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La peinture murale antique

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Alix Barbet

Scènes de chasse : les peintures de Nizy‑le‑Comte (Aisne)

Alix Barbet

Résumé

Les peintures de Nizy‑le‑Comte, rendues illisibles par des restaurations inadéquates effectuées au xixe s., ont été restaurées à nouveau. L’examen du dossier de fouilles, celui des différentes scènes, permettent d’y voir une chasse aux fauves, avec un filet, en présence d’un empereur barbu et lauré, vu de dos au premier plan. La date d’exécution pourrait se rapporter au plus tôt au iie s. La comparaison entre les aquarelles du xixe s. et les nouveaux indices rendus lisibles par les nettoyages conduit à éliminer l’hypothèse d’une scène d’amphithéâtre ; appartenant à un autre tableau voisin, un personnage agenouillé reste énigmatique. Lié à un autre tableau disparu de chasse au cerf, on hésitera entre l’illustration des Travaux d’Hercule, dont on aurait la capture de la biche aux pieds d’airain et le combat contre l’hydre, et le cycle d’Actéon. La facture de la peinture brossée et non pas lissée, la taille du tableau, grandeur humaine, font rattacher cette œuvre à une série provinciale de la Gaule septentrionale des iie et iiie s. ap. J.‑C.

Texte intégral

1Les peintures de Nizy‑le‑Comte, recueillies au milieu du xixe s., de façon remarquable pour l’époque, où les techniques de récupération des enduits peints étaient quasi inexistantes, sont restées pendant plus de cent vingt ans dans une chape de plâtre qui s’est peu à peu désagrégée. Documents uniques à plus d’un titre, ils étaient, jusqu’à ces dernières années, les seuls témoins en Gaule d’une peinture à personnages de grandeur naturelle, de scènes dont l’identification pose certains problèmes (voir la bibliographie générale sur les fouilles et découvertes de Nizy, en fin d’article).

2L’enquête préliminaire que je fis en 1967, à l’instigation de H. Stern, tourna court. Je fus atterrée et décontenancée lorsque je vis ces cadres de bois enchâssés dans un mur de l’ancienne bibliothèque de Laon ; au milieu, de vagues morceaux colorés étaient noyés dans un réseau marron qui donnait l’apparence de marbrures malsaines. Il était impossible d’y reconnaître les scènes dessinées sur les gravures anciennes. C’est à la suite des travaux affectant l’ancienne bibliothèque de Laon, devenue entre‑temps un club d’aéromodélisme, au milieu des plâtras de modernisation, que nous avons décidé, avec la conservatrice du musée, de tenter une restauration de quatre panneaux sur cinq après les avoir descellés du mur avec difficulté. Ce sont les résultats de ces travaux que j’exposerai ici.

3Je remercie Melle Souchon, des archives départementales de l’Aisne, de m’avoir fait connaître l’album manuscrit original de A. Callay, qui était resté ignoré à ce jour. J’ai également une dette de reconnaissance envers M. D. Defente, archéologue municipal de Soissons, et M. E. Belot, qui ont assuré la dépose des panneaux scellés dans les murs de la bibliothèque de Laon. La restauration a été faite sous ma direction, au Centre d’étude des peintures murales romaines de Soissons (C.N.R.S.). La délicate entreprise, confiée à Melles S. Rey et L. Krougly, est leur œuvre ; elles ont été assistées par deux jeunes stagiaires italiens, Melle L Fiorentino et M. P. Berardinelli. La municipalité de Laon a généreusement pris en charge les frais de ces travaux (cf. exposé de L. Krougly).

Historique des fouilles

4Les fouilles ont eu lieu entre 1851 et 1854, au lieu‑dit La Justice à 500 m au sud de la sortie de Nizy. D’après la carte des trouvailles reportées par l’instituteur A. Callay, Nizy semble avoir été un complexe romain d’importance, avec un théâtre, si l’on en croit l’inscription qui mentionne un proscenium offert par un certain L. Magius Secundus au pagus des Vennecti (cf. C.I.L., vol. XIII, no 3450, et Fleury 1877 : 198). C’est d’ailleurs le témoignage d’un cantonnier, qui aurait trouvé des gradins tout près de la villa de la Justice, qui décida la toute nouvelle Société académique de Laon à mener des fouilles pour retrouver le théâtre et qui aboutit à la découverte de la villa dont il est ici question.

5L’édifice dégagé est un péristyle complet de grandes dimensions (70 m de côté) avec bases de colonnes en place, chapiteaux et entablement, qui ont été dessinés avec soin (fig. 1, 2). C’est sur le mur sud que les peintures ont été retrouvées, tombées face contre terre, protégées partiellement par les moellons. Les traces d’un violent incendie ont été relevées ; des céramiques, un seul tesson a été reproduit. Des monnaies sont mentionnées en même temps que les peintures mais leurs relations stratigraphiques ne sont pas mises en évidence : elles vont de la fin du ier s. jusqu’au début du ive s. (cf. Fleury 1855 : 511 : bronzes de Nerva, Gordien, Faustine, Antonin, Maximien, Gallien, Constantin, Licinius).

● Fig. 1 – Plan du péristyle exhumé à Nizy‑le‑Comte, au lieu‑dit La Justice. Extrait de Callay, pl. 3.

● Fig. 2 – Base, chapiteau et entablement à fronton restitué de Nizy‑le‑Comte. Extrait de Callay, pl. 4.

6Les indices de datation sont donc quasiment inexistants. Nous devons raisonner sur le style des peintures et sur les modénatures architecturales. Ces dernières semblent trop peu typiques, d’après les experts de l’Institut de recherches sur l’architecture antique, pour qu’on puisse préciser. Le iie s. serait toutefois une date d’exécution vraisemblable.

7Les peintures, retrouvées face contre terre, jalonnaient le mur sud du péristyle sur 11m de long environ, lequel avait 3 m de haut mais dont la surface peinte ne dépassait jamais 1,50 m. A. Callay nous livre un schéma qui montre les emplacements respectifs des peintures dégagées, à thème cynégétique, corroboré par l’aquarelle de M. de Longuemar (fig. 3, 4b).

