De même, Walters 1914 : la plupart des ateliers sont italiques et plus précisément romains. De même, Laufer 1967 : 61-62 ; les principales officines se trouvent en Italie du Nord.

5 Laufer 1967 ; 61 ; découverte d’un fragment de moule à Vidy (datation Claude/Néron). Vegas 1966 : atelier daté du 2e quart du ier s. de n. è. Fremersdorf 1922 : 6 ; four trouvé à Weisenau, Petrolescu 1971 : 665-672 ; ateliers locaux, présence de moules à Calaraci (dép. lolomita). Iconomuc 1970 : 237-254 ; lampes vouées au rebut pour malformation, témoignant d’un atelier proche ; or les lampes sont signées EY, potier athénien. Deux hypothèses sont possibles : soit l’utilisation de moules d’importation, soit le surmoulage de lampes venues d’Athènes. Alarçao 1966 : 45-50 ; moule signé L MVNT, trouvé avec de la céramique locale à Braga, datation fin ier s. Mesple 1957 : 41 -71 ; présence de moules de lampes à l’atelier de Lombez. Barrantes 1877 : four et lampes à Mérida.

6 Des témoignages : Grenier 1962 : 77-81 ; à Lezoux, d’après le Dr Plicque, près d’un four, découverte d’une quinzaine de lampes ou fragments de lampes, marqués SURILLIV ou SURILLV. Vertet 1969 : 93-133 ; lampes et reliefs arvernes trouvés dans le dépotoir des ateliers, route de Maringues à Lezoux ; confirmation orale, de H. Vertet, d’un grand nombre de lampes et même de moules trouvés dans la région.

7 Labrousse 1962 : 26-27 ; la qualité de pâte des lampes de Montans est très voisine de celle de la sigillée qui en est issue. Confirmation orale de Th. Martin : réalité d’une production de lampes montanaises.

8 D’après A. Vernhet, lettre du 03/03/79 : « Des lampes sont régulièrement trouvées à La Graufesenque mais en faible quantité, et il ne semble pas que leur fabrication soit locale, à quelques exceptions près [...] les pâtes et les factures sont inégales. Certains exemplaires, soignés, à parois fines, à pâte beige clair, doivent être italiques. D’autres sont de lourds surmoulages. »

9 Je regrette de n’avoir pu remonter à la première publication. L’information est de Grenier 1962, qui cite le Dr Atkinson.

10 Klumbach 1961 : 190-194 ; plusieurs types de décors, l’abondance assise, la couronne de lauriers, Jupiter à l’aigle se trouvent simultanément sur la céramique sigillée et sur les lampes. Bien que l’on puisse parler de rapprochement iconographique, il est difficile d’affirmer qu’il s’agit du même poinçon. Tschumi 1924 : 28-38 ; dans cet article, l’auteur fait le rapproche ment entre les lampes et la céramique sigillée signées CATVLLVS.

Table des illustrations

Légende ● Fig. 1 – Procédés de fabrication.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33460/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 135k
Légende ● Fig. 2 – Lampes décorées par le même poinçon : gladiateur(s).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33460/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 83k
Légende ● Fig. 3 – Poinçon de gladiateurs, P.J.-D.1 : surmoulage du décor.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/33460/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 44k

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1988

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