● Fig. 3 – Schéma de trouvailles des peintures de Nizy‑le‑Comte et principaux fragments épars. Extrait de Callay, pl. 7.

● Fig. 4a – Nizy‑le‑Comte. Les scènes de chasse vues par Callay. Extrait de Callay, pl. 8.

● Fig. 4b – Nizy‑le‑Comte. Les mêmes scènes dans l’aquarelle de M. de Longuemar. Extrait de Fleury 1877 : pl. 35‑36.

● Fig. 4c – Scènes identiques gravées. Extrait de Fleury 1860 : fig. 142.

8De gauche à droite nous avions un personnage tenant une tête de cerf (perdue), une « femme agenouillée » (notre homme barbu de grandeur naturelle) (fig. 15‑17), des personnages suivant une chasse, dont un homme de dos (panneau restauré aux fauves n° 2, fig. 8, 9), d’autres personnages suivant une chasse (panneau restauré n° 3, fig. 10, 11) ; vers la droite les peintures ont été perdues lors des premières fouilles de février 1853. Parmi les fragments dessinés, figurent quatre mains différentes, dont une tient peut‑être une étoffe, une moitié de visage de face de grande échelle : un œil droit regardant vers la droite, de fortes pattes de fauve étendues à griffes et coussinets, une tête de félin ; ces deux derniers éléments indiquent un animal se dirigeant vers la droite (fig. 3).

9Nous avons les éléments d’une longue frise de venatio, mais à son extrémité gauche le personnage agenouillé –beaucoup plus grand, enfermé dans un cadre, vu par E. Fleury, et retrouvé lors de la restauration– doit être mis à part, comme nous y invitent sa situation ainsi que son échelle.

10E. Fleury, très sensible à la technique de ces peintures dont il saisit tout de suite le caractère exceptionnel, nous les décrit en n’oubliant pas le support de mortier, dont il distingue trois couches. La surface vigoureusement brossée a frappé l’inventeur, d’autant plus qu’elle contrastait avec celle d’un autre groupe de peintures, au contraire bien lissées ; nous n’en parlerons pas car aucun témoin n’a survécu, pas même le petit vase dans un cadre carré connu par un dessin de Fleury.

11Voici le passage remarquable du rapport d’ E. Fleury (Fleury 1877 : 201‑202) : « le support était constitué de :

  1. un lit de moellons […] ;

  2. une couche de mortier épaisse de deux à trois centimètres et composée de chaux, de terre et d’un certain nombre de gros éléments de la marne calcaire du sol ;

  3. un lit de moitié moins épais de mortier plus tassé et plus fin ;

  4. un enduit très serré, très malaxé, très poli de chaux, sable tamisé et craie broyée, enduit stuqué en couche mince de trois à quatre millimètres ;

  5. enfin la peinture […].

12À première vue, on pouvait reconnaître deux manières de traiter la couleur. Le monochromaton, rouge, bleu ou jaune des champs, était appliqué à teintes plates, d’aspect serré, lisse et presque brillant, comme s’il avait été blaireauté, ou comme s’il avait subi un polissage ou frottis à la pierre ponce […]. Au contraire les nus et les étoffes […] étaient peints avec des brosses à gros poils dont le travail apparaissait partout. Il y avait là beaucoup d’habileté, d’habitude, de prestesse, et de sécurité de main, au moins comme couleur, car le dessin se montrait peu correct et très lâché. La tête humaine était traitée hardiment, avec fermeté et en pleine pâte. Pour obtenir les clairs on avait fait appel à des rehauts et à des empâtements de couleur épaisse et posée d’un coup, comme au couteau à broyer, avec cette espèce de rage que connaissaient les oseurs de certaines écoles modernes […]. La plus petite des mains était remarquable de lignes obtenues non par des traits de dessin, mais par des épaisseurs de couleur […]. Le peintre affectionnait surtout les tonalités rougeâtres passant au brun sombre dans les ombres avec des nuances très douces ».

13Les circonstances de la trouvaille, la présence du mur abattu et les traces d’incendie nous permettent de conclure sans risque d’erreur que la frise de chasse appartenait bien au mur du péristyle, dont la date d’édification est suggérée par l’élévation monumentale. Par voie de conséquences les peintures sont contemporaines ou postérieures à cette construction. La présence de zones de peinture réduites, à surface très lisse, de tradition « pompéienne », suggérerait l’existence possible de deux états, dont un ancien du ier s. ap. J.‑C. dont il aurait subsisté quelques témoins.

Méthode d’enlèvement des peintures

14Après une phase de tâtonnements, où les ouvriers ont détruit les premiers enduits, un procédé ingénieux, original et efficace, mais brutal, a été mis au point. Il consistait à fouiller en sape et à glisser sous les peintures abattues des planches, à barder le tout de plâtre et de cadre en bois, qu’on a laissé sécher de nombreux mois (de février à août) ; le récit de cette fouille exceptionnelle est un véritable reportage instructif, où l’on apprend tout de même qu’un personnage à tête de cerf, ou brandissant une tête de cerf (?), dont le relevé avait été effectué par précaution, s’est effondré lors de l’extraction, au grand effroi des spectateurs au nombre desquels se trouvaient les autorités locales. Par la suite, le dessin s’est également perdu, nous confesse, avec vingt‑six ans de retard E. Fleury dont le rapport mérite d’être relaté ici, en guise de leçon pour les archéologues de la fin du xxe s. que nous sommes (Fleury 1877 : 202‑204) : « On se décida à pousser des planchers sous le mur à l’aide de galeries souterraines, à débarrasser les enduits des moellons qui les chargeaient sans les consolider, à scier la peinture en grands carrés qu’on plâtrerait et barderait de madriers à rattacher solidement en forme de cadres […]. Les plâtres avaient séché à fond, l’enlèvement des parallélogrammes sciés et bardés eut lieu en août 1853 par un temps magnifique et en présence du préfet de l’Aisne, du conseiller général du canton de Sissonne […]. Le premier des six carrés fut soulevé et basculé avec un succès relatif, car, si le fragment vint d’un bloc avec sa chape de plâtre, on acquit, dès ce moment, la certitude que la surface peinte se fragmentait dans tous les sens ».

15Par la suite les peintures ont été soumises à toutes sortes de traitements : badigeonnage au blanc d’œuf battu en neige, séchage devant un four, application d’un vernis. Ce qui fut fatal aux peintures, c’est leur stockage dans des caves humides. Sur la surface, des efflorescences n’ont cessé de se développer, malgré des expositions au « plein soleil » nous dit Fleury, qui analyse assez lucidement le processus de dégradation (Fleury 1877 : 209) : « Pendant les dix ans qui se sont ensuite écoulés entre leur sortie de terre et leur insertion dans les murailles du musée, l’action du plâtre d’enveloppe paraît avoir eu pour effet de forcer l’humidité à sortir non en arrière par les enduits, mais en avant par la face peinte, que le sulfate de chaux a insensiblement attaquée et modifiée. Des efflorescences nitreuses qu’on n’a jamais pu arrêter, même par l’approche de réchauds, même en exposant les fragments en plein soleil, ont constamment poussé sur les surfaces peintes […]. Très claires et lisibles après les applications de vernis à l’œuf, si profitables aux petits morceaux nus, les peintures emplâtrées s’assombrissaient de plus en plus, et il serait difficile de comprendre comment M. de Longuemar en a pu tirer un semblable parti, s’il n’avait pas eu les explications orales et écrites qui lui ont permis de tracer et de peindre ses croquis ».

16On comprend maintenant pourquoi les aquarelles de M. de Longuemar, exécutées après toutes ces vicissitudes sur croquis et souvenirs d’E. Fleury, se ressentent de ces avatars : c’est ainsi que le grand personnage barbu, agenouillé, est devenu un adolescent androgyne. La comparaison avec les dessins de l’instituteur, faits immédiatement après la fouille, en 1857, montre qu’ils sont incomparablement plus fidèles, comme les restaurations effectuées nous l’ont prouvé (comparer les fig. 4a, b et c).

17L’exposé des circonstances et des méthodes d’enlèvement des peintures apporte un double enseignement : tout d’abord elles confirment la nocivité de l’emploi du plâtre qu’il faut absolument proscrire sur les chantiers de fouilles, deuxièmement, elles expliquent pourquoi nos peintures se présentent comme des « feuilletés » dont les fragments sont écartés les uns des autres, parfois inclinés. Il faut, en imagination, les rapprocher pour avoir l’échelle exacte et ne pas mettre en doute leur enchaînement. Il ne s’agit pas d’assemblages fantaisistes et douteux mais de plaques fragmentées, aux éléments déjà distanciés au moment de la fouille comme le témoignage d’E. Fleury le confirme (Fleury 1854 : 419) : « Aucun morceau n’était à son plan. Ici des interstices remplis de terre et parfois de racines de plantes qui avaient traversé les couches épaisses de terre, le mur de pierre, disloqué les enduits et séparé la couleur […] les enduits jouaient dans les vides qu’on dut immédiatement remplir de plâtre ».

Panneaux de peinture restaurés

■ Le panneau no 1

18Quatre personnages groupés, dont un de dos au premier plan à gauche (44 cm x 74 cm).

19La scène se déroule sur un fond vert ; un personnage de dos, au premier plan, est vu de profil à droite, ses cheveux noirs sont ceints d’une couronne de laurier dont quelques feuilles vertes sont apparues à la restauration et qui était passée inaperçue jusqu’ici. Il porte un collier de barbe et lève légèrement la tête. Il est vêtu d’un manteau d’un beau rouge profond, à plis indiqués en noir. Au‑dessous, la manche de sa tunique sombre est visible et s’arrête au coude. Le bras droit, bronzé et musclé, tendu, tient une haste noire (fig. 5‑7).

● Fig. 5 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 1 avant restauration.

Photo A. Barbet.

● Fig. 6 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 1 après restauration.

Photo A. Barbet.

Fig. 7 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 1, relevé graphique après restauration.

20Au deuxième plan un personnage de face, dont seule l’épaule droite est discernable, est drapé d’un vêtement crème à rehauts marron, attaché par une fibule. Sa main droite baissée tient fermement une lance. Un point jaune brille à côté de l’auriculaire.

21Au troisième plan, une plage rose foncé, de la même couleur que les bras des autres personnages, est nettement visible après restauration. Il s’agit du bras droit d’un troisième personnage dont l’existence avait échappé aux fouilleurs du xixe s. La couleur trop claire exclut qu’il puisse s’agir d’un bouclier ovale, comme il en existe sur le panneau no 3.

22Enfin, au dernier plan, un quatrième personnage se distingue, toujours vu de face, tête et cou de trois quarts. L’épaule droite est également drapée d’un vêtement dont les plis ramassés au cou indiquent une attache de fibule peu discernable. Le visage, à moitié conservé, laisse deviner une chevelure courte et noire et un collier de barbe ; l’œil est dirigé vers l’horizon à droite.

23Derrière les têtes conservées, trois lignes de touches arrondies ocre jaune indiquent un filet de cordes dont l’artiste a voulu rendre les tores. Le paysage de plein air était indiqué vraisemblablement par un arbre à gauche en haut, dont on devine très vaguement les lignes en vert plus sombre que le fond.

24Nous avons donc la représentation d’un groupe de chasseurs en attente, lance tendue, groupés près d’un filet dont la base devait être attachée à l’arbre visible dans le lointain. Leur attention se porte vers la droite où, d’après les comptes rendus de fouille, se situait le groupe de fauves. L’aquarelle de M. de Longuemar (fig. 4) est fautive sur plusieurs points. Il restitue à gauche une arcade d’édifice, qui n’est pas prouvée par les nettoyages opérés, et il met un trident dans la main du premier personnage, en confondant les deux lances qu’il joint au pli foncé de la manche du personnage au deuxième plan. Le détail a son importance, car il nous égarerait vers une scène d’amphithéâtre, ce qui ne semble pas être le cas d’après la suite de la scène.

■ Le panneau no 2

25Deux fauves galopant vers la droite (61 cm x 47 cm).

26Sur un fond vert, beaucoup plus clair que le précédent panneau, deux fauves sont représentés. En bas, au premier plan, robe beige unie et croupe d’un fauve ; au‑dessus, sa tête est partiellement conservée, gueule ouverte à la langue rouge apparente et mufle tourné en arrière, vers les chasseurs à l’affût du panneau no 1 (fig. 8, 9).

● Fig. 8 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 2, fauves bondissant, avant restauration.

● Fig. 9 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 2 après restauration et rapprochement graphique des morceaux.

27Au deuxième plan, au‑dessus, se trouvent conservées seulement les deux pattes arrière en position de détente d’un autre fauve qui galope vers la droite. Une ombre à la partie supérieure du tableau conservé a fait penser à une queue, ce que la restauration n’a pas permis de préciser. La robe unie du fauve en bas montre qu’il s’agirait plutôt d’un lion que d’une panthère ou d’un léopard, car aucune trace de mouchetis ou d’ocelles, la plus infime soit‑elle, n’a été décelée.

28On restitue donc, en toute sécurité, des fauves qui fuient devant les chasseurs armés d’épieux ou de lances ; ils pouvaient être plus nombreux, comme d’autres débris voisins le prouvent, et s’étageaient sur plusieurs registres pour traduire une certaine profondeur, ce qui explique aussi pourquoi l’un des chasseurs a les yeux levés.

■ Le panneau no 3

29Trois chasseurs avec boucliers (68,5 cm x 73,5 cm).

30Sur un fond vert moyen, plus sombre que celui du champ des fauves, trois chasseurs sont disposés côte à côte, de face, têtes tournées vers la gauche d’où viennent les fauves, sauf le premier personnage qui semble complètement de profil. Celui‑ci est en effet le moins lisible ; on voit surtout le grand bouclier ovale qui cache son corps ; une lance large (ou une torche ?), dont le possesseur doit être le chasseur du milieu, passe derrière son épaule droite. Le bas de la tunique beige à plis est barré d’une bande marron légèrement oblique, dont l’interprétation résiste à tout essai de restitution faite en rapprochant au mieux les fragments. S’agit‑il d’un ceinturon placé trop bas, d’une broderie d’applique horizontale ? (fig. 10, 11).

● Fig. 10 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 3, chasseurs avec boucliers avant restauration.

● Fig. 11 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 3, après restauration.

31Le deuxième personnage central est le plus clair, il a un port de tête qui indique qu’un obstacle se présente à gauche, vers le haut. Il semble imberbe et son épaule, avec une fibule pour attacher ses vêtements, est bien reconnaissable. Son manteau, qui fait des plis en recouvrant l’épaule gauche, laisse apercevoir une main serrée peut‑être sur un objet. À gauche de sa tête, sur le fond, les mailles d’un filet sont soigneusement représentées avec une corde faite d’un tore ocre jaune et d’un tore noir assez épais.

32Le troisième personnage d’extrême droite a une attitude à peu près semblable, tête de face au regard dirigé vers la gauche, vêtement avec attache sur l’épaule, grand bouclier ovale marron‑rouge devant le torse, tenu à main gauche. La main droite n’est pas visible, à moins que ce ne soit celle de gauche, que nous avons attribuée au chasseur central en vertu du pan de manteau qui recouvre l’avant‑bras et qui semble bien tomber de son épaule. Enfin, tout en haut du tableau à gauche, deux masses arrondies, marron‑rouge, rappellent la couleur et la forme des boucliers. Il pourrait s’agir d’un deuxième rang de chasseurs puisque nous savons qu’il y avait d’autres protagonistes, dont peu d’éléments ont été conservés, et plusieurs registres superposés, au moins sur 1,50 m, d’après la chronique de fouille.

33Le panneau, qui a souffert plus particulièrement, est difficile à lire et a donné lieu à des interprétations quelque peu fantaisistes de la part des observateurs du xixe s. Pour expliquer cette bande marron oblique, visible à gauche, A. Callay suggère un harnais et restitue l’arrière‑train d’un cheval ; au‑dessus, l’homme de gauche porte une lance à la façon médiévale, un arc apparaît derrière son dos. Le dessin est peu fidèle et les proportions fausses, comme on peut en juger par les boucliers qui sont en réalité beaucoup plus importants. La lecture de M. de Longuemar est, pour une fois, un peu moins fautive car il a reconnu le filet quadrillé, mais il reste aussi embarrassé que nous pour interpréter la zone inférieure à gauche.

34Après un examen approfondi nous ne voyons nulle part trace d’un cheval et il faut supposer plutôt des chasseurs à pied attendant le choc des fauves rabattus par le groupe de chasseurs situé à gauche. En effet, retranchés derrière leurs boucliers, ils sont sur la défensive et il s’agit bien d’une vaste scène cohérente de chasse de fauves au filet, comme quelques mosaïques africaines nous le révèlent.

■ Scènes de chasse au filet dans l’art romain

35On connaît une dizaine de représentations de ce type de chasse, surtout grâce à des mosaïques africaines. La mosaïque d’Hippone est la plus complète. Elle nous montre en vue cavalière » un demi‑cercle en haut de boucliers serrés derrière lesquels se cachent les chasseurs qui tiennent des torches allumées pour effrayer les fauves, trois panthères et un lion. En bas, au premier plan, un filet planté en terre par des pieux est masqué par des arbustes. Sur la gauche surviennent des chasseurs, à cheval ou à pied, portant deux javelots (Aymard 1951 : pl. III) (fig. 12).

● Fig. 12 – Mosaïque d’Hippone, Extrait d’Aymard 1951 : pl. III.

36Sur une gravure de Bellori le dispositif est très semblable, avec cinq chasseurs alignés derrière leurs boucliers, non loin d’un filet planté en terre. Deux lions se débattent dans cette nasse ; au premier plan trois chasseurs mobiles armés de boucliers sont vus de dos ; celui du centre est terrassé par un des lions (Aymard 1951 : pl. XXVIII A) (fig. 13).

● Fig. 13 – Scène de chasse. Extrait d’Aymard 1951 pl. XXVII A, provenant d’une gravure de Bellori.

37Il semble que les boucliers, souvent marron‑rouge pour imiter le cuir, aient été utilisés exclusivement pour se protéger des griffes des fauves, car on ne les rencontre que dans ce type de chasse et très souvent pour des captures d’animaux vivants, destinés vraisemblablement aux jeux du cirque. Ainsi la peinture du tombeau des Nasonii à Rome, dont une image de Bartoli nous donne bien le stratagème du piège à miroir qui trompe le fauve, tandis que deux haies de chasseurs avec boucliers le pressent (Aymard 1951 : pl. XXXIII A).

38La chasse aux lions était interdite aux civils, nous rappelle A. Carandini, et nous serions donc en présence de militaires, ce qui pourrait expliquer une certaine uniformité des costumes, sauf l’homme au manteau rouge (Carandini, Ricci, De Vos 1982 : 95, note qui renvoie à Jones 1964 : 76 et 1292, note 43).

39Cependant, une ordonnance de 414 permettra aux particuliers de tuer des lions et, pour J. Aymard, ce serait la preuve de la légalisation des pratiques des indigènes en Afrique du Nord (Aymard 1951 : 398).

40En revanche le filet est utilisé pour d’autres chasses, par exemple celle aux cervidés, qui, poursuivis par des cavaliers, vont se jeter, bois en avant, dans le piège, sur la mosaïque de la « petite chasse » de Piazza Armerina (Carandini, Ricci, De Vos 1982 : fig. 97). Il est aussi utilisé contre les sangliers, par exemple sur la chasse du Bardo (Aymard 1951 : pl. V en bas).

41Pour Carandini nous avons vu que les chasseurs aux boucliers de Piazza Armerina sont à considérer comme des soldats, entraînés à ce type de capture. Sur la grande chasse on les voit, toujours groupés à pied, bouclier contre bouclier, au nombre de six ou sept, attendant le choc des fauves,excités par des chasseurs à cheval portant également un bouclier. Des hommes à pied on n’aperçoit que la tête ceinte d’une couronne de feuilles, et deux javelots (Carandini, Ricci, De Vos 1982 : fig. 106 et pl. XXVII) (fig. 14). Pourquoi ces couronnes ? Sûrement pas pour un camouflage à la manière des « G.I » de la dernière guerre ! Comment expliquer la présence d’une couronne sur la tête du seul chasseur vu de dos de Nizy‑le‑Comte ? La portée religieuse de ce symbole m’avait frappée et, dans un premier temps, j’avais pensé que le personnage au manteau rouge s’apprêtait à un sacrifice à l’autel de Diane, qui aurait pu prendre place entre les scènes, mais dont nous n’aurions eu aucun témoin.

● Fig. 14 – Mosaïque de la grande chasse de Piazza Armerina, détail. Extrait de Carandini, Ricci, De Vos 1982 : fig.  106.

42Les récentes découvertes à Tellaro, en Sicile, présentent aussi les mêmes scènes de capture de fauves, avec fantassins armés de boucliers et de javelots. Il y a toujours un moment dramatique où l’un des chasseurs semble terrassé par un fauve qui l’écrase sous son bouclier (Voza 1983 : 10‑11, fig. 5 à 8, datation iiie ‑ ive s. ap. J.‑C.). Il y a aussi souvent des personnages vus de dos, avec de nombreux effets de profondeur pour rendre toute la stratégie de cette chasse où une vue panoramique est recherchée, ce qui devait être le cas à Nizy‑le‑Comte également.

43On notera que les documents de référence appartiennent presque tous au Bas–Empire, exception faite peut‑être du tombeau des Nasonii (Andreae 1963 : 97 sq., datation du iie s.). Est‑ce que ce fait pourrait nous donner une indication sur l’époque de création du thème, de sa popularité et de son introduction dans l’art gallo‑romain ? En effet, une mosaïque trouvée à Lillebonne présente des thèmes analogues, elle est également tardive (Darmon 1978 : 65‑88). Il s’agit d’une chasse au cerf appelant, sans filet.

44Nous avons vu que, d’après les trouvailles de monnaies, la peinture de Nizy‑le‑Comte a dû être exécutée entre le début du iie s. et le début du ive s. ap. J.‑C. et que la fourchette chronologique est difficile à restreindre, malgré les éléments d’architecture conservés du portique. À ce propos, il ne faut pas confondre la villa au lieu‑dit La Justice où ont été trouvées les peintures murales avec thèmes de chasse, avec la villa dite « au Clair‑Puits », où deux mosaïques ont été dégagées, dessinées par A. Callay et assignées au iie s. ap. J.‑C. par H. Stern (Stern 1957 : 39, no 4).

45Pour achever notre panorama, il convient d’examiner maintenant le dernier des panneaux restaurés, afin d’essayer ensuite de présenter une interprétation de l’ensemble et éventuellement une datation plausible.

■ Le panneau no 4

46Personnage agenouillé (80 cm x 129 cm).

47La restauration de la peinture et le nettoyage de surface ont permis de corriger l’attitude du personnage, féminisé à tort par M. de Longuemar (fig. 15). Il s’agit d’un homme dans la force de l’âge, qui se détache sur un fond vert sombre, les deux bras levés en l’air, légèrement pliés ; l’épaule droite est un peu plus haute ; il est entièrement nu, excepté un pan de manteau à pli bleu sous l’aisselle gauche, mais à bords en zig‑zag, passant sur la poitrine. Son manteau retombe verticalement derrière l’épaule droite ; il a le genou droit en terre et devait s’appuyer sur son pied ; la jambe gauche est fléchie à angle droit, le pied et le galbe du mollet marron clair vigoureusement cernés de marron foncé. Le sexe se devine (fig. 16).

● Fig. 15 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 4, personnage agenouillé. D’après l’aquarelle de M. de Longuemar. Extrait de Fleury 1877 : pl. 34.

48Le visage est bien conservé, avec des yeux qui regardent vers la gauche et vers le bas, la bouche a une lèvre bien dessinée, éclairée de rose, qui lui donne un relief très net, peut‑être ombrée d’une moustache, à moins qu’il ne s’agisse de la barre de la lèvre supérieure et du nez. Sur la joue gauche, les traces noires incontestables sont à interpréter plutôt comme une barbe ; M. de Longuemar, qui voulait y voir une femme, avait supposé des boucles de cheveux revenant sur la joue. Détail fort important : juste au‑dessus du front, après une lacune où devraient se situer les cheveux, un fragment, dont la connexion avec le reste de la composition n’est pas assurée, montre une surface modelée en blanc, marron clair et marron, oblongue comme un bois de cerf ; cette lecture serait plausible, comme nous le verrons ci‑dessous, là où E. Fleury avait vu une bandelette (Fleury 1854 : 421‑422) : « Cette femme s’appuie d’un côté sur son genou droit posé en terre et sur la jambe droite dont la perspective et les raccourcis sont mauvais, dont la position est physiquement impossible […]. Les fonds sont d’un brun verdâtre, coupé en hauteur par de grandes bandes verticales et noires dont les arêtes sont teintées de blanc vif, ce qui autoriserait à conclure à un appartement Est‑ce une bacchante ? c’est la supposition que la peau de panthère rend la plus probable, ainsi que le désordre des cheveux dont une portion s’échappe de la bandelette blanche qui retient les autres serrés sur le sommet de la tête ».

Restitution du personnage agenouillé et essai d’identification

49La scène se déroule à l’extérieur, car des accidents de terrain sont suggérés au‑dessous du personnage, au milieu de plantes dont des tiges sont reconnaissables. Le personnage, presque de grandeur naturelle, était enfermé dans un cadre assez étroit si l’on en juge d’après les traces verticales qui subsistent près du genou de droite. Pourtant un danger vient de la gauche, comme l’indiquent la direction des yeux fixés vers le bas et le geste des deux bras pliés qui devaient se rejoindre pour tenir une arme quelconque. Le torse pivote de droite à gauche et si la position semble maladroite, par suite d’une faute de perspective dans le rendu de la jambe droite repliée à l’horizontale, elle est parfaitement naturelle, comme les restitutions tentées sur mannequin vivant l’ont prouvé (fig. 16, 17).

● Fig. 16 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 4 avant restauration.

● Fig. 17 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 4 après restauration.

50Si l’on cherche à identifier le personnage, il nous faut passer en revue tous les personnages agenouillés de la mythologie dont les bras seraient levés. Nous devons déjà éliminer des atlantes et Atlas, dont les bras sont plus à l’équerre pour soutenir un poids et qui n’ont pas de vêtements à franges barrant la poitrine à interpréter comme une nébride. On pense par exemple à l’anguipède de Msaken du musée de Sousse et inédit, ou aux petits télamons agenouillés sur la zone basse d’une pièce de la maison de Méléagre à Pompéi (VI, 9, 2) (Schefold 1962 : fig 96‑2).

51De même nous devons éliminer l’hypothèse d’un Hylas, qui est jeune et imberbe et qui est saisi par les nymphes, dont les bras et les mains devraient apparaître sur son corps (Ling 1979 : 773‑816). Les Niobides ne sont pas plus plausibles, toujours en raison du vêtement, de l’âge du personnage qui semble un homme fait, et de l’absence de trace de blessure par flèche.

52Un géant blessé ne convient guère, même si celui qui figure à Piazza Armerina a la même position des jambes, car il n’y a aucune trace de sang (Carandini, Ricci, De Vos 1982 : fig. 27). Resterait Penthée déchiré par les ménades, dont les limites étroites du panneau n’autoriseraient pas la présence (Reinach 1922 : 198 et 204). Lycurgue étouffé par la vigne est impossible aussi puisqu’aucune trace de vrilles n’apparaît sur son corps.

53Ne reste possible, à notre avis, que la scène populaire et souvent représentée d’Actéon se défendant contre les chiens que Diane vient de lâcher contre lui, alors qu’il se transforme lui‑même en cerf. En général, les bois de cerf sur sa tête montrent le début de cette transformation, tandis qu’il brandit un pedum contre les limiers qui s’attaquent à lui à hauteur des hanches (LIMC 1981 : article Aktaion, p. 454‑469, Guimond L.). Il y a cependant deux objections importantes : Actéon est jeune et imberbe, il n’est jamais agenouillé comme à Nizy, et n’a jamais les deux bras levés à la fois. En général le bras gauche est baissé, une seule jambe est fléchie, l’autre est étendue.

54Pourtant un indice du tableau de Nizy suggère cette restitution. Le petit fragment de hampe marron clair au‑dessus de la tête, qui ne peut être une bandelette, pourrait être un fragment de bois de cerf. Le geste de défense, bras réunis autour d’un objet, tel que nous le restituons (fig. 17), est plausible et la cuisse droite non conservée autorise la présence d’un chien bondissant, tandis que le regard de l’homme traqué est dirigé dans cette direction. Enfin la présence d’un tableau de grande taille, à l’extrémité d’un portique, en relation avec une grande frise de chasse me paraît nécessairement un thème en accord avec elle, comme le fond et la technique picturale très semblables le montrent bien.

Interprétation d’ensemble

55En outre, rappelons que le tableau de grande taille au personnage agenouillé avait été extrait de la fouille à côté d’un autre. La relation de E. Fleury est formelle, les deux tableaux étaient côte à côte, séparés par des bordures. Celui qui a disparu représentait un homme nu maîtrisant un cerf, semble‑t‑il, qu’il tenait par la ramure, de son bras gauche étendu horizontalement, tandis que la main droite, qui devait tenir une arme, avait disparu (Fleury 1854 : 420) : « [le tableau] était divisé par de larges zones ou bandes de couleur brune en trois compartiments inégaux en largeur. Dans le premier, le plus endommagé, celui qui se trouve à la gauche du spectateur […] se voyait un personnage de grandeur naturelle, et complètement nu. Les traits sont larges et beaux. La tête de pleine face est couronnée de cheveux bouclés qui flottent au vent. Cet homme est assis ou plutôt appuyé contre un rocher, la jambe droite à peu près étendue, la gauche repliée et le pied posé sur un relief de la pierre. Le bras droit manque ainsi qu’une partie de la poitrine. Le bras gauche s’étend presque horizontalement. De la main gauche il porte une tête de cerf à la longue ramure ».

56Il pourrait s’agir d’Actéon à la chasse au cerf, avant son châtiment, mais après qu’il eut surpris Diane au bain ; la composition qui se trouvait à l’extrême droite, après la frise de chasse, semble le suggérer, si l’on interprète correctement les données fragmentaires de la fouille, corroborées par le petit schéma de A. Callay, donnant la position des trouvailles les unes par rapport aux autres (Callay manuscrit, pl. 7).

57En effet, les premiers essais infructueux pour recueillir les fragments avaient permis toutefois d’extraire une portion de visage féminin dont il est précisé que la taille devait être presque de grandeur naturelle (alors que la taille réduite des chasseurs sera notée par la suite). Une main, des drapés gris violacé sur un buste ou une cuisse d’homme au deuxième plan, faisaient face au spectateur (Fleury 1853 : 157). On peut imaginer effectivement la scène connue de Diane au bain et Actéon à moitié caché derrière un rocher au second plan. Bien entendu nous ne pouvons vérifier l’hypothèse car ces fragments n’ont pas survécu et les croquis anciens ne donnent que quelques rares fragments.

58Malgré tout il subsiste une difficulté : Actéon chasseur n’est jamais représenté maîtrisant un cerf. En revanche il existe un héros dont les travaux ont été très souvent représentés, c’est Hercule, qui est précisément figuré maîtrisant à la course la biche (ou le cerf) aux pieds d’airain de Cérynie, dont il empoigne la ramure avec brutalité (Brommer 1979 : pl. 2, 15a, 17, 31 ; Cressendi 1960 : 384, fig. 467).

59L’autre personnage agenouillé devrait être alors Hercule finalement terrassé par les souffrances provoquées par la tunique empoisonnée de Nessos, qu’il chercherait à arracher de ses deux mains levées au‑dessus de la tête. Des contemporains de Fleury ont pensé à Hercule combattant l’Hydre de Lerne (Fleury 1860 : 11).

60Nous ne pouvons décider entre ces interprétations. La première avait le mérite de donner un sens global à l’ensemble et de relier les scènes de chasse aux tableaux mythologiques de thèmes proches. On pouvait les comparer à un ensemble décoratif de la maison de Loreius Tiburtinus à Pompéi où deux tableaux de grande taille figurent de part et d’autre d’une pièce donnant sur l’Euripe, tandis que le jardin qui fait suite montrait une frise de chasse à plusieurs registres (Spinazzola 1953 : fig. 434) (fig. 18). Nous avons vu que certains détails insolites dans l’iconographie de cet Actéon supposé nous font hésiter.

● Fig. 18 – Pompéi, maison de Loreius Tiburtinus. Dessin Th. Adam, d’après Spinazzola 1953 : fig. 434.

61D’autre part l’hypothèse de la représentation d’un cycle complet des travaux d’Hercule, entrecoupé de frises de chasse, cadre assez bien avec les vestiges conservés, mais il y a peu de parallèles de même ampleur. On citera encore la maison de Loreius Tiburtinus où, dans le salon qui donne sur le même Euripe, sont représentés en frise les exploits d’Hercule, qui se superposent à une frise plus réduite évoquant la guerre de Troie.

62Les tableaux de Nizy se trouvaient près de l’angle du portique sud, vraisemblablement en rapport avec des entrées de pièces qui ne figurent pas sur le plan sommaire de A. Callay, bien que les pavillons d’angle soient une ébauche de ce qui existait, et qui n’ont pas été fouillées. Nous aurions là un programme iconographique cohérent, déjà connu pour la décoration des portiques à la fin du ier s. ap. J.‑C. et réalisé dans le nord de la Gaule alors romanisée.

63Par sa technique particulière de peinture à teinte vive sur un fond brossé, ce décor s’apparente à une série qu vient seulement d’être mise en évidence, grâce au hasard des trouvailles et à la coïncidence des travaux menés en Gaule du Nord et en Grande‑Bretagne actuelle, à savoir sur les sites de Lisieux, Famars et Kingscote. L’étude des critères de datation nous révèle qu’elle ne serait pas antérieure au iie s. ap. J.‑C., mais qu’elle pourrait s’étendre également au Bas‑Empire (BAR 1985 : fig. 5,4‑5, 5 ; RN 1985 : 35, fig. 3 ; 40, fig. 6).

64Par contraste on citera la très belle scène de chasse fragmentaire de Cologne, avec le chasseur tombé près de son cheval qui est attaqué par une panthère (BAR 1983 : 277‑296). La facture est lisse, très différente de la série du nord‑ouest de l’Empire à laquelle nous avons fait allusion.

65Dans l’attente de nouvelles découvertes de ce type, mieux datées, nous ne nous risquerons pas à proposer de façon ferme une date pour ce décor qui oscille du début du IIe s. au début du Bas – Empire ; il reste original et exceptionnel. Il pourrait faire partie, cependant, d’une série de copies commémorant une chasse célèbre. J. Aymard a bien analysé, à travers les textes et les documents, cette préoccupation fréquente de l’aristocratie romaine, ainsi la chasse au lion d’Hadrien. De même l’Histoire d’Auguste mentionne qu’au cours de son édilité Gordien avait lâché des centaines d’animaux d’espèces variées et rares dans une silva et qu’il avait permis au peuple de faire main basse sur ce splendide butin ; une vaste peinture murale avait conservé le souvenir de cette magnifique chasse (Aymard 1951 : 190 et note 3, Vita Gord III, 6) : « extat silva eius memorabilis, quae picta est in domo rostrata Cn. Pompei […] in qua pictura etiam nunc continentur ».

66R. Rebuffat, dans la discussion qui a suivi cet exposé, suggère de voir dans le personnage de dos et barbu, l’empereur lui‑même revêtu du paludamentum rouge, dont nous avions souligné le caractère exceptionnel. Il est le seul à être lauré. Est‑il possible de l’identifier ? Malheureusement une crevasse le défigure à hauteur des yeux et du front. Il faut se garder de vouloir dater la peinture en fonction de l’empereur qu’on croirait reconnaître, mais on peut chercher peut‑être aussi du côté de la dévotion de certains empereurs pour Hercule, dont nous avons vu que les exploits étaient peut‑être illustrés dans des tableaux de grandeur naturelle.

67Tout ceci reste largement hypothétique ; une chose est toutefois certaine, la peinture de chasse de Nizy‑le‑Comte se déroulait sur au moins un côté complet d’un péristyle particulièrement grandiose, car il est peu courant d’en trouver de 70 m de long, surtout pour une villa dont le caractère exact n’a jamais été précisé faute de fouilles exhaustives.

68N. B. En plus de la bibliographie détaillée qui suit, nous devons mentionner l’album manuscrit avec dessins originaux de A. Callay, instituteur à Sissonne, signé le 29 avril 1857 et dédié à J.‑L. Laisné, puis déposé aux archives départementales de l’Aisne à l’instigation de M. et Mme Sautet. Signalons également, à propos de l’inscription de Nizy, plusieurs articles de M de Villefroy dans le Bulletin de la Société archéologique, historique et scientifique de Soissons (années 1851, 1852 et 1865).

Discussion

69René Rebuffat développe la question de l’identification du personnage principal : il porte une couronne de laurier et un manteau rouge (paludamentum), deux attributs réservés à l’empereur seul. Il ne peut donc s’agir que de la représentation d’une chasse impériale. Un spécialiste (en portraits, en numismatique ?) pourrait peut‑être même reconnaître l’empereur figuré, il ne saurait, par conséquent, être question d’une chasse en amphithéâtre : on éliminera donc la scène evergétique. Cela pose le problème de la chronologie –on peut se situer au iie ou au iiie s.– et celui de la fonction du bâtiment : il faudra sans doute revoir l’identification comme simple péristyle.

70Autre point : les « justices » médiévales sont généralement situées au bord d’un « grand chemin » lequel est presque toujours la voie romaine.

71Enfin, le personnage agenouillé qui combat un adversaire situé plus bas que lui pourrait être Orion, devant le scorpion, ou Actéon, devant les chiens.

72Jean‑Pierre Darmon désapprouve l’hypothèse d’Actéon, généralement représenté glabre, debout, attaqué par les chiens, et se défendant. Le personnage de Nizy, barbu, agenouillé, sans attaquants ni blessures visibles, serait plus vraisemblablement un atlante.

Bibliographie

Bibliographie

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Table des illustrations

Légende ● Fig. 1 – Plan du péristyle exhumé à Nizy‑le‑Comte, au lieu‑dit La Justice. Extrait de Callay, pl. 3.
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Légende ● Fig. 2 – Base, chapiteau et entablement à fronton restitué de Nizy‑le‑Comte. Extrait de Callay, pl. 4.
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Légende ● Fig. 3 – Schéma de trouvailles des peintures de Nizy‑le‑Comte et principaux fragments épars. Extrait de Callay, pl. 7.
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Légende ● Fig. 4a – Nizy‑le‑Comte. Les scènes de chasse vues par Callay. Extrait de Callay, pl. 8.
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Légende ● Fig. 4b – Nizy‑le‑Comte. Les mêmes scènes dans l’aquarelle de M. de Longuemar. Extrait de Fleury 1877 : pl. 35‑36.
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Légende ● Fig. 4c – Scènes identiques gravées. Extrait de Fleury 1860 : fig. 142.
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Légende ● Fig. 5 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 1 avant restauration.
Crédits Photo A. Barbet.
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Légende ● Fig. 6 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 1 après restauration.
Crédits Photo A. Barbet.
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Légende Fig. 7 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 1, relevé graphique après restauration.
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Légende ● Fig. 8 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 2, fauves bondissant, avant restauration.
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Légende ● Fig. 9 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 2 après restauration et rapprochement graphique des morceaux.
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Légende ● Fig. 10 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 3, chasseurs avec boucliers avant restauration.
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Légende ● Fig. 11 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 3, après restauration.
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Légende ● Fig. 12 – Mosaïque d’Hippone, Extrait d’Aymard 1951 : pl. III.
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Légende ● Fig. 13 – Scène de chasse. Extrait d’Aymard 1951 pl. XXVII A, provenant d’une gravure de Bellori.
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Légende ● Fig. 14 – Mosaïque de la grande chasse de Piazza Armerina, détail. Extrait de Carandini, Ricci, De Vos 1982 : fig.  106.
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Légende ● Fig. 15 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 4, personnage agenouillé. D’après l’aquarelle de M. de Longuemar. Extrait de Fleury 1877 : pl. 34.
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Légende ● Fig. 16 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 4 avant restauration.
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Légende ● Fig. 17 – Nizy‑le‑Comte. Panneau no 4 après restauration.
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Légende ● Fig. 18 – Pompéi, maison de Loreius Tiburtinus. Dessin Th. Adam, d’après Spinazzola 1953 : fig. 434.
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© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1987

